ACTE
PREMIER
(Une cour de taverne
allemande. A gauche, corps de bâtiment dont l'un des côtés
fait face au public. Au premier étage, porte vitrée donnant
sur le perron d'un escalier extérieur qui descend dans
la cour. A droite, un hangar. Table et tonnelles)
Scène Première
(Bourgeois, puis Lothario.
Les bourgeois sont
attablés et boivent; quelques
garçons de taverne
sont occupés a les servir)
CHOEUR DES BOURGEOIS
Bons bourgeois et notables,
Assis autour des tables,
Fumons tranquillement,
Et buvons en fumant!
La bière brune ou blanche,
Écume dans les pots!
C'est aujourd'hui dimanche;
C'est le jour du repos!
(Lothario parait au fond sur le
seuil de la taverne.
Il s'avance lentement, s'arrête au
milieu de la cour
et chante en s'accompagna sur on
luth)
LOTHARIO
Fugitif et tremblant, je vais de
porte en porte,
Où le hasard me guide,
où l'orage m'emporte!
Des misérables Dieu prend soin!
Elle vit! Elle vit! Et je cherche sa
trace!
Je me repose un jour, un seul jour,
et je passe!...
Je vais plus loin, toujours plus
loin!
UN BOURGEOIS
(à ses voisins)
Oui; c'est Lothario, le vieux
chanteur nomade.
DEUXIÈME BOURGEOIS
On dit que le malheur a troublé sa
raison.
UN BOURGEOIS
D'où vient-il?
DEUXIÈME BOURGEOIS
On l'ignore.
CHOEUR
Allons, mon camarade!
Viens boire, et laisse-là ta
plaintive chanson!
On fait asseoir Lothario sous la
tonnelle,
et on lui verse à boire.
REPRISE DU CHŒUR
Bons bourgeois et notables,
Assis autour des tables,
Fumons tranquillement,
Et buvons en fumant.
La bière brune et blanche
Écume dans les pots!
C'est aujourd'hui dimanche,
C'est le jour du repos!
(Quelques buveurs remontent au
fond
et se groupent sur le seuil de
taverne)
Scène Seconde
(Les Mêmes, Jarno, Safari,
Zingari, Paysans
de la Foret Noire, puis Philine et
Laërte sur
le balcon, puis Mignon)
QUELQUES PAYSANS
(entrant)
Place, amis! faites
place aux enfants de Bohême,
Aux tsiganes, aux
zingari!...
Voici toute la bande avec Jarno lui-même,
Et son compère Zafari!
(Entrée des
Bohémiens. La bande défile
autour
du théâtre. Un chariot couvert
d'une toile grossière
et chargé d'oripeaux
de toutes sortes, est traîné sur
le
devant de la scène par deux ou trois
zingari en
haillons. Jarno est debout sur
le chariot. Mignon,
enveloppée
d'un vieux manteau rayé, dort sur une
botte
de paille au fond du chariot.
Un groupe de
danseurs, le tambour de basque en main, s'élance
en
scène. Zafari saisit son
violon et donne le signal
de la danse. Un tambourin et un
hautbois l’accompagnent)
PHILINE
(paraissant sur le balcon suivie de
Laërte)
Laërte, ami Laërte,
accourez au plus vite!
Voilà qui nous promet
un spectacle engageant!...
Mais ne vous moquez pas
et soyez indulgent!
A vous asseoir je vous
invite.
(Laërte s'asseoit sur le balcon a côté
de Philine)
Danse bohèmienne
CHŒUR
Plus vives que l'oiseau
des cieux,
Plus rapides que
l'éclair même,
Filles d'Égypte et de
Bohême,
Frappez le sol d'un
pied joyeux!...
Ta, la, ralla! ta, la, ralla!
O filles de Bohême,
Filles au cœur joyeux,
Vous aimez, on vous
aime,
Et tout est pour le
mieux!...
(Jarno s'avance au milieu du théâtre
et salue
l'assemblée.
Quelques pièces de monnaie tombent
à ses pieds. Zafari les ramasse)
JARNO
Pour gagner maintenant
toute votre indulgence,
Et vous remercier de
vos dons généreux,
Mignon va vous montrer
sa vive intelligence
En dansant devant vous
le fameux
pas des œufs!
LE CHOEUR, PHILINE,
LAERTE
Vivat! rapprochons-nous
d'eux
Ma foi! restons-là tous
deux
Pour voir la danse des
oeufs.
Pour voir la danse des
œufs.
JARNO
(se tournant vers Zafari)
Toi, Zafari, prépare
Ton concerto le plus
savant!...
(Aux autres Zingari)
Couvrez le sol d'un
tapis rare!...
(S'approchant du chariot et
réveillant Mignon)
Et toi, Mignon, debout!
en avant! en avant!
(Zafari prélude sur
son violon. Une vieille zingara
couvre le sol d'un lambeau de tapis. Les œufs y sont
déposés par un enfant. Mignon s'éveille a
la voix de
Jarno et s'avance au milieu du cercle des
curieux.
Elle tient un
bouquet de fleurs sauvages à la main
et semble sortir
d'un rêve)
PHILINE
(à Jarno, du haut du balcon)
Holà! mon cher
monsieur,
vous plait-il de nous
dire
Quel est ce pauvre
enfant
qui semble vous maudire
De l'avoir de la sorte
éveillé sans façon?...
Est-ce une fille?
est-ce un garçon?...
UN GROUPE DE VIEUX
BOURGEOIS
Ces filles de Bohême
Ont de fort jolis yeux,
Et ma femme elle-même
Ne danserait pas
mieux!...
JARNO
Ni l'un ni l'autre,
belle dame,
Ni garçon, ni fille, ni
femme.
PHILINE
Qu'est-ce donc alors?
JARNO
(écartant le manteau qui couvre Mignon)
C'est Mignon.
(Philine et le chœur éclatent de rire)
MIGNON
(à part)
Ces yeux fixés sur
moi... Ce rire qui m'outrage!...
Retrouve ta fierté, mon
cœur et ton courage!...
JARNO
Allons, saute, Mignon!
MIGNON
(frappant la terre de son pied nu)
Non, non, non, non!
Je brave ta menace!
De t'obéir à la fin je suis lasse!
JARNO
Tu refuses!
(Se tournant vers les
zingari)
Holà! vous autres, mon
bâton!
LAERTE, PHILINE,
CHOEUR
Danse, Mignon,
Gare au bâton!
JARNO
Danse, Mignon,
Méchant démon,
Ou mon bâton
Saura te mettre à la
raison!
MIGNON
Non, non, non, non,
non, non!
LOTHARIO
(courant à Mignon qu'il étreint dans
ses bras)
Reprends courage!
Viens, pauvre enfant,
Contre sa rage
Je te défends!
JARNO
(avec colère)
Au diable! au diable!
Vil misérable!
(Il repousse violemment Lothario)
Danse, Mignon!
Méchant démon!
Ou mon bâton
Saura te mettre à la
raison!
MIGNON
Non, non, non, non,
non, non!
(Jarno lève' son bâton sur Mignon.
Entre
Wilhelm en habit de voyage, suivi
d'un valet
qui porte sa valise et son
manteau)
Scène Troisième
(Les Mêmes, Wilhelm)
WILHELM
(s'élançant an secours de Mignon,
et retenant le bras de Jarno)
Holà! coquin! arrête,
ou ton heure est venue!
JARNO
Hein? Plait-il?
WILHELM
(tirant un pistolet de sa poche)
Si tu fais un seul pas
je te tue!
JARNO
C'est bon! Je me tiens
coi!
(D'un ton lamentable)
Mais je suis ruiné!
Qui de vous me paîra ma
recette perdue?
PHILINE
(sur le balcon, jetant sa bourse à Jarno)
Tiens donc! Prends et
tais-toi!
que tout soit pardonné.
MIGNON
(partageant son bouquet entre Wilhelm
et Lothario)
A vous ces fleurs,
amis,
qui m'avez défendue!...
Concertante
WILHELM
Qui diantre aurait pu
prévoir
Cette bizarre aventure!
Mon cœur, pauvre
créature,
M'a seul dicté mon
devoir!
JARNO
Messieurs, revenez nous
voir,
Oubliez cette aventure,
Vous serez, je vous le
jure,
Très contents de nous
ce soir.
PHILINE
(à part)
Quel est, je veux le
savoir,
Ce beau coureur d'aventure?
Il nous cache sa figure
Et n'a pas l'air de
nous voir.
LE CHOEUR
(à Jarno)
Nous reviendrons tous
vous voir
Tant que le dimanche
dure,
On chemine à l'aventure
Et l'on vient danser le
soir.
LAERTE
(à Philine)
Ce beau garçon à l'œil
noir,
Ce beau coureur
d'aventure
Quel est-il? ah! je le
jure,
Vous brûlez de le
savoir.
MIGNON
(priant à l'écart)
O Vierge, mon seul
espoir,
Protège ta créature!
Je me courbe sans
murmure
Devant ton divin
pouvoir!
LOTHARIO
(immobile et l'œil fixe, touchant
les
cordes de sa harpe)
Sous le voile obscur du
soir.
Et sous la verte
ramure,
Un homme à la lourde
armure
Arrête son coursier
noir!
(Les bourgeois sortent par le
fond. arno et les
Bohémiens se retirent dans le hangar. Mignon
les suit et
Lothario s'éloigne lentement. Philine
parle bas a
Laërte en lui montrant Wilhelm du
doigt. Elle rentre chez
elle en riant et Laërte
descend dans la cour par
l'escalier extérieur)
Scène Quatrième
(Wilhelm, Laërte)
WILHELM
(parlant au valet qui le suit)
Qu'on prenne soin de
nos chevaux
et qu'on mette ma
valise en lieu sûr...
quant à moi, je
déjeunerai ici,
sous lés arbres.
(Le valet entre à l'alberge)
LAERTE
(s'approchant pour saluer Wilhelm)
Monsieur...
WILHELM
(lui rendant son salut)
Monsieur...
LAERTE
Je suis chargé par la
jeune dame qui était tout
à l'heure avec moi sur
ce balcon,
de vous faire ses
compliments pour la façon
vraiment chevaleresque
dont vous avez secouru
cette petite bohémienne
contre les coups
de canne de son
gracieux maître.
WILHELM
Ce que j'ai fait,
Monsieur,
tout autre l'eût fait à
ma place.
LAERTE
J'avoue que j'allais
descendre,
quand vous avez paru
sur le seuil
comme un Dieu sauveur;
et si je me suis arrêté
en chemin,
c'est uniquement pour
vous laisser la gloire
de votre bonne action.
WILHELM
Je vous en remercie.
LAERTE
Nos cours sont faits
pour se comprendre.
(Ils se saluent)
Permettez-moi,
monsieur,
de vous dire maintenant
qui nous sommes.
Il est bon quelquefois
de savoir à qui l'on parle.
Je me nomme Laërte et
la dame du balcon
a nom Philine.
Vous voyez en nous les
derniers débris d'une
troupe de comédiens
dont le directeur a,
comme on dit, mis la
clef sous la porte
et décampé sans payer
personne.
Le fait en soi n'a rien
d'extraordinaire,
et nos pareils sont
habitués de longue main
à ces petits accidents
de la vie de théâtre.
Quelques. uns de nos
camarades sont dispersés
dans la ville, où ils
végètent en attendant
une occasion
favorable...
Philine compte sur sa
bonne étoile
et épuise gaiement ses
dernières ressources
sans s'inquiéter de
l'avenir;
quant à moi, je profite
de l'occasion
pour jouir de ma
liberté, pour désapprendre
toutes les sottises
dont messieurs les poètes
m'ont bourré la
cervelle, pour dormir et manger
à mes heures, et
redevenir
un citoyen comme un
autre!
(Déclamant)
Mais un heureux hasard
vous
met sur mon chemin,
Et je me fais honneur de toucher votre main!...
(D'un ton naturel)
Pardon!...
l'habitude!...
WILHELM
(souriant)
‘Ne vous gênez pas pour
moi;
les vers ne me font pas
peur.
LAERTE
Seriez-vous poète?
WILHELM
A mes moments perdus.
LAERTE
Diable!
WILHELM
Mais jamais à jeun;
rassurez-vous!
(une servante vient mettre le
couvert)
Vous plaît—il, cher
monsieur,
de partager mon modeste
déjeuner?
LAERTE
Volontiers!
WILHELM
(à la servante qui prépare la table)
Deux couverts...
(A Laërte)
Nous aurons tout le
loisir de causer
et de fêter, le verre
en main,
notre heureuse
rencontre.
LAERTE
Mille grâces, cher
monsieur?...
WILHELM
Wilhelm Meister.
Et puisque vous m'avez
dit qui vous êtes,
je ne puis faire
autrement que d'imiter votre
franchise jusqu'au
bout.
Confidence pour
confidence : je suis le fils
d'un honnête bourgeois
de Vienne.
J'ai quitté, il y a un
an à peine, les bancs
de l'université pour
recueillir l'héritage paternel
et faire mes premiers
pas dans la vie.
Je suis jeune, je suis
riche, je suis libre!...
amoureux... de l'amour!
ami des beaux vers et
de toutes les belles
choses, curieux de voir
le monde, et impatient
de rencontrer de folles
aventures!
LAERTE
(déclamant)
O jeunesse!
WILHELM
(se levant)
Je veux parcourir notre
vieille Allemagne,
Je veux voir la France
et l'Italie
et semer mon argent sur
le sable
de toutes les grandes
routes!...
Rondeau
Oui, je veux par le
monde
Promener librement
Mon humeur vagabonde!
Au gré de mes désirs,
je veux courir gaîment
Tout m'attire ou
m'enchante,
Tout est nouveau pour
moi ;
Et je ris et je chante,
et ne suis que ma loi!
O maison paternelle!
Je te fais mes adieux,
Et j'ouvre enfin mon aile
Comme un oiseau
joyeux!...
Oui, je veux par le
monde
Promener librement
Mon humeur vagabonde!
Au gré de mes désirs,
je veux courir gaîment!
Si l'amour sur ma route
Ce soir me tend la
main.
Je m'arrête et l'écoute
Sans attendre à demain!
Mon cœur n'est point
rebelle
Au doux, plaisir
d'aimer, et la voix d'une belle
Est prompte à me
charmer!
Mais la femme rêvée
Qu'on appelle tout bas,
Je ne l'ai point
trouvée!
Je ne la connais
pas!...
Est-elle noble et
belle? Est-elle brune ou blonde?
Peu m'importe vraiment!
Moi, je veux, par le
monde
Promener librement
Mon humeur vagabonde!
Au gré de mes désirs,
je veux courir
gaiement!
LAERTE
Le déjeuner est servi.
WILHELM
A table donc!
LAERTE
A table!
(Riant)
Un vrai déjeuner sous
de vrais arbres...
en compagnie d'un
galant homme...
qui n'a jamais joué la
comédie!...
c'est charmant, sur ma
parole!
(ils s'attablent)
WILHELM
Servez-vous sans façon,
je vous prie.
LAERTE
Voilà, pardieu! un
poulet qui n'est point en carton peint...
permettez-moi de le découper... pour de bon.
(il découpe le poulet)
WILHELM
Diable!... il me paraît
dur...
LAERTE
Bah! avec de la
vigueur... et de bonnes dents!
WILHELM
A votre santé!
LAERTE
A la vôtre.
WILHELM
Que dites-vous de ce
petit vin du Rhin?
LAERTE
Du Johannesburg...
d'Alsace!...
(il boit et mange)
Ainsi, cher monsieur...
Wilhelm Meister, vous
vous proposez
de parcourir le mondé
entier...
Eh bien! prenez garde
de vous arrêter
à la première étape!
WILHELM
Comment?
LAERTE
N'allez pas, veux-je
dire,
vous empêtrer tout
d'abord dans
quelque piège amoureux!
(Mordant avec rage dans une aile
de poulet)
Décidément les poulets
d'auberge ne valent pas
mieux que ceux de
théâtre!...
Celui-ci n'est pas en
carton... non!...
il est en bois!
WILHELM
(riant)
C'est un coq.
LAERTE
Gaulois!
WILHELM
Oui... Il est un peu
vieux.
LAERTE
Et le vin est jeune!
(il boit)
Moi qui vous parle,
Monsieur,
j'étais parti comme
vous... de mon village,
pour aller... jusqu'à
la lune... avec mes vingt ans
et les écus de mon
oncle défunt!...
(Faisant un effort pour avaler)
Ah! l'animal!
WILHELM
(riant)
Votre oncle!...
LAERTE
Non... le coq!... ma
foi I j'y renonce!...
(il repousse son assiette)
A notre première halte,
j'entre dans une grange
où des histrions de
campagne jouaient
la comédie. J'avise, à
la lueur des chandelles,
certaine fille de
quinze ans, blonde comme
les blés! avec des yeux
de myosotis, —
c'était l'ingénue de la
troupe.
J'en deviens amoureux
sur l'heure.
Je me déclare le
lendemain,
et je l'épouse huit
jours après.
Mais le soir même de la
noce, monsieur,
je surprends un
autre... Roméo aux pieds
de Juliette!
je me bats, je suis
blessé, et le vainqueur s
e sauve avec ma femme
et mon argent!
J'avais passe en
quelque jours par toutes
les émotions de
l'amant, du fiancé, du mari
et... du veuf!...
(il boit)
mon désir do voyager
était passé,
ma soif d'aventures
était satisfaite...
El le diable finalement
me fit comédien!...
Vous voyez que je ne
suis pas payé
pour aimer mon métier,
et que j'ai mes raisons
pour vous dire de prendre garde aux femmes!...
WILHELM
(souriant)
Vous paraissez pourtant
fort bien
avec la dame du balcon.
LAERTE
Qui, Philine? Cela ne
tire pas à conséquence,
je vous jure.
Nous connaissons
beaucoup trop
pour nous aimer.
WILHELM
Bah!
(Philine entre ouvre la fenêtre et s'avance
sur le
balcon pour écouter.
Elle a remplacé son peignoir
du matin
par une élégante robe do voyage)
LAERTE
Nous nous sommes débité
de si belles choses
en vers devant le
public, que nous ne trouvons
plus rien à nous dire
en prose,
quand nous sommes seuls
face à face.
WILHELM
(riant)
Vraiment!
LAERTE
Les loups d'ailleurs ne
se dévorent pas
entre eux, vous savez?
WILHELM
On le dit.
LAERTE
Mais vous, c'est
différent!
Vous n'êtes pas du
métier!
Vous êtes jeune,
ardent, curieux...
et plein d'illusions!
Méfiez vous de la dame!
Je suis trop son ami et
je tiens trop à devenir
le vôtre pour ne pas
vous donner ce bon avis.
WILHELM
Mais...
LAERTE
Vive, coquette, rusée,
menteuse et vaine
comme toutes ses
pareilles;
plus légère que le
vent, plus perfide que l'onde,
plus changeante que la
lune ; c’est avec tous
ces défauts la plus
dangereuse fille
que je connaisse!
Buvons à sa santé!
(Ils trinquent et boivent. Philine descend
l'escalier pendant les dernières paroles
de Laërte)
Scène Cinquième
(Les Mêmes, Philine)
Terzetto
PHILINE
Eh! quoi! mon cher
Laërte, en vidant votre verre,
N'ajouterez-vous rien à ce portrait charmant?
WILHELM
(saluant Philine)
Il vous juge en ami sévère,
Et vos beaux yeux disent qu'il ment.
PHILINE
Je vous sais gré du compliment.
Ensemble
PHILINE
(à part)
Essayons de nos charmes
Pour nous venger un
peu.
Me voilà sous les
armes,
Le reste n'est qu'un
jeu!
WILHELM
(à part)
Que de grâces et de charmes!
Quels regards pleins de
feu!
Les soupirs et les
larmes
Sont ici hors de jeu.
LAERTE
(riant)
La voilà sous les armes,
Nous allons voir beau
jeu!
Devait de pareils
charmes
Son cœur va prendre
feu!
PHILINE
(s'adressant a Wilhelm)
En ce pauvre monde où
nous sommes
Si toute femme est
comme moi
Coquette, légère et
sans foi.
Hélas! Que dirons-nous
des hommes?
(Montrant Laërte)
Combien j'en connais
comme lui,
Qui traînent chez nous
leur ennui,
Se vantant de haïr les
belles
Qu'ils n'ont pas eu
l'art de charmer;
Et qui nous traitent
d'infidèles
Sans avoir su se faire
aimer.
WILHELM
(riant)
Très bien dit! Vous
voilà vengée!
LAERTE
Bravo! l'affaire est
engagée!...
Permettez, sans plus de
façon,
Qu'on vous présente
l'un à l autre.
(Présentant Wilhelm à Philine)
Monsieur Wilhelm
Meister, un aimable garçon,
Qui vous offre son cœur
en échange du vôtre.
(Présentant Philine à Wilhelm)
La signora Philine, un
ange en falbala,
Qui vous trouve
charmant et voudrait vous le dire.
(A Philine)
Décochez à monsieur
votre plus doux sourire.
(A Wilhelm)
Offrez votre bouquet à
madame...
(Il prend le bouquet et le donne à Philine)
Voilà!
Reprise de l'ensemble
WILHELM
(à part)
Que de grâce et de
charmes!
Quels regards pleins de
feu!
Les soupirs et les
larmes
Sont ici hors de jeu!
PHILINE
(à part)
Essayons de nos charmes
Pour nous venger un
peu.
Me voilà sous les
armes,
Le reste n'est qu'un
jeu!
LAERTE
(riant)
La belle est sous les armes,
Nous allons voir beau
jeu!
Devant de pareils
charmes
Son coeur va prendre
feu!
PHILINE
(à Wilhelm)
Je vous prie, Monsieur,
d'excuser
les folies de mon ami.
(à Laërte)
Vous, offrez-moi votre
bras, s'il vous plaît.
LAERTE
Nous sortons?
PHILINE
Oui, je vous emmène
pour soustraire
M. Meister à vos
mauvais conseils.
LAERTE
(riant)
Et pour fuir comme le Parthe.
(Déclamant)
" En lui perçant le
cœur
d'un dard empoisonné"
(D'un ton naturel)
Où allons-nous?
PHILINE
A l'aventure.
(Bas)
Ma bourse est vide...
LAERTE
Diable I... la mienne
aussi!
PHILINE
Il s'agit de trouver
par la ville un honnête joaillier
à qui je puisse vendre
quelques bijoux.
LAERTE
(bas)
Vous êtes bien heureuse
d'avoir
encore des bijoux à
vendre!...
(Haut)
Allons.
PHILINE
(lui prenant le bras)
A propos,
avez-vous
entendu parler de notre ami Frédérick?
LAERTE
En aucune façon.
PHILINE
Depuis huit jours qu'il
ne m'a pas vue,
il doit être mort!
LAERTE
C'est probable,
(a Wilheim)
Nous vous retrouverons
ici, n'est-ce pas?
PHILINE
(riant)
Certainement!
Est-ce qu'on s'en va
quand on m'a vue!
LAERTE
On ferait mieux de s'en
aller!
PHILINE
Insolent!
(a Wilheim)
A bientôt, Monsieur.
(Ils sortent)
Scène Sixième
(Wilhelm, puis
Mignon)
WILHELM
(gaiement)
Voilà, pardieu!
une charmante fille!...
un peu folle... et très
coquette sans doute,
mais charmante!
(Mignon sort timidement du hangar)
MIGNON
(a part)
Il est seul.
WILHELM
Laërte a beau dire, ses
sages avis
ne m'empêcheront pas,
je crois,
d'en devenir
amoureux!...
(Apercevant Mignon)
Ah! c'est toi, pauvre
enfant!
MIGNON
Le maître s'est endormi
et je viens te remercier.
WILHELM
Bon!... ne m'as-tu pas
remercié déjà
en me donnant ton
bouquet?
MIGNON
Mon bouquet...
WILHELM
(à part)
Diable! je l'ai laissé
prendre par Philine!
MIGNON
(à part)
Qu'en a-t-il fait?...
WILHELM
Le service que je t'ai
rendu
ne mérite pas tant de
reconnaissance.
Ce misérable voulait te
battre,
je lui ai fait pour en
le menaçant
et tu as échappé pour
cette fois à sa colère.
Voilà tout.
Demain je ne serai plus
là pour te défendre.
Musique à
l'orchestre
MIGNON
Demain, dis-tu?
Qui sait où nous serons
demain?
L'avenir est à Dieu!
le temps est dans sa
main.
W1LHELM
Quel est ton nom?
MIGNON
Us m'appellent Mignon,
Je n'ai pas d'autre
nom.
WILHELM
Quel âge as-tu?
MIGNON
Les bois ont reverdi,
les fleurs se sont fanées,
Personne n'a pris soin
de compter mes années.
WILHELM
Quel est ton père?
Quelle est ta mère?
MIGNON
Hélas! ma mère dort,
Et le grand diable est
mort!
WILHELM
Le grand diable!
Que veux-tu dire?
MIGNON
C'était mon premier
maître.
WILHELM
Celui qui t'a vendue à
cet homme!...
(L'examinant avec intérêt)
Mais comment étais-tu
tombée entre ses mains?
Parle!
Je puis peut-être venir
à ton secours
et t'arracher à cette
vie misérable!
On t'a volée à ta
famille, sans doute?
N'as-tu pas conservé
quelque souvenir de ton enfance?
(Mignon le regarde sans répondre)
Tu gardes le silence!
Tu n'oses te confier à moi!
MIGNON
(cherchant à rappeler tes souvenirs,
et
comme se parlant à elle-même)
De mon enfance, une
seule chose est restée
gravée dans mon esprit,
précise
comme au premier jour.
Je m'étais écartée de
la maison de mon père
et j'errais à
l'aventure dalla campagne,
quand je me vis
entourée par des hommes
à figure étrange.
Je les suppliai de me
ramener chez mon père
en leur indiquant le
chemin qu'ils devaient suivre;
ils me le promirent
et m'emmenèrent avec
eux.
Mais, la nuit, comme
ils croyaient que je dormais,
j'entendis l'un d'eux
qui disait:
« Elle pourra nous être
utile ; il faut lui faire quitter
son » pays au plus
vite!... »
WILHELM
Dis-moi donc quelles
contrées tu as traversées
pour venir jusqu'ici,
vers quels lieux lointains
tu voudrais être
ramenée.
MIGNON
I.
Connais-tu le pays
où fleurit l'oranger,
Le pays des fruits d'or
et des roses vermeilles,
Où la brise est plus
douce et l'oiseau plus léger,
Où dans toute saison
butinent les abeilles?
Où rayonne et sourit,
comme un bienfait de Dieu,
Un éternel printemps
sous un ciel toujours bleu?
Hélas! que ne puis-je
te suivre
Vers ce rivage heureux d'où le sort m'exila!
C'est là que je
voudrais vivre,
Aimer et mourir I —
c'est là!
II
Connais-tu la maison où
l'on m'attend là-bas?
La salle aux lambris
d'or
où des hommes de marbre
m'appellent dans
la nuit en me tendant
les bras, et la cour
où l'on danse à l'ombre
d'un grand arbre?
Et le lac transparent
où glissent sur les eaux
Mille bateaux légers
pareils à des oiseaux?...
Hélas! que ne puis-je
te suivre
Vers ce pays lointain d'où le sort m'exilai
C'est là que je
voudrais vivre,
Aimer et mourir! —
c'est là!...
WILHELM
Ce pays enchanté dont
tu parles,
cette contrée heureuse
dont ton cœur a gardé
le souvenir, n'est-ce
pas l'Italie, chère petite?
MIGNON
(rêveuse)
L'Italie!... Je ne sais...
WILHELM
(à part)
Étrange créature!
(Jarno sort du hangar)
Scène Setième
(Les Mêmes,
Jarno)
JARNO
Ah! ah! Il parait que
l'enfant vous plait...
mon prince, vous
voulez- me la débaucher!...
WILHELM
(avec colère, eu saisissant Jarno
au collet)
Misérable! ne souille
pas les oreilles de cette
enfant par tes infâmes
soupçons!
JARNO
Non! je me contenterai
de les lui frotter ce soir
en votre honneur.
WILHELM
Si tu oses la
maltraiter encore, je te dénoncerai
à la justice qui saura
te faire rendre cette pauvre
petite à la famille à
laquelle tu l'as sans doute volée!
JARNO
Volée! tout le monde
est témoin que je ne l'ai pas volée,
Monsieur, mais nourrie,
élevée, comme mon enfant!
comme mon propre enfant!
WILHELM
Quelle est donc son
origine?
JARNO
(d'un ton bourru)
Je l'ignore! Tout ce
que j'en sais, c'est que j'en ai
hérité de mon frère
qu'on avait surnommé le
Grand diable, à cause
de ses merveilleux talents!
Au surplus, puisqu'elle
vous intéresse si fort,
remboursez-moi ce
qu'elle m'a coûté
en costumes et en
nourriture, et vous déciderez
de son sort comme vous
l'entendrez!
WILHELM
Soit. — J'accepte ta
proposition.
JARNO
(étonné)
Ah! bah!
MIGNON
(à part)
Que dit-il?
WILHELM
(à Jarno)
Viens avec moi... je te
donnerai l'argent
que tu demandes et, en
retour, tu me signeras
un écrit qui rende la
liberté à Mignon.
JARNO
Pourvu que je sois
payé, je vous signerai
tout ce que vous
voudrez.
WILHELM
Viens donc!
(a Mignon)
Dans un instant tu
seras libre.
A bientôt, chère
enfant.
(Il entraîne Jarno dans l'auberge)
Scène Huitième
(Mignon, puis
Lothario)
MIGNON
Libre! libre! Est-ce
vrai'?... L'ai-je entendu?
(Apercevant Lothario qui parait an fond)
Ah! viens partager ma
joie et sois béni
comme lui, toi qui as
pris ma défense!
LOTHARIO
Je te cherchais pour te
faire mes adieux...
J'ai voulu to revoir
avant de partir.
MIGNON
Pourquoi partir déjà?
LOTHARIO
Il le faut.
MIGNON
Seul!... sans guide!
(a part)
Pauvre vieillard privé
de raison!
(Haut, avec intérêt)
Vas-tu au Nord ou au
Midi?
LOTHARIO
Les hirondelles que tu
vois glisser dans le ciel
s'enfuient vers le
Midi; je vais là où elles vont!...
MIGNON
(tristement)
Que ne puis-je comme
elles, à travers l'espace,
m'envoler vers ma
patrie!
Donne-moi ton luth!...
LOTHARIO
Le voici.
MIGNON
Écoute.
(Elle chante en s'accompagnant sur
la harpe)
Duetto
MIGNON
Légères hirondelles,
Oiseaux bénis de Dieu,
Ouvrez, ouvrez vos
ailes,
Envolez-vous! Adieu
LOTHARIO
(l'écoutant)
Le vieux luter
s'éveille
Sous ses jeunes doigts
Et semble, ô merveille!
Répondre à sa voix.
MIGNON
Fuyez vers la lumière.
Fuyez vite là-bas vers
l'horizon vermeil!
Heureuse la première
Qui reverra demain le
pays du soleil!
ENSEMBLE
Légères hirondelles,
Oiseaux bénis de Dieu,
Ouvrez, ouvrez vos
ailes,
Envolez-vous! adieu I
(On entend dans la coulisse la
voix et
les éclats de rire de Philine)
MIGNON
Encore cette femme!
Je ne veux pas la voir!
Viens!...
(Elle entraîne Lothario sous le hangar)
Scéne Neuvième
(Philine, Frédérick,
puis Wilhelm et Jarno. Philine
entre en
riant aux éclats ; Frédéric la suit on
secouant ses
habits couverts de poussière)
PHILINE
Non! Laissez-moi rire,
mon cher Frédéric...
cette façon de tomber à
mes pieds, en passant
par-dessus la tète de
votre cheval,
est tout à fait
galante. Je ne vous savais pas
de cette force Sûr la
voltige!...
FREDERICK
Oui, raillez! Quand
j'ai crevé cette
malheureuse bête pour
vous revoir plus vite!...
PHILINE
No voulez-vous pas que
je lui paie
un tribut de larmes?
Quand je vous le
disais,
que vous me reviendriez
bientôt?
Est-ce que vous pouvez vivre loin de
moi?
(Elle rit)
FREDERICK
Ah! cruelle!
vous me
faites déjà repentir d'être revenu!
PHILINE
(riant)
Qui vous empêche de
repartir?
(Wilhelm sort de l'auberge suivi
de Jarno)
WILHELM
C'est entendu! Mignon
est libre!
JARNO
C'est entendu! je vais
lui donner ses
bardes et je vous l'envoie,
(a part)
Cent ducats! l'affaire
est bonne!
(Il entre sous le hangar)
Scène Dixième
(Wilhelm, Philine, Frédérick)
PHILINE
(s'approchant de Wilhelm)
Comment! qu'entends-je
là! Vous avez payé
la liberté de cette
jeune bohémienne!
C'est fort généreux à
vous.
WILHELM
Je l'ai interrogée, et elle m'a
inspiré un vif intérêt.
PHILINE
Qu'en voulez-vous
faire?
WILHELM
Je la laisserai ici, en
apprentissage chez
quelque honnête
ouvrière.
PHILINE
(riant)
Donnez-la moi plutôt;
je lui apprendrai à jouer
la comédie... et elle
m'enseignera, en retour,
la danse des œufs.
WILHELM
Ne vous moquez pas de
cette malheureuse,
ce serait trop cruel de
votre part.
FREDERICK
(à Philine d'au air furieux)
D'où sort celui-là?
(Il s'avance entre Wilhelm et Philine
pour les séparer)
PHILINE
(passant devant lui)
Otez-vous de là.
(a Wilhelm)
M. Meister, je vous
présente le jeune Frédérick,
un petit écolier qui
s'est échappé pour moi
de l'Université, et que
je ferai reconduire un jour
chez ses parents,
lorsque je les connaîtrai.
Pour me suivre, il est
capable de tout,
il se ferait volontiers
souffleur,
allumeur de lampes,
maître de ballet
ou coiffeur de la
troupe!
Enfin, c'est un de mes
adorateurs
les plus entêtés et les
plus jaloux.
Il me quitte
régulièrement tous les huit jours
et me revient
régulièrement
huit jours après!
(Prenant la main de Frédérick)
M. Frédérick...
approchez donc!...
je vous présente M.
Wilhelm Meister,
un homme que vous
aimerez, j'en suis sûre,
car notre ami Laërte
lui a fait promettre
de ne pas me faire la
cour.
WILHELM
(bas, en souriant)
Je n'ai rien promis.
FREDERICK
(à part)
La coquette!
WILHELH
(à part)
Elle est charmante!
PHILINE
(à part)
Il m'aime déjà!
(Haut)
Mais où donc est Laërte?
LAERTE
(du dehors)
Philine!... ma chère
Philine!...
WILHELM
Le voici!...
Scène Onzième
(Les Mêmes, Laërte)
LAERTE
(entrant vivement une lettre
à la main)
Victoire!
PHILINE
Qu'y a-t-il?...
LAERTE
Tiens, Frédéric!
(Lui tendant la main)
Bonjour!
FREDERICK
(d¡un air désolé)
Bonjour.
LAERTE
Ho! ho! quel air
funèbre!
PHILINE
Il a crevé un cheval pour nous
rejoindre!
LAERTE
(se tournant vers Frederick)
Pauvre béte!
FREDERICK
Qu'y a-t-il?...
LAERTE
Je parle du cheval.
PHILINE
Voyons vos nouvelles?
LAERTE
Nous triomphons de la
mauvaise fortune,
ma chère! Nous allons
vivre dans les délices
de Capoue et exercer
nos talents devant
une assemblée digne de
nous!
PHILINE
Comment cela?
LAERTE
Nos camarades se
disposent à partir;
ils viendront nous
rejoindre ici tout à l'heure.
(Lui donnant la lettre)
Et voici la lettre qui
vous concerne.
PHILINE
Lisez-nous cela,
Laërte.
LAERTE
(à Wilhelm)
Vous permettez?
(Ouvrant la lettre et lisant)
« Ma toute belle, pour
fêter dignement le passage
du prince de Tiefenbach
qui doit s'arrêter
quelques jours dans mon
château, j'ai pensé
à lui donner le plaisir
de quelques représentations
dramatiques, et j'ai fait mander
à vos camarades
que je les attendais
aujourd'hui même;
pour vous, ma toute
belle, qui êtes l'étoile
de cette compagnie, je
vous envoie
un carrosse pour faire
commodément la route.
J'espère que vous
accepterez cette invitation
et que vous n'aurez pas
à vous plaindre
de l'hospitalité que
vous recevrez chez votre plus
dévoué admirateur et
ami.
Le baron de Rosemberg.
»
FREDERICK
Mon oncle!
PHILINE
(éclatant de rire)
Votre oncle! Le baron
est votre oncle!
FREDERICK
Hélas! oui.
PHILINE
Eh bien! soyez
tranquille!
Je lui en dirai de
belles sur votre compte!
FREDERICK
Vous acceptez donc son
invitation?
PHILINE
Avec empressement!...
Et son carrosse aussi!
FREDERICK
Mais...
PHILINE
Quoi?
FREDERICK
Je le connais, mon
oncle!... il est homme à...
PHILINE
A vous disputer mon
cœur!...
et à vous déshériter
pour mes beaux yeux!
nous rirons!
FREDERICK
(exaspéré)
Morbleu!
(Il remonte au fond et va causer
avec Laërte)
PHILINE
(se tournant vers Wilhelm)
Quant à vous, cher
monsieur,
s'il vous prenait
fantaisie de nous accompagner,
je vous présenterais au
baron
comme le poète de la
troupe...
WILHELM
(souriant)
Moi?
PHILINE
Pourquoi non?
Cette petite fête
promet d'être charmante!..
Et l'on n'a pas tous
les jours l'occasion de voir de près
un prince de
Tiefenbach!
Si vous venez,
d'ailleurs...
vous me ferez plaisir.
C'est convenu, n'est-ce
pas?
(Elle remonte tors l'auberge)
FREDERICK
Philine!
PHILINE
Vous!...
(Elle monte l'escalier qui conduit
à sa chambre)
si Vous vous avisez de
nous suivre...
je vous livre à votre
oncle!
FREDERICK
Philine!...
PHILINE
(sur le balcon)
Adieu!
(Elle entre en riant chez elle et ferme
la porta)
LAERTE
Elle se moque de vous,
mon cher.
FREDERICK
Si je le croyais!
LAERTE
Vous pouvez en être
sûr.
FREDERICK
Maudite coquette!
maudit baron!... maudite lettre!...
(Tendant la main à Laërte)
Au revoir, Laërte.
(Tournant le dos à Wilheim)
Vous, Monsieur... je ne
vous salue pas!
WILHELM
Plaît-il?
(Laërte retient Wilheim;
Frédérick sort furieux)
Scène Douzième
(Laërte, Wilhelm)
LAERTE
La jalousie lui fait
perdre la tête!...
Il vous croit déjà dans
les bonnes grâces de sa
belle!
WILHELM
Moi! quelle folie!
LAERTE
Oui, les amoureux sont
toujours fous!
surtout ceux que
Philine a ensorcelés...
comme celui-là!
Vous savez ce que je
vous ai dit là-dessus...
Je vais payer ma note
et je reviens vous serrer
la main si nous devons
nous séparer.
(Il entre dans l'auberge)
WILHELM
(rêvant)
La suivre dans ce château...
pourquoi pas?...
Scène Treizième
(Wilhelm, Mignon,
puis Lothario)
MIGNON
(accourant vers Wilhelm)
Me voici! tu m'as
rachetée,
A ton gré dispose de
moi!
WILHELM
Je sais en cette ville,
où le sort t'a jetée,
D'honnêtes gens chez
qui tu seras bien traitée.
MIGNON
(vivement)
Pourquoi me séparer de
toi!
WILHELM
(souriant)
Je ne puis t'emmener
avec moi, pauvre fille!
Et m'imposer les soins
d'un
père de famille.
MIGNON
Ne peux-tu m'habiller
comme un jeune garçon.
Et me laisser porter ta
livrée.
WILHELM
(lui prenant les mains)
A quoi bon?
MIGNON
(avec un élan passionné)
Envers qui me délivre
Je voulais m'acquitter!
J'étais prête à te
suivre
Pour ne plus te
quitter!
WILHELM
Des mains de ce sauvage
Libre pour un peu d'or,
Quel nouvel esclavage
Veux-tu subir encor?
MIGNON
(tristement)
C’est bien!... puisque
ta main
sans pitié me repousse,
(Montrant Lothario qui paraît sur
le seuil du hangar)
Je pars avec lui!...
LOTHARIO
(accourant vers Mignon et l’entourant
de ses bras)
Viens! La libre vie est
douce!
A l'ombre des grands
bois
sous le ciel étoile,
Nous trouverons un lit
de fougère et de mousse
Et tu partageras le
pain de l'exilé!...
(Il veut entraîner Mignon)
WILHELM
(l'arrêtant)
Non! pauvre enfant!
pour toi l'avenir
m'épouvante!
Jeune fille ou garçon,
serviteur ou servante,
Reste avec moi si tu le
veux!
Le sort en est jeté!
¡Je me rends à tes
vœux!
Ensemble
MIGNON
(baisant la main de Wilhelm avec
transport)
Envers qui me délivre
Je pourrai m'acquitter!
Je suis prête à te
suivre
Pour ne plus te
quitter!
WILHELM
(lui souriant avec bonté)
L'ami qui te délivre
Ne doit plus te
quitter!
Libre à toi de me
suivre;
Il faut te contenter.
LOTHARIO
(à part, retombant dans son
extase habituelle)
Dieu bon! laissez-moi
vivre
Espérer et chanter!...
Scène Quatorzième
(Les mêmes, comédiens
et comédiennes, Philine,
Laërte,
Jarno, .les bohémiens,
bourgeois et
paysans. Les comédiens
envahissent la cour de
l'auberge. Ils sont en habits
de voyage et portent sur
l'épaule on à la
main des paquets et des valises qui
contiennent
leurs bardes de théâtre. La duègne tient
un
carlin entre ses bras. L’amoureux de la
troupe
s'abrite sous un léger parasol
vert)
WILHELM
Ah! voici déjà toute la
troupe comique
qui se prépare à partir
avec Philine!
CHŒUR DES COMÉDIENS
En route, amis, plions
bagage!
La chance nous sourit
enfin!
Que la gaîté soit du
voyage,
Au diantre la soif et
la faim!
Oublions nos repas
d'auberge,
Et saluons, chapeau
levé,
Ce vieux castel où l'on
héberge
Les histrions sur le
pavé!
LES COMÉDIENNES
(avec dépit)
C’est, je gage, à
Philine
Que le baron destine
Ces laquais élégants
Et ces chevaux
fringants!
(Les bohémiens sortent du hangar.
Les bourgeois
et les paysans se pressent
au fond delà scène; un
laquais fend la
foule des curieux et vient saluer
Philine qui descend l'escalier de sa chambre, au
bras de Laërte)
PHILINE
Qui m'aime, me suive!
Et toi, Dieu des
amours,
Sois notre convive,
A ton appel j'accours!
LAERTE
(au laquais)
Nous vous suivons,
(Aux garçons d'auberge qui portent colles de Philine)
Allez devant, vous
autres!
(Aux comédiens)
Je vous précède, amis,
pour vous mieux recevoir!
Un splendide festin
vous attendra ce soir!
LES COMÉDIENS
Vivat!
PHILINE
(bas à Wilhelm, lui tendant
la main)
Et vous, Monsieur,
n'êtes-vous pas des
nôtres?...
Grâce au galant
seigneur
Qui, pour nous faire
honneur,
Nous prête son
carrosse,
Nous allons voyager, et
nous faire héberger,
Comme en un jour de
noce!
WILHELM
(portant la main de Philine
a ses lèvres)
Oui, je veux vous
revoir!
Je serai de la fête!
PHILINE
Adieu donc, cher poète!
J'emporte cet espoir;
Et voilà pour ce soir,
Mon seul bouquet de
fête!
(Elle montre à Wilhelm le bouquet qu'elle
a reçu
de lui. Mignon qui reparaît,
son paquet à la main,
s'approche vivement et reconnaît les fleurs qu'elle
a données à Wilhelm)
MIGNON
(à part)
Mon bouquet!
WILHELM
(à Mignon)
Qu'as-tu donc?
MIGNON
Rien.
PHILINE
(bas à Laërte)
Il m'aime!
LAERTE
(riant)
Il est pris!
MIGNON
(montrant Lothario)
Vois, de mes pauvres
fleurs
il n'a point fait
mépris!
II n'a pas rejeté mon
bouquet, lui...
WILHELM
(bas en souriant)
Pardonne!
Je ne l'ai pas
offert... on me l'a pris.
MIGNON
C'est bien!...
emmène-moi!...
Je t'appartiens!... Ordonne!
(Aux bohémiens)
Vous dont j'ai partagé
La honte et la misère,
Adieu!...
(A l'enfant en lui passant une médaille
au cou)
Toi, pauvre enfant,
sois un jour protège
Par cette humble
médaille!
(A Jarno)
Et toi, dont la
colère.!
M'a si souvent fait
peur... hélas!
(Lui tendant la main)
Adieu!
Mignon ne t'en veut
pas!
LES COMÉDIENS
(au fond)
Adieu, Philine, et bon
voyage!
LES BOURGEOIS
(au fond)
Adieu, la belle, et bon
voyage!
LES BOHÉMIENS
Adieu, Mignon et bon
voyage!
LOTHARIO
J'entends au loin
gronder l'orage.
LES COMÉDIENS
En route, amis! plions
bagage
La chance nous sourit
enfin!
Que la gaîté soit du
voyage!
Au diantre la soif et
la faim!
Oublions nos repas
d'auberge,
Et saluons, chapeau
levé,
Ce vieux castel où l'on
héberge
Les histrions sur le
pavé!
(Wilhelm fait un
dernier signe d'adieu à Philine.
Les comédiens et les
comédiennes se disposent à
partir. Lothario s'assoit
pensif sur le devant de la
scène. Mignon s'arrête an
milieu du théâtre, les
yeux fixés sur
"Wilhelm)
ACTE DEUXIÈME
Premier Tableau
(Un boudoir élégant.
Porte au fond. Portes
latérales. A droite une fenêtre, à
gauche une
cheminée. Toilette, fauteuils,
etc)
Scène Premère
(Philine, Laërte.
Philine est assise
devant la toilette. On frappe à la
porte)
LAERTE
(du dehors)
Peut-on entrer?
PHILINE
C'est vous, Laërte?...
LAERTE
(entrant, il est un peu gris)
Oui, ce n'est que moi!
Bonsoir, Philine.
PHILINE
Bonsoir, Laërte.
LAERTE
Je ne vous dérange pas?
PHILINE
Vous!... Jamais!...
LAERTE
Au fait! je ne suis que
votre ami...
et il y a si
longtemps!...
(Regardant autour de lui)
C'est ici qu'on vous loge?
PHILINE
Oui, mon cher! dans le
boudoir
de madame la baronne.
LAERTE
Dont monsieur le baron
a gardé la clé!.
PHILINE
Impertinent!
LAERTE
Bah!... s'il vous
aime!...
PHILINE
Et si je ne l'aime
pas?...
LAERTE
Vous avez tort!
Un homme chez qui l'on
fait si bonne chère,
mérite quelques
égards!...
PHILINE
Vous avez bien soupé,
il paraît?
LAERTE
Comme un roi!... pas de théâtre,
s'entend!
(Il s'étend dans un fauteuil)
PHILINE
Et le vin du baron vous
a mis, je crois,
en belle humeur.
LAERTE
Je le crois aussi!
(Déclamant)
Rien ne vaut pour nous
égayer
Le vin qu'on n'a pas à
payer!...
PHILINE
(riant)
Fi! mon cher, vous êtes
gris!
LAERTE
Non! je suis gai, je me
sens en humeur de rire
et de déraisonner; je
suis capable de jouer
très bien la comédie ce
soir!
Ce sera drôle!
PHILINE
Et nouveau!
LAERTE
Et nouveau! Je suis
même capable de vous faire
des compliments et de
composer un madrigal
en votre honneur!
Ce sera bien plus
nouveau encore!
PHILINE
Et bien moins amusant!
LAERTE
On ne sait pas. Je suis
très galant quand je veux!
(Se levant)
Écoutez plutôt...
Madrigal
Belle, ayez pitié de
nous!
Daignez baisser vos
paupières!
Le cils de vos yeux si
doux...
Sont des flèches
meurtrières
Du Dieu qui nous blesse
tous!
(Il fait une pirouette)
Voilà!
PHILINE
(riant)
Bravo!
On croirait entendre le
jeune Frédérick.
LAERTE
Merci!
PHILINE
Ou le baron lui-même.
LAERTE
Bien obligé!
PHILINE
Moi, je vous tiens
compte de l'intention.
Et je suis d'autant
plus touchée de cet accès
de galanterie de votre
part, que jusqu'à ce jour
vous ne m'y avez guère
accoutumée!...
LAERTE
(tranquillement)
C'est vrai!
(Lui tendant une bonbonnière)
Une pastille...
PHILINE
(puisant dans la bonbonnière)
Merci!
(S’appuyant familièrement sur
son épaule)
Avouez pourtant une
chose,
mon cher Laërte,
c'est que vous êtes
bien heureux d'être
mon ami... sans quoi,
vous auriez fait la route
à pied... convie les
autres.
LAERTE
C'est probable!
PHILINE
Et au lieu do trouver
ici le souper préparé...
LAERTE
Je me serais morfondu à
la porte, ou dans
quelque salle basse du
château...
comme les autres...
PHILINE
C'est sûr!
LAERTE
A propos des autres,
savez-vous ce qui leur
est arrivé?
PHILINE
Non! contez-moi cela.
LAERTE
L'histoire est
navrante!
PHILINE
Bah!
LAERTE
Vous allez voir...
Pendant que nous galopions
gaiement sur la grande
route, dans le carrosse
du baron, nos
infortunés camarades,
surpris par l'orage à
une lieue ou deux
du château, égarés dans
des chemins
de traverse qu'ils ne
connaissaient pas,
percés d'outre en outre
par une pluie battante,
ont failli, il parait,
rester embourbés jusqu'au
cou dans une
grenouillère!...
PHILINE
En vérité!...
LAERTE
(déclamant)
Oui, Madame, embourbé»
dans une grenouillère!
Sctrwartz y perd sa
perruque... avec sa tabatière;
Aloysius, au milieu des
jurons et des cris,
Manque de s'y noyer...
avec ses manuscrits;
Le fidèle carlin de la
vieille Gudule
Voit nager sa
maîtresse... après son ridicule,
Veut les sauver Ions
deux, et périt sous les eaux
Conrad enfin, Conrad,
du milieu des roseaux,
Sort comme un Dieu
marin, et laisse dans la mare
Le peu de voix qu'il
doit à la nature avare!
PHILINE
O malheureux Conrad!
LAERTE
O regrets superflus! Il
éternue encor; —
mais il ne chante plus!
Bref, sans le secours
de quelques paysans
qui ont bien voulu les
aider à se tirer de là
et les remettre sur le
bon chemin,
c'en était fait de nos
amis!... —
Que dites-vous de
l'aventure?...
N'êtes-vous pas émue...
attendrie?...
PHILINE
(avec indifférence)
Pas du tout. —
Qu'est-ce que cela me fait?
LAERTE
Et à moi donc?
(Ils se regardent et éclatent de rire)
PHILINE
(déclamant)
Je ris de leurs
malheurs
comme ils riraient des
nôtres!
LAERTE
Quand tout va bien pour
nous
pourquoi songer aux
autres!
(Lui tendant de nouveau sa bonbonnière)
Encore une...
PHILINE
(lui prenant familièrement le bras)
Parlons d'autre chose,
voulez-vous?
Avez-vous des nouvelles
de notre ami?
LAERTE
Qui? Frédérick?
il est ici,
je l'ai vu rôder dans
les jardins...
PHILINE
Il s'agit bien de
Frédérick! je vous parle
de ce jeune homme que
nous avons rencontré
ce matin... dans Cette
auberge...
LAERTE
M. Wilhelm Meister?...
PHILINE
Lui-même.
LAERTE
(d'un air moqueur)
Au fait, je me
rappelle,
ne l'avez-vous pas
invité à nous rejoindre ici?
Ne lui avez-vous pas
offert de le présenter
au baron, en qualité de
poète de la troupe?
Ne vous a-t-il pas
promis de venir?
PHILINE
(souriant)
Je crois que oui.
LAERTE
Eh bien! il ne viendra
pas.
PHILINE
Pourquoi? Qu'en savez
vous?
LAERTE
Je lui ai dit ce qu'il
fallait, et j'espère qu'il
se souviendra de mes
bons avis.
PHILINE
(vivement, lui quittant le bras)
Eh! mon cher, je vous
trouve plaisant
avec vos bons avis!...
N'est-ce pas vous qui
me l'avez présenté?
LAERTE
Oui, par malice.
PHILINE
Plaît-il?
LAERTE
Les victimes de l'amour
me font toujours rire,
en souvenir de mes
infortunes conjugales,
et je le poussais
moi-même dans vos filets...
pour m'amuser!
PHILINE
Vous êtes poli!
LAERTE
Mais il me plaît, ce
garçon, il m'intéresse!
Je serais désolé qu'il
lui arrivât malheur!
PHILINE
De mieux en mieux! Vous
me paierez cela, Laërte!
Quant à M. Meister...
LAERTE
Nous ne le verrons
plus!
PHILINE
Lui!...
(Riant)
Il est en route depuis
longtemps!
il frappe en ce moment
à la porte du château...
il demande à me voir...
on nous l'amène...
il vient!... et...
UN LAQUAIS
(annonçant)
M. Wilhelm Meister.
PHILINE
Et le voilà!...
LAERTE
(étonné)
Ah! bah!
(a Philine)
Ma foi! tant pis pour
lui! je ne m’en mêle plus!
PHILINE
C'est tout ce que je
vous demande!
(Au laquais)
Faites entrer.
Scène Deuxième
(Les Mêmes, Wilhelm
Meister, puis Mignon)
WILHELM
(entrant)
Charmante Philine!...
Mon cher Laërte!...
PHILINE
Je suis ravie,
Monsieur, que vous
vous soyez souvenu de
votre promesse!...
WILHELM
Et moi je vous remercie
de m'avoir invité
à vous suivre!... je me
réjouis d'assister à cette
fête et d'avoir
l'occasion de vous applaudir!...
LAERTE
Nous applaudir! oh!
pourquoi?...
PHILINE
Je me charge de vous
présenter au baron.
LAERTE
Et moi a la baronne.
Mais permettez-moi
d'abord d'aller donner un
coup d'œil aux
préparatifs de la représentation...
Le théâtre est installé
dans la serre
du château, à deux pas
d'ici,
au bout de la galerie.
Nous jouons ce soir :
Le songe d'une nuit
d'été, d'un nommé
Shakespeare... un poète
anglais
qui ne manque pas de
mérite.
C'est l'illustre
Aloysius, noire souffleur,
qui a refait la pièce
au goût du jour.
Les invités du baron
n'y comprendront rien
tout de même!... Mais
peu importe!
Philine sera charmante
dans son costume de
Titania!
Quant à moi, je vais
revêtir les habits
du seigneur Thésée, duc
d'Athènes, et je reviens
vous chercher quand il
en sera temps!...
(A Wilhelm, déclamant)
A bientôt, cher
monsieur!
(A Philine)
Adieu, ma toute belle!
Je vous laisse avec
lui!...
(A Wilhelm)
Je vous laisse avec
elle!
(Il remonte au fond et s'arrête
sur lu seuil)
Mais quelle est cette
enfant qui se tient là
en dehors, derrière la
porte?
WILHELM
C'est Mignon.
PHILINE
Mignon!
WILHELM
Oui, la pauvre enfant
n'a pas voulu se séparer de moi.
Je lui ai fait quitter
ses haillons de bohémienne,
et elle m'a suivi.
Voulez-vous que je l'appelle!
PHILINE
Sans doute, je suis
curieuse de la voir!
WILHELM
(appelant)
Mignon!
MIGNON
(paraissant sur le seuil)
Tu m'as appelée,
maître?...
(Mignon entre timidement.
Elle est vue en jeune
garçon et porte un
petit paquet qu'elle laisse tomber
sur le
seuil.
Musique a l'orchestre rappelant le
motif
e la danse des œufs du premier acte)
PHILINE
(riant)
Ah! ah! ah! ah!
La plaisante
métamorphose!
WILHELM
(à Mignon)
Approche sans crainte,
chère enfant!
Voilà un bon feu qui va
te réchauffer.
Demande à Philine, la
permission de t'asseoir
là un moment... dans ce
beau fauteuil!
PHILINE
Oui, oui,
réchauffe-toi, Mignon;
tu nous danseras après,
la danse des œufs.
(Mignon fait on mouvement, ses
yeux
rencontrent ceux de Wilhelm)
MIGNON
Si tu l'ordonnes...
j'obéirai.
PHILINE
(à part)
Quelle étrange idée de
nous amener
cette bohémienne!
LAERTE
(bas à Mignon)
Si tu aimes ton maître,
ne le quitte pas,
et méfie-toi de
Philine!
PHILINE
Vous dites?...
LAERTE
Moi! rien!... à
bientôt.
(Bas à Mignon)
Méfie-toi!
(Il sort)
Scène Troisième
Trio
WILHELM
Plus de soucis, Mignon!
plus de tristes
pensées!
Viens réchauffer tes
mains glacées,
A ce foyer,
hospitalier!...
(Il fait asseoir Mignon dans un
fauteuil
devant la cheminée)
MIGNON
(a demi voix)
Je ne me souviens plus
de mes douleurs passée!
le n'ai plus froid! Je
suis heureuse à ton côté!
PHILINE
(riant)
Quels soins touchants!
Que de bontés!
Permettez-moi de rire
De ce beau dévouement!
MIGNON
(á part)
Hélas! qu'a-t-elle à
rire?
Cruel amusement!
WILHELM
(á Philine)
Vous faites bien de
rire
Votre rire est
charmant!
PHILINE
Mon cher, je vous
admire,
C'est tout à fait
charmant!
(Elle rit)
Au lieu d'être servi
par votre jeune page,
C'est vous qui le
servez!
WILHELM
(se rapprochant de Philine)
Près de vous, à vos
pieds,
J'accepterais, si vous
vouliez,
Un plus doux servage.
PHILINE
Vraiment!
(Lui désignant un flambeau sur la
cheminée)
Apportez donc ce
flambeau par ici.
(Ille s'asseoit devant sa toilette.
Wilhelm va prendre
le flambeau et retient
avec empressement près de
Philine.
Mignon suit tous ses mouvement du
regard
sans quitter le fauteuil où elle
est blottie)
WILHELM
Je me fais votre
esclave! ordonnez, me voici!
PHILINE
Bien! posez-là d'abord
votre flambeau...
(Wilhelm pose le flambeau sur la. toilette)
Merci!
(Se regardant dans le miroir)
Mon coiffeur m'a, ce
soir, indignement coiffée!...
Mais vous allez me voir
dans ma robe de fée!...
Je veux éblouir tous
les yeux!
Je crois déjà, je crois
entendre,
Et les soupirs et la
voix tendre,
De vingt galants jeunes
et vieux!
Ensemble
WILHELM
J'admire l'éclat de vos
yeux!
Je suis ravi, charmé
d'entendre
Cette voix amoureuse et
tendre,
Ce rire moqueur et
joyeux!
MIGNON
(a part)
N'écoutons pas! Fermons
les yeux!
De cet entretien doux
et tendre,
Non, non, je neveux
rien entendre,
Pour dormir, je fais de
mon mieux.
(Mignon fait semblant de dormir.
Philine chante
follement en achevant de
se farder devant son miroir)
WILHELM
(se penchant amoureusement
vers Philine)
Belle Philine, aimable enchanteresse,
Vos doux regards, et
vos attraits vainqueurs,
A votre char enchaînent
tous les cœurs!
Autour de vous, tout
sourit et s'empresse!...
PHILINE
Ce bracelet du prince
est charmant, n'est-ce pas?
WILHELM
On vous fête, on vous
aime, on vous adore...
hélas! Pourquoi
n'aimez-vous pas?
PHILINE
Au baron, cher
monsieur,
il faut qu'on vous
présente.
WILHELM
Philine, un mot
encore!... un mot!...
PHILINE
(montrant Mignon)
Parlez plus bas!...
Notre hôte nous
attend...
Offrez-moi votre bras.
(Elle fait quelques pas; Wilhelm la retient)
WILHELM
Quoi! sans répondre...
PHILINE
(lui tendant la main)
Allons! J'ai l'âme
complaisante!...
(Wilhelm porte la main de Philine à
ses lèvres.
Au bruit du baiser,
Mignon fait un mouvement,
sans
ouvrir les yeux)
PHILINE
(à part)
Je savais bien qu'elle
ne dormait pas.
WILHELM
(à demi voix, avec passion)
O Philine! ô coquette!
ô fille séduisante!
J'admire l'éclat de vos
yeux!
Je suis ravi, charmé
d'entendre,
Cette voix amoureuse et
tendre,
Ce rire moqueur et
joyeux!...
PHILINE
(riant)
Out, je veux plaire à
tous les yeux!
Je crois déjà, je crois
entendre
Et les soupirs et la
voix tendre
De vingt galants jeunes
et vieux!
MIGNON
(à part)
N'écoutons pas ;
fermons les yeux
De cet entretien doux
et tendre,
Non, non, je ne veux
rien entendre,
pour dormir, je fais de
mon mieux.
(Wilhelm offre son bras à Philine et
sort
avec elle par la porte du fond)
Scène Quatrième
MIGNON
(seule)
Me voilà seule!
(Elle se lève)
Ah! pauvre Mignon!
Il s'éloigne sans même
retourner la tète
de ton côté!
Il ne pense plus à
toi...
Il t'oubli déjà pour
cette Philine!
(Après un silence)
Eh bien! que t'importe!
n'es-tu pas sûre de son
amitié?
n'a-t-il pas comble
tous tes vœux en te
permettant de le suivre
et de le servir?...
De quoi te plains-tu,
ingrate?
Pourquoi pleures-tu?
(Essuyant vivement ses yeux)
Non! non!
ce n'est rien! c'est
passé! je ne pleure plus!
je suis heureuse.
(Elle va et vient dans le boudoir,
examinant curieusement les meubles
et les tentures)
Comme c'est beau
ici!...
je n'ai jamais rien vu
de pareil!... non! jamais!...
Si ce n'est en rêve
peut-être...
Ces meubles dorés, ces
tentures de soie...
ces miroirs
étincelants!...
(s'approchant de la toilette)
C'est là qu'elle était
assise tout à l'heure
pendant que Meister se
penchait à son oreille,
pour lui dire... ce que
tant d'autres lui disent
chaque jour... ce que
son miroir lui dit
plus souvent encore!
Et moi, du fond de mon
fauteuil, j'écoulais!
je fermais les yeux et
j'écoutai.
I coûtait! Je voulais
dormir... et je ne pouvais
pas!...
C'est mal, je le sais,
mais je ne pouvais pas!...
Pardonne-oi, cher maître!...
(S'asseyant devant la toilette)
Voici les bouquets et
les billets galants
de tous ses amoureux...
Voici le fard dont elle
couvre ses joues...
la poudre dont elle
parfume ses cheveux...
(Essayant de se farder)
Si j'essayais de me
farder aussi!...
Ah! ma pâleur disparaît
déjà!
mes yeux sont plus
brillants!...
(Elle rit et chante)
I
Il était un pauvre
enfant,
Un pauvre enfant de
Bohême,
Au regard triste, au
front blême...
(Se regardant dans le miroir)
Ah! ah! la folle
histoire!
en vain je m'en défend!
Je me trouve bien
mieux!
je ne suis plus la
même,
Ta la, ralla!
Ta la, ralla!
Est-ce bien Mignon que voilà?
II
Un beau jour, tout
triomphant,
Tout lier de son
stratagème,
Pour plaire au maître
qu'il aime...
(Se regardant de nouveau en riant)
Ah! ah! la folle
histoire! En vain je m'en défends!
Je me trouve bien
mieux, je ne suis plus la même.
Ta la ralla!
Ta la ralla!
Est-ce bien Mignon que
voilà?
Non, je ne me reconnais
plus!...
Ah! l'heureuse
Philine!...
Je comprends qu'on la
trouve belle!...
c'est avec tout cela
qu'elle plaît.
(Allant ouvrir la porte du cabinet)
N'est-ce point là qu'on
a rangé ses robes?
(Elle regarder curieusement dans
le cabinet)
Oui!... C’est bien! je
suis seule!
Personne ne peut me
voir...
Quelle folle idée me
traverse l'esprit?...
Quel démon me tente?...
(Elle entre dans le cabinet.
La fenêtre s'ouvre
brusquement.
Frédéric parait sur le balcon)
Scène Cinquième
FREDERICK
(seul)
C'est moi!
(il saute dans la chambre)
Le treillage s'est
brisé sous mes pieds,
le vent a emporté mon
chapeau
et j'ai failli
m'accrocher en route!...
Mais n'importe!... me
voilà dans la place!...
(Regardant autour de lui)
C'est bien ici que mon
oncle a logé Philine!
dans le boudoir de ma
tante!
Quel oubli de toutes
les convenances!...
Ah! fi! monsieur le
baron, fi!
Vous mériteriez que
madame la baronne de son
côté... Au fait! je
crois quo depuis longtemps...
mais ce n'est point de cela
qu'il s'agit!
Je suis furieux! je
suis exaspéré!...
je suis décidé à
disputer Philine à mon oncle,
au prince de
Tiefenbach,
au monde entier!...
(Portant la main à la garde
de son épée)
Et l'épée au poing,
s'il le faut!
malheur au premier
galant qui se présente!...
Scène Sixième
WILHELM
(entrouvrant la porte du fond)
Mignon!...
FREDERICK
Hein? Qui est cette
voix?
WILHELM
(entrant)
Où donc est elle?...
Philine m'a fait
promettre de gêner, et je...
(Apercevant Frederick)
Ah!
FRÉDÉRICS
(à part)
N'est-ce point là ce
nouveau galant
qu'elle m'a présenté ce matin?
WILHELM
(à part)
N'est-ce point là ce
jeune sot... de l'auberge?...
FRÉDÉRICS
Monsieur!...
WILHELM
Monsieur!...
FRÉDÉRICS
Vous ici... dans ce
château!...
WILHELM
Comme vous voyez!...
FRÉDÉRICS
Vous faites donc partie
de la troupe?
WILHELM
Il faut le croire.
FRÉDÉRICS
En quelle qualité?
WILHELM
En qualité... de poète,
si vous le permettez...
FRÉDÉRICS
Mais de quel droit,
Monsieur,
osez-vous pénétrer
ainsi
chez mademoiselle
Philine?
WILHELM
Et de quel droit,
Monsieur,
vous trouvez-vous chez
elle?
FRÉDÉRICS
J'y suis entré par la
fenêtre, au risque
de me rompre le cou!
WILHELM
Et moi, par la porte,
sans courir aucun risque.
FRÉDÉRICS
Moi, Monsieur, je suis
de ses amis!...
WILHELM
Moi de même, Monsieur.
FRÉDÉRICS
Voilà plus d'un an que
mes soins
sont accueillis!
WILHELM
Les miens datent de ce
matin...
et ne sont point
repoussés.
FREDERICK
Enfin, Monsieur, je
l'adore!
WILHELM
Moi, Monsieur, j'en
suis fou.
FREDERICK
Alors, Monsieur, nous
sommes rivaux!
WILHELM
Il paraît.
FREDERICK
Et mademoiselle Philine
vous donne rendez-vous
chez elle?... Et vous
vous proposez de me
disputer son amour?
WILHEM
Oui... pardieu!...
FREDERICK
Il suffit, Monsieur!
(Tirant son épée)
En garde!
WILHELM
Plaît-il?...
FREDERICK
(d'un air terrible)
En garde!
WILHELM
(riant)
Vous voulez vous,
battre... dans ce salon?...
FREDERICK
Oui!...
chez Philine!... dans
son boudoir!
c'est original!
WILHELM
(tirant son épée)
Soit, Monsieur,
battons-nous!
FREDERICK
Battons-nous!
(Ils croisent le fer. Mignon, revêtue d'une
des robes de Philine, sort du cabinet)
Scène Setième
(Les Mêmes, Mignon)
MIGNON
(s'élançant entre eux)
Ah!... Meister!...
Dieu!...
WILHELM
Mignon!...
FRÉDÉRICK
Mignon!... quelle Mignon?... que
signifie?...
mais je ne me trompe
pas!
c'est une des robes de
Philine.
(Riant)
Ah! Ah! Ah!...
WILHELM
Monsieur!...
FREDERICK
Calmez-vous! nous nous
reverrons!
Dieu me garde de tuer
cette belle enfant
pour arriver jusqu'à
vous!
à bientôt!
WILHELM
A bientôt!
FREDERICK
(lorgnant Mignon)
Parbleu!
je cours dire a
Philine...
(Riant)
Ah! Ah! ah!...
(Il sort en riant. On l'entend
rire encore
dans la coulisse)
Scène Huitième
(Wilhelm, Mignon)
WILHELM
Toi!... Mignon!... sous
ces habits!...
MIGNON
(confuse)
Pardonnez-moi!... Ne me
grondez pas!
WILHEM
Pourquoi ce
déguisement? M'expliqueras-tu?...
MIGNON
Oh! je suis en faute,
je le sais... Je n'avais pas
le droit d'essayer ces
belles parures qui ne
m'appartiennent pas...
mais je me croyais seule...
et je n'ai pu
résister...
WILHELM
Deviens-tu folle!...
Veux-tu que je sois la risée
de tous ces gens qui
sont ici?..
Pourquoi as-tu quitté
ta livrée?...
Pourquoi n'attends-tu
pas mes ordres?...
Est-ce ainsi que tu
sers ton maître?
Alors, séparons-nous,
cela vaut mieux!
MIGNON
(tristement)
Tu me chasses... déjà?
WILHELM
Eh! non, je ne te
chasse pas!... je ne te reproche
rien!... je te sais gré
du tendre mouvement
qui vient de te jeter
dans mes bras... pour me
protéger contre l'épée
de ce jeune furibond!
Mais je comprends
maintenant que j'ai eu tort
de céder à ta prière!
(Gaiement)
Je ne puis vraiment pas
traîner plus longtemps
à ma suite... un page
de ta sorte.
MIGNON
(naïvement)
Pourquoi?
WILHELM
(avec embarras)
Pourquoi? Parce qu'une
fille comme toi
n'est pas faite pour
servir un garçon
de mon âge!... parce
que... parce que tu
es femme enfin!... je
l'avais oublié...
et c'est toi-même qui
me le rappelles
en te montrant à moi
sous ce costume!
MIGNON
Je croyais... je
m'étais imaginée...
WILHELM
Quoi donc?
MIGNON
Rien! rien!... J'étais
folle, en effet!...
Je vais bien vite
quitter ces beaux habits
qui me font plus laide
et plus gauche encore à
vos yeux!...
WILHELM
(l'examinant en souriant)
Mais nun!... au
contraire!...
(Mignon le regarde)
Va vite, va!...
(il la pousse vers le cabinet)
Si Philine revenait...
MIGNON
Ah!... vous craignez
les moqueries
de mademoiselle Philine!...
c'est elle, sans
doute... c'est elle qui vous
a donné le conseil de
vous séparer de moi!...
Eh bien! Il faut lui
obéir!
WILHEM
(avec douceur)
Voyons, chère petite,
réfléchis un peu...
Je ne puis te garder!
que dirait-on? Que
penserait-on?
(Riant)
On finirait par me
croire amoureux de toi.
MIGNON
(vivement)
Oui, tu as raison, il
faut nous quitter!
WILHELM
Je ne t'abandonne pas
d'ailleurs;
je t'envoie chez une
vieille parente à moi
qui te recevra bien et
te traitera comme sa fille.
(Mignon se laissant tomber dans un fauteuil)
WILHELM
I
Adieu, Mignon, courage!
Ne pleure pas!
Les chagrins sont bien
vite oubliés à ton âge!
Dieu te consolera!
mes vœux suivront tes
pas!...
Ne pleure pas!
Puisses-tu retrouver et
famille et patrie!
Puisses-tu rencontrer,
en chemin, le bonheur!
Je te quitte à regret,
et mon âme attendrie,
Partage ta douleur!
Adieu, Mignon, courage!
Ne pleure pas!
Les chagrins sont bien
vite oubliés à ton âge!
Dieu te consolera!
mes vœux suivront tes
pas!...
Ne pleure pas!
II
N'accuse pas mon cœur
de froide indifférence!
Ne me reproche pas de
suivre un fol amour!
En te disant adieu, je
garde l'espérance
De te revoir un jour!
Adieu, Mignon, courage!
Les chagrins sont bien
vite oubliés à ton âge.
Dieu te consolera!
mes vœux suivront tes
pas!
Ne pleure pas!
MIGNON
(avec résolution)
Je te remercie de tes
bontés,
mais je ne puis
accepter l'asile que tu m'offres.
Pour toi je renonçais à
ma liberté;
sans toi je veux être
libre!
WILHELM
Chère enfant! écoute la
raison!
MIGNON
La raison est cruelle,
maître!
le cœur vaut mieux.
WILHELM
Mais que vas-tu
devenir?
MIGNON
Ce que j'étais : —
Mignon!
(Lui montrant le petit paquet de hardes
qu'elle a laissé tomber sur le seuil du
fond)
J'ai eu raison, tu le
vois, de garder
mes pauvres habits de
bohémienne.
Je vais les reprendre
et je pars!
WILHELM
(à part)
Ah! pourquoi Philine
exige-t-elle
que je me sépare de
Cette enfant!
(La rappelant)
Mignon!...
(Mignon accourt joyeuse
il lui tend une bourse)
Prends cette bourse au
moins!
MIGNON
(avec chagrin)
Non! je ne veux pas de
ton argent ; ta main suffit!
Donne moi ta main
encore une fois!
je pars heureuse!
(Lui saisissant la main et la portant
a ses lèvres)
Adieu et merci!
WILHELM
Non! je ne peux te
laisser partir!...
MIGNON
Il le faut!...
Demain je serai loin; tu ne me verras plus!
WILHELM
Où iras-tu?
MIGNON
Là-bas, comme
autrefois, par les sentiers perdus!
WILHELM
Qui te protégera?
MIGNON
Dieu, les anges et la
Madone!
A leur pitié, je
m'abandonne...
WILHELM
Qui te nourrira?
MIGNON
Aux passants je tendrai
la main!
Et sans attendre qu'on
ordonne,
Je danserai gaîment
pour un morceau de pain!...
(Avec un éclat de rire qui se termina
en sanglots)
Ah! ah! ah!
WILHELM
(la pressant dans ses bras)
Mignon!
(Philine parait au fond avec Frédérick)
Scène Neuvième
PHILINE
Vous avez dit vrai.
Frédérick!
MIGNON
Philine!...
WILHELM
Philine!...
PHILINE
(s'avançant)
Mignon affublée d'une
de mes robes...
Mignon dans les bras de
monsieur Meister!...
WILHELM
(avec embarras)
Mignon a cédé à un
caprice d'enfant,
en se parant un instant
de vos atours,
ma chère Philine.
Elle me priait de -vous
demander sa grâce...
et me faisait ses
adieux.
PHILINE
Elle part!
WILHELM
(bas)
N'est-ce pas vous qui
l'avez voulu?
PHILINE
Moi? nullement!...
pourquoi donc?
Je veux être son amie,
au contraire!...
Et si ma robe lui
plaît...
je la lui donne de bon
cœur.
(Examinant Mignon d'un air moqueur)
Elle est vraiment très
bien ainsi!... très bien!...
son ancien maître...
Jarno...
l'homme au bâton, no la
reconnaîtrait plus!...
(Mignon arrache avec colère les
rubans
dont elle est parée)
Oh! oh! quelle rage
contre
mes pauvres
dentelles!...
(Mignon se redresse, la regarde fixement,
et après
avoir ramassé le paquet de
hardes qu'elle a laissé sur
le seuil, elle
court se cacher dans le cabinet de droite)
Et quel regard!...
(Bas a Wilhelm, en souriant)
On dirait, Dieu me
pardonne,
que cette petite sauvage est jalouse
de moi!
WILHELM
Jalouse!...
(Musique dans la coulisse. Quelques comédiens,
revêtus de
costumes do théâtre, traversent la
galerie
du fond, précédés par des laquais
portant
des flambeaux)
LAERTE
(paraissant sur le seuil, au fond,
son rôle à la main, et vêtu en prince
Thésée)
Holà!... Puch, Ariel,
Obéron... passez devant;
je vous suis.
(il entre en déclamant)
L'heure de notre hymen
s'avance à tire d'aile,
Belle Hippolyte!
Encor trois jours
d'ennui!
trois jours!
Et puis naîtra pour
nous une lune nouvelle,
Lune au pâle croissant,
emblème des amours!...
(Se tournant vers Philine)
Eh bienl que
faites-vous donc, vous autres?...
Me voilà déguisé en
prince Thésée,
tous nos camarades sont
sous les armes, —
ces messieurs de
l'archet sont à leur poste...
et Titania n'est pas
encore prête!
PHILINE
J'ai le temps de me
transformer en fée
dans la coulisse...
(A Fredérick)
Prenez mon costume, là,
dans ce cabinet.
(Elle indique le cabinet de gauche)
FREDERICK
(avec empressement)
Je me charge de vous
l'apporter sur le théâtre!
PHILINE
Bien! rendez-vous
utile.
(Frédérick sort)
LAERTE
(a Philine)
Philine, je ne sais
plus un mot de mon rôle!...
Et toi?
PHILINE
Moi, j'ai bien autre
chose en tête!
LAERTE
(riant)
Bon! la représentation
promet d'être amusante!
(Se tournant vers Wilhelm)
Venez-vous?...
WILHELM
(distrait)
Je vous suis.
LAERTE
(bas à Philine)
Qu'a-t-il donc?
PHILINE
Je vous conterai cela.
WILHELM
(à part)
Jalouse!...
PHILINE
(à Laërte)
Je l'ai surpris ici
même, avec la jeune Mignon...
LAERTE
Ah!...
PHILINE
Qui s'était parée d'une
de mes robes
pour lui plaire!
LAERTE
Bah!
PHILINE
La pauvre fille, je
crois,
est amoureuse de son
maître.
LAEFRTE
Diable!
PHILINE
Vous ne riez pas?
LAERTE
Non.
PHILINE
Pourquoi?
LAERTE
(sérient)
Parce que vous riez.
LE SOUFFLEUR
(paraissant au fond)
Laërte... Philine... on
commence!...
LAERTE
(courant à lui)
Ah! mon cher
Aloysius!... soufflez bien!...
où je suis perdu!...
(Déclamant)
L'heure de notre
hymen... belle Hippolyte!...
(Jetant son rôle en l'air)
Ma foi!... tant pis! à
la campagne!...
(Il entraîne Aloysius)
PHILINE
(à Wilhelm)
M. Meister!...
WILHELM
(sortant de sa rêverie)
Pardon!
(Il offre son bras à Philine, Mignon
entrouvre la porte du cabinet
de droite)
PHILINE
(à Wilhelm)
A quoi rêvez-vous donc?
Est-ce que vous no
m'aimez plus?
WILHELM
Moi, Philine Je
t'adore!...
(Ils disparaissent dans la galerie du fond)
FREDERICK
(sortant du cabinet de gauche,
les bras
chargés des robes de Philine)
Philine! chère
Philine... me voici!...
Eh bien! elle ne
m'attend pas!
elle s'éloigne au bras
de M. Meister!
Décidément je le
tuerai!
(Il s'élance sur les traces de Philine)
MIGNON
(reparaissant, vêtue de sou
costume
du premier acte)
Cette Philine!... je la
hais!...
(Elle sort en
courant)
Deuxième Tableau
(Un coin du parc. Au fond, à droite,
une serre
attenante au château, et éclairée
à l'intérieur. A
gauche, une large
pièce d'eau bordée de roseaux.
Musique et bruit d'applaudissements dans la coulisse.
Mignon se glisse
sous les arbres et se penche dans
l'ombre pour
écouter)
Scène Première
MIGNON
(seule)
Elle est là près de
lui!
Son triomphe commence!
Et moi j'erre au hasard dans ce jardin immense...
(Avec agitation)
Elle est aimée! il l'aime! eh bien! je le savais!
Ces tourments, je les
éprouvais!
Non! je ne l'avais pas entendu de sa bouche,
Ce mot qui déchire mon
cœur!
Espères-tu que ton
chagrin le louche,
Pauvre Mignon! il
l'aime! et son rire moqueur,
Rend plus cruelle encor
cette parole!
Il l'aime] ô Dieu! je
deviens folle,
De rage et de douleur!
(Courant vers la pièce d'eau)
Ah!.... ce flot clair
et tranquille
M'attire à lui! — j'entends parmi les verts roseaux,
Votre voix, ô filles
des eaux!...
Vous m'appelez à vous
sous cette onde
immobile!...
(Elle va pour s'élancer, les accords
d'une
harpe se fond entendre sous
les arbres)
Ciel! qu'entends-je?
écoutons!...
(Redescendant en scène)
Le mauvais ange a fui!
Je veux vivre!
(Lothario parait)
Est-ce toi,
Lothario?...
(Avec joie)
C'est lui!
Scène Seconde
LOTHARIO
(ne reconnaissant pas d'abord Mignon)
Qui donc est là?...
Quelle est cette voix
qui m'appelle?
(La regardant avec tendresse)
Est-ce toi, Sperata?...
Réponds! est-ce toi?
MIGNON
Non!
LOTHARIO
(la repoussant doucement)
Mon coeur se trompe
encore, hélas!
ce n'est pas elle!
C'est l'enfant qui
voulait me suivre; c'est Mignon!
MIGNON
(avec tristesse)
Oh! oui! tu te
souviens!
oui, c'est bien là mon
nom
LOTHARIO
Pauvre enfant! pauvre
créature!
J'ai voulu te revoir et
j'ai suivi tes pas!
Viens sur mon cœur!
Reste en mes bras!
Et dis-moi quel chagrin
te brise et te torture!...
(Il presse Mignon entre ses bras)
MIGNON
(avec une ardeur fiévreuse, le front
appuyé sur la poitrine de Lothario)
As-tu souffert? As-tu
pleuré?
As-tu langui sans
espérance,
L'âme en deuil, le cœur
déchiré?
Alors tu connais ma
souffrance!
LOTHARIO
Comme toi, triste et
solitaire,
Courbé sous
d'inflexibles lois,
De mes pleurs, j'ai
mouillé la terre!
Le ciel reste sourd à
ma voix!
Duett
MIGNON
As-tu souffert? As-tu
pleuré?
As-tu langui sans
espérance,
L’âme en deuil, le cœur
déchiré?
Alors, tu connais ma
souffrance!
LOTHARIO
Oui, j’ai souffert!
j’ai pleuré
Et j’ai langui sans
espérance!
Comme toi, le cœur
déchiré
Enfant, je connais la
souffrance!
(Applaudissements et acclamations
bruyantes dans le château)
MIGNON
(se dégageant brusquement des bras
de Lothario)
Écoute! c'est son nom
que la foule répète!
C'est elle qu'on
acclame
et c'est elle qu'on
fête!...
(Se tournant vers le château avec
un geste de menace)
Ah! que la main de
Dieu,
Ne peut-elle sur eux
faire éclater la foudre,
Et frapper ce palais,
et le réduire en poudre,
Et l'engloutir sous des
torrents de feu!...
(Elle s'enfuit sous les arbres)
Scène Troisième
LOTHARIO
(Après un long silence ; avec égarement)
Le feu!... le feu!...
le feu!...
(Il traverse lentement le théâtre et
disparaît dans
l'ombre.
Les portes de la serre s'ouvrent pour
laisser passer la foule des invités et
des comédiens)
Scène Quatrième
(Seigneurs Et Dames,
Philine Et Les Comédiens
Frédérick, Le Baron,
La Baronne, Le Prince, valets,
portant des
flambeaux. La représentation
vient de
finir. Philine et les
comédiens ont conservé leurs
costumes de
théâtre)
LE CHŒUR
Brava! brava! brava!
Gloire à Titania!...
PHILINE
Oui, pour ce soir, je
suis reine des fées!
(Montrant sa baguette magique)
Voici mon sceptre
d'or!...
(Montrant les couronnes que lui présente
Frédéric)
E. voici mes trophées!
LES COMÉDIENS
(entre eux avec dépit)
Déjà vingt amants
Entourent la belle,
Et tout est pour elle,
Fleurs et compliments!
FRÉDÉRICK,
SEIGNEURS
Déjà vingt amants
Entourent la belle,
Et cette cruelle
Rit de nos tourments!
PHILINE
Je suis Titania la
blonde,
Titania, fille de
l'air!...
En riant, je parcours
le monde
Plus vive que l'oiseau,
plus prompte que
l'éclair!
La troupe folle
Des lutins suit
Mon char qui vole
Et dans la nuit fuit!
Autour de moi, toute ma
cour
Court, chantant le
plaisir et l’amour!
La troupe folle
Des lutins suit
Mon char qui vole
Et dans la nuit fuit!
Aux rayons de Phoebé
qui luit!...
Parmi les fleurs que
l’aurore,
Fait éclore,
Par les bois et par les
prés diaprés
Sur les flots couverts
d'écume
Dans la brume
On me voit d’une pie
légère voltiger!
Je suis Titania, la
blonde,
Titania, fille de l'air!
En riant, je parcours
le monde,
Plus vive que l'oiseau,
plus prompte que
l'éclair!
LE CHŒUR
(entourant Philine pour la complimenter)
Gloire à Titania, la
blonde
Brava! brava! brava!
Gloire à Titania!
(Les invités remontent au fond, se
promènent
sous les arbres et forment
différents groupes)
Scène Cinquième
PHILINE
(apercevant Wilhelm)
Ah! vous voici!... Déjà
vous vous faites attendre.
(D'un air de reproche)
Vous n'étiez pas là
pour m'entendre!...
FREDERICK
(à part)
Encor lui!... quel
sourire aimable!
quel air tendre!
WILHELM
(regardant autour de lui avec inquiétude)
Pardonnez-moi!... Je
cherche en vain, Mignon!...
PHILINE
(minaudant)
Eh! quoi!
Celle que vous
cherchez, monsieur,
ce n'est pas moi!
(Ils remontent en causant ; Mignon et
Lothario
se rencontrent sur le devant
du théâtre)
LOTHARIO
(à demi voix)
Sois contente, Mignon!
Réjouis-toi, pauvre
âme!...
J'ai voulu t'obéir!...
Et ces murs sont en
flamme.
MIGNON
Ciel! que dis-tu?
LOTHARIO
(calme et souriant)
J'ai fait ce que tu
voulais.
MIGNON
Dieu!
LOTHARIO
Ces murs vont
s'écrouler
sous des torrents de
feu!
(Mignon inquiète cherche Wilhelm
des yeux.
Wilhelm l'aperçoit et accourt vers elle)
WILHELM
C'est toi!... je te
cherchais, Mignon!...
PHILINE
(s'approchant)
Holà! ma belle!
MIGNON
Que voulez-vous?
PHILINE
Pour nous prouver ton zèle,
Va vite, va chercher
Là-bas.
(Elle indique la serre)
Certain bouquet... dont
quelqu'un qui m'est cher
Tantôt m'a fait
hommage,
El que j'ai laissé
choir, je crois, de mon corsage.
WILHELM
A quoi bon?...
MIGNON
(à Wilhelm)
J'obéis, j'obéis,
maître!
(Elle s'élance dans la serre)
LAERTE
(accourant)
Dieu!
Philine, mes amis,
le théâtre est en feu!
Regardez!...
TOUS
(avec effroi)
Que dit-il?
PHILI.N'E ET LES
FEMMES
Je meurs!... mon sang
se glace!...
(Les laquais sortent emportant les
flambeaux.
Le théâtre se plonge dans
l’obscurité; des lueurs
d'incendie commencent à éclairer le vitrage de
la serre)
WILHELM
(écartant la foule)
Ah! malheureuse
enfant!...
Arrière!... faites
place!
LAERTE
(le retenant)
Arrêtez!
PHILINE
(le retenant)
Cher Wilhelm!
WILHELM
Ne me retenez pas!...
(Il s'élance au secours de Mignon)
LE CHOEUR
Pour apaiser la flamme,
Tout secours serait
vain!
L'effroi glace notre
âme!
Que sert-il de tenter
un effort surhumain
LOTHARIO
(debout, an milieu de la scène
et dominant le tumulte général)
Fugitif et tremblant,
je vais de porte en
porte,
Où le ciel me conduit,
où l'orage m'emporte,
Des misérables Dieu
prend soin...
(Le vitrage éclate et s'écroule.
La foule des
invités se presse sur
le devant de la scène
en poussant
un cri de terreur)
PHILINE
J'ignorais le danger...
le ciel m'en est
témoin!
LOTHARIO
(indifférent à toute cette scène,
dans une sorte d'extase)
Elle vit! elle vit!...
et je cherche sa trace
Je me repose un jour,
un seul jour, et je passe,
Je vais plus loin!...
toujours plus loin!...
(Wilhelm parait enfin portant Mignon
dans ses bras)
LE CHŒUR
Ciel!
LAERTE ET PHILINE
Wilhelm!...
WILHELM
De la mort, Dieu l'a
préservée!
La flamme l'entourait
déjà!
je l'ai sauvée!
(Il dépose sur un banc de gazon
Mignon évanouie.
Mignon serre entre ses mains crispées
un bouquet
de fleurs flétries et à demi
consumées)
ACTE TROISIEME
Premier Tableau
(Une galerie
italienne ornée de statues. A droite,
une fenêtre ouverte sur la campagne.
Au fond,
grande porte fermée. Portes latérales. Au lever
du rideau,
la scène est vide)
Scène Première
(Prélude de harpe
dans la coulisse)
CHŒUR
(au dehors)
La douce clarté des
étoiles
Illumine le flot
mouvant!
Amis, ouvrons gaîment
nos voiles,
Aux baisers amoureux du
vent!
La rame étincelle
Sur l'eau du lac bleu.
Et laisse après elle
Un sillon de feu!...
La douce clarté des
étoiles,
Illumine le flot
mouvant!
Amis, ouvrons gaiement
nos voile»,
Aux baisers amoureux du
vent!
(Lothario parait sur le seuil de la porte
de droite)
Scène Seconde
LOTHARIO
(seul)
Elle dort!...
I
De son cœur j'ai calmé
la fièvre!
Un sourire doux et
joyeux
A ma voix entrouvrait
sa lèvre;
Le sommeil a fermé ses
yeux!
II
Un ange est debout
auprès d'elle!
Un ange descendu des
cieux
Lui prête l'ombre de
son aile!...
Le sommeil a fermé ses
yeux!
REPRISE DU CHOEUR
(au fond)
La douce clarté des
étoiles
Illumine le flot
mouvant.
Amis, ouvrons gaîment
nos voiles,
Aux baisers amoureux du
vent!
(Les voix se perdent dams l'éloignement.
Lothario reste plongé dans
sa rêverie)
Scène Troisième
(Antonio porte une
lampe. Le théâtre s'éclaire)
WILHELM
Bien! posez là cette
lampe.
ANTONIO
(posant la lampe sur une table
et se
tournant vers la fenêtre)
De cette fenêtre, votre
seigneurie pourra voir
cette nuit toutes les
villas des alentours
s'illuminer, et les
bateaux de nus pécheurs
se croiser sur l'eau au
bruit des chansons et des guitares.
C'est demain la fête du
lac.
WILHELM
Je le sais.
ANTONIO
(tristement)
Ce palais seul ne
s'illumine plus,
et ne prend plus part à
la fête...
depuis quinze ans déjà!
WILHELM
Oui; on m'a parlé d'un
malheur
qui y serait arrivé
autrefois.
Une jeune fille qui
s'est noyée dans le lac,
n'est-ce pas?
ANTONIO
Une enfant, signor.
C'est moi qui ai ramassé
son chapeau sur la
rive.
Pauvre petite!
elle n'a pas même été
enterrée en terre
chrétienne ; car nous
ne l'avons pas retrouvée.
Sa mère est morte de
chagrin;
son père, devenu fou de
douleur, a disparu ;
et aujourd'hui le vieux
palais de mes maîtres
est à vendre. Si votre
seigneurie
a toujours l'intention
de l'acheter...
WILHELM
Je vous dirai cela
demain.
ANTONIO
Votre seigneurie n'a
pas d'ordres à me donner?
WILHELM
Non.
ANTONIO
(examinant Lothario qui est toujours
plongé dans sa rêverie. A
part)
Les traits de ce
vieillard
qui l'accompagne ne me
sont pas inconnus.
WILHELM
(se retournant)
Qu’avez-vous?
ANTONIO
Rien, signor; je vous
souhaite le bonsoir.
WILHELM
Bonsoir.
(Antonio sort)
Scène Quatrième
WILHELM
(touchant l'épaule de Lothario)
Eh bien! Lothario...
Mignon sommeille?
LOTHARIO
(tressaillant)
Oui.
WILHELM
Pauvre enfant! je
vous remercie de nous avoir
accompagnés, mon cher
Lothario,
et d'avoir accepté la
moitié de ma tâche.
Votre amitié lui est
plus précieuse que la mienne,
et vous savez mieux que
moi calmer
cette fièvre ardente
qui la consume.
LOTHARIO
L'entant n'a plus la
fièvre.
WILHELM
Est-il vrai? l'air du
pays natal
aurait-il déjà produit
ce miracle?
car, si j'en crois
quelques mots
qui lui sont échappés dans son délire,
elle
doit être née dans cette contrée
de l'Italie.
Ne vous a-t-elle rien
dit?
LOTHARIO
Non.
WILHELM
Nous nous fixerons ici,
Lothario, et Mignon,
je l'espère, achèvera
de s'y rétablir.
Vous avez entendu ce
que me disait
ce vieux serviteur?
LOTHARIO
Non.
WILHELM
Ce domaine est à
vendre;
et, si Mignon s'y trouve bien,
j'achète pour
elle le palais Cypriani.
LOTHARIO
(il se lève en tressaillant)
Cypriani!
WILHELM
Qu'a-t-il donc?
(Lothario promène en silence ses regards
autour
de lui, se dirige vers la grande
porte du fond et
cherche à l'ouvrir)
Vous ne pouvez entrer
là, cette chambre,
m'a-t-on dit, était
celle du vieux marquis,
et n'a pas été ouverte
depuis quinze ans!...
LOTHARIO
Quinze ans!...
(il regarde autour de lui comme
s'il
cherchait à rassembler ses idées,
puis il
se dirige vers la porte de gauche)
Ah! là!
WILHELM
Que voulez-vous faire?
(Lothario sur le seuil de la porte lui fait
signe de se taire.
Il s'éloigne lentement,
un doigt sur la
bouche et le regard fixe)
Scène Cinquième
WILHELM
(seul)
Etrange regard?...
quelle nouvelle folie
lui trouble le cerveau?...
Ah! son cœur, mieux que
ne ferait sa raison,
lui inspire les paroles
qui consolent
et guérissent Mignon!
(il se rapproche de la porte de droite,
l'entrouvre et se penche pour écouter)
Elle repose
doucement!...
Elle prononce mon nom
tout bas!... Ah!
chère Mignon!
(Après un silence, redescendant
en scène)
Que n'ai-je deviné son
secret plus tôt!
Romance
I
Elle ne croyait pas,
dans sa candeur naïve,
Que l'amour innocent
qui dormait dans son cœur,
Pût se changer un jour
en une ardeur plus vive
Et troubler à jamais
son rêve de bonheur!...
Pour rendre à la fleur
épuisée
Sa fraîcheur, son éclat
vermeil,
O printemps, donne-lui
ta goutte de rosée!
O mon cœur, donne-lui
ton rayon de soleil!
II
C'est en vain que
j'attends un aveu de sa bouche!
Je veux connaître en
vain ses secrètes douleurs!
Mon regard l'intimide
et ma voix l'effarouche;
Un mot trouble son âme
et fait couler ses
pleurs!...
Pour rendre à la fleur
épuisée
Sa fraîcheur, son éclat
vermeil,
O printemps, donne-lui
ta goutte de rosée!
O mon cœur, donne-lui
ton rayon de soleil!
Scène Sixième
ANTONIO
(entrant)
Signor!...
WILHELM
Qu'y a-t-il?
ANTONIO
Voici un ami qui
demande à vous voir.
WILHELM
Un ami!
LAERTE
(paraissant sur le seuil)
Oui, mon cher
Wilhelm... c'est moi!'...
WILHELM
Laërte!
(A Antonio)
Laissez-nous.
(Antonio sort)
Scène Setième
WILHELM
Vous, Laërte!
LAERTE
Moi-même...
(Wilhelm se tourne avec inquiétude vers
la porte)
Ne craignez rien... je
suis seul!...
WILHELM
(avec froideur)
Que voulez-vous?
LAERTE
Vous serrer d'abord
amicalement la main, si vous
le permettez, en
souvenir -de notre première
rencontre et de nos
bonnes relations d'autrefois...
(Lui tendant la main)
Voulez vous?
WILHELM
(d'un air contraint)
Volontiers!... Mais
parlez plus bas, je vous prie.
(Montrant la porte de droite)
Il y a là une personne
qui m'est chère...
et qui repose en ce
moment...
LAERTE
Mignon?...
WILHELM
Oui.
LAERTE
Ainsi, cette jeune
fille malade
que vous entourez de
soins et que vous cachez
à tous les yeux, depuis
huit jours,
dans ce vieux palais
italien?...
WILHELM
C'est elle.
LAERTE
Philine avait
deviné!...
WILHELM
(avec défiance)
Philine!... Êtes-vous
donc envoyé par elle?...
LAERTE
(vivement)
Non pas!... au
contraire!...
WILHELM
Comment?...
LAERTE
(l'attirant à l'écart)
Vous allez
comprendre!...
Revenons pour un moment
au château
de Rosemberg : une main
inconnue
s'avise tout à coup d'y
mettre le feu...
Bien!... vous arrachez
Mignon lux flammes...
très bien!...
le baron perd la
tète... la baronne s'évanouit,
le prince se sauve
et les invités en font
autant... c'est parfait!...
Voilà la fête
terminée!...
Ajoutez à cola nos
bardes dethéâtre brûlées,
notre bagage dramatique
en cendres,
nos tréteaux fumants...
Et tout est pour le
mieux!...
Au diable la
comédie!...
(Baissant la voix)
Mais, profitant du
désordre général,
sans attendre le jour,
sans nous dire adieu,
Mignon a disparu avec
son sauveur!...
Et Titania est
furieuse!... on léserait à moins!... :
« L'ingrat! le
traître... comment le punir?...
Frédérick, je vous
adore!... » — «Ah! bah!...» —
«Vite un carrosse!...
des chevaux!...
c'est moi qui vous
enlève! »
— « O bonheur!... rêve
charmant!...
Joie! ivresse! enchantement!... >
« Laërte sera du
voyage... » — « Moi!... »
« Il nous amusera. » —
« Bon!... » —
« Pour nous empêcher de
nous disputer. » —
«Soit!» Et fouette
cocher!... Viva l'Italia!...
Ah! ah! ah!...
Quelle course folle
vers le pays du soleil!...
Et Frédérick,
l'imbécile!... qui ne devine pas...
Et moi, triple sot, qui
ne comprends pas... quoi?...
tout simplement,
parbleu!
que c'est vous que nous
suivons d'étape
en étape, d'hôtellerie
en hôtellerie!...
Frédérick, passe
encore... le rôle est de
son emploi!... mais
moi!...
Enfin, nous voilà dans
les États de Venise,
et nous nous arrêtons
ce soir sur les bords du lac
de Garde, en face du
palais Cypriani!...
Philine questionne tout
bas le premier rustre
qui passe...
j'écoute... j'entends parler
d'une jeune fille
malade, d'un seigneur étranger,
d'un vieillard à barbe
blanche,
arrivés ici depuis huit
jours.
« Ce sont eux!... »
s'exclame Philine...
Ce cri du cœur me
dévoile sa ruse!...
je devine ses
projets!...
je songe à cette pauvre
Mignon deux fois sauvée
par vous, je me prends,
sans savoir pourquoi,
à trembler pour son
bonheur, et pour le vôtre!...
Et je viens, à tout
hasard, au risque de vous
importuner, au risque
de me mêler
de ce qui ne me regarde
pas...
je viens vous dire:
ami, Wilhelm,
Philine est ici!...
prenez garde!...
WILHELM
(avec effusion)
Ah! cher Laërte!... je
vous reconnais là...
Pardonnez-moi d'avoir
cru un instant...
LAERTE
Que je m'étais fait
l'ambassadeur...
le messager complaisant
de...
WILHELM
(lui tendant la main)
Pardonnez-moi!...
LAERTE
Je vous pardonne...
mais Philine ne me
pardonnera pas.
WILHELM
Et c'est pour moi!...
LAERTE
(riant)
Bah!... votre amitié
m'est plus chère que la sienne!...
Et je me consolerai de
notre brouille en pensant
que je vous ai
peut-être rendu service!...
WILHELM
Le service que vous me
rendez en ce moment est
plus grand que vous ne
pensez, mon cher Laërte!
(Baissant la voix)
C'est la vie de Mignon
que je vous dois!
LAERTE
Que dites-vous?...
WILHELM
Si Mignon revoyait
Philine... elle mourrait!...
LAERTE
Comment?
WILHELM
Son nom seul
réveillerait la fièvre ardente
à laquelle elle a
failli succomber!...
Le son de sa voix
troublerait à jamais
sa raison affaiblie!...
sa vue la tuerait dans mes bras!...
LAERTE
Je comprends!...
Mignon vous aime!..
WILHELM
Mignon ne m'a pas
encore ouvert son cœur,
Mignon refuse de
parler!....
Mais j'ai juré de rappeler à la vie cette
âme brisée,
Laërte, et je tiendrai
parole!...
Voilà pourquoi vous me
retrouvez ici,
dans cette demeure abandonnée,
où
je me croyais si loin de cette Philine
que
j'ai cru aimer...
LAERTE
Et que vous n'aimez
plus!
WILHELM
Que me veut-elle?...
Où est-elle en ce
moment!
comment éloigner?
LAERTE
Elle compte vous
surprendre à votre réveil...
je vous en avertis!...
Elle se promène, en
attendant, sur le lac,
dans un bateau chargé de
fleurs et de musiciens...
en compagnie du jeune
Frédérick,
plus amoureux et plus
soi que jamais,
cela va sans dire. —
Quant à vous en
débarrasser...
je m'en charge.
WILHELM
Vous?
LAERTE
Il faut bien que
j'achève ce que j'ai commencé!...
Voulez vous que je
saute dans une barque,
que je rejoigne la
belle...
et que je la plonge au
sein des flots?...
WILHELM
(souriant)
Quelle folie!...
LAERTE
Puisque nous voilà
brouillés...
WILHELM
Non!... qu'elle
parte!... qu'elle ne se montre pas
ici... c'est tout ce
que je demande.
LAERTE
Oui ; mais le moyen!...
Au fait!... pourquoi pas?
c'est une idée! — je
suis veuf!
WILHELM
Ah!...
LAERTE
Oui, mon ami! j'ai reçu
cette bonne... non!...
cette agréable... cette
nouvelle enfin! —
laissez-moi faire,
corbleu!
je suis capable de
tout,
pour vous prouver mon
amitié!...
WILHELH
Mais...
LAERTE
(avec résolution)
Philine partira, vous dis-je, quand je devrais...
WILHELM
(écoutant)
Chut!... c'est Mignon
qui s'éveille!...
je l'entends, il ne
faut pas qu'elle vous trouve ici...
LAERTE
C'est juste! elle
s'attendrait à revoir aussi!...
WILHELM
La voilà!...
LAERTE
Je pars!...
WILHELM
Adieu!...
LAERTE
Quelle émotion!...
quelle fièvre!...
Votre main est
brûlante!
WILHELM
Je l'aime!...
LAERTE
Heureux Wilhelm!...
Heureuse Mignon!... adieu!...
WILHELM
Adieu et merci!...
LAERTE
(a, part)
A nous deux. Philine!
(Il sort)
WILHELM
Il était temps!...
(Il remonte vers le fond du théâtre
et se tient à l'écart, dans l'ombre)
Scène Huitiéme
(Mignon entre en
scène, vêtue d'une longue robe
blanche. Elle marche
lentement; ses cheveux sont
dénoués; l'orchestre
reprend en sourdine pendant
qu'elle
parle le motif des couplets du premier acte)
MIGNON
Connais-tu le pays où
fleurit l'oranger...
Où suis-je?... Je
respire plus librement!...
L'air me semble plus
doux et plus pur!
(Regardant autour d'elle avec surprise)
Quelle est cette grande
salle?... quelles sont ces
statues de marbre qui
m'entourent?...
(Courant vers la fenêtre)
Ah!... le ciel!...
comme il est profond!...
Et ce beau lac... comme
il est grand!...
N'est-ce pas un bois
d'orangers
que je vois là-bas?
oui!...
Et dans son ombre
projetée sur l'eau, une voile
blanche qui glisse sans
bruit le long du rivage!
quel silence! quelle
fraîcheur!
(Portant la main à son front comme
pour
rappeler ses souvenirs)
Où donc ai-je vu tout
cela?...
Je veux me rappeler et
je ne peux pas!...
Mais pourquoi suis-je
seule?... Hélas!...
Lothario! Wilhelm!...
Où êtes-vous?...
WILHELM
(s'élançant vers elle)
Mignon!...
MIGNON
Wilhelm!... ah!
c'est toi que
j'appelais!
(Elle tombe dans ses bras)
Duo
MIGNON
Je suis heureuse! l'air
m'enivre!
Mon cœur a cessé de
souffrir!
Je renais!... Je me
sens revivre!
Mignon ne craint plus
de mourir!
WILHELM
Pauvre enfant! plus de
craintes vaines!
Cet air pur va te
ranimer!
Un sang nouveau gonfle
tes veines.
Mignon doit vivre pour
aimer!
MIGNON
Oui, je te crois! Je
veux te croire!
Parle moi! parle encor!
toujours!
WILHELM
Chasse à jamais de ta
mémoire
Le souvenir des mauvais jours!
Les Deux
MIGNON
Je suis heureuse! l'air
m'enivre!
Mon cœur a cessé de
souffrir!
Je renais!... Je me
sens revivre!
Mignon ne craint plus
de mourir!
WILHELM
Oui, crois au bonheur
qui t'enivre!
Ton cœur a cessé de
souffrir,
Pour aimer, Mignon
devait vivre!
Mignon ne pouvait pas
mourir
WILHELM
(la conduisant vers la fenêtre)
Ah! que ton âme enfin
dans mon âme s'épanche!
Chère Mignon, lève vers
moi tes yeux!...
Sous ce rayon divin et
dans ta robe blanche,
Tu m'apparais comme un
ange des cieux!
MIGNON
(souriant tristement)
Non, c'est toujours
Mignon!
WILHELM
(tombant a ses pieds)
Mignon n'est plus la
même!
Mignon a tout mon cœur
et
c'est elle que j'aime!
MIGNON
Toi! m'aimer! que
dis-tu?
Souviens-toi du passé!
Et ne réveille pas un
espoir insensé!...
(S'échappant de ses bras)
Ton cœur n'est pas à
moi!...
Ton cœur est à Philine!
WILHELM
Philine est loin de
nous... Et je ne l'aime pas!
MIGNON
(revenant vers Wilhelm et lui tendant
les bras)
Est-il vrai?...
parle!... O joie ineffable et divine!
Je puis te dire
enfin!... Mais parlons bas...
bien bas!...
LA VOIX DE PHILINE
(au dehors)
Je suis Titania la
blonde
Titania, fille de
l'air!
Plus vive que l'oiseau,
plus prompte que
l'éclair
En riant, je parcours
le monde!
Je suis Titania la
blonde,
Titania, fille de
l'air!...
WILHELM
Dieu! Philine!...
MIGNON
(courant à la fenêtre)
Encore elle!... encore
cette femme!...
(A part)
O mon secret,
reste au fond de mon
âme!
Les Deux
MIGNON
Je reconnais sa voix!
Je l'entends! je la
vois!
C'est elle encor! c'est
elle
Qui te cherche et
t'appelle!
Ne m'interroge pas?
Je dois me taire,
hélas!
Je ne veux plus parler!
je ne parlerai pas!
WILHELM
Je n’entends que la
voir
C'est Mignon que je
vois,
Mignon cent fois plus
belle
Et plus charmante
qu'elle!.
Mignon que j'aime,
hélas!
Et qui ne m'aime
pas!...
Ah! ton cœur doute
encore!
Ah! tu ne m'aimes pas.
(Mignon se laisse tomber
dans un fauteuil)
Mignon!... malheureuse
enfant!
ses lèvres pâlissent,
ses mains sont glacées!...
Ah! maudite Philine!
fallait-il qu'elle nous
poursuivit jusqu'ici!...
Mignon!... reviens à
toi!... —
ah! elle rouvre les
yeux!
MIGNON
(revenant peu à peu à elle)
Je n'entends plus
rien!... n'est-ce donc pas
sa voix?... n'est-ce pas elle?...
WILHELM
Non! Reprends tes
esprits, chère enfant!...
c'est le délire de la
fièvre qui t'a fait croire...
MIGNON
La fièvre!... dis-tu
vrai?
(Repoussant la main de Wilhelm)
Ah! tu mens!...
Lothario ne me trompe pas! —
lui, il m'aime!
(Cherchant autour d'elle avec inquiétude)
Où est-il?
WILHELM
Veux-tu que je
l'appelle?...
MIGNON
Oui.
Musique à
l'orchestre
WILHELM
(allant vers la porte du fond)
Écoute!... on marche de
ce côté.
MIGNON
Eh bien!...
WILHELM
Cette chambre...
personne ne peut y pénétrer!...
MIGNON
Regarde!... La porte
s'ouvre!
WILEELM
En effet!... que
signifie?...
MIGNON
(étonnée)
C'est lui!
(La porte du fond s'ouvre. Lothario paraît
sur le
seuil.
Il est vêtu d'un riche habit de cour de
velours
noir, il porte un coffret et
s'avance lentement)
Scène Neuvième
Trio
LOTHARIO
Mignon, Wilhelm, salut
à vous!
Soyez les bienvenus
chez moi.
WILHELM
(à part)
Que veut-il dire?...
MIGNON
(étonnée)
Sous ces riches habits est-ce lui que je vois!
LOTHARIO
Tout ici m'appartient!
Regarde, enfant,
admire!...
En ce palais j'étais
maître autrefois!
WILHELM, MIGNON
(les yeux fixés sur Lothario)
Je ne reconnais plus
son regard ni sa voix!
LOTHARIO
(déposant la cassette sur la table,
et
s’approchant de Mignon)
Oublions nos temps de
misère!...
Je t'apporte un don
précieux,
Il adoucira, je
l'espère,
L'ennui de ton cœur
soucieux!...
MIGNON
(à part, le crois deviner un mystère)
Que trahit l'éclat de
ses yeux!...
WILHELM
(à part)
Quel est cet étrange
mystère
Que trahit l'éclat de
ses yeux?
LOTHARIO
Cette cassette est là
depuis de bien longs mois!
(A Mignon)
Cest à toi de
l'ouvrir...
(Il étend la main vers la cassette)
MIGNON
Que contient-elle?...
LOTHARIO
(sans détourner la tête)
Vois.
MIGNON
(ouvrant la cassette)
Une écharpe d'enfant!
LOTHARIO
(le regard fixe, immobile au milieu
de la scène)
D'or et d'argent
brodée...
Oui, je l'avais
pieusement gardée!
WILHELM
Quelle est cette
relique et qui donc la porta?...
Parle!
LOTHARIO
Sperata!...
MIGNON
Sperata!
Déjà ce nom a frappé
mon oreille!
Un souvenir confus,
A ce doux nom dans mon âme s'éveille!
Est-ce l'écho lointain
d'un passé
qui n'est plus?...
Sperata!...
LOTHARIO
Sperata! douleur
toujours nouvelle!
WILHELM et MIGNON
Des pleurs mouillent
ses yeux...
LOTHARIO
(toujours immobile sur le devant du
théâtre
et comme absorbé par
ses souvenirs)
Ne vois-tu pas aussi,
Un bracelet de corail?
MIGNON
(tirant le bracelet de la cassette)
Le voici!
(Essayant le bracelet à son bras)
Trop petit pour mon
bras!...
LOTHARIO
(tristement)
Trop grand! trop grand
pour elle!
Elle ne voulait pas
attendre au lendemain,
Pour porter un bijou
qui la rendait plus belle!
Mais le bijou toujours
lui glissait de la main!
MIGNON
(très émue)
Mais le bijou toujours
lui glissait de la main!
WILHELM
Qu'as-tu, Mignon? Tu
trembles et tu pleures!
LOTHARIO
(à Mignon)
Regarde encore!
MIGNON
(retirant de la cassette un petit livre à
coins d'argent)
Un livre d'heures!
LOTHARIO
Hélas! je crois
toujours la voir,
Lettre à lettre, épeler
sa prière du soir!
MIGNON
(ouvrant le livre et lisant)
O Vierge Marie,
Le Seigneur est avec
vous!
Abaissez vos regards si
doux,
Sur l'enfant qui
prie!...
LOTHARIO
(penché vers elle)
Elle priait ainsi,
mains jointes, à genoux!
MIGNON
(laissant échapper le livre et tombant à
genoux,
les yeux levés an ciel et les
mains jointes, comme
un enfant
en prière)
Vous qui bercez sur vos genoux,
Le divin Sauveur de la
terre.
Conservez l'enfant à sa
mère,
O madone, priez pour
nous!...
LOTHARIO
(les mains étendues vers Mignon)
Est-ce Dieu qui
l'inspire?
Elle achève sans lire!
MIGNON
(se levant et s'exaltant de plus en plus)
Lothario!...
Wilhelm!...
suis-je encore en
délire?...
Je devine!... je
vois!... je sens!... je ne puis dire!...
Où m'avez-vous conduite
et quel est ce pays?
WILHELM
L'Italie!
MIGNON
O rayons de céleste lumière!
O souvenirs!...
(Après avoir fait un effort pour
rassembler
ses souvenirs, elle
s'élance avec un cri vers la
porte du fond,
disparaît un moment dans la
coulisse
et revient pâle et chancelante)
Là! là! l'image de ma
mère!...
Et sa chambre est
déserte!...
LOTHARIO
(qui a suivi tous ses mouvements avec
anxiété, lui tendant les bras et courant
à elle)
Ah! ma fille!
MIGNON
Mon père!
(Elle tombe dans les bras de Lothario)
Ensemble
LOTHARIO
C'est mon enfant!...
c'est elle!...
O Dieu! je te bénis!
MIGNON
Oui, je vous reconnais
mon père!... mon pays!
WILHELM
Mignon, retrouve enfin
son père et son pays!
LA VOIX DE PHILINE
(dans la coulisse)
Je suis Titania, la
blonde,
Titania, fille de
l'air!... etc.
MIGNON
(repoussant la main de Wilhelm)
Ah! je le savais
bien!... Ce n'était pas un rêve!...
Et j'avais reconnu la
chanson qu'elle achève!...
WILHELM
Viens!...
MIGNON
Non!... que ton mépris
la chasse de ces lieux!...
Ou je meurs de douleur
dans vos bras...
sous ses yeux!
(Elle sort en courant)
LOTHARIO
Mignon!
WILHELM
Ah! suivons-là!... la
mort est dans ses yeux!
(Ils s'élancent sur les traces de Mignon)
Deuxième Tableau
(Les bords du lac de
Garde. A droite une
auberge.
Dans le lointain,
villas italiennes cachées sous les
arbres. Le
jour se lève. Les jeunes filles et
les jeunes garçons du pays, en habits de fête, dansent gaiement
sur
le rivage. Quelques bateaux
passent au loin sur
les eaux du lac)
Saltarelle
(Une barque pavoisée
et chargée
de musiciens s'arrête au fond. Philine
et Frederick
en descendent)
Scène Première
PHILINE
(à Frederick)
Allez ; je vous attends
ici.
Payez nos joueurs de
guitare;
(Lui montrant l'auberge)
Et qu'un bon déjeuner
par vos soins se prépare...
FREDERICK
Bon!... nous allons
enfin déjeuner, Dieu merci!
(Il paye les musiciens et entre
dans l'auberge)
PHILINE
(aux paysans)
Maintenant, que la fête
à ma voix recommence!
J' chanterai pour vous!
allons, amis, en danse!
TOUS
En danse!
PHILINE
I
Paysanne ou signora,
Choisissez qui vous
plaira!
Tant qu'au ciel le jour
luira
En ce monde on aimera!
Tra la la...
Le temps fuit, l'heure
nous presse!
Laissons nous charmer!
Rien no vaut la douce
ivresse,
Le plaisir d'aimer!
II
Mais prends garde, ô
povera!
L'amant qui te
charmera,
Tôt ou tard te
trompera,
Et puis te délaissera!
Tra la la-
Malheur à vous, galants
au coeur léger!
Car s'il est doux de
changer,
Et de trahir sa
maîtresse.
Rien ne vaut la douce
ivresse
Le plaisir de se
venger!
Tra la la...
(Le choeur remonte au fond du théâtre
en
répétant le refrain de Philine)
Scène Seconde
LAERTE
(accourant essoufflé)
Oui!... La voilà...
PHILINE
(gaiement)
Ah! c'est Laërte!...
(Lui prenant le bras)
Allons retrouver
Frédérick.
LAERTE
(brusquement)
Frédérick!...
Ne me parlez plus de
Frédérick!
PHILINE
(étonnée)
Pourquoi?...
LAERTE
(d'un air terrible)
Je le hais!...
PHILINE
Comment?... Êtes-vous
fou! que signifie?...
LAERTE
Vous ne comprenez donc
pas?
Tu ne comprends donc
pas, Philine?
Au fait je no te l'ai
pas encore dit:
Je suis veuf! libre!
heureux! maître de moi!
je t'aime! je t'enlève! je t'épouse!
PHILINE
Plaît-il?
LAERTE
Je t'épouse!
(A part)
Le mot est lâché!
(Cherchant à l'entraîner)
Viens! viens! fuyons!
Allons cacher notre
bonheur au bout de la terre!
A Smyrne! à Bagdad!
dans un désert!
à Monaco! où tu
voudras!
PHILINE
(éclatant de rire et se dégageant
brusquement de ses bras)
Ah! Ah! ah! ah! tu ne
seras jamais
qu'un mauvais comédien,
mon pauvre Laërte!...
LAERTE
Hein?
PHILINE
Tu sors du château
Cypriani, tu as vu Wilhelm,
tu as vu Mignon!...
LAERTE
O rusée!
PHILINE
Eh bien! apprends donc
à ton tour
que je ne suis ici que
pour me venger d'elle!
LAERTE
En la tuant!
PHILINE
Qui? cette bohémienne!
Allons donc!
LAERTE
Tu ne la connais pas!
Mignon est heureuse!
Mignon est aimée! un mot de toi la
tuera!...
(Apercevant Mignon qui parait au fond)
Ah! c'est elle!...
Scène Troisième
(Mignon entre en
scène précipitamment. Philine
marche
au-devant d'elle, le sourire aux lèvres, l'air
provoquant. Mignon baisse la tète sous le regard de
Philine. Elle laisse échapper
un cri étouffé, porte la
main à sou cœur et fuit
vers son père qui la cache
dans ses bras comme
pour la protéger. Long moment
d'anxiété et de silence)
MIGNON
(a part)
Dieu! quel rire
moqueur!...
quel regard triomphant!
LOTHARIO
Sperata! Sperata!... ma
fille! mon enfant!
WILHELM
C'est toi seule que
j'aime, ô Mignon!...
chère enfant!
LAERTE
(bas à Philine)
Philine, par pitié,
fais grâce à cet enfant!
PHILINE
(à part)
Quelle folle terreur! quel émoi!... pauvre enfant!
(S'avançant lentement vers Wilhelm au
milieu du silence des autres personnages)
I
De cette rencontre
imprévue
Cher Wilhelm, mon cœur
est charmé!...
— A votre voix, à votre
vue
Je sens mon courroux désarmé.
— Ah! pourtant votre
cœur rebelle
A fait mépris de mes
appas!
Philine en vain se
croyait belle...
Elle aimait... qui ne
l'aimait pas!
Non, Wilhelm, vous ne
m'aimiez pas!
LAERTE
(bas à Philine)
Bravo, Philine!
WILHELM, MIGNON
(à part)
Que dit-elle?
PHILINE
(s'approchant de Mignon)
II
Toi, Mignon, ris de ma
défaite,
Réjouis-toi de mon
affront!...
On t'aime et ton cœur
est en fête;
C'est à toi de lever le
front!...
Wilhelm te choisit pour
épouse!
Son nom sera le tien
demain...
Philine à son tour est
jalouse!
Mais Philine te tend la
main! —
Pardonne, enfant! —
donne ta main!
MIGNON
(avec joie)
Ah! Philine! voici ma
main!
Scène Quatrième
ANTONIO
(montrant Lothario)
Le voila! le voila!
LE CHOEUR
C'est lui! c'est notre
maître!
LOTHARIO
Oui, mes amis, vos
cœurs ont su me reconnaître!
Fêtez ce jour deux fois
béni!
Le marquis de Cypriani
Vous rouvre sa maison
fermée!
Le voilà revenu!
son long deuil est
finit...
(Attirant Mignon dans ses bras)
Car Dieu lui rend enfin
sa fille bien-aimée
TOUS
Le marquis de
Cypriani!...
(Frédérick paraît sur le seuil de
l'auberge)
PHILINE
Frédérick!
(Courant à lui, le saisissant par la
main
et le présentant a tous)
Mon mari!
FREDERICK
(surpris)
Qui? moi?... comment?
PHILINE
Silence!
(Bas, à Laërte, en riant)
Laërte, je tiens ma vengeance!
LAERTE
(à part)
Bon! tant pis pour ce
jeune sot!...
Elle aurait pu me
prendre au mot!
WILHELM
(attirant Mignon dans ses bras)
O jour béni! félicité
suprême!
MIGNON
Ah! maintenant je peux
te le dire : je t'aime!
(A Lothario)
Pardon! je lui devais
sa part de mon bonheur!
Vous m'aimez tous les
deux...
partagez-vous mon cœur!
LE CHŒUR
O jour de fête! ô jour
de joie et de bonheur!
Saltarelle
|
ACTO PRIMERO
(Patio de una taberna alemana. A la
izquierda, el
edificio principal con una pared lateral de cara
al
público. En el primer piso, puerta vidriada que da
al
porche de una escalera exterior que conduce al
patio.
A la derecha, un cobertizo. Mesas y pérgolas)
Escena Primera
(Burgueses, luego Lotario. Los parroquianos
están
sentados bebiendo, mientras que algunos mozos van
de aquí para allá sirviendo las mesas)
CORO
¡Buenos y notables burgueses
sentados alrededor de una mesa,
fumemos tranquilamente,
bebamos y fumemos!
¡La cerveza, negra o blanca,
espuma en los jarros!
Hoy es domingo;
es el día de descanso!
(Lotario aparece por el fondo, en el umbral de la
taberna. Avanza lentamente, se detiene en medio
del patio y canta acompañándose con su laúd)
LOTARIO
¡Errante y tembloroso, voy de puerta en puerta,
donde el azar me guía,
donde el vendaval me lleva!
¡Dios se ocupa de los miserables!
¡Ella vive! ¡Ella vive! ¡Y yo busco su rastro!
¡Quiero descansar un día, un solo día,
y seguir luego mi camino!...
¡Más lejos, siempre más lejos!
UN BURGUÉS
(a sus vecinos)
Sí... Es Lotario, el viejo cantante errante.
SEGUNDO BURGUÉS
Dicen que la desdicha ha perturbado su razón.
UN BURGUÉS
¿De dónde viene?
SEGUNDO BURGUÉS
No se sabe.
CORO
¡Ven, camarada!
¡Ven a beber y abandona tu triste canción!
¡Dejad que Lotario se siente bajo la pérgola!
¡Dadle algo de beber!
CORO
¡Buenos y notables burgueses
sentados alrededor de una mesa,
fumemos tranquilamente,
bebamos y fumemos!
¡La cerveza, negra o blanca,
espuma en los jarros!
Hoy es domingo;
es el día de descanso!
(Algunos bebedores se dirigen al fondo
de la taberna y se agrupan bajo el umbral)
Escena Segunda
(Los anteriores, Jarno, Zafari, gitanos,
campesinos de la Selva Negra. Philine y Laertes
están en el balcón, después Mignón)
ALGUNOS LUGAREÑOS
(entrando)
¡Abrid paso, amigos! ¡Abrid paso a los
hijos
de Bohemia, a los gitanos y zíngaros!
¡Aquí está toda la banda encabezada por
el propio Jarno y su compadre Zafari!
(Entrada de los bohemios. La cuadrilla de
gitanos desfila
alrededor de la escena. Un
carromato cubierto con
una gruesa lona y cargado
con todo tipo de
efectos, es arrastrado a la parte
anterior
del escenario. Jarno está de pie sobre el
carro. Mignón, envuelta en un viejo manto
rayado,
duerme en una parva de paja en la parte posterior
del carro. Un grupo de bailarines, pandereta en
mano, se despliega por la escena. Zafari toma su
violín y da la señal de empezar el baile. Un tamborín
y un oboe lo acompañan)
PHILINE
(aparece en el balcón, acompañada por Laertes)
¡Laertes, amigo Laertes, apresúrate!
¡Esto nos promete un atractivo
espectáculo!...
¡Pero no te burles y sé indulgente!
Te invito a sentarte.
(Laertes se sienta en el balcón junto
a Philine)
Baile bohemio
CORO
¡Más vivas que las aves del cielo,
más rápidas que el rayo,
las hijas de Egipto y de Bohemia,
hacen resonar el suelo con sus alegres
pies!...
¡Ta, la, ralla! ¡Ta, la, ralla!
¡Oh, hijas de Bohemia,
muchachas de corazón alegre,
amáis tal y como os aman,
todo es espontaneidad!...
(Jarno se adelanta al medio de la escena
y
saluda a los asistentes.
Algunas monedas
caen a sus pies. Zafari las recoge)
JARNO
¡Y ahora, para lograr toda su indulgencia
y agradecerles su generosa
donación,
Mignón les mostrará su aguda
inteligencia
bailando ante ustedes la famosa
danza de los huevos!
CORO, PHILINE, LAERTES
¡Viva! ¡Acerquémonos un poco más!
Vayamos todos
a ver el baile de los huevos.
¡El baile de los huevos!
JARNO
(Volviéndose hacia Zafari)
¡Y tú, Zafari,
toca lo mejor que sepas!...
(a los otros gitanos)
¡Cubrid el suelo con una alfombra
exótica!...
(Se aproxima al carro y despierta a Mignón)
¡Y tú Mignón, levántate! ¡Vamos!
¡Vamos!
(Zafari preludia con su violín. La vieja gitana cubre
el suelo con una alfombra deteriorada. Un niño
deposita los huevos. Mignón se despierta con la
llamada de Jarno y avanza en medio del círculo
de
curiosos. Sostiene un ramo de flores
silvestres
en la mano y parece como emerger de un sueño)
PHILINE
(a Jarno, desde el balcón)
¡Eh, señor!
Por favor puede decirnos
¿qué es esa pobre criatura
que parece maldecir que lo hayan
despertado
con tan poca cortesía?...
¿Es una niña? ¿Un niño?...
UN GRUPO DE VIEJOS ALDEANOS
¡Estas bohemias
tienen muy bellos ojos,
y mi esposa, ella misma,
no bailaría mejor!...
JARNO
Ni lo uno ni lo otro, bella dama.
Ni muchacho, ni niña, ni mujer.
PHILINE
¿Qué es entonces?
JARNO
(Quitando la tela que cubre a Mignón)
Es Mignón.
(Philine y el coro estallan de risa)
MIGNÓN
(para sí)
Esos ojos fijos en mí... ¡Sus risas me
ultrajan!...
¡Recobra tu orgullo, corazón
mío!...
JARNO
¡Vamos, salta, Mignón!
MIGNÓN
(Golpeando el suelo con el pie descalzo)
¡No, no, no, no!
¡Desafío tus amenazas!
Estoy cansada de obedecerte!
JARNO
¿Te niegas?
(Se vuelve hacia los gitanos)
¡Eh, vosotros, dadme mi bastón!
LAERTES, PHILINE, CORO
¡Baila, Mignón,
pero
ten cuidado con el bastón!
JARNO
¡Baila, Mignón,
demonio travieso,
o mi bastón
sabrá hacerte entrar en razón!
MIGNÓN
¡No, no, no, no, no, no!
LOTARIO
(corre hacia Mignón y la abraza)
¡Ten coraje!
¡Ven, pobre niña,
contra su ira
yo te defenderé!
JARNO
(Enfadado)
¡Al diablo! ¡Al diablo!
¡Vil miserable!
(empuja violentamente a Lotario)
¡Baila, Mignón!
¡Demonio malvado!
¡O mi bastón
sabrá hacerte entrar en razón!
MIGNÓN
¡No, no, no, no, no, no!
(Jarno levanta su bastón sobre Mignón.
Entra
Guillermo vestido como viajero,
seguido de un
ayuda de cámara que lleva su bolso y su abrigo)
Escena Tercera
(Los anteriores, Guillermo)
GUILLERMO
(Corre a auxiliar a Mignón
aferrándose al brazo de Jarno)
¡Bribón! ¡Detente, o llegará tu
hora!
JARNO
¿Qué? ¿La defiendes?
GUILLERMO
(sacando una pistola del bolsillo)
¡Si das un paso más te mataré!
JARNO
¡Está bien! ¡Está bien!
(con tono sombrío)
Estoy arruinado...
¿Quién de ustedes me pagará las
pérdidas?
PHILINE
(desde el balcón, lanza un bolso a Jarno)
¡Te bastará con esto!
¡Tómalo y lárgate!
MIGNÓN
(Compartiendo sus flores entre
Guillermo y Lotario)
¡Amigos, estas flores son para vosotros,
pues
me habéis defendido!...
Concertante
GUILLERMO
¿Quién diablos podría haber imaginado
esta extraña aventura?
¡Pobre criatura, fue mi corazón
quien dictó mi deber!
JARNO
¡Señores, vuelvan a vernos otro día!
¡Olviden este episodio!
Si regresan,
les aseguro que no se arrepentirán.
PHILINE
(para sí)
¿Quién será
ese apuesto viajero?
Esconde el rostro...
Parece querer pasar inadvertido.
EL CORO
(a Jarno)
¡Volveremos por aquí!
El domingo,
día de diversión,
vendremos a bailar por la tarde.
LAERTES
(a Philine)
Ese esbelto joven de ojos oscuros,
ese hermoso aventurero,
¿quién es?
¡Ah! Lo juro, ardo en deseos de saberlo.
MIGNÓN
(Orando apartada)
¡Oh, Virgen María, mi única esperanza,
protege a tu criatura!
¡Yo me inclino
silenciosa
ante tu poder divino!
LOTARIO
(inmóvil y con la mirada fija,
toca su arpa)
Bajo el velo oscuro de la noche,
bajo el verde follaje,
un hombre con pesada armadura
detiene su caballo negro.
(Los burgueses se aproximan. Jarno y los
gitanos se retiran
hacia el cobertizo. Mignón
los sigue y Lotario se aleja
lentamente. Philine
susurra a Laertes señalando
con el dedo a
Guillermo. Ella reingresa en la casa riendo y
Laertes baja al patio por la escalera exterior)
Escena Cuarta
(Guillermo, Laertes)
GUILLERMO
(A su lacayo)
Que atiendan a los caballos
y que pongan mi equipaje en un lugar
seguro...
En cuanto a mí,
almorzaré aquí, bajo los árboles.
(El ayuda de cámara entra en el alberge)
LAERTES
(se acerca para saludar a Guillermo)
Señor...
GUILLERMO
(devolviendo el saludo)
Señor...
LAERTES
Me ha pedido la joven que estaba
hace un momento conmigo en ese balcón,
que le haga llegar sus cumplidos por la manera, verdaderamente
caballeresca,
de rescatar a esa pequeña gitana
del castigo del payaso de su patrón.
GUILLERMO
Hice, señor, lo que cualquier otro
hubiera hecho en mi lugar.
LAERTES
Confieso que iba a bajar yo mismo
cuando usted apareció en el umbral,
como un Dios salvador...
Si no me interpuse en su camino,
fue sólo para dejarle la gloria
de su buena acción.
GUILLERMO
Se lo agradezco.
LAERTES
Nuestros corazones
están hechos para entenderse.
(Se saludan)
Permítame, señor,
decirle ahora quiénes somos.
Siempre es bueno saber con quién se
habla.
Me llamo Laertes y la dama del balcón Philine.
Usted puede ver en nosotros al último
vestigio
de una compañía de teatro cuyo director,
como suele decirse,
puso la llave bajo
la puerta
y huyó sin pagar a nadie.
El hecho en sí no es nada nuevo,
y en nuestra profesión son habituales
estos pequeños accidentes de la vida
teatral.
Algunos de nuestros compañeros
se
encuentran dispersos en la ciudad,
donde languidecen esperando una
oportunidad...
Philine tiene buena suerte
y alegremente agota sus últimos
recursos
sin preocuparse por el futuro.
En cuanto a mí, aprovecho la
oportunidad
de disfrutar de mi libertad
y
olvidar todas las tonterías
de los señores poetas;
para dormir y
comer a mis horas preferidas;
y vivir como cualquier otro ciudadano.
(Declamando como en escena)
¡Pero la casualidad lo ha puesto a
usted
en mi camino, y me siento honrado
de estrechar su mano!...
(volviendo a un tono natural)
¡Perdóneme!... Es la costumbre...
GUILLERMO
(Sonriendo)
No se preocupe por mí;
los versos no me asustan.
LAERTES
¿No será usted poeta?
GUILLERMO
En mi tiempo libre...
LAERTES
¡Diablos!
GUILLERMO
¡Pero nunca con el estómago vacío; esté
seguro!
(Un sirviente llega a poner la mesa)
¿Le gustaría a usted compartir conmigo
este modesto almuerzo?
LAERTES
¡Con mucho gusto!
GUILLERMO
(al mozo que sirve la mesa)
Dos cubiertos...
(A Laertes)
Vamos a tener mucho tiempo para charlar
y celebrar,
con el vaso en la mano,
nuestro feliz encuentro.
LAERTES
¡Un millón de gracias! ¿Querido
señor...
GUILLERMO
¡Guillermo Meister!...
Y puesto que me ha dicho quién es
usted,
no puedo dejar de imitar su franqueza.
Confidencia por confidencia:
soy
hijo de un honesto burgués de Viena.
Abandoné, hace un año,
los bancos de la universidad
para recoger la herencia
paterna
y dar mis primeros pasos en la vida.
¡Soy joven, soy rico y soy libre!...
Enamorado... ¡del amor!
Amigo de los versos elegantes y de
todo lo bello.
Estoy
curioso de ver el mundo
e impaciente por vivir locas aventuras.
LAERTES
(Declamando)
¡Oh, juventud!
GUILLERMO
(Se levanta)
Quiero recorrer nuestra antigua
Alemania.
Quiero ver Francia e Italia,
sembrando mi dinero
por todos sus antiguos caminos.
Rondó
¡Sí, quiero caminar libremente por el mundo,
llevado por mi pasión por los viajes!
Es mi carácter:
todo me atrae, todo me alegra,
todo es nuevo para mí.
¡Río y canto siguiendo mi propia ley!
¡Oh, morada paterna!
¡Te digo adiós!
¡Al fin
abro mis
alas
como un pájaro feliz!...
¡Sí, quiero caminar libremente por el mundo,
llevado por mi pasión por los viajes!
¡Deseo correr
alegremente!
Si el amor,
esta noche,
me tendiera la mano,
me detendré y lo escucharé
sin esperar a que amanezca.
Mi corazón no se opone
a los dulces placeres del amor,
y ansía oír la
voz hechicera
de una bella mujer.
Pero la mujer perfecta
que me llame susurrando,
¡aún
no la he encontrado!
¿Será noble y hermosa?
¿Será rubia o
morena?...
No me importa realmente...
¡Quiero caminar libremente
llevado por mi pasión por los viajes!
Llevado por mi deseo
¡correré alegremente el mundo!
LAERTES
La comida está servida.
GUILLERMO
Pues
entonces, ¡a la mesa!
LAERTES
¡A la mesa!
(Ríe)
Un verdadero almuerzo bajo los
árboles...
en compañía de un caballero...
que nunca ha representado una comedia...
¡Es encantador, le doy mi palabra!
(se sientan a la mesa)
GUILLERMO
Sírvase, por favor, sin cumplidos.
LAERTES
¡Por fin un pollo que no es de papel-cartón!...
Permítame que lo trocee...
(Trincha el pollo)
GUILLERMO
¡Diablos!... Parece que está duro...
LAERTES
¡Bah! ¡Con fuerza... y buenos dientes!
GUILLERMO
¡A su salud!
LAERTES
¡A suya!
GUILLERMO
¿Qué me dice usted de este vino
del Rin?
LAERTES
¡De Johannesburgo... de Alsacia!...
(bebe y come)
Así que, mi querido señor...
Guillermo Meister,
usted se propone recorrer el mundo...
¡Tenga cuidado de no quedarse
detenido
en la primer etapa de su viaje!
GUILLERMO
¿Cómo?
LAERTES
Quiero decir
que no vaya a enredarse
en alguna trampa de amor.
(mordiendo con rabia un ala
del pollo)
¡Decididamente los pollos de esta posada
no son mejores que los del teatro!...
Este no es de cartón... no...
¡es de madera!
GUILLERMO
(Riendo)
Es un gallo.
LAERTES
¡Un gallo crudo!
GUILLERMO
Sí... la verdad es que es un poco viejo.
LAERTES
¡Pero el vino es joven!
(bebe)
Por mi parte le digo que, yo como usted,
también dejé mi pueblo para ir...
¡a la luna!
Tenía
veinte años
y los escudos que me dejó mi difunto
tío...
(Haciendo un esfuerzo para tragar)
¡Ah, qué animal!
GUILLERMO
(Riendo)
¿Su tío?...
LAERTES
¡No... el pollo!... ¡Me doy por
vencido!...
(aparta su plato)
En mi primera etapa, entré en un
granero
donde un grupo de histriones
representaban una comedia.
Divisé, a la luz de las
velas,
a una muchacha de unos quince años
¡Rubia como el trigo!
Y
con unos ojos azules como
el cielo.
Me enamoré en el acto.
Me declaré al día siguiente,
y me casé con ella ocho días más tarde.
Pero en la misma noche de la boda, señor,
sorprendí a otro... ¡Romeo a los pies de Julieta!
Me batí con él, me hirió, y él,
vencedor,
¡huyó con mi esposa y mi dinero!
En apenas una semana,
experimenté
las
emociones del amante, del novio, del marido...
¡y
del viudo!
(bebe)
Mi deseos de viajar había terminado,
mi sed de aventura estaba satisfecha...
Y
el diablo, finalmente, ¡me convirtió en
actor!...
Ya ve usted los motivos que me condujeron a este oficio
y que tengo mis
razones para aconsejarle
¡que tenga cuidado con las mujeres!...
GUILLERMO
(Sonriendo)
Sin embargo...
La dama balcón...
LAERTES
¿Quién? ¿Philine?
Ella no
representa nada serio para mí, se lo juro.
Nos conocemos demasiado bien
como para amarnos.
GUILLERMO
¡Ah!
(Philine entreabre la ventana y se asoma
al
balcón para escuchar.
Ella ha reemplazado su
salto de cama por un elegante vestido de viaje)
LAERTES
Nos hemos dicho tantas cosas hermosas,
en verso, ante el público,
que
cuando estamos solos, cara a cara,
no
encontramos nada que decir en prosa,
GUILLERMO
(Riendo)
¿Habla en serio?
LAERTES
Los lobos, por otra parte, no se
devoran entre ellos
¿Lo sabía usted?
GUILLERMO
Eso dicen.
LAERTES
Sin embargo,
usted es diferente.
Usted es de otro ambiente.
Es joven, curioso, vital...
¡y lleno de ilusiones!
¡Cuidado con esa
dama!
Soy amigo de ella y también quiero
serlo de usted,
por eso le doy este buen
consejo.
GUILLERMO
Pero...
LAERTES
Vivaz, coqueta, astuta y
vanidosa...
¡Como todas las de su especie!
Más ligera que el viento, más pérfida
que una ola,
más cambiante que la luna...
Con todas estas virtudes
¡es la muchacha más peligrosa que he conocido! ¡
Bebamos a su salud!
(brindan. Philine ha bajado por las
escaleras
durante las últimas palabras
de Laertes)
Escena Quinta
(Los anteriores y Philine)
Trío
PHILINE
¿Qué, mi querido Laertes, vaciando tu vaso?
¿Es que no sabes hacer otra cosa?
GUILLERMO
(saludando a Philine)
Usted juzga muy severamente a mi amigo...
Aunque veo que sus bellos ojos no dicen la verdad...
PHILINE
¿Mis ojos?... ¿Bellos?... ¡Gracias!
Concertante
PHILINE
(aparte)
Probaré mis encantos
para ver hasta donde resiste...
¡Tengo
las armas prestas
para ganar
el juego!
GUILLERMO
(aparte)
¡Cuánta gracia y encanto!
¡Tiene la mirada llena de fuego!
Los suspiros y las lágrimas,
aquí no tienen cabida.
LAERTES
(riendo)
Estos
están dispuestos a combatir,
¡veremos un hermoso juego!
Ante tales encantos
¡su corazón arderá!
PHILINE
(Hablando a Guillermo)
En este mundo hipócrita, donde vivimos,
si una mujer es como yo,
bella, ligera y decidida.
¡Ay! ¡Cómo la critican los hombres!
(Señalando a Laertes)
A cuántos conozco como a él,
que va arrastrando su
aburrimiento,
jactándose de odiar a las mujeres
por el simple hecho de serlo.
Nos tratan de infieles
sin haber sabido hacerse amar.
GUILLERMO
(riendo)
¡Muy bien dicho! ¡Estás vengada!
LAERTES
¡Bravo! ¡El guante está echado!...
Permítanme sin más prolegómenos,
que los presente.
(presenta Guillermo a Philine)
El Sr. Guillermo Meister, un joven
amable
que ofrece su corazón a cambio del
tuyo.
(presenta Philine a Guillermo)
La señora Philine, un ángel de la
comedia,
que no oculta que lo encuentra encantador.
(A Philine)
Lánzale al señor tu sonrisa más dulce.
(A Guillermo)
Ofrezca su ramo de flores a la
señora...
(Toma el ramo y se lo da a Philine)
¡Helo aquí!
Reanudación del Concertante
GUILLERMO
(aparte)
¡Cuánta gracia y encanto!
¡Tiene la mirada llena de fuego!
Los suspiros y las lágrimas,
aquí no tienen cabida.
PHILINE
(aparte)
Probaré mis encantos
para ver hasta donde resiste...
¡Tengo
las armas prestas
para ganar
el juego!
LAERTES
(riendo)
La bella dama
está lista para el combate.
¡Veremos un hermoso juego!
Ante tales encantos
¡su corazón arderá!
PHILINE
(a Guillermo)
Por favor, señor, excuse usted
las locuras de mi amigo.
(a Laertes)
¿Me das tu brazo, por favor?
LAERTES
¿Nos vamos?
PHILINE
Si, te llevo conmigo para evitar
que el señor Meister reciba tus malos
consejos.
LAERTES
(riendo)
Y para huir como los partos.
(declamando)
"Traspasándole el corazón
con un dardo envenenado”
(hablando con tono natural)
¿A dónde vamos?
PHILINE
¡A la aventura!
(en voz baja)
Mi bolsa está vacía...
LAERTES
¡Diablos... la mía también!
PHILINE
Debe haber en la ciudad un joyero
honesto
a quien pueda vender algunas joyas.
LAERTES
(en voz baja)
¡Eres muy afortunada de tener
aún
joyas para vender!...
(en voz alta)
¡Vamos!
PHILINE
(tomando su brazo)
A propósito,
¿sabes algo de
nuestro amigo Federico?
LAERTES
No,
nada.
PHILINE
Lleva una semana que no me ve,
¡debe de estar muerto!
LAERTES
Probablemente...
(A Guillermo)
Nos volveremos a ver aquí, ¿verdad?
PHILINE
(riendo)
¡Ciertamente!
¡No se podrá marchar después de haberme visto!
LAERTES
¡Mejor será que nos vayamos!
PHILINE
¡Insolente!
(A Guillermo)
Hasta pronto, señor.
(Salen)
Escena Sexta
(Guillermo, después Mignón)
GUILLERMO
(Alegre)
¡Por fin, Dios mío!
¡Una muchacha encantadora!...
Un poco loca... y muy coqueta por cierto.
¡Pero encantadora!
(Mignón sale tímidamente del cobertizo)
MIGNÓN
(aparte)
Está solo...
GUILLERMO
Laertes tiene razón, sin embargo,
sus sabios consejos no me impedirán,
¡volverme a enamorar!...
(viendo a Mignón)
¡Ah! ¡Eres tú, pobre niña!
MIGNÓN
El patrón se ha dormido y yo vine a
agradecerle...
GUILLERMO
¡Bueno!... ¿No me lo has agradecido ya
al darme tu ramo de flores?
MIGNÓN
Mi ramo...
GUILLERMO
(aparte)
¡Diablos, se lo di a Philine!
MIGNÓN
(aparte)
¿Qué habrá echo con él?...
GUILLERMO
El servicio que te he prestado
no merece tal reconocimiento.
Ese miserable quería golpearte.
Sólo lo
amenacé
y tú lograste eludir su ira.
Eso es todo.
Mañana no voy a estar aquí para
defenderte.
Música orquestal
MIGNÓN
¿Mañana, dice usted?
¿Quién sabe dónde estaremos mañana?
¡El futuro pertenece a Dios!
El tiempo está en sus manos.
GUILLERMO
¿Cuál es tu nombre?
MIGNÓN
Me llaman Mignón ,
no tengo otro nombre.
GUILLERMO
¿Qué edad tienes?
MIGNÓN
Los bosques han reverdecido, las flores
se han
marchitado, a nadie le importó contar
mis años,
GUILLERMO
¿Quién es tu padre? ¿Quién es tu madre?
MIGNÓN
¡Ay! Mi madre duerme,
¡y el gran diablo está muerto!
GUILLERMO
¿El gran diablo?
¿Qué quieres decir?
MIGNÓN
Fue mi primer amo.
GUILLERMO
¡El que te vendió a este hombre!...
(la examina con interés)
Pero ¿cómo caíste en sus manos?
¡Habla!
¡Tal vez te pueda ayudar
y sustraerte de esta vida desgraciada!
Sin duda te robaron a tu familia...
¿No conservas algún recuerdo de tu infancia?
(Mignón lo mira sin responder)
¡Callas! ¿No confías en mí?
MIGNÓN
(Tratando de recordar y como si
estuviera hablando para sí misma)
De mi infancia
una cosa ha quedado
grabada en mi mente,
tan precisa, como el primer día.
Me había apartado de la casa de mi
padre
y vagaba por el campo
cuando me vi rodeada
por hombres de extraño aspecto.
Les supliqué que me devolvieran a mi
casa
señalándoles el camino que debían
seguir;
me prometieron hacerlo
pero en cambio me llevaron con ellos.
Por la noche, como creían que dormía,
oí a uno de ellos que decía:
"podrá sernos muy útil;
¡hay que
sacarla del país lo más pronto
posible!..."
GUILLERMO
Dime entonces
qué países atravesaste hasta llegar aquí,
qué lugares
lejanos puedes recordar.
MIGNÓN
I.
¿Conoce usted el país
en el que florecen los naranjos,
el país de los frutos dorados y las
rosas rojas,
donde la brisa es más suave y el ave
más ligera,
donde en cualquier época liban las
abejas?
¿Donde brilla y sonríe,
como una
bendición de Dios,
una eterna primavera bajo un
cielo azul?
¡Ay de mí! ¿Por qué no puedo marchar hacia
aquella tierra feliz que el destino me
arrebató?
¡Allí es donde quisiera vivir, amar y morir... Es allí!
II
¿Conoce la casa donde me esperan?
¿La sala con revestimientos de oro
donde los hombres de mármol
me llaman por la noche tendiéndome los brazos
y
el patio donde baila la sombra de un árbol
enorme?
¿Y el lago transparente
donde se
deslizan sobre sus aguas
mil barcos tan ligeros como aves?
¡Ay de mí! ¿Por qué no puedo marchar hacia
aquella
tierra feliz que el destino me
arrebató?
¡Allí es donde quisiera vivir, amar y morir... Es allí!
GUILLERMO
Esa tierra encantada de la que hablas,
ese país dichoso que has guardado en tu corazón,
¿no es Italia?
MIGNÓN
(Soñando)
¿Italia?... No sé...
GUILLERMO
(aparte)
¡Criatura extraña!
(Jarno sale del carromato)
Escena Séptima
(Los anteriores y Jarno)
JARNO
¡Ah! ¡ah! Parece que la niña le
complace...
Príncipe, ¿le gustaría corromperla?...
GUILLERMO
(Iracundo, agarrando a Jarno por
el cuello)
¡Miserable! No contamines los oídos de
esta niña
con tus deleznables propuestas!
JARNO
¡No! Me contentaría con volver a
azotarla
esta noche en su honor.
GUILLERMO
¡Si te atreves maltratarla de nuevo,
te
denunciaré a la justicia que te hará devolverla
a la familia a la que se la robaste!
JARNO
¿Robado? Todo el mundo sabe
que no la he robado,
y que
la
he alimentado y tratado como a una hija.
¡Como a mi
propia hija!
GUILLERMO
Entonces, ¿cuál es su origen?
JARNO
(Bruscamente)
¡No lo sé!
¡Todo lo que sé es que la
heredé de mi hermano,
a quien llamaban el Gran
Diablo,
debido a sus maravillosos talentos!
Por otra parte, si está usted tan
interesado,
págame lo que he gastado en vestirla y alimentarla
y usted decidirá su destino como le dé la gana.
GUILLERMO
¡Hecho!... ¡Acepto su propuesta!
JARNO
(Sorprendido)
¡Ah!... ¡Bah!
MIGNÓN
(aparte)
¿Qué dijo?
GUILLERMO
(a Jarno)
Ven conmigo... Te daré el dinero que
solicitas y,
a cambio, tendrás que firmar un
escrito
por el que dejas en libertad a Mignón.
JARNO
Si me paga,
le
firmaré todo lo que usted desee.
GUILLERMO
¡Ven!
(A Mignón)
En un momento serás libre,
querida muchacha.
(entra con Jarno a la posada)
Escena Octava
(Mignón y Lotario)
MIGNÓN
¡Libre! ¡Libre! ¿Será cierto?...
¿He oído bien?
(Al ver aparecer a Lotario por el fondo)
¡Ah! ¡Ven a compartir mi alegría,
tú que también saliste en mi defensa!
LOTARIO
Yo te estaba buscando para decirte
adiós...
Quería verte de nuevo antes de
marcharme.
MIGNÓN
¿Por qué te marchas?
LOTARIO
Debo hacerlo.
MIGNÓN
¡Solo!... ¡Sin un guía!
(aparte)
¡Pobre viejo privado de razón!
(en voz alta mostrando interés)
¿Te vas hacia el norte o hacia el sur?
LOTARIO
¡Las golondrinas que surcan el
cielo
se dirigen hacia el sur; yo iré donde
ellas vayan!...
MIGNÓN
(con tristeza)
¡Si pudiera como ellas, a través del
espacio,
volar hasta mi patria!
¡Dame tu laúd!...
LOTARIO
Aquí lo tienes.
MIGNÓN
Escucha.
(canta, acompañándose con
el laúd)
Dúo
MIGNÓN
Veloces golondrinas,
aves benditas de Dios,
abrid, abrid vuestras alas,
¡Volad! ¡Adiós!
LOTARIO
(la escucha)
El viejo laúd despierta
bajo sus jóvenes dedos,
parece, ¡oh, maravilla!
responder a su voz.
MIGNÓN
¡Huid hacia la luz!
¡Huid veloces hacia el horizonte
rojizo!
¡Felices vosotras
que mañana veréis el país del
sol!
AMBOS
Veloces golondrinas,
aves benditas de Dios,
abrid, abrid vuestras alas,
¡Volad! ¡Adiós!
(se escucha entre bastidores la voz
y
las explosiones de risa de Philine)
MIGNÓN
¡Otra vez esa mujer!
¡No quiero verla! ¡Ven!...
(Hace entrar a Lotario en el carromato)
Escena Novena
(Philine, Federico luego Guillermo y
Jarno.
Philine entra riendo;
Federico la sigue
sacudiendo sus ropas cubiertas
de polvo)
PHILINE
¡No! ¡Deja que me ría, mi querido
Federico!...
Ese modo de caer a mis pies
volando
por encima
de la cabeza de tu caballo, es muy galante.
¡No sabía de tu
habilidad
para esta clase de acrobacias!...
FEDERICO
¡Sí, búrlate! ¡Cuando yo he reventado
a esa desgraciada bestia para volver a verte!...
PHILINE
¿No querrás que te retribuya
con un tributo de lágrimas?
¿Cuando he dicho yo
que
deseaba
que regresaras pronto?
¿Acaso puedes vivir lejos de mí?
(Ella ríe)
FEDERICO
¡Ah, cruel!
¡Haces que me arrepienta de haber regresado!
PHILINE
(riendo)
¿Y qué te impide marcharte de nuevo?
(Guillermo sale de la posada seguido
de Jarno)
GUILLERMO
¡Estamos de acuerdo! ¡Mignón es libre!
JARNO
¡De acuerdo! Voy a entregarle su ropa
y te la envío de vuelta,
(aparte)
¡Cien ducados! ¡Es un buen acuerdo!
(entra al cobertizo)
Escena Décima
(Guillermo, Philine, Federico)
PHILINE
(Acercándose a Guillermo)
¡Cómo! ¿Qué oigo?
¡Pagó la libertad de esa joven
gitana!
Eso es muy generoso de su parte.
GUILLERMO
Hablé con ella y me conmovió.
PHILINE
¿Y qué piensa usted hacer con ella?
GUILLERMO
La sacaré
de aquí.
Será
aprendiz en algún trabajo honesto.
PHILINE
(Riendo)
Déjamela a mi; la instruiré como actriz...
y ella me enseñará, a
cambio,
la danza de los huevos.
GUILLERMO
No te burles de esa desafortunada,
sería demasiado cruel de tu parte.
FEDERICO
(a Philine furioso)
¿De dónde salió este tipo?
(se ubica entre Guillermo y Philine
para separarlos)
PHILINE
(Pasando por delante de él)
¡Apártate de aquí.
(A Guillermo)
Señor Meister, le presento a Federico,
un joven alumno que por mí dejó la Universidad,
y
que algún día devolveré
a sus padres,
si es que los encuentro.
Por seguirme es capaz de cualquier
cosa,
se haría voluntariamente apuntador de
teatro,
técnico en iluminación, maestro de
ballet,
¡o barbero del elenco!
En definitiva, es uno de mis más fieles
admiradores,
rebelde y celoso.
¡Regularmente me abandona cada semana
y regresa a mí puntualmente
a la semana siguiente!
(Toma la mano de Federico)
Señor Federico... ¡acércate!
Te presento el señor Guillermo Meister,
un hombre al que vas a apreciar, estoy
segura,
porque nuestro amigo Laertes le hizo
prometer
que no me cortejaría.
GUILLERMO
(por lo bajo, sonriendo)
Yo no prometí nada.
FEDERICO
(aparte)
¡Qué coqueta!
GUILLERMO
(aparte)
¡Ella es encantadora!
PHILINE
(aparte)
¡Él ya me ama!
(en voz alta)
Pero ¿dónde está Laertes?
LAERTES
(Fuera de escena)
¡Philine!... ¡Mi querida Philine!...
GUILLERMO
¡Aquí lo tienen!...
Escena Decimoprimera
(Los anteriores y Laertes)
LAERTES
(entra exultante con una carta en
la mano)
¡Victoria!
PHILINE
¿Qué te pasa?...
LAERTES
¡Hola, Federico!
(le tiende la mano)
¡Buenos días!
FEDERICO
(con aire desolado)
Buenos días...
LAERTES
¡Oh! ¡Oh! ¡Qué aire tan fúnebre!
PHILINE
¡Ha reventado un caballo por venir a
verme!
LAERTES
(Volviendo a Federico)
¡Pobre animal!
FEDERICO
¿Qué quieres decir?
LAERTES
Hablo del caballo.
PHILINE
¿Qué noticias traes?
LAERTES
¡Hemos vencido a la mala suerte, querida mía!
¡Vamos disfrutar de las
delicias de Capua
y exhibiremos nuestros
talentos
ante un público digno de nosotros!
PHILINE
¿Y eso?
LAERTES
Nuestros compañeros ya se preparan para partir;
pasarán a recogernos
en un
momento.
(le entrega la carta)
Y aquí está la carta que te concierne.
PHILINE
Léenos la carta, Laertes.
LAERTES
(a Guillermo)
¿Me permite?
(abre la carta y lee)
"Mi hermosísima dama.
Para agasajar
dignamente al Príncipe de Tiefenbach,
el cual se alojará
por
unos días en mi castillo,
he pensado celebrar unas
representaciones dramáticas.
Ya he enviado
a buscar a sus
compañeros,
a los que espero hoy mismo,
así como a
usted y a todas las estrellas de la compañía.
Le envío un carruaje
para que pueda
viajar cómodamente.
Espero que acepte esta invitación
y que no tenga que quejarse
de la hospitalidad que recibirá
de su más fiel admirador y amigo.
Firma: Barón de Rosenberg."
FEDERICO
¡Mi tío!
PHILINE
(estalla de risa)
¡Tu tío! ¿El Barón es tu tío?
FEDERICO
¡Ay de mí! Sí.
PHILINE
¡Quédate tranquilo!
¡Voy a
contarle qué agradable es tu compañía!
FEDERICO
¿Vas a aceptar la invitación?
PHILINE
¡Con mucho gusto!...
¡Y su carruaje también!
FEDERICO
Pero...
PHILINE
¿Qué?
FEDERICO
Yo conozco a mi tío... él es un
hombre...
PHILINE
¡Que puede disputarte mi corazón!...
¡Y desheredarte por mis hermosos ojos!
¡Vamos a divertirnos!
FEDERICO
(Exasperado)
¡Por mil demonios!
(Va hacia el fondo a
conversar con Laertes)
PHILINE
(Volviéndose hacia Guillermo)
En cuanto a usted, querido señor,
si le agrada acompañarnos,
me gustaría presentarlo al
Barón
como el poeta de la compañía...
GUILLERMO
(sonriendo)
¿A mí?
PHILINE
¿Por qué no?
Esa fiesta promete ser
encantadora...
¡Y no todos los días se puede llegar a
conocer
a un príncipe de Tiefenbach!
Además, si usted viene...
Va a hacerme muy feliz.
¿Estamos de acuerdo?
(se dirige hacia la posada)
FEDERICO
¡Philine!
PHILINE
¡Tú!...
(Ella sube las escaleras que conducen
a su habitación)
Si te atreves a seguirnos...
¡Te entregaré a tu tío!
FEDERICO
¡Philine!...
PHILINE
(desde el balcón)
¡Adiós!
(Se ríe y desaparece cerrando
la puerta)
LAERTES
Ella se burla de ti, amigo mío.
FEDERICO
Yo también lo he pensado.
LAERTES
Puedes estar seguro.
FEDERICO
¡Maldita coqueta! ¡Maldito Barón!...
¡Maldita carta!...
(Tendiéndole la mano a Laertes)
¡Adiós, Laertes!
(Volviéndose hacia Guillermo)
A usted, señor... ¡No lo saludo!
GUILLERMO
No me importa...
(Laertes retiene a Guillermo; Federico sale furioso)
Escena Decimosegunda
(Laertes, Guillermo)
LAERTES
¡Los celos le hacen perder la
cabeza!...
¡Él cree que usted ha logrado
conquistar los favores de esa belleza!
GUILLERMO
¿Yo? ¡Qué locura!
LAERTES
¡Sí, los amantes siempre son locos!
Especialmente aquellos a quienes
Philine
ha embrujado... de esta manera.
Ya sabe lo que le comenté al respecto...
Voy a pagar mis facturas
y luego vendré
a despedirme de usted.
(Entra en la posada)
GUILLERMO
(embelesado)
Seguirla a ese castillo...
¿Por qué no?...
Escena Decimotercera
(Guillermo, Mignón y Lotario)
MIGNÓN
(Corriendo hacia Guillermo)
¡Aquí estoy!... Usted me ha rescatado.
¡Disponga de mí como guste!
GUILLERMO
Sé que en esta ciudad donde el destino
te trajo,
hay gente honesta donde serás bien tratada.
MIGNÓN
(ansiosa)
¿Tengo que separarme de usted?
GUILLERMO
(Sonriendo)
¡No puedo llevarte conmigo, pobre
muchacha!
No puedo
imponerme las obligaciones
de un padre de familia.
MIGNÓN
¡Puedo vestirme como un
muchacho
y usar su librea!
GUILLERMO
(Tomando sus manos)
¿Para qué?
MIGNÓN
(Con un arranque de emoción)
¡Usted me liberó!
Yo desearía retribuirle...
¡Estoy dispuesta a seguirlo
y no abandonarlo jamás!
GUILLERMO
De las manos de ese salvaje
te liberé
por un poco de dinero,
¿ahora quieres someterte
a una nueva esclavitud?
MIGNÓN
(con tristeza)
¡Está bien!...
Dado que sus manos me rechazan sin
piedad,
(Señalando a Lotario en
el umbral del carromato)
¡me iré con él!...
LOTARIO
(Corriendo hacia Mignón la estrecha
en sus brazos)
¡Ven! ¡La vida en libertad es dulce!
¡A la sombra de los grandes bosques,
bajo el cielo estrellado,
encontraremos una cama de helechos y musgo
y compartiremos el pan del exilio!...
(intenta llevarse a Mignón)
GUILLERMO
(lo detiene)
¡No! ¡Pobre niña!
¡Tu porvenir me preocupa!
¡Niña o muchacho, criado o criada,
quédate conmigo si quieres!
¡La suerte está echada!
¡Me rindo a tus deseos!
Concertante
MIGNÓN
(Besando la mano de Guillermo con
emoción)
¡Usted
me liberó
y
yo deseo retribuirle!
¡Estoy dispuesta a seguirlo
y no abandonarlo jamás!
GUILLERMO
(Sonriéndole amablemente)
¡El amigo que te ha liberado
no puede abandonarte!
Eres libre de seguirme...
quiero que seas feliz.
LOTARIO
(aparte, retomando su acostumbrada mística)
¡Buen Dios!
¡Déjame vivir, tener esperanzas y cantar!...
Escena Decimocuarta
(Los anteriores, comediantes, Philine,
Laertes y
Jarno, gitanos, burgueses y
campesinos. Los actores
llenan el patio de la
posada. Visten ropas de viaje y
llevan sobre
el hombro o en la mano paquetes y
maletas que
contienen sus útiles teatrales. La dueña
lleva un perrito en sus brazos. Los admiradores de
la compañía se
refugian bajo una sombrilla de color
verde claro)
GUILLERMO
¡Ah! ¡La compañía teatral,
se prepara para irse con Philine!
ACTORES
¡En marcha, amigos, tomad vuestros bártulos!
¡Finalmente la suerte nos sonríe!
¡Que la alegría nos acompañe en nuestro
viaje
y al Diablo con la sed y el hambre!
¡Olvidemos nuestra comida de rancho
y saludemos con el sombrero
al viejo castillo que ahora
se prepara
para dar
alojamiento a los actores!
ACTRICES
(despechadas)
¡Apuesto a que es el mismísimo barón
quien envía a Philine
todos estos elegantes
lacayos
y esos fogosos caballos!
(Los gitanos salen del carromato, los burgueses y campesinos aparecen
en el fondo de la escena. Un lacayo pasa
entre la multitud de curiosos y saluda
a Philine que baja las escaleras de su
habitación del brazo Laertes)
PHILINE
¡Quien me ame, que me siga!
Y tú, Dios del Amor,
que hoy
eres nuestro convidado,
¡a tu llamada acudo!
LAERTES
(a los lacayos)
¡Vamos!
(a los mozos que llevan el equipaje de Philine)
¡Vamos, adelante!
(A los actores)
¡Los precedo, amigos míos!
¡Una espléndida fiesta los recibirá esta
noche!
LOS ACTORES
¡Viva!
PHILINE
(en voz baja a Guillermo, tendiéndole
la mano)
¿Y usted, señor,
no va a ser uno de los nuestros?...
Gracias al gentil caballero que,
para hacernos el honor,
nos facilita su carroza,
viajaremos y nos alojaremos,
¡como en un día de boda!
GUILLERMO
(Llevándose la mano de Philine los labios)
Sí, y porque no quiero dejar de verte...
¡Participaré en la fiesta!
PHILINE
¡Adiós, mi querido poeta!
Llevo la esperanza conmigo.
Y para esta noche
¡éstas serán
mis únicas flores!
(Le muestra a Guillermo el ramo que recibiera
de él. Mignón reaparece con
su equipaje; se
acerca
ansiosa y reconoce las flores que ella
le
diera a Guillermo)
MIGNÓN
(aparte)
¡Mi ramo!
GUILLERMO
(a Mignón)
¿Qué te sucede?
MIGNÓN
Nada.
PHILINE
(en voz baja a Laertes)
¡Él me ama!
LAERTES
(riendo)
¡Está atrapado!
MIGNÓN
(a Lotario)
¡Mira, mis pobres flores,
cómo han sido despreciadas!
Él se ha deshecho de mi ramo, él lo...
GUILLERMO
(en voz baja, sonriendo)
¡Perdona!
Yo no se las ofrecí... me las quitó.
MIGNÓN
¡Está bien!... ¡Lléveme!...
¡Le
pertenezco!... ¡Ordene usted!
(a los gitanos)
Y a vosotros, con quienes compartí
la vergüenza y la miseria, ¡adiós!...
(a un niño colgándole una
medalla en el cuello)
¡Tú, pobre niño, que esta humilde medalla
algún día te proteja!
(A Jarno)
Y a ti, de cuya cólera tan a menudo
tuve miedo... ¡ay!
(le tiende la mano)
¡También te digo adiós!
¡Mignón olvida
tu maldad!
LOS ACTORES
(en el fondo de la escena)
¡Adiós, Philine, y buen viaje!
LOS BURGUESES
(también en el fondo)
¡Adiós, hermosa, y buen viaje!
LOS GITANOS
¡Adiós, Mignón, y buen viaje!
LOTARIO
Se oye retumbar
la tormenta...
LOS ACTORES.
¡En marcha, amigos, tomad vuestros bártulos!
¡Finalmente la suerte nos sonríe!
¡Que la alegría nos acompañe en nuestro
viaje
y al Diablo con la sed y el hambre!
¡Olvidemos nuestra mísera comida
y saludemos con el sombrero
en alto
al viejo castillo que
a partir de ahora
dará albergue a los actores!
(Guillermo hace una última señal de
despedida a
Philine. Los actores se disponen a marchar. Lotario
se sienta pensativo en la
parte anterior del escenario.
Mignón se detiene en
medio de la escena, con los ojos
fijos en
Guillermo)
ACTO SEGUNDO
Cuadro Primero
(Un gabinete elegante. Una puerta
en la parte
posterior y puertas laterales. A la derecha una
ventana; a la
izquierda, una chimenea, sillas, etc)
Escena Primera
(Philine está sentada frente al
tocador. Se
oye un golpe en la puerta)
LAERTES
(Desde el exterior)
¿Se puede entrar?
PHILINE
¿Eres tú, Laertes?...
LAERTES
(Entra, un poco alegre)
Sí, ¡nadie más que yo! ¡Buenas noches, Philine!
PHILINE
¡Buenas noches, Laertes!
LAERTES
¿No te importuno?
PHILINE
¿Tú?... ¡Nunca molestas!...
LAERTES
¡Es cierto!
Soy tu amigo desde hace tanto tiempo...
(Mirando a su alrededor)
¿Es aquí donde te alojas?
PHILINE
¡Sí, querido!
¡En los aposentos
de la Baronesa!
LAERTES
Entonces... ¡el Barón tiene la llave!
PHILINE
¡Impertinente!
LAERTES
¡Bah!... Si él te ama...
PHILINE
¿Y si yo no lo amo?...
LAERTES
¡Te equivocas!
Un hombre que nos recibe en su casa tan amablemente,
¡Merece algo más de
respeto!...
PHILINE
Me
parece que has cenado muy bien...
LAERTES
¡Como un rey!... Pero no un rey de teatro...
(Se tumba en un sillón)
PHILINE
Por lo que veo,
el vino del Barón
te
ha puesto de buen humor.
LAERTES
¡Sí, yo también lo creo!
(declamando como en escena)
¡Nada alegra más
que el vino que no se paga!...
PHILINE
(riendo)
¡Querido, estás borracho!
LAERTES
¡No! Solamente alegre.
Tengo
ganas de reír y hacer disparates.
Soy capaz de
representar una comedia esta noche.
¡Puede ser divertido!
PHILINE
¡Y novedoso!
LAERTES
¡Y novedoso!
Incluso soy capaz de
hacerte aplaudir
al
componer un madrigal en tu honor.
¡Eso sería más novedoso aún!
PHILINE
¡Y muy divertido!
LAERTES
¡Soy muy galante cuando
quiero!
(Levantándose)
Escucha...
Madrigal
¡Hermosa, ten piedad de nosotros!
¡Dígnate bajar los párpados!
¡Las pestañas de tus ojos tan dulces...
Son mortíferos dardos
Del Dios que nos hiere a todos!
(Hace una pirueta)
¿Qué te parece?
PHILINE
(riendo)
¡Bravo!
Parece estar oyendo al joven Federico...
LAERTES
¡Gracias!
PHILINE
...
o al mismísimo Barón.
LAERTES
¡Muy agradecido!
PHILINE
Aprecio tu intención.
Estoy
impactada por este acceso de galantería.
¡Nunca,
hasta el día de
hoy,
te habías mostrado tan gentil conmigo!...
LAERTES
(con tranquilidad)
¡Es verdad!
(Le ofrece una bombonera)
¿Una pastilla?...
PHILINE
(toma una golosina de la caja de dulces)
¡Gracias!
(Apoyándose familiarmente sobre
su hombro)
Sin embargo, admite una cosa, mi querido Laertes.
Eres feliz de ser mi amigo,
pues
de lo contrario,
habrías hecho el viaje a pie
con los otros invitados.
LAERTES
¡Es probable!
PHILINE
Y en lugar de encontrar aquí la cena
preparada...
LAERTES
Estaría golpeando tu puerta,
o en
cualquier habitación del sótano del castillo,
como los demás...
PHILINE
¡Seguro!
LAERTES
Y a propósito de los demás,
¿sabes lo que pasó con ellos?
PHILINE
¡No, cuéntamelo!
LAERTES
¡La historia es desgarradora!
PHILINE
¡Bah!
LAERTES
Vas a ver...
Mientras nosotros viajábamos
en la carroza del
barón,
nuestros infortunados compañeros
fueron sorprendidos por una tormenta
a una legua o dos del castillo.
Se
extraviaron, y azotados por la fuerte lluvia,
quedaron
atascados
y enterrados hasta el cuello
¡en una charca de ranas!...
PHILINE
¿Es verdad eso?...
LAERTES
(declamando)
¡Sí, señora, enterrados en una charca
de ranas!
¡Schwartz perdió su peluca y su
tabaquera!
Aloysius, en medio de juramentos y
gritos,
se dejó hundir con sus manuscritos.
El perrito de la vieja Gudule,
viendo chapotear a su dueña,
pretendió
salvarla
desapareciendo
bajo las aguas.
Y finalmente, Conrad, en medio del
cañaveral,
salió como un dios marino
aullando
¡con esa voz ridícula
que le otorgó la
naturaleza!
PHILINE
¡Oh, pobre Conrad!
LAERTES
¡Oh, vanos lamentos!
Él estornudó... ¡pero
dejó de gritar!
Sin la ayuda de
algunos campesinos,
que estuvieron dispuestos a ayudarlos,
nuestros pobres amigos
nunca habrían salido de allí.
¿Qué opinas de la aventura?...
¿No te emociona? ¿No te conmueve?...
PHILINE
(Con indiferencia)
Para nada... ¿Qué me importa?
LAERTES
¿Y yo?
(Se miran y estallan de risa)
PHILINE
(declamando)
¡Me río de sus desgracias,
como ellos se ríen de las nuestras!
LAERTES
Cuando todo va bien para nosotros,
¡por qué pensar en los demás!
(le ofrece de nuevo los dulces)
Sin embargo...
PHILINE
(Tomándole el brazo familiarmente)
Hablemos de otra cosa,
¿quieres?
¿Tienes noticias de nuestro amigo?
LAERTES
¿De quién? ¿ De Federico?
Está aquí,
lo vi pasear por los jardines...
PHILINE
¡Deja de lado a Federico!
Me
refiero a ese joven...
el que nos encontramos esta
mañana... en la posada.
LAERTES
¿Guillermo Meister?...
PHILINE
El mismo.
LAERTES
(burlonamente)
Bien que
lo recuerdo.
¿No lo invitaste a unirse a nosotros?
¿No le ofreciste la posibilidad de
presentarlo
al Barón, como el poeta de la compañía?
¿No te prometió venir?
PHILINE
(Sonriendo)
Creo que si.
LAERTES
¡Pues
no vendrá!
PHILINE
¿Por qué? ¿Cómo lo sabes?
LAERTES
Le dije lo que yo pensaba,
y espero que se acuerde de mis buenos consejos.
PHILINE
(vivamente, soltándole el brazo)
¡Eh, querido mío!
¡Creo que te pasas dando consejos!...
¿No eres tú quien me lo presentó?
LAERTES
Sí, por malicia.
PHILINE
¿Cómo?
LAERTES
Las víctimas del amor me hacen reír,
pues
me
recuerdan mis propias
desgracias matrimoniales.
Yo mismo lo empujaba a tus
redes... ¡para divertirme!
PHILINE
¡Eres brillante!
LAERTES
Sin embargo,
me gusta ese muchacho, ¡me
interesa!
¡Lamentaría que le ocurra una
desgracia!
PHILINE
¡Cada vez mejor! ¡Me las pagarás,
Laertes!
En cuanto al señor Meister...
LAERTES
¡No lo veremos más!
PHILINE
¿Tu crees?...
(riendo)
¡Está en camino hace rato!
En este momento golpea la puerta del
castillo...
solicita verme... lo guían hacia
aquí...
viene... y...
UN LACAYO
(anunciando)
¡Guillermo Meister!
PHILINE
¡Y aquí está!...
LAERTES
(sorprendido)
¡Ah! ¡Vaya!
(a Philine)
¡A fe mía! ¡Peor para él! ¡No me
entrometo más!
PHILINE
¡Eso es todo lo que pido de ti!
(al lacayo)
¡Hágalo pasar.
Escena Segunda
(Los anteriores, Guillermo y luego
Mignón)
GUILLERMO
(entrando)
¡Encantadora Philine!...
¡Mi querido Laertes!...
PHILINE
¡Estoy muy contenta, señor,
de que usted no haya faltado a su
promesa!...
GUILLERMO
¡Gracias por invitarme a que los
siga!...
Estoy contento de asistir a esta fiesta
y así tener la oportunidad de
aplaudirlos...
LAERTES
¿Aplaudirnos? ¡Oh! ¿Por qué?...
PHILINE
Me comprometo a presentarle al Barón.
LAERTES
Y yo a la baronesa.
Pero déjeme ir primero a dar un vistazo
a los preparativos de la
representación...
El teatro está instalado en el
invernadero del castillo,
a pocos pasos de aquí,
al final de la galería.
Esta noche vamos a representar
"El sueño de una noche de
verano",
de un tal Shakespeare...
Un poeta inglés, a quien no le faltan
méritos.
Nuestro apuntador, el ilustre Aloysius,
ha adaptado la obra a los gustos de hoy
en día.
¡Los invitados del barón
no entenderán
nada de todos modos!...
¡Pero no importa!
¡Philine va a estar encantadora en su rol de Titania!
En cuanto a mí, vestiré la ropa del
señor Teseo,
duque de Atenas,
y vendré a buscarlo cuando llegue el momento!...
(A Guillermo, declamando)
¡Hasta pronto, estimado señor!
(A Philine)
¡Adiós, hermosa dama!
¡Te dejo con él!...
(A Guillermo)
¡Lo dejo con ella!
(Se detiene en el
umbral de la puerta)
Pero, ¿quién es esta niña
que está
detrás de la puerta?
GUILLERMO
Es Mignón.
PHILINE
¡Mignón!
GUILLERMO
Sí, la pobre niña no ha querido separarse de mí.
Hice
que se quitara la ropa de
gitana, y ella me siguió.
¿Quieres que la
llame?
PHILINE
¡Sin duda, tengo curiosidad por verla!
GUILLERMO
(llamando)
¡Mignón!
MIGNÓN
(apareciendo en el umbral)
¿Me has llamado, señor?...
(Mignón entra tímidamente.
Viste como un
muchacho y al entrar, deja caer un paquete.
La música de la orquesta recuerda el motivo
de la "danza de los
huevos", del primer acto)
PHILINE
(riendo)
¡Ah! ¡ah! ¡ah! ¡ah!
¡Qué agradable metamorfosis!
GUILLERMO
(a Mignón)
¡Aproxímate sin miedo, querida niña!
¡Acércate
al fuego para que entres calor!
Pídele permiso a Philine para
sentarte...
¡en aquella
silla!
PHILINE
¡Sí, caliéntate, Mignón!
Luego nos bailarás, la danza de los
huevos.
(Mignón hace un movimiento, sus ojos
se
encuentran con los de Guillermo)
MIGNÓN
Si tú lo ordenas... obedeceré.
PHILINE
(aparte)
¡Que extraña idea la de traernos
a la muchacha gitana!
LAERTES
(En voz baja, a Mignón)
¡Si amas a tu amo, no lo dejes sólo,
y ten cuidado con Philine!
PHILINE
Tú, ¿qué dices?...
LAERTES
¿Yo? ¡Nada!... ¡Hasta luego!
(en voz baja, a Mignón)
¡Desconfía de ella!
(sale)
Escena Tercera
Trío
GUILLERMO
¡No más preocupaciones, Mignón!
¡No más pensamientos tristes!
¡Ven a calentarte las manos heladas,
en este hogar acogedor!...
(Hace que Mignón se siente en una
silla junto a la chimenea)
MIGNÓN
(en voz baja)
¡Ya no recuerdo mis dolores!
¡Ya no siento frío!
¡Soy feliz de estar
a tu lado!
PHILINE
(Riendo)
¡Qué palabras tan conmovedoras!
¡Cuánta
bondad!
¡Deja que me ría de tan hermosa devoción!
MIGNÓN
(aparte)
¡Ay! ¿De qué se ríe?
¡Que diversión tan cruel!
GUILLERMO
(a Philine)
Haces bien en reírte.
¡Tu risa es encantadora!
PHILINE
¡Querido, te admiro,
eres absolutamente encantador!
(ríe)
En lugar de ser servido por tu paje,
¡eres tú quien lo sirve a él!
GUILLERMO
(Acercándose a Philine)
A tu lado, a tus pies,
yo aceptaría, si tú así lo desearas,
una servidumbre más dulce.
PHILINE
¿De verdad?
(Le señala una lámpara que está sobre
la chimenea)
Aproxima esa lámpara aquí.
(Ella se sienta frente a su tocador.
Guillermo
aproxima la lámpara y se acerca impaciente a
Philine.
Mignón lo sigue con la
mirada sin
abandonar la silla donde se
encuentra sentada)
GUILLERMO
¡Soy tu esclavo! ¡Ordena, aquí estoy!
PHILINE
¡Bien! Pon primero la lámpara
aquí...
(Guillermo coloca la lámpara en el tocador)
¡Gracias!
(Se mira en el espejo)
¡Mi peluquera, esta noche, me ha
peinado mal!...
¡Pero ya me verás con mi traje de
hada!...
¡Quiero deslumbrar a todas las miradas!
¡Ya veo, ya me parece estar oyendo,
los suspiros y los tiernos susurros
de veinte galanes de todas las edades!
Concertante
GUILLERMO
¡Admiro el brillo de tus ojos!
¡Quedo hechizado al escuchar
tu amorosa y tierna voz,
tu risa burlona y alegre!
MIGNÓN
(para sí)
¡No escuchemos! ¡Cerremos los ojos!
No, no quiero escuchar
esa dulce y tierna conversación.
Será mejor que me duerma.
(Mignón finge dormir.
Philine canta alegre,
terminando
de maquillarse frente al espejo)
GUILLERMO
(se inclina amorosamente hacia Philine)
Hermosa Philine, amorosa hechicera,
tu dulce mirada, tus irresistibles atractivos...
¡A tu carruaje se encadenan todos los
corazones!
¡A tu alrededor, todo sonríe y goza!...
PHILINE
Este brazalete del príncipe, es
precioso, ¿verdad?
GUILLERMO
Todos te alaban, te adoran...
¡Ay! ¿Por qué no amas?
PHILINE
Es necesario, querido señor,
que le presente al Barón.
GUILLERMO
¡Philine, una sola palabra!... ¡Una palabra!...
PHILINE
(Señalando a Mignón)
¡Habla más bajo!...
Nuestra huésped nos escucha...
Dame tu brazo.
(Ella da unos pasos; Guillermo la retiene)
GUILLERMO
¿No respondes?...
PHILINE
(Tendiéndole la mano)
¡Vamos! ¡Tengo el alma complaciente!...
(Guillermo lleva la mano de Philine a
sus labios y
la besa ruidosamente. Mignón hace un movimiento,
pero
sin
abrir los ojos)
PHILINE
(aparte)
Sabía que no estaba dormida.
GUILLERMO
(A media voz, apasionado)
¡Oh, Philine! ¡Oh, preciosa!
¡Oh, niña seductora!
¡Admiro el brillo de tus ojos!
¡Quedo hechizado al escuchar
tu
amorosa y tierna voz,
tu risa burlona y alegre!
PHILINE
(riendo)
¡Yo quiero complacer a todos los
ojos!
¡Ya veo, ya me parece estar oyendo,
los suspiros y los tiernos susurros
de veinte galanes de todas las edades!
MIGNÓN
(aparte)
¡No escuchemos! ¡Cerremos los ojos!
No, no quiero escuchar
esa dulce y tierna conversación.
Será mejor que me duerma.
(Guillermo ofrece su brazo a Philine
y sale
con ella por la puerta trasera)
Escena Cuarta
MIGNÓN
(a solas)
¡Aquí estoy sola!
(se levanta)
¡Ah, pobre Mignón!
¡Él se aleja y ni siquiera vuelve la
cabeza
hacia donde tú estás!...
¡Él no piensa en ti!...
¡Él sólo piensa en esa Philine!
(Después de un momento de silencio)
¿Y
bien? ¡Qué importa!
¿No estás segura de su amistad?
¿No colma todos tus deseos
permitiéndote seguirlo y servirlo?...
¿De qué te quejas, ingrata?
¿Por qué lloras?
(secándose los ojos)
¡No! ¡No!
¡No es nada! ¡Ya pasó! ¡No lloro más!
Estoy feliz.
(va y viene por el gabinete,
examinando
curiosa los muebles
y cortinas)
¡Todo es hermoso aquí!...
¡Nunca he visto nada igual!... ¡No!
Nunca!...
¿Es un sueño?...
Estos muebles dorados, las cortinas de
seda...
los espejos resplandecientes...
(se aproxima al tocador)
¡Es aquí donde ella estaba sentada hace
un rato,
mientras Meister le hablaba al oído para decirle...
lo que muchos otros le
dicen cada día...
¡lo que su espejo le dice más a menudo aún!
Y yo, acurrucada en mi silla, escuchando...
Cerré los ojos y escuché.
¡Escuché!
Quería dormir... ¡y no podía!...
¡Eso no está bien, lo sé, pero no pude!...
¡Perdóname, querido señor!...
(Se sienta en el tocador)
Aquí están las flores y las notas galantes
de todos sus enamorados...
Aquí, el maquillaje con que cubre
su cara...
Y
el perfume con que aroma su
cabello...
(Tratando de maquillarse)
¡Si, me maquillaré yo
también!...
¡Ah, mi palidez desaparece!
¡Mis ojos brillan!...
(Se ríe y canta)
I
Un pobre niño,
un pobre niño bohemio,
de ojos tristes y de frente pálida...
(se mira en el espejo)
¡Ah! ¡ah! ¡Qué loca historia!
¡En vano me justifico!
¡Estoy mucho mejor!
Ya no soy la misma...
¡Ta la, ralla!
¡Ta la, ralla!
¿Es realmente Mignón la que está aquí?
II
Un lindo día, en que todo salía bien,
en el que
todo estaba a favor de sus planes,
para complacer a su amo al que ama...
(Mirando hacia atrás y riendo)
¡Ah! ¡Ah! ¡Qué historia tan loca! En vano
me justifico!
Me siento mucho mejor, ya no soy la
misma.
¡Ta la ralla!
¡Ta la ralla!
¿Es Mignón la que está aquí?
¡No! ¡Ni yo misma me reconozco!...
¡Ah! ¡La dichosa Philine!...
¡Entiendo que la encuentren hermosa!...
Ella sabe agradar a la
gente.
(abre la puerta del vestidor)
¡Aquí es donde guarda sus
vestidos!
(mira con curiosidad la ropa del vestidor)
¡Sí!... ¡Estoy sola!
Nadie me puede ver...
¿Qué idea loca se cruza por mi
mente?...
¿Qué demonio me tienta...?
(Ella entra en el vestidor. La ventana se abre
de repente.
Federico aparece en el balcón)
Escena Quinta
FEDERICO
(a solas)
¡Soy yo!
(salta dentro de la habitación)
El enrejado se rompió bajo mis pies,
el viento se llevó mi sombrero
y casi me quedo varado en el camino...
¡Pero no importa!... ¡Ya estoy aquí!...
(Mirando a su alrededor)
¡Es aquí donde mi tío ha alojado a
Philine!
¡En las habitaciones de mi tía!
¡Olvidó totalmente el decoro!...
¡Ah! ¡Vaya, vaya, con el señor Barón!
Se merece que la señora baronesa
también le ponga...
Pero, es que
después de
tanto tiempo...
¡No,
no es eso de lo que se
trata!
¡Estoy furioso! ¡Estoy exasperado!...
¡Estoy decidido disputarle a Philine a
mi tío,
al Príncipe de Tiefenbach,
y al mundo entero!...
(lleva la mano a la empuñadura
de su espada)
¡Y empuñando la espada, si fuera
necesario!
¡Ay del primer pretendiente que se
presente!...
Escena Sexta
GUILLERMO
(entreabre la puerta trasera)
¡Mignón!...
FEDERICO
¿Eh? ¿De quién es esa voz?
GUILLERMO
(entrando)
¿Dónde estará?...
Philine me hizo
prometer que esperaría, y yo...
(viendo a Federico)
¡Ah!
FEDERICO
(aparte)
¿No es éste el nuevo pretendiente
que ella me presentó esta mañana?
GUILLERMO
(aparte)
¿Éste no es el joven tonto de la
posada?...
FEDERICO
¡Señor!...
GUILLERMO
¡Señor!...
FEDERICO
¡Usted... aquí, en este castillo!...
GUILLERMO
¡Como usted lo ve!...
FEDERICO
Así que... ¿usted forma parte de la compañía?
GUILLERMO
Eso se parece.
FEDERICO
¿Y en calidad de qué?
GUILLERMO
Como poeta, si usted lo acepta...
FEDERICO
Pero ¿con qué derecho, señor,
se atreve a entrar
en los aposentos de la señorita
Philine?
GUILLERMO
¿Y con qué derecho, señor,
se encuentra usted aquí?
FEDERICO
¡Entré por la ventana
a riesgo de
romperme el cuello!
GUILLERMO
Y yo, por la puerta, sin correr ningún
riesgo.
FEDERICO
¡Yo, señor, formo parte del círculo de sus amigos!...
GUILLERMO
Del mismo modo que yo, señor.
FEDERICO
¡Hace más de un año que ella acepta
con beneplácito mis atenciones!
GUILLERMO
Las mías desde esta mañana...
y no las ha rechazado.
FEDERICO
¡En definitiva, señor, yo la adoro!
GUILLERMO
Yo, señor, estoy loco por ella.
FEDERICO
Entonces, señor, ¡somos rivales!
GUILLERMO
Eso parece.
FEDERICO
¿Y la señorita Philine le ha dado
cita en este lugar?...
¿Y usted se propone disputarme su amor?
GUILLERMO
¡Sí... diablos!...
FEDERICO
¡Es suficiente, señor!
(Sacando su espada)
¡En guardia!
GUILLERMO
¿Si le place?...
FEDERICO
(Con una mirada terrible)
¡En guardia!
GUILLERMO
(riendo)
¿Quiere batirse... en esta sala?...
FEDERICO
¡Sí!...
¡En casa de Philine!...
¡En su vestidor!
¿No le parece original?
GUILLERMO
(Sacando su espada)
¡Así sea, señor, batámonos!
FEDERICO
¡Batámonos!
(Cruzan las espadas. Mignón, regresa del
vestidor vestida con ropas de Philine)
Escena Séptima
(Los anteriores y Mignón)
MIGNÓN
(se interpone entre ellos)
¡Ah!... ¡Meister!... ¡Por Dios!...
GUILLERMO
¡Mignón!...
FEDERICO
¡Mignón!... ¿Qué Mignón?... ¿Qué significa esto?...
Pero... no me equivoco...
¡este es uno de los vestidos Philine!
(riendo)
¡Ah! ¡Ah! ¡Ah!...
GUILLERMO
¡Señor!...
FEDERICO
¡Cálmese! ¡Ya nos volveremos a ver!
¡Que Dios me guarde de matar a esta
hermosa niña por ponerse delante de
usted!
¡Hasta la próxima!
GUILLERMO
¡Hasta la próxima!
FEDERICO
(mirando de reojo a Mignón)
¡Por Dios!
Corro a contárselo a Philine...
(ríe)
¡Ah! ¡Ah! ¡ah!...
(Se marcha sin dejar de reír,
incluso fuera de escena)
Escena Octava
(Guillermo, Mignón)
GUILLERMO
¡Tú!... ¡Mignón!... ¡Con esas ropas!...
MIGNÓN
(Confusa)
¡Perdóname!... ¡No me regañes!
GUILLERMO
¿Por qué ese disfraz? ¿Me lo puedes
explicar?...
MIGNÓN
¡Oh! Estoy en falta, lo sé... No tenía
a derecho
a probarme estos bellos vestidos que no son míos...
pero pensé que estaba
sola...
y no pude resistirme...
GUILLERMO
¡Estás loca!... ¿Quieres que yo
sea
el hazmerreír de todos los que están
aquí?...
¿Por qué dejaste tu librea?...
¿Por qué no esperas mis órdenes?...
¿Es así como sirves a tu señor?
¡Lo mejor será que nos separemos!
MIGNÓN
(con tristeza)
Me despides... ¿ya?
GUILLERMO
¡Eh! ¡No, no te despido!... ¡No te
culpo de nada!...
Te agradezco el tierno impulso que hizo
que te interpusieras entre nosotros...
¡que me
protegieras de la
espada de ese joven alocado!
Pero ahora veo
que me equivoqué al ceder a tus ruegos...
(alegre)
Verdaderamente
no debo obligarte a ir tras de
mí...
así,
como
un paje...
MIGNÓN
(con ingenuidad)
¿Por qué?
GUILLERMO
(con embarazo)
¿Por qué? ¡Pues debido a que una muchacha
como tú
no está hecha para servir a un joven
de mi edad!... porque... porque tú, en
definitiva,
¡eres una mujer!... lo había
olvidado...
¡Tú misma me lo has recordado
al aparecer vestida de esta manera!
MIGNÓN
Yo creía… me había imaginado...
GUILLERMO
¿Qué?
MIGNÓN
¡Nada! ¡Nada!... ¡He sido una loca, realmente!...
¡Corro
a quitarme estos bellos
vestidos
que me hacen aún más fea y torpe
ante tus ojos!...
GUILLERMO
(la examina sonriendo)
Pero no... ¡Al contrario!...
(Mignón lo mira)
¡Ve rápido, ve ya!...
(la empuja hacia el vestidor)
Si Philine regresara...
MIGNÓN
¡Ah!... ¡Temes las burlas de la
señorita Philine!...
Ella es sin duda...
¡Ha sido ella la que te ha dado
el consejo de separarte de mí!...
¡Pues bien! ¡Hay que obedecerla!
GUILLERMO
(con dulzura)
Vamos, niña querida, reflexiona un
poco...
¡No puedo retenerte conmigo!
¿Qué diría la gente? ¿Qué pensaría la
gente?
(riendo)
Con el tiempo me considerarían tu
amante.
MIGNÓN
(con vivacidad)
¡Sí, tienes razón, es necesario
que nos separemos!
GUILLERMO
Pero no obstante, no voy a abandonarte.
Te enviaré con un pariente mío
que te acogerá y te tratará como a una
hija.
(Mignón se deja caer en una silla)
GUILLERMO
I
¡Adiós, Mignón, se valiente!
¡No llores!
¡Los dolores se olvidan pronto a tu
edad!
¡Dios te consolará!
¡Mis buenos deseos seguirán tus
pasos!...
¡No llores!
¡Podrás encontrar una familia y una
patria!
¡Podrás encontrar, en el camino, la
felicidad!
¡Te dejo con pesar, y mi alma
enternecida,
comparte tu dolor!
¡Adiós Mignón ten coraje!
¡No llores!
¡Los dolores se olvidan pronto a tu
edad!
¡Dios te consolará!
¡Mis buenos deseos seguirán tus
pasos!...
¡No llores!
II
¡No acuses a mi corazón de fría
indiferencia!
¡No me reproches por seguir un loco
amor!
¡Al decirte adiós, guardo la esperanza
de volver a verte un día!
¡Adiós Mignón, ten valor!
¡Los dolores se olvidan pronto a tu
edad!
¡Dios te consolará!
¡Mis buenos deseos seguirán tus
pasos!...
¡No llores!
MIGNÓN
(Con resolución)
Te doy las gracias por tu amabilidad,
pero no puedo aceptar que me ofrezcas
asilo.
¡Por ti recuperé mi libertad;
sin ti no quiero ser libre!
GUILLERMO
¡Querida muchacha! ¡Escucha la voz de
la razón!
MIGNÓN
¡La razón es cruel, señor!
La voz del corazón es mejor.
GUILLERMO
Pero ¿qué será de ti?
MIGNÓN
¡Lo que fui: Mignón!
(le señala el paquete de ropa
que había dejado
caer en el umbral de la
puerta del fondo)
Tuve razón, ya lo ves,
al conservar mi pobre ropa gitana.
¡Voy a ponérmelas nuevamente y me iré!
GUILLERMO
(aparte)
¡Ah! ¿Por qué Philine exige
que me separe de esta muchacha?
(llamándola)
¡Mignón!...
(Mignón se vuelve feliz.
Él le ofrece una bolsa de dinero)
¡Por lo menos acepta este dinero!
MIGNÓN
(Con tristeza)
¡No! ¡No quiero tu dinero; tu mano es
suficiente!
¡Dame la mano, una vez más!
¡Me marcho feliz!
(Él le da la mano y ella l lleva a sus
labios)
¡Adiós y gracias!
GUILLERMO
¡No! ¡No puedo dejar que te vayas!...
MIGNÓN
¡Es necesario!...
¡Mañana me iré! ¡No me verás nunca más!
GUILLERMO
¿Dónde vas a ir?
MIGNÓN
¡Por ahí, como antes, por senderos
perdidos!
GUILLERMO
¿Quién te protegerá?
MIGNÓN
¡Dios, los ángeles y la Virgen!
Me entrego a su misericordia...
GUILLERMO
¿Quién te va a alimentar?
MIGNÓN
¡Tenderé la mano a los
transeúntes!
Y sin esperar a que me lo ordenen,
¡bailaré alegre por un pedazo
de pan!...
(Con un estallido de risa que termina
en sollozos)
¡Ah ¡ah! ¡ah!
GUILLERMO
(la estrecha entre sus brazos)
¡Mignón!
(Philine entra por el fondo con Federico)
Escena Novena
PHILINE
¡Me dijiste la verdad, Federico!
MIGNÓN
¡Philine!...
GUILLERMO
¡Philine!...
PHILINE
(Avanzando)
¡Mignón vestida con uno de mis
trajes!...
¡Mignón en los brazos del señor Meister!...
GUILLERMO
(Avergonzado)
Mignón, cediendo a un capricho
infantil,
y se vistió por un momento con tus
ropas,
mi querida Philine.
Me rogó que te pidiera disculpas...
Se estaba despidiendo de mí.
PHILINE
¡Se marcha!
GUILLERMO
(en voz baja)
¿No es lo que tú querías?
PHILINE
¿Yo? ¡no!... ¿Por qué?
¡Al contrario, yo quiero ser su
amiga!...
Y si mi vestido le agrada...
se lo regalo con mucho gusto.
(Examina a Mignón burlonamente)
¡Ella está realmente muy bien así!...
¡Muy bien!...
Su antiguo amo... Jarno...
el hombre del bastón... ¡no la
reconocería!...
(Mignón arranca con rabia las
cintas
que adornan su vestido)
¡Oh! ¡Oh! ¡Qué rabia desata
contra mis pobres encajes!...
(Mignón se calma, la mira fijamente, y tras
recoger su paquete de ropa, corre y se mete
en el gabinete de la derecha)
¡Y qué manera de mirarme!...
(en voz baja a Guillermo, sonriendo)
¡Parecería, Dios me perdone,
que esa pequeña salvaje está celosa de
mí!
GUILLERMO
¿Celosa?...
(Música entre bambalinas. Algunos
comediantes
vestidos para la representación, pasan por el
fondo de la
galería, precedidos por lacayos
con
lámparas)
LAERTES
(apareciendo en el umbral del fondo
y
ataviado como el príncipe Teseo)
¡Hola!... Puch, Ariel, Oberón... ¡Id por adelante!
Yo os sigo.
(entra y declama)
¡La hora de nuestro himeneo se acerca,
mi bella Hipólita!
¡Aún faltan tres aburridos días!
¡Tres días!
Pronto
nacerá para nosotros una
nueva luna,
una luna cuarto creciente, pálida,
¡emblema del amor!...
(Volviéndose a Philine)
¡Y bien! ¿A qué esperáis?...
Yo vestido como el príncipe
Teseo,
todos nuestros compañeros están listos,
los caballeros del elenco están en sus
puestos...
¡y Titania aún no está preparada!
PHILINE
Tengo tiempo de sobra
para transformarme en hada tras la escena...
(a Federico)
Coge
aquel vestido, allí, en el gabinete....
(señala el gabinete izquierda)
FEDERICO
(Con diligencia)
¡Yo me encargo de llevártelo al
escenario!
PHILINE
¡Bien! Nos vemos allá.
(Federico sale)
LAERTES
(A Philine)
¡Philine, no sé una palabra de mi
papel!...
¿Y tú?
PHILINE
¡Yo, tengo otra cosa en mente!
LAERTES
(riendo)
¡Bien! ¡La representación promete ser
divertida!
(Volviéndose a Guillermo)
¿Vienes?...
GUILLERMO
(Distraído)
Te sigo.
LAERTES
(en voz baja a Philine)
¿Qué pasó?
PHILINE
Te lo contaré...
GUILLERMO
(aparte)
¡Celosa!...
PHILINE
(a Laertes)
Lo sorprendí aquí, con la joven
Mignón...
LAERTES
¡Ah!...
PHILINE
... que iba vestida con uno de mis
vestidos...
¡Para complacerlo!
LAERTES
¡Bah!
PHILINE
La pobre chica, me parece,
que
está enamorada de su patrón.
LAERTES
¡Diablos!
PHILINE
¿No te ríes?
LAERTES
No.
PHILINE
¿Por qué?
LAERTES
(serio)
Porque tú te ríes.
EL APUNTADOR
(Que aparece por el fondo de la escena)
¡Laertes!... ¡Philine!...¡Comenzamos!...
LAERTES
(Corriendo hacia él)
¡Ah, mi querido Aloysius!... ¡Apúntame
bien!...
De lo contrario estaré perdido...
(declamando)
¡La hora de nuestro himeneo... bella
Hipólita!...
(arroja su libreto al aire)
¡La suerte está echada!... ¡Al
combate!...
(sale junto a Aloysius)
PHILINE
(A Guillermo)
¡Señor Meister!...
GUILLERMO
(saliendo de su ensimismamiento)
¿Si?
(Ofrece su brazo a Philine. Mignón
entreabre
la puerta del gabinete de la izquierda)
PHILINE
(a Guillermo)
¿Qué estabas soñando?
¿Ya no me amas?
GUILLERMO
¿Yo? Philine... ¡Te adoro!...
(Desaparecen por la galería del fondo)
FEDERICO
(Sale del gabinete izquierdo
cargado con vestidos de Philine)
¡Philine! ¡Philine querida... aquí
estoy!...
¡No me ha esperado!
¡Se ha ido del brazo del señor Meister!
¡Decididamente lo mataré!
(Se precipita tras los pasos de Philine)
MIGNÓN
(Reaparece, vestida con las ropas
que
usara en el primer acto)
A esa Philine... ¡La odio!...
(Sale corriendo)
Cuadro Segundo
(Jardines del castillo. A la derecha, un invernadero
adjunto al castillo, e iluminado por dentro.
A la
izquierda, un gran estanque con rosaleda. Música
y ruidos de
aplausos fuera de escena. Mignón,
bajo los árboles, se
oculta en la sombra para
escuchar)
Escena Primera
MIGNÓN
(sola)
¡Ella está allí!... ¡Con él!
¡Empieza su triunfo!
Y yo vago al azar por este enorme
jardín...
(agitada)
¡Es amada! ¡Él la ama!... ¡Lo sabía!
¡Estos tormentos ya los presentí!
¡No! ¡No había oído de su boca
esa palabra que destrozó mi corazón!
¿Esperas que tu pena lo
conmueva?...
¡Pobre Mignón! ¡Él la ama!
Y su risa
burlona, hace más cruel mis palabras.
¡Él la ama!
¡Oh Dios, me estoy
volviendo loca de rabia y dolor!
(Corriendo hacia el estanque)
¡Ah!.... Este estanque de agua clara
y tranquila,
¡me atrae hacia él!
Escucho entre los verdes juncos vuestra voz,
¡oh, ninfas acuáticas!...
que me atrae hacia el agua inmóvil...
(Cuando se dispone a saltar se oyen
los acordes
de un arpa entre
los árboles)
¡Cielos! ¿Qué escucho?...
(regresa al centro del escenario)
¡El ángel malvado huyó!
¡Quiero vivir!
(Aparece Lotario)
¿Eres tú, Lotario?...
(Con alegría)
¡Es él!
Escena Segunda
LOTARIO
(sin reconocer inicialmente a Mignón)
¿Quién está ahí?...
¿Quién me llama?
(Mirándola con ternura)
¿Eres tú, Sperata?... ¡Responde! ¿Eres
tú?
MIGNÓN
¡No!
LOTARIO
(Empujándola suavemente)
Mi corazón se vuelve a equivocar, ¡ay
de mí!
¡No es ella!
Es la niña que quería seguirme; ¡es
Mignón!
MIGNÓN
(con tristeza)
¡Oh, sí! ¡Te acuerdas!
Sí, ese es mi nombre.
LOTARIO
¡Pobre niña! ¡Pobre criatura!
Quería verte de nuevo y he seguido tus pasos.
¡Ven junto a mi corazón!
¡Descansa en mis brazos!
¡Dime qué pena te quebranta y te
tortura!...
(estrecha a Mignón entre sus brazos)
MIGNÓN
(Con afecto febril y la frente
apoyada
en el pecho de Lotario)
¿Ha sufrido? ¿Has llorado?
¿Has languidecido sin esperanza,
con el alma de luto y el corazón
desgarrado?
¡Entonces, conoces mi dolor!
LOTARIO
¡Al igual que tú, triste y solitario,
doblegado por leyes inexorables,
con mis lágrimas he regado la tierra!
¡El cielo permanece sordo a mí voz!
Dúo
MIGNÓN
¿Has sufrido? ¿Has llorado?
¿Has languidecido sin esperanza,
con el alma de luto y el corazón
desgarrado?
¡Entonces conoces mi dolor!
LOTARIO
¡Sí, he sufrido!
¡He llorado y he languidecido sin esperanza!
¡Al igual que tú, con mi corazón
desgarrado,
muchacha, conozco el dolor!
(se oyen fuertes aplausos y
exclamaciones
en el interior del castillo)
MIGNÓN
(se desprende de los brazos
de Lotario)
¡Escucha! ¡Es su nombre el que la gente grita!
¡Es a ella a quien aclaman
y a quien festejan!...
(se vuelve hacia el castillo con gesto amenazador)
¡Ah! ¿Por qué la mano de Dios
no hace estallar sobre ellos un rayo
y destruye el palacio, y lo reduce a
escombros,
y lo sumerge bajo torrentes de
fuego?...
(Desaparece entre los árboles)
Escena Tercera
LOTARIO
(Tras un largo silencio, con extravío)
¡Fuego!... ¡Fuego!... ¡Fuego!...
(Lentamente desaparece en las sombras.
Las
puertas del invernadero se abren y dejan salir
a la multitud de
invitados y comediantes)
Escena Cuarta
(Caballeros y damas, Philine,
comediantes,
Federico, el Barón, la Baronesa, el Príncipe,
lacayos con antorchas. La representación
acaba de terminar. Philine y los actores
continúan
vistiendo sus trajes teatrales)
EL CORO
¡Brava! ¡Brava! ¡Brava!
¡Gloria a Titania!...
PHILINE
¡Sí, esta noche soy la reina de las
hadas!
(Mostrando su varita)
¡Mi cetro de oro!...
(Mostrando las coronas que le presenta Federico)
¡Y estos, mis trofeos!
LOS ACTORES
(entre ellos, con rabia)
¡Ya veinte amantes
rodean a la bella,
y todo es para ella,
flores y felicitaciones!
FEDERICO, CABALLEROS
¡Ya veinte amantes
rodean a la bella,
y ella, cruel,
se ríe de nuestros tormentos!
PHILINE
¡Soy Titania la rubia!
¡Titania, la hija del aire!...
Riendo, viajo por el mundo
más activa que los pájaros,
y
más rápida que el rayo.
Una banda delirante de elfos
sigue a mi carroza
que vuela en la noche.
A mi alrededor,
mis cortesanos cantan
al placer y al amor.
Una banda delirante de elfos
sigue a mi carroza
que vuela en la noche.
¡Bajo los rayos de la luna!...
Entre las flores,
que la aurora hace renacer,
en los bosques y en los prados,
sobre una espumosa ola,
o
en medio de la bruma
se me puede ver
audazmente
revolotear.
¡Soy Titania la rubia!
¡Titania, hija del aire!
Riendo, viajo por el mundo
más activa que los pájaros,
y
más rápida que el rayo.
EL CORO
(Alrededor de Philine, alabándola)
¡Gloria a Titania, la rubia!
¡Brava! ¡Brava! ¡Brava!
¡Gloria a Titania!
(Los invitados se dispersan al fondo y caminan
bajo los árboles conformando diferentes
grupos)
Escena Quinta
PHILINE
(viendo a Guillermo)
¡Ah!
¡Aquí
estás!... Te haces esperar.
(con tono de reproche)
¡No estuviste para escucharme!...
FEDERICO
(aparte)
¡Otra vez él!... ¡Qué sonrisa amable!
¡Qué aire tan tierno!
GUILLERMO
(Mirando a su alrededor, con inquietud)
¡Perdóname!... ¡Busco en vano, a Mignón!...
PHILINE
(zalamera)
¡Eh! ¡Cómo!
¡Aquella a la que buscas, señor,
no soy yo!
(regresan conversando; Mignón y
Lotario
se reencuentran delante
de la escena)
LOTARIO
(a media voz)
¡Sé feliz, Mignón!
¡Alégrate, alma noble!...
He querido complacerte...
¡Estos muros ya están en llamas!
MIGNÓN
¡Cielos! ¿Qué estás diciendo?
LOTARIO
(Tranquilamente y sonriendo)
Hice lo que querías.
MIGNÓN
¡Dios!
LOTARIO
¡Estos muros pronto se desmoronarán
bajo torrentes de fuego!
(Mignón, inquieta, busca a Guillermo con
la mirada.
Guillermo la ve y corre hacia ella)
GUILLERMO
¡Eres tú!... ¡Te estaba buscando,
Mignón!...
PHILINE
(Acercándose)
¡Hola! ¡Hermosa!
MIGNÓN
¿Qué quieres?
PHILINE
Para probarnos tu diligencia,
ve rápidamente, ve allá,
a buscar...
(le señala el invernadero)
... un ramo de flores, que alguien,
que me es muy querido, me regaló,
y yo dejé caer, creo, que de mi
corsé.
GUILLERMO
¿Para qué?...
MIGNÓN
(a Guillermo)
¡Obedezco, obedezco, señor!
(Ella corre al invernadero)
LAERTES
(Acudiendo al lugar)
¡Dios!
¡Philine, amigos!
¡El teatro está en llamas!
¡Mirad!...
TODOS
(Con terror)
¿Qué dices?
PHILINE, MUJERES
¡Me Muero!... ¡Mi sangre se hiela!...
(Los lacayos con
las antorchas salen.
La
escena queda a oscuras;
las luces del
incendio comienzan
a iluminar los vidrios
del invernadero)
GUILLERMO
(apartando a la muchedumbre)
¡Oh! ¡Niña infeliz!...
¡Atrás! ¡Déjenme pasar!
LAERTES
(reteniéndolo)
¡Detente!
PHILINE
(reteniéndolo también)
¡Querido Guillermo!
GUILLERMO
¡Dejadme, no me detengáis!...
(Se precipita en auxilio de Mignón)
EL CORO
¡Para apagar las llamas,
toda ayuda será inútil!
¡El terror hiela nuestras almas!
De nada serviría intentar
un esfuerzo sobrehumano
LOTARIO
(De pie, en medio de la escena,
y sobresaliendo del tumulto general)
Fugitivo y tembloroso,
voy de puerta en puerta,
donde el cielo me conduce,
a donde la tormenta me lleva,
¡Dios protege a los miserables!...
(Los vidrios estallan por el calor y
caen al
suelo. Los invitados se
agolpan delante
del escenario lanzando gritos de terror)
PHILINE
Yo ignoraba que hubiera peligro...
¡el cielo es mi testigo!
LOTARIO
(Indiferente a todo,
en una suerte de éxtasis)
¡Vive! ¡Ella vive y yo sigo su
rastro!
Quiero descansar un día, un solo día, y luego seguir...
¡Iré más lejos!...
¡Siempre más lejos!...
(Guillermo aparece llevando
a Mignón en brazos)
EL CORO
¡Cielos!
LAERTES, PHILINE
¡Guillermo!...
GUILLERMO
¡De la muerte Dios la ha preservado!
¡Las llamas ya la estaban rodeando!
¡La he salvado!
(La tiende sobre el césped. Mignón permanece
desmayada apretando entre sus manos
crispadas
un ramo de flores marchitas
y medio quemadas)
ACTO TERCERO
Cuadro Primero
(Galería decorada con
estatuas. A la
derecha, una
ventana hacia la campiña. Al fondo, una gran
puerta
cerrada. Puertas laterales. Al levantarse el
telón, el
escenario está vacío)
Escena Primera
(Preludio de arpa)
CORO
(desde el exterior)
¡La suave luz de las estrellas
ilumina las olas en movimiento!
¡Amigos, despleguemos alegremente
nuestras velas
a los amorosos besos del viento!
¡La barca centellea
sobre las aguas del lago azul
dejando
tras de sí
un surco de fuego!...
¡La suave luz de las estrellas
ilumina las olas en movimiento!
¡Amigos, despleguemos felices
nuestras velas
a los amorosos besos del viento!
(Lotario aparece en el umbral de la puerta
derecha)
Escena Segunda
LOTARIO
(a solas)
¡Ella duerme!...
I
¡Logré calmar la agitación de su
corazón!
Una sonrisa dulce y dichosa
mostraban sus labios al escuchar mi voz.
¡El sueño ha cerrado sus ojos!
II
¡Un ángel está de pie, ante ella!
¡Un ángel descendió del cielo
¡La cubre con la sombra de sus alas!...
¡El sueño ha cerrado sus ojos!
REANUDACIÓN DEL CORO
(al fondo)
¡La suave luz de las estrellas
ilumina las olas en movimiento!
¡Amigos, despleguemos felices nuestras velas
a los amorosos besos del
viento!
(Las voces se pierden poco a poco.
Lotario
permanece inmerso en
sus pensamientos)
Escena Tercera
(Antonio entra con una lámpara)
GUILLERMO
¡Bien! Coloca la lámpara ahí.
ANTONIO
(pone la lámpara sobre la mesa
y se vuelve hacia la ventana)
Desde esta ventana, su señoría podrá
ver cómo
todas las villas
de los alrededores están iluminadas;
y cómo los barcos de los
pescadores
surcan el agua con
canciones y guitarras.
Mañana es el día de la fiesta del lago.
GUILLERMO
Lo sé.
ANTONIO
(con tristeza)
Este es el único palacio que no se ilumina
y que ya no participa de la fiesta...
¡Desde hace quince años!
GUILLERMO
Sí; oí hablar de una desgracia
que sucedió hace tiempo.
Una muchacha que se ahogó en el
lago,
¿no es así?
ANTONIO
Una niña, señor.
Fui yo quien encontró su sombrero en la orilla.
¡Pobre pequeña!
Aún no ha sido enterrada en tierra cristiana
porque no la hemos encontrado.
Su madre murió de pena;
y
su padre, loco de dolor, desapareció.
Ahora el antiguo palacio de mis
señores está a la venta.
Si su señoría todavía
tiene
la intención de comprarlo...
GUILLERMO
Lo decidiré mañana.
ANTONIO
¿Su señoría ordena algo más?
GUILLERMO
No.
ANTONIO
(Para sí, observando a Lotario que
todavía está
inmerso en sus pensamientos)
Los rasgos de del anciano que la acompaña
no me son desconocidos.
GUILLERMO
(se vuelve hacia Antonio)
¿Qué te sucede?
ANTONIO
Nada, señor; le deseo una buena noche.
GUILLERMO
Buenas noches.
(Antonio sale)
Escena Cuarta
GUILLERMO
(Tocando el hombro de Lotario)
¡Y bien! Lotario… ¿duerme aún Mignón?
LOTARIO
(volviendo en sí)
Sí.
GUILLERMO
¡Pobre niña! Te agradezco por
habernos
acompañado, querido Lotario,
y por realizar la mitad de mi tarea.
Tu amistad es más valiosa para ella que la mía,
pues sabes mejor que yo cómo calmar
esa fiebre ardiente que la consume.
LOTARIO
La muchacha ya no tiene fiebre.
GUILLERMO
¿Es cierto? ¿Será el aire de su tierra
natal
lo que ha producido este milagro?
Porque si debo creer en las pocas
palabras
que dejó escapar en su delirio,
ella
debe haber nacido en esta región de Italia.
¿Te ha dicho algo?
LOTARIO
No.
GUILLERMO
Nos vamos a establecer aquí, Lotario,
y espero que Mignón se recupere por
completo.
¿Has oído lo que me dijo
ese viejo sirviente?
LOTARIO
No.
GUILLERMO
Esta propiedad está en venta;
y si Mignón se encuentra bien,
le compraré el palacio Cipriani.
LOTARIO
(Se levanta estremecido)
¡Cipriani!
GUILLERMO
¿Qué te sucede?
(Lotario camina en silencio mirando
a
su alrededor. Se dirige a la gran puerta
trasera e intenta abrirla)
¡No puedes entrar ahí, esa
habitación,
según me dijeron, era la del viejo
marqués,
y no ha sido abierta desde hace quince
años!...
LOTARIO
¡Quince años!...
(Mira a su alrededor como si tratara
de
ordenar sus pensamientos, luego va
hacia la puerta de la izquierda)
¡Ah! ¡allá!
GUILLERMO
¿Qué quieres hacer?
(Lotario, desde el umbral de la puerta,
le indica
que se calle.
Se aleja lentamente con un dedo
sobre
los labios y la mirada fija)
Escena Quinta
GUILLERMO
(Solo)
¡Su mirada es extraña!...
¿Qué nuevo delirio turba su cerebro?...
¡Ah! ¡Su corazón, más que su
razón,
le
inspira las palabras de consuelo
que necesita Mignón para sanarse!
(Se acerca a la puerta de la derecha,
la entreabre y se inclina para escuchar)
¡Ella descansa plácidamente!...
¡Pronuncia mi nombre en voz baja!...
¡Ah! ¡Mi querida Mignón!
(Tras una pausa, regresa al centro
del escenario)
¿Por qué no adiviné antes su secreto?
Romanza
I
¡Ella no creía, en su ingenuo candor,
que el amor inocente que dormía en su
corazón,
podía transformarse algún día en un ardor
más vivo
enturbiando por siempre su sueño de
felicidad!
Para devolver a la flor marchita
su frescura, su brillo bermejo,
¡oh, primavera! dale una
gota de rocío.
¡Oh, corazón mío, dale tu rayo de sol!
II
¡En vano espero una confesión de su
boca!
¡Pretendo saber su secreto dolor en
vano!
Mis ojos la intimidan y mi voz la asusta.
Una palabras turba su alma
¡haciéndole derramar lágrimas!...
Para devolver a la flor marchita
su frescura, su brillo bermejo,
¡oh, primavera! dale una
gota de rocío.
¡Oh, corazón mío, dale tu rayo de sol!
Escena Sexta
ANTONIO
(entrando)
¡Señor!...
GUILLERMO
¿Qué sucede?
ANTONIO
Ahí hay un amigo que quiere verlo.
GUILLERMO
¿Un amigo?
LAERTES
(que aparece en el umbral)
Sí, mi querido Guillermo... soy yo...
GUILLERMO
¡Laertes!
(A Antonio)
Déjanos a solas.
(Antonio sale)
Escena Séptima
GUILLERMO
¡Tú, Laertes!
LAERTES
Yo mismo...
(Guillermo mira ansiosamente hacia
la puerta)
¡No temas... estoy solo!...
GUILLERMO
(con frialdad)
¿Qué quieres?
LAERTES
Estrecharte amistosamente la mano,
si me lo permites, y recordar nuestro
primer encuentro
y nuestra buena relación de
antaño...
(le tiende la mano)
¿Aceptas?
GUILLERMO
(con aire contrariado)
¡De buena gana!... Pero habla bajo, por
favor.
(Señalando la puerta de la derecha)
Hay una persona a la que aprecio...
Descansa ahí en este momento...
LAERTES
¿Mignón?...
GUILLERMO
Sí.
LAERTES
¿Así que, la joven muchacha enferma,
a la que rodeas de tus cuidados
y ocultas a los ojos de todos desde hace ocho
días,
está en este viejo palacio italiano?...
GUILLERMO
Así es.
LAERTES
¡Philine lo había adivinado!...
GUILLERMO
(Con desconfianza)
¿Philine?... ¿Te envía
ella?...
LAERTES
(con firmeza)
¡No!... ¡Al contrario!...
GUILLERMO
¿Cómo?...
LAERTES
(llevándolo aparte)
¡Vas a comprender!...
Volvamos por un momento al castillo de Rosemberg.
¡Una mano desconocida
se le ocurre prenderle
fuego!...
¡Bien!... Tú salvaste de las llamas a
Mignón...
¡Muy bien!...
El barón pierde la cabeza...
la baronesa se desvanece, el príncipe se salva
y los invitados también... ¡Todo
perfecto!...
¡La fiesta está acabada!...
A todo ello hay que sumar
la pérdida del vestuario
y todo el equipo de la compañía de teatro.
¡Todo quedó reducido a cenizas!
¡La comedia se fue al infierno!...
(Bajando la voz)
Pero, aprovechando el desorden general
y
sin esperar a decirnos adiós,
¡Mignón desaparece con su salvador!....
Y Titania, furiosa, ¡no es para menos!,
dice:
"¡Ingrato! ¿Cómo castigar al
traidor?...
¡Federico, te adoro! ¡Ah! ¡Ah!
¡Rápido, una carroza! ¡Caballos!
¡Soy yo la que se marcha!
¡Oh, felicidad! ¡Sueño encantador!...
¡Alegría! ¡Embriaguez! ¡Qué encanto!
¡Laertes vendrá con nosotros!...
Él nos divertirá... ¡Bien!
De esta manera no
nos pelearemos...
¡Sea!" ¡Cochero, adelante!... ¡Viva
Italia!...
¡Ah! ¡Ah! ¡Ah!...
"
¡Qué carrera tan loca hacia el país del
sol!...
Y Federico, el imbécil, que no
adivina...
Y yo, triple tonto, ¡que no comprendo
nada!
¡Todo es muy simple, por Dios!
Es a ti a quien perseguíamos de tramo en tramo,
de hostería en hostería...
Federico sigue en su rol de
estúpido acompañante...
Pero, ¿y yo?...
Finalmente, esta tarde, llegamos al Véneto
y nos detuvimos a orillas
del lago de Garda,
¡frente al palacio Cipriani!
Philine interroga al primer
campesino que pasa,
yo escucho decir al hombre algo sobre
una joven enferma, un señor
extranjero
y un viejo con barba blanca
que habrían llegado hará ocho días.
¡Son ellos! Exclama Philine...
El grito, salido de su corazón, me
descubre su astucia.
¡Adivino sus proyectos!
Sueño con esa pobre Mignón dos veces
salvada por ti,
me pongo, sin saber por qué,
¡a
temblar por su felicidad y por la tuya!...
Y vengo, a riesgo de
importunarte,
a riesgo de meterme
en lo que no me atañe,
a
decirte:
¡Amigo Guillermo, Philine está aquí!
¡Ten cuidado!...
GUILLERMO
(con efusión)
¡Ah, querido Laertes!... Te lo
agradezco...
Perdóname el haber pensado por un
momento...
LAERTES
Que yo era el enviado...
el mensajero complaciente de...
GUILLERMO
(Tendiéndole la mano)
¡Perdóname!...
LAERTES
Te perdono...
Pero Philine no me lo perdonará.
GUILLERMO
¡Y todo por mí!...
LAERTES
(riendo)
¡Bah!... ¡Tu amistad me es más
apreciada que la suya!...
Me consolaré de nuestras
desavenencias pensando
que posiblemente te hice un
buen favor...
GUILLERMO
El favor que me haces en este momento,
¡es más grande de lo que piensas, querido
Laertes!
(Bajando la voz)
¡Es la vida de Mignón la que te debo!
LAERTES
¿Qué dices?...
GUILLERMO
Si Mignón se vuelve a encontrar con Philine...
¡morirá!
LAERTES
¿Cómo?
GUILLERMO
¡Su nombre solo lograría volver a
despertar
la fiebre ardiente que casi la lleva a
la muerte!...
¡El sonido de su voz
trastornaría para
siempre su debilitada razón!...
¡El sólo hecho de verla, la haría morir en mis
brazos!...
LAERTES
¡Comprendo!...
Mignón te ama...
GUILLERMO
¡Mignón ni siquiera me ha abierto su corazón!
¡Mignón rehúsa hablar!.... Pero yo juré, Laertes,
devolver la vida a ese alma quebrantada,
¡y guardaré mi palabra!...
Es por eso que me has encontrado aquí,
en esta mansión abandonada,
donde pensé que
estaba a salvo de Philine,
a quien creí
amar...
LAERTES
¡Y a la que ya no amas!...
GUILLERMO
¿Qué quiere ella de mí?...
¿Dónde está?
¿Cómo mantenerla alejada de aquí?
LAERTES
Quiere sorprenderte al amanecer...
¡Te lo advierto!...
Ella pasea, mientras tanto, en el lago,
en un barco repleto de flores y
músicos...
Va
en compañía del joven Federico,
que está
más enamorado y más tonto que nunca,
y
no sabe que decirle.
En cuanto a deshacerte de ella...
Yo me encargo de eso.
GUILLERMO
¿Tú?
LAERTES
¡Es necesario que termine lo que
empecé!...
¿Quieres que aborde un barco,
me reúna con la hermosa dama...
y que la sumerja bajo las aguas?...
GUILLERMO
(sonriendo)
¡Qué locura!...
LAERTES
Dado que estamos disgustados...
GUILLERMO
¡No!... Deja que se marche...
Que
no se presente aquí... eso es todo lo
que te pido.
LAERTES
Sí, pero ¿cómo lo consigo?... ¿Y por qué no?
¡Es una buena idea!... ¡Al fin y al cabo soy
viudo!
GUILLERMO
¡Ah!...
LAERTES
¡Sí, amigo! ¡Será una buena
noticia!... ¿no?
¡Una muy agradable noticia !
¡Déjame hacer, por mil demonios!
¡Soy capaz de todo,
para probarte mi amistad!...
GUILLERMO
Pero...
LAERTES
(Con resolución)
Philine se irá, ¿dime cuándo yo
debería?...
GUILLERMO
(Escuchando)
¡Calla!... ¡Mignón se está
despertando!...
¡La he oído!... ¡Que no te
encuentre aquí!...
LAERTES
¡Se sorprendería al verme de
nuevo!...
GUILLERMO
¡Ahí está!...
LAERTES
¡Me voy!...
GUILLERMO
¡Adiós!...
LAERTES
¡Qué pasión!... ¡Qué fiebre!...
¡Tu mano está ardiendo!
GUILLERMO
¡La amo!...
LAERTES
¡Dichoso Guillermo!... ¡Dichosa
Mignón!... ¡Adiós!...
GUILLERMO
¡Adiós y gracias!...
LAERTES
(aparte)
¡A lo nuestro, Philine!
(sale)
GUILLERMO
¡Ya era hora!...
(Va hacia el fondo de la escena
y se pone en la penumbra)
Escena Octava
(Mignón entra con un largo vestido blanco.
Camina lentamente; su pelo está
suelto; la
orquesta suena en sordina
mientras ella repite
las palabras del cuplé del primer acto)
MIGNÓN
¿Conoces el país donde florecen los
naranjos?...
¿Dónde estoy?... ¡Respiro con más
facilidad!...
¡El aire parece más dulce y puro!
(Mirando alrededor, con sorpresa)
¿Qué es este salón?...
¿Y estas estatuas de mármol?...
(Corriendo hacia la ventana)
¡Ah... el cielo!... ¡Qué profundo
es!...
Y ese hermoso lago... ¡qué
grande!...
¿No es un bosquecillo de naranjos
el que veo allí abajo?... ¡Sí!
Y a su sombra, en el agua, una vela
blanca
se desliza silenciosamente a lo largo de la orilla.
¡Qué silencio! ¡Qué frescura!
(llevando su mano a la frente
como para recordar)
¿Dónde he visto esto antes?...
¡Quiero recordar y no puedo!...
Pero ¿por qué estoy sola?... ¡Ay!...
¡Lotario! ¡Guillermo!... ¿Dónde
están?...
GUILLERMO
(lanzándose hacia ella)
¡Mignón!...
MIGNÓN
¡Guillermo!... ¡Ah!
¡Es a ti a quien llamaba!
(Ella cae en sus brazos)
Dúo
MIGNÓN
¡Soy feliz! ¡El aire me embriaga!
¡Mi corazón ha dejado de sufrir!
¡Renazco!... ¡Me siento revivir!
¡Mignón ya no tiene miedo a morir!
GUILLERMO
¡Pobre niña! ¡El temor es en vano!
¡Este aire puro te va a reanimar!
Una sangre renovada corre por tus
venas.
¡Mignón debe vivir para amar!
MIGNÓN
¡Sí, te creo! ¡Quiero creerte!
¡Háblame! ¡Habla de nuevo! ¡Siempre!
GUILLERMO
¡Expulsa para siempre de tu memoria
el recuerdo de los malos días!
Ambos
MIGNÓN
¡Soy feliz! ¡El aire me embriaga!
¡Mi corazón ha dejado de sufrir!
¡Renazco!... ¡Me siento revivir!
¡Mignón ya no tiene miedo a morir!
GUILLERMO
¡Sí, cree en la felicidad que te
embriaga!
Tu corazón ha dejado de sufrir,
¡por amor, Mignón deberá vivir!
Mignón no puede morir.
GUILLERMO
(la conduce a la ventana)
¡Ah! ¡Que tu alma por fin se vuelque en
mi alma!
¡Querida Mignón, eleva tus ojos hasta
mí!...
¡Con esa mirada divina y con tu blanco
vestido,
te asemejas a un ángel del cielo!
MIGNÓN
(Sonriendo tristemente)
¡No, siempre seré Mignón!
GUILLERMO
(Cayendo a sus pies)
¡Mignón, no eres la misma!
¡Mignón ha conquistado todo mi corazón
y es a ella a quien amo!
MIGNÓN
¿Tú? ¡Me amas! ¿Qué dices?
¡Recuerda el pasado!
¡No despiertes una esperanza
insensata!...
(Se desprende de sus brazos)
¡Tu corazón no es mío!...
¡Tu corazón es de Philine!
GUILLERMO
Philine está lejos de nosotros... ¡Y
no la amo!
MIGNÓN
(volviéndose con los
brazos extendidos)
¿Es cierto?... ¡Habla!... ¡Oh, gozo
inefable y divino!
¡Puedo, por fin, abrirte mi
corazón!...
Pero
hablemos bajo... ¡muy bajo!...
VOZ DE PHILINE
(fuera de escena)
¡Yo soy Titania, la rubia.
¡Titania, hija del aire!
¡Más veloz que el pájaro,
más rápido que un rayo,
riendo, viajo por el mundo!
¡Yo soy Titania, la rubia!
¡Titania, hija del aire!...
GUILLERMO
¡Dios! ¡Philine!...
MIGNÓN
(corriendo hacia la ventana)
¡De nuevo ella!... ¡Otra vez esa
mujer!...
(Aparte)
¡Oh, que mi secreto permanezca
en el fondo de mi alma!
Ambos
MIGNÓN
¡Reconozco su voz!
¡La escucho! ¡La veo!
¡Ella otra vez!
¡Es ella que te busca y te llama!
¿No me preguntes?
Tengo que callar, ¡ay!
¡No quiero hablar,
no voy a hablar!
GUILLERMO
¡No pienso ni verla!
Es a Mignón a quien veo,
¡Mignón cien veces más hermosa
y más encantadora que ella!
Mignón a quien amo, ¡ay!
y que no me ama...
¡Ah! ¡Tu corazón aún duda!
¡Ah! ¡No me amas!
(Mignón se deja caer
en un sillón)
¡Mignón!... ¡Muchacha desdichada!
¡Sus labios están pálidos, sus manos de
hielo!...
¡Ah, Maldita Philine!
¿Tenías que perseguirnos hasta
aquí?...
¡Mignón!... ¡Vuelve en ti!...
¡Ah! ¡Abre los ojos!
MIGNÓN
(Poco a poco vuelve en sí)
¡Ya no la oigo!... ¿No era su voz?...
¿no era ella?...
GUILLERMO
¡No! Conforta tu espíritu, querida
muchacha...
Ha sido el delirio de la fiebre
lo que te hizo
creer...
MIGNÓN
¡La fiebre!... ¿De verdad?
(rechazando la mano de Guillermo)
¡Ah, mientes!... ¡Lotario no me engaña!
¡Él me quiere!
(Buscando a su alrededor con ansiedad)
¿Dónde está?
GUILLERMO
¿Quieres que lo llame?...
MIGNÓN
Sí.
Música Orquestal
GUILLERMO
(Yendo hacia la puerta trasera)
¡Escucha!... Se oyen sus pasos.
MIGNÓN
¿Y bien?...
GUILLERMO
En esa habitación... ¡nadie puede
entrar!...
MIGNÓN
¡Mira!... ¡La puerta se abre!
GUILLERMO
¡Es cierto!... ¿Qué significa?...
MIGNÓN
(sorprendida)
¡Es él!
(Lotario
aparece en el umbral de la puerta del fondo.
Va vestido con un rico traje cortesano
de terciopelo
negro, trae un cofre en la
mano y avanza lentamente)
Escena Novena
Trío
LOTARIO
¡Mignón, Guillermo, os saludo!
Bienvenidos a mi casa.
GUILLERMO
(aparte)
¿Qué pretende decir?...
MIGNÓN
(Sorprendida)
¡Te veo vestido con lujosas ropas!
LOTARIO
¡Todo aquí me pertenece!
¡Mira, muchacha, admíralo todo!...
¡Una vez, yo fui el señor de este
palacio!
GUILLERMO, MIGNÓN
(Mirando fijamente a Lotario)
¡No reconozco sus ojos ni su voz!
LOTARIO
(Deposita el cofre sobre la
mesa y
se aproxima a Mignón)
¡Olvidemos nuestras épocas de
miseria!...
Te traigo un regalo precioso.
Él calmará, eso espero,
los pesares de tu angustiado
corazón...
MIGNÓN
(aparte, creyendo adivinar un misterio)
¿Qué significa ese brillo de sus
ojos?...
GUILLERMO
(aparte)
¿Qué será el extraño misterio
que oculta el brillo de sus ojos?
LOTARIO
¡Este cofre ha permanecido aquí mucho tiempo!
(A Mignón)
Eres tú quien debe abrirlo...
(extiende la mano hacia el cofre)
MIGNÓN
¿Qué contiene?...
LOTARIO
(Sin girar la cabeza)
Velo tú misma.
MIGNÓN
(abre el cofre)
¡Una bufanda infantil!
LOTARIO
(la observa fijamente e inmóvil en medio
de la escena)
Bordada en oro y plata...
¡Sí, yo la guardé piadosamente!
GUILLERMO
¿Qué es esta reliquia? ¿A quién perteneció?...
¡Habla!
LOTARIO
¡Sperata!...
MIGNÓN
¿Sperata?
¡Ese nombre lo he oído con anterioridad!
¡Un recuerdo confuso,
al oír ese dulce nombre, se despierta mi
alma!
¿Es el eco lejano de un pasado
que ya no existe?...
¡Sperata!...
LOTARIO
¡Sperata! ¡Dolor siempre renovado!
GUILLERMO, MIGNÓN
Las lágrimas humedecen sus ojos...
LOTARIO
(Siempre inmóvil en el centro de
la
escena,
como absorto en sus
recuerdos)
¿No ves también ahí
una pulsera de coral?
MIGNÓN
(extrayendo la pulsera del cofre)
¡Aquí está!
(Probando la pulsera en su brazo)
¡Demasiado pequeña para mi brazo!...
LOTARIO
(con tristeza)
¡Demasiado grande! ¡Muy grande para
ella!
¡Ella no quería esperar más tiempo
para usar una joya que la hacía más
bella!
¡Pero la joya siempre se deslizaba de
su mano!
MIGNÓN
(Muy conmovida)
¡Pero la joya siempre se deslizaba de
su mano!
GUILLERMO
¿Qué te pasa Mignón? ¡Tiemblas y
lloras!
LOTARIO
(a Mignón)
¡Mira de nuevo!
MIGNÓN
(Extrae del cofre un pequeño libro
plateado)
¡Un libro de oraciones!
LOTARIO
¡Ay! ¡Todavía creo oírla, palabra por
palabra,
recitar su oración de la tarde!
MIGNÓN
(Abriendo el libro y leyendo)
¡Oh, Virgen María,
el Señor está contigo!
¡Posa tu dulce mirada,
sobre el niño que ora!...
LOTARIO
(inclinándose hacia ella)
¡Rezaba así, con las manos juntas, de
rodillas!
MIGNÓN
(Soltando el libro, cae de rodillas,
mirando
al cielo y con las manos
juntas como un niño
que está rezando)
Tú que meciste en tu regazo
al divino Salvador de la tierra,
cuida al niño para su madre.
¡Oh, Virgen María, ruega por nosotros!...
LOTARIO
(con las manos extendidas hacia Mignón)
¿Es Dios quién la inspira?
¡Termina la oración sin leer!
MIGNÓN
(Se levanta, cada vez más exaltada)
¡Lotario!... ¡Guillermo!...
¿Todavía estoy delirando?...
¡Adivino!... ¡Veo!... ¡Siento!... ¡No
puedo decir!...
¿Dónde estoy? ¿En qué país?
GUILLERMO
¡Italia!
MIGNÓN
¡Oh, rayos de luz celestiales!
¡Oh, recuerdos!...
(Tras haber hecho un esfuerzo
para ordenar sus
pensamientos, se precipita con un grito hacia la
puerta del fondo, desaparece por un momento
y regresa pálida y
temblorosa)
¡Allí! ¡Allí! ¡El retrato de mi madre!...
¡Y su habitación vacía!...
LOTARIO
(Que ha seguido sus movimientos con
ansiedad
le extiende los brazos
y corre hacia ella)
¡Ah! ¡Hija mía!
MIGNÓN
¿Mi padre?
(cae en los brazos de Lotario)
Concertante
LOTARIO
¡Esta es mi hija!... ¡Es ella!...
¡Oh Dios, yo te bendigo!
MIGNÓN
Sí, los reconozco; ¡Mi padre!... ¡Mi
país!
GUILLERMO
¡Mignón, ha encontrado a su
padre y a su país!
LA VOZ DE PHILINE
(Fuera de escena)
¡Soy Titania, la rubia!
¡Titania, hija del aire!... etc.
MIGNÓN
(rechazando la mano de Guillermo)
¡Ah! ¡Lo sabía!... ¡No era un sueño!...
¡Y he reconocido la canción que ha
cantado!...
GUILLERMO
¡Ven!...
MIGNÓN
¡No!... ¡Que tu menosprecio la expulse
de aquí!...
O moriré de pena en vuestros brazos...
¡Ante
vuestros propios ojos!
(Sale corriendo)
LOTARIO
¡Mignón!
GUILLERMO
¡Ah! ¡Sigámosla!... ¡La muerte está en
sus ojos!
(Se lanzan tras los pasos de Mignón)
Cuadro Segundo
(Orillas del lago de Garda. A la derecha una
posada. A lo lejos, villas ocultas
bajo los árboles.
Amanece.
Jóvenes oriundos del
país, con trajes
de fiesta, bailan alegremente en la orilla
del lago.
Se ven barcos pasar a lo lejos navegando por el
lago)
Saltarello
(Una barca empavesada y cargada de
músicos
atraca al fondo de la escena. Philine y Federico
desembarcan de
ella)
Escena Primera
PHILINE
(a Frederick)
¡Ve, te espero aquí!
Ve a pagar a los guitarristas.
(le señala la posada)
¡Y que nos preparen un buen almuerzo!...
FEDERICO
¡Bien!... ¡Por fin vamos a almorzar, gracias a Dios!
(Le paga a los músicos y entra
en la posada)
PHILINE
(a los campesinos)
¡Y ahora que la fiesta continúe con mi
voz!
¡Cantaré para todos! ¡Vamos, amigos,
a bailar!
TODOS
¡A bailar!
PHILINE
I
¡Campesina o dama,
escoge a quien te plazca!
¡Mientras el día ilumine el cielo,
en este mundo se ha de amar!
¡Tra la la!...
El tiempo huye, las horas nos apremian,
¡dejémonos hechizar!
¡Nada es mejor que la dulce embriaguez,
del placer de amar!
II
Pero ten cuidado, ¡oh, pobre niña!
el amante que te hechice,
tarde o temprano te engañará
y luego te abandonará
¡Tra la la!
¡Ay de vosotros, galanes de corazón
frívolo!
Porque si es dulce cambiar
y traicionar a las amantes,
nada es mejor que la dulce embriaguez
que produce el placer de la venganza.
Tra la la!...
(El coro se dirige al fondo de la escena,
repitiendo el estribillo de Philine)
Escena Segunda
LAERTES
(llega sofocado)
¡Sí!... ¡Ahí está!...
PHILINE
(Alegre)
¡Ah! ¡Es Laertes!...
(Tomando su brazo)
¡Ven, encontremos a Federico!
LAERTES
(Bruscamente)
¿Federico?...
¡No me hables de Federico!
PHILINE
(con sorpresa)
¿Por qué?...
LAERTES
(Con una mirada terrible)
¡Lo odio!...
PHILINE
¿Cómo?... ¿Estás loco? ¿Qué significa
eso?...
LAERTES
¿No lo entiendes?
¿No lo comprendes, Philine?
Aunque
de hecho, yo no te he dicho
nada.
¡Soy viudo! ¡Libre! Feliz! ¡Dueño de
mí!
¡Te amo! ¡Te rapto! ¡Me caso contigo!
PHILINE
¿Cómo?
LAERTES
¡Yo me caso contigo!
(Aparte)
¡Ya lo he dicho!
(tratando de seducirla)
¡Ven! ¡Vamos! ¡Huyamos! ¡Vayamos a
ocultar
nuestra felicidad en el extremo del
mundo!
¡En Esmirna! ¡En Bagdad! ¡En un
desierto!
¡En Mónaco! ¡Donde quieras!
PHILINE
(Se ríe y de repente
se lanza a
sus brazos)
¡Ah! ¡Ah! ¡Ah! ¡Ah!
¡Nunca serás un buen actor, mi pobre Laertes!...
LAERTES
¿Eh?
PHILINE
Acabas de salir del castillo Cipriano,
has visto a Guillermo, has visto a
Mignón...
LAERTES
¡Oh, qué astuta!
PHILINE
¡Pues bien! Comprende de una vez que
si he venido,
es solamente para vengarme de ella.
LAERTES
¡Vas a matarla!
PHILINE
¿A quién? ¿A esa gitana? ¡Vamos!
LAERTES
¿No lo sabes? ¡Mignón es feliz!
¡Mignón es amada! ¡Una palabra tuya la
matará!...
(Viendo aparecer a Mignón en el fondo)
¡Ah! ¡Es ella!...
Escena Tercera
(Mignón entra en escena
precipitadamente.
Philine camina hacia ella desafiante,
sonriendo.
Mignón baja la cabeza ante la mirada de Philine.
Deja escapar un grito ahogado, lleva
la mano a
su corazón y huye hacia su padre que
la esconde
entre sus brazos como para protegerla. Largo
instante de ansiedad y silencio)
MIGNÓN
(aparte)
¡Dios! ¡Qué sonrisa tan burlona!...
¡Qué mirada triunfal!
LOTARIO
¡Sperata! ¡Sperata!... ¡Hija mía! ¡Mi
niña!
GUILLERMO
¡Sólo te amo a ti, oh
Mignón!...
¡Querida niña!
LAERTES
(en voz baja, a Philine)
¡Philine, por favor, ten piedad de esa
niña!
PHILINE
(aparte)
¡Qué terror loco! ¡Qué emoción!...
¡Pobre niña!
(Avanzando lentamente hacia Guillermo
en
medio del silencio de los otros
personajes)
I
¡Mi corazón está encantado, querido
Guillermo,
de este reencuentro inesperado!...
- Escuchando tu voz, al verte,
siento mi ira desarmada.
- ¡Ah! ¡Sin embargo, tu corazón rebelde,
menosprecia mis encantos!
¡Philine en vano se cree hermosa...
Ama... ¡a quien no la ama!
¡No, Guillermo, tú
no me amas!
LAERTES
(en voz baja, a Philine)
¡Bravo, Philine!
GUILLERMO, MIGNÓN
(aparte)
¿Qué dice?
PHILINE
(Se acerca a Mignón)
II
¡Tú, Mignón, te ríes de mi derrota,
te alegras de mi vergüenza!...
Te aman, y tu corazón está de fiesta.
¡Puedes levantar la frente!...
¡Guillermo te ha elegido como su
esposa!
Su apellido será el tuyo mañana...
¡Philine, por su parte, está celosa!
¡Pero Philine te tiende su mano!...
¡Perdona niña!... ¡Dame tu mano!
MIGNÓN
(con alegría)
¡Ah! ¡Philine! ¡He aquí mi mano!
Escena Cuarta
ANTONIO
(señalando a Lotario)
¡Aquí está! ¡Aquí está!
EL CORO
¡Es él! ¡Es nuestro señor!
LOTARIO
¡Sí, amigos, vuestros corazones me
han reconocido!
¡Celebremos dos veces este bendito día!
¡El Marqués de Cipriani
vuelve a abrir su casa cerrada!
¡Estamos de vuelta!
¡Su largo duelo ha terminado!...
(atrayendo a Mignón a sus brazos)
Porque Dios, finalmente,
le ha devuelto su amada hija
TODOS
¡El Marqués de Cipriani!...
(Federico aparece en el umbral de
la posada)
PHILINE
¡Federico!
(corriendo hacia él, lo agarra de
la mano
y se lo presenta a todos)
¡Mi marido!
FEDERICO
(sorprendido)
¿Quién? ¿Yo?... ¿Cómo?
PHILINE
¡Silencio!
(en voz baja, a Laertes, riendo)
¡Laertes, he aquí mi venganza!
LAERTES
(aparte)
¡Bien! ¡Tanto peor para este joven
tonto!...
¡Ella podría haber aceptado mi
propuesta!
GUILLERMO
(tomando a Mignón en sus brazos)
¡Qué día bendecido! ¡Qué dicha suprema!
MIGNÓN
¡Ah! Ahora ya te lo puedo decir: ¡Te amo!
(A Lotario)
¡Perdóname! ¡A él le debo parte de mi
felicidad!
Ambos me amáis...
¡Compartid mi corazón!
CORO
¡Oh, día de fiesta! ¡Oh, día de alegría y
felicidad!
Saltarello
Digitalizado y traducido por:
José Luis Roviaro 2018
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