LUISA
Personajes
LUISA JULIÁN EL PADRE LA MADRE IRMA CAMILA GERTRUDIS ELISA BLANCA SUSANA MARGARITA MAGDALENA LA APRENDIZ LA GOBERNANTA LA BARRENDERA LA LECHERA EL NOCTÁMBULO EL TRAPERO |
Muchacha
Parisina Enamorado de Luisa Padre de Luisa Madre de Luisa Compañera de Luisa Compañera de Luisa Compañera de Luisa Compañera de Luisa Compañera de Luisa Compañera de Luisa Compañera de Luisa Compañera de Luisa Aprendiz de modista Gobernanta del taller Una barrendera Una vendedora de Leche Un trasnochador Un trapero |
Soprano Tenor Barítono Mezzosoprano Soprano Soprano Contralto Soprano Mezzosoprano Mezzosoprano Contralto Soprano Soprano Soprano Contralto Soprano Tenor Bajo |
La acción se desarrolla en París, en la década de 1890.
ACTE I (Une chambre mansardée dans un logement d'ouvrier. Au fond, la porte d'entrée; un peu à droite, la cuisine; sur le même côté, plus A droite, à l'avant-scène, une autre porte, la porte de la chambre des parents. A gauche, une porte vitrée, la porte de la chambre de Louise; plus A gauche, une grande fenêtre ouvrant sur le balcon; au de là de la balcon, des toits, un coin de ciel parisien. Vis-à-vis le balcon, mais un peu plus élevée, une terrasse précédant un petit atelier d'artiste. Au premier plan, une table, des chaises. Au deuxième plan, un poêle avec tuyau. Au troisième plan, une petite armoire et un buffet. Çà et là, accrochées, des chromos, une glace; des hardes pendent dans un coin. Dans la cuisine, une autre petite table; aux murs, des casseroles; au fond, le fourneau avec cheminée à éventail. Six heures du soir, en avril) Scène Première (Au lever du rideau, Louise va à la porte d'entrée où elle écoute, craintive, puis elle revient près du balcon, regarde d'abord derrière les rideaux, ouvre la fenêtre et se montre à Julien) JULIEN (debout sur la terrasse) O coeur ami! O coeur promis! hélas si loin, si près! Toi! mon idole, ma joie, mon regret! Le jour s'envole... Ah! ta parole va-t-elle apprendre à mon amour que ton coeur prend plaisir à guetter mon bonjour?... LOUISE Vous avez tardé à m'envoyer votre bonjour quotidien; je ne l'espérais plus!... (Elle va écouter vers la porte d'entrée, puis revient) Je vous en remercie et vous envoie le mien du fond de mon coeur! (Elle lui envoie un baiser) JULIEN Tu m'as dit dans ta dernière lettre: «Prenez patience, l'heure est prochaine; écrivez encore à mon père; s'il refuse irrévocablement, je promets de fuir avec vous.» LOUISE (agitée, triste) Je suis une folle de vous avoir dit cela! Que puis-je faire? Je vous aime tant et j'aime tant mes parents! Si je les écoute, c'est la mort de mon coeur: si je vous suis, Julien, quel chagrin pour les miens. JULIEN (doucement) Âme craintive, et toujours flottante... En songeant trop à leur bonheur, ne fais-tu pas notre malheur! LOUISE (avec coquetterie, ironique) Malheur réparable! JULIEN (avec chaleur) Irréparable! LOUISE Légère déception! JULIEN Infinie souffrance! LOUISE Vous m'oublierez! JULIEN Ah! tais-toi! tes froides railleries me font trop de peine! LOUISE (souriante sans presser) On ne peut pas plaisanter avec vous... (malicieuse) Vous ne seriez pas le premier à perdre vite la mémoire... (mutine) puis, vous parlez d'amour: et semble-t-il, vous m'adorez; (avec pétulance) m'avez-vous jamais dit comment naquit cette tendresse? (coquette) serais-je indiscrète en vous demandant d'en parler maintenant? Voyons, racontez, et dépêchez-vous: maman va bientôt rentrer. JULIEN (étonné) Que voulez-vous dire? LOUISE Contez-moi comment vous m'avez aimée? Avez-vous compris? JULIEN ( souriant) Prêtez l'oreille: Depuis longtemps j'habitais cette chambre, sans me douter, hélas! que j'avais pour voisine une enfant aux grands yeux, une vierge des cieux, que des parents sévères gardaient comme une prisonnière. LOUISE La recluse attendait qu'un beau chevalier, comme dans les livres, vînt enfin la délivrer. JULIEN Comment l'aurai-je appris? Je dissertais le jour dans quelque brasserie... et la nuit venue je rimais des folies pour la lointaine Ophélie qu'évoquait mon désir; tandis que là, près de moi, sommeillait l'avenir! LOUISE La recluse songeait au prince charmant qui réveilla la Belle au Coeur Dormant! Comment aurait-elle su que son chevalier habitait au premier sous le ciel, et que de sa fenêtre il pouvait surprendre les secrets de... mon coeur? JULIEN (s'animant) Mais un soir, dans l'escalier sombre, où je dégringolais comme d'habitude en chantant... (Louise va écouter à la porte, puis revient) Je vis passer près de moi, ô surprise! deux ombres inconnues dont la seconde, toute jolie, de forme fêle, idéale, dans l'ombre grise laissa comme un sillage lumineux et parfumé! Le lendemain, c'était le jour de Pâques; de grand matin je guettais votre fenêtre... Quelle musique dira l'émerveillement de mes yeux quand tu vins à paraître, dans le soleil, souriante... Une madone de Vinci ne sourit pas ainsi, non! non! ces sourires mutins ne fleurissent qu'à Paris! Je regardai longuement et mon destin m'apparut, lié pour jamais à ton image... Tout autour de moi s'agitait la Ville immense! tout fêtait l'heureux jour! tout clamait: Espérance! Et mon coeur chantait les matines d'amour! (La porte d'entrée s'ouvre, la mère paraît. Elle reste sur le seuil, près de la porte refermée, écoute, puis s'avance vers la fenêtre) Scène Seconde LOUISE (avec plus de gaîté) Moi je vous avais remarqué bien avant ce jour-là! Vous souvient-il qu'une fois, à la fête de Montmartre, vous nous avez suivies? JULIEN S'il men souvient... vous m'avez souri, et vous vous retourniez si fréquemment que votre mère prit la mouche et vous fit une scène... l'entêtée jalouse! LOUISE (animée) Une autre fois, dans la cour, tandis que je puisais de l'eau, de votre fenêtre (gracieuse) vous m'avez jeté des pétales de roses... j'en étais comme couverte, (extasiée) et je restais toute étourdie, toute ravie... JULIEN Mais votre mère de sa fenêtre nous guettait... LOUISE Sous l'avalanche parfumée, mon coeur battait à se briser... JULIEN Notre ennemie, furieuse, vous rappela! LOUISE Et le doux songe s'envola!... JULIEN (triomphant) Mais l'Amour veillait et dans l'ombre apprêtait d'inespérées, de chastes fiançailles. Or, un soir que je passais devant votre porte... LA MÈRE (à part) Que vais-je apprendre? JULIEN (mystérieusement) Je la vis s'ouvrir lentement, (dramatique) une forme blanche se dressa et s'élança vers moi... c'était toi! (avec ravissement) c'était Louise! LOUISE (avec ferveur) Elle venait te dire: (décidée) l'aveu que mes parents ont tenté d'étouffer, je viens le proclamer! LA MÈRE (à part, ricanant) Ah! ah! ah! très bien! JULIEN Ah! les douces fiançailles!... LOUISE Nous ne pouvions pas nous parler.... JULIEN Mes yeux cherchaient en vain tes yeux.... LOUISE, JULIEN Nos deux coeurs, l'un près de l'autre, follement bondissaient!... de la maison endormie le souffle grondait... et la nuit nous berçait. (Les deux amants restent pensifs un moment; puis Louise veut aller à la porte, elle se retourne et voit sa mère) LOUISE (apercevant sa mère) Ah! (La mère la saisit par le bras, la pousse dans la cuisine, et revient près de la fenêtre) JULIEN (écoute, inquiet) Eh bien! vous ne dites plus rien, chère Louise? (mimique furieuse de la mère) De grâce, répondez avant que votre geôlière vienne nous surprendre... LA MÈRE (se montrant à Julien) Allez-vous bientôt vous taire? Où faut-il que j'aille vous tirer les oreilles!... (Stupeur de Julien. La mère écoute s'il chante encore, puis entre dans la chambre voisine; Louise sort de la cuisine et va vers la fenêtre. Julien reparaît sur le balcon: il montre à Louise la lettre qu'il doit envoyer aux parents, puis il disparaît. Louise, craintive, regagne la cuisine) JULIEN (à la cantonade) La la la la la la la la La la la la la la la la (la mère reparait) la la la la la la (il rit bruyamment) ah! ah! ah! ah! ah! (La mère ferme la fenêtre et guette un moment derrière le rideau) Scène Troisième (Louise, tremblante, sort de la cuisine; pour se donner une contenance elle range, sur le buffet, les provisions apportées par la mère; celle-ci s'avance vers elle) LA MÈRE (ricanant, imitant Julien) C'était mon adorée! (Elle s'avance toujours. Louise, pour l'éviter, tourne autour de la table) Ma douce fiancée! La fidèle promise! Ma Louise! (La mère, féroce, prend les mains de Louise et la regarde dans les yeux avec reproche) Nous ne pouvions pas nous parler! Mes yeux cherchaient en vain tes yeux! Nos coeurs bondissaient! L'ombre frémissait! Et tout le monde dormait!'' (Louise s'échappe; sa mère lui montre le poing exaspérée) Ah! malheureuse enfant! Si ton père l'apprenait! S'il vous avait surpris! Hein! s'il vous avait surpris! dis! (Louise baisse la tête et se cache le visage) Lui qui te croit si naïve, si sage... s'il connaissait ta conduite, il en mourrait! LOUISE (suppliante) Pourquoi ne voulez-vous pas nous marier? (geste de la mère: ``Jamais!'') Pourquoi m'obligez-vous à me cacher ? Qu'avez-vous, vraiment, à lui reprocher? Ses manières d'artiste, sa gaîté, son métier de poète! LA MÈRE Un chenapan! un crève-faim! Un débauché sans vergogne! LOUISE Lui! si bon, si courageux! LA MÈRE Un pilier de cabaret! LOUISE S'il avait une femme, il n'irait pas au cabaret... LA MÈRE Une femme! ah! ah! ah! une femme! ah! ah! ce ne sont pas les femmes qui lui manquent! LOUISE Ah! je t'en prie... Si tu crois m'en détacher, tu trompes, car tes attaques me le font chérir davantage! (s'exaltant) Tu peux nous empêcher d'être heureux, jamais, jamais tu ne briseras notre amour! LA MÈRE Ah! quel aplomb! Au lieu de baisser la tête, tu oses te vanter de ton amant! LOUISE Mon amant! il ne l'est pas encore... mais on dirait vraiment que vous voulez (silence) qu'il le devienne? (Elle s'élance sur Louise qui l'évite en tournant autour de la table) LA MÈRE (exaspérée) Petite malheureuse! tu nous menaces! Ah! prends garde que je n'explique tout à ton père... (Elles entendent des pas dans l'escalier; craintives, elles se taisent, tendent l'oreille, écoutent) LOUISE (peureuse) Le voici... (La porte s'ouvre, la mère court à la cuisine) Scène Quatrième (Le père entre; il tient une lettre à la main; la mère va vite à la cuisine; Louise, troublée, débarrasse la table pour le repas du soir) LE PÈRE Bonsoir... (il accroche sa casquette à un portemanteau) La soupe est prête? LA MÈRE (criant de la cuisine) Oui, de suite! (Le père s'assied près du poêle. Louise tisonne le feu; puis, voyant la lettre, elle s'éloigne et va vers le placard. Le père regarde la lettre, la décachette, et la lit. Louise revient lentement portant les assiettes et les verres qu'elle range silencieusement sur la table; puis elle va chercher les couverts. Le père pose la lettre sur la table et regarde sa fille. Louise, avec embarras, place les couverts. Le père lui tend les bras; ils s'embrassent. Louise épie si sa mère les voit et rend son baiser au père; longtemps, ils se regardent Le père se lève, approche sa chaise de la table et s'assied. La mère rentre, portant la soupe: le père sert la soupe. Ils mangent la soupe. Tous trois demeurent silencieux, immobiles, songeurs, les parents regardant Louise qui détourne les yeux embarrassée) LE PÈRE (s'essuyant la bouche) Ah! quelle journée! LOUISE Tu es fatigué? (La mère se lève, va porter les assiettes et la soupière dans la cuisine) LE PÈRE Je sens que je ne suis plus jeune et les journées sont longues! LOUISE Pauvre père, tu ne te reposeras donc jamais? LE PÈRE (avec bonhomie) Et qui ferait bouillir la marmite si je quittais l'outil? (La mère revient avec le ragoût. Le père sert le ragoût) LA MÈRE Depuis trente ans que tu t'échine, tu aurais bien mérité un peu de repos! (regardant du côté de la chambre de Julien, avec colère) Quand on pense qu'il y a tant de fainéants qui passent leur vie à faire la fête! LE PÈRE (avec rondeur) Ils ont la chance dêtre venus au monde (riant) après leurs pères! LA MÈRE (rageuse) Tu trouves que c'est juste? (elle frappe sur la table) Moi, je dis que tout le monde devrait travailler! LE PÈRE L'Égalité, les grands mots! l'impossible! Si on avait le droit de choisir, on choisirait le métier le moins fatigant... LA MÈRE (railleuse, regardant sa fille) C'est vrai, tout le monde voudrait être artiste! LE PÈRE (riant) Et on ne trouverait plus personne pour faire les gros ouvrages! (bonhomme) Y a longtemps que j'en ai pris mon parti!... Quand on n'a pas de rentes, il faut se contenter d'en gagner pour les autres... (avec amertume) chacun son lot dans la belle vie! LA MÈRE Tu es bien résigné aujourd'hui: les rentes ne seraient pas à dédaigner. LE PÈRE Ceux qui en ont sont-ils plus heureux? Le bonheur, vois-tu, c'est d'être comme nous sommes, nous aimant bien! nous portant bien! Ce bonheur-là, nul ne peut nous le prendre. (La mère se lève et dessert. Le père parle à Louise, tendrement) Le bonheur, c'est le foyer où l'on se repose... où on oublie, près de ceux qu'on aime, les malchances de la vie!... (Il attire sa fille à lui et l'embrasse. Louise le contemple avec amour. Avec rancune) Ceux qui ont des rentes aujourd'hui n'en auront peut-être plus demain... (Il se lève. Il esquisse un geste de menace. Débordant de gaieté) Nous, toujours, nous serons heureux! (Rayonnant, il embrasse sa fille, saisit par la taille la mère qui revient de la cuisine et lui faire quelques tours de valse lourde. La mère se dégage) LA MÈRE (riant) Assez! Vas-tu finir! grand fou! LE PÈRE (riant) Ah! ah! ah! ah! ah! je suis heureux! (Il cherche sa pipe, la bourre, s'assied près du feu et prend un tison, puis il tire béatement de nombreuses bouffées) LA MÈRE (à Louise, durement) Vas-tu me laisser faire toute la besogne! Allons, remue-toi! (La mère débarrasse la table, prépare la lampe et l'allume. Louise essuie la table; elle aperçoit la lettre de Julien que le père avait posée près de son assiette; elle y met un baiser furtif, puis s'avance vers son père et la lui donne) LE PÈRE (à Louise) Ah! merci... (Il regarde malignement sa fille. Louise s'éloigne et va à la cuisine porter la desserte. La mère apporte une lampe allumée qu'elle pose sur la table. Le père, assis près du feu, relit la lettre. Louise l'épie de la cuisine; elle voit avec crainte sa mère s'approcher de lui) LA MÈRE (au père) Une lettre? LE PÈRE (simplement) Oui, une lettre du voisin... LA MÈRE Une autre lettre? LE PÈRE Il renouvelle sa demande... LA MÈRE Quel toupet! après ce qui s'est passé... LE PÈRE Que veux-tu dire? LA MÈRE (embarrassée) Après... notre premier refus... LE PÈRE (avec bienveillance) Mon Dieu! sa lettre est gentille... (il montre Louise qui s'avance, très émue) Il semble l'aimer, il n'est pas détesté de Louise... (Louise se jette dans les bras de son père) LA MÈRE (dont la colère éclate) C'est trop fort! il en a de l'aplomb! LE PÈRE (à la mère) Allons! allons! ce n'est pas la peine de se mettre en colère... tu tournes tout au tragique! Il serait plus facile de prendre de nouveaux renseignements... savoir s'il est devenu plus sérieux... (plus grave) Nous ne sommes pas forcés de lui donner Louise dès demain et il ne va pas nous l'enlever, je suppose?... (La mère réfrène une forte envie de raconter au père les incidents de la journée. Louise tremble qu'elle ne parle) Si les renseignements ne suffisent pas, eh bien! On l'invitera; lorsque je l'aurai vu, je... LA MÈRE (interrompant, outrée) Lui! ici! par exemple! S'il entre ici, moi, j'en sortirai! LE PÈRE (conciliant) Allons! allons! LA MÈRE Tu voudrais m'obliger à recevoir ici ce vaurien qui me rit au nez quand il me rencontre? LE PÈRE Des gamineries... LA MÈRE Ce chenapan! ce débauché! ce bohème! ce pilier de cabaret dont l'existence est le scandale du quartier? Et je ne dis pas tout!... (d'une voix sifflante) car j'en sais sur son compte, des infamies! LOUISE (perdant la tête) Ce n'est pas vrai! (La mère lui donne une gifle. Le père s'interpose, très ennuyé. Il éloigne la mère. Louise tombe accablée sur une chaise, et pleure. Dans la cuisine, la mère remue ses casseroles avec violence. Le père revient vers sa fille et son visage exprime l'amour et la pitié) LE PÈRE (s'asseyant près de Louise) O mon enfant, ma Louise, tu sais combien nous t'aimons! Si nous sommes prudents vis-à-vis de ceux qui te remarquent, c'est qu'arrivés au bout du chemin que tu vas gravir, nous en connaissons toutes les misères! À ton âge, on voit tout beau, tout rose!... Prendre un mari, c'est choisir une poupée (geste étonné de Louise; souriant) Oui, une poupée! Malheureusement, ces poupées-là, ma fille, vous font parfois pleurer bien des larmes! LOUISE (lève des yeux en pleurs, et tristement, mais intéressée) Oui, quand elles sont méchantes... mais, en la choisissant bonne, gentille, aimante... (La mère est allée en bougonnant dans la cuisine, a allumé une bougie et s'est mise à repasser) LE PÈRE Comment veux-tu la choisir, petite fille? LOUISE (avec élan) Avec mon coeur! LE PÈRE C'est un bien mauvais juge... LOUISE Pourquoi donc? LE PÈRE Qui dit amoureux, toujours dit: aveugle... LA MÈRE (à part) S'il veut discuter avec elle, il n'a pas fini!.. (Louise semble chercher une réponse. La mère pose son fer sur la table très fort et regarde dans la chambre) LOUISE (plus hardiment) Mais avant d'aimer, avant d'être aveugle, ne peut-on découvrir les défauts de celui qu'on aimera? LE PÈRE Peut-être, s'il ne vous manquait une chose... LOUISE Laquelle? LE PÈRE L'expérience! LOUISE (moqueuse) Alors ceux qui se marient deux fois sont plus heureux la seconde? LE PÈRE (sérieux) Ne plaisante pas, Louise! S'il est difficile de déchiffrer les coeurs, on peut toujours lire dans le passé de celui qu'on aime, et par là pressentir l'avenir. (La mère approuve en posant de nouveau son fer très fort sur la table) Par exemple, pour ce jeune homme, les renseignements furent détestables! (la mère hoche la tête) Tu faillis toi-même en convenir. (la mère ponctue chaque mot d'un violent coup de fer) Paresseux, débauché, sans ressources, sans métier, après tout, c'était un triste choix pour une fille comme toi. Aujourd'hui, il renouvelle sa demande: a-t-il changé? (Louise fait un signe affirmatif) Je l'ignore... LE PÈRE Qu'il soit digne de toi, c'est le désir de ton père. (La mère qui s'impatiente chante un motif du récit de Julien qu'elle a surpris tout à l'heure) LA MÈRE La, la, la, la, la... LE PÈRE Crois-tu qu'il t'aime? LA MÈRE La, la, la, la, la... LOUISE Oui! LE PÈRE Et toi, crois-tu l'aimer? (Louise se cache la tête sur la poitrine de son père) LA MÈRE (à mi-voix) C'était mon adorée... (Louise relève la tête, anxieuse) LE PÈRE Il ne t'a jamais parlé? LOUISE (avec effort) Non! (Le père la regarde un peu méfiant) LA MÈRE (à part, continuant d'imiter Julien) Nous ne pouvions pas nous parler!... Nous ne pouvions pas nous regarder!... Nos coeurs bondissaient!.. l'ombre frémissait!.. et tout le monde dormait!... (Louise très troublée se détourne; le père lui prend les mains et la regarde dans les yeux) LE PÈRE Louise! Si je repousse sa demande, me promets-tu de l'oublier? (Louise hésite, mais la mère, portant du linge, traverse la chambre, s'arrête menaçante devant elle et va dans la chambre voisine) Promets-tu d'obéir, en fille sage, à notre volonté? (s'animant) Ah! si tu devais un jour renier ma tendresse, sache bien que, privé de toi, je ne pourrais vivre... O mon enfant, ma Louise!... LOUISE (émue) Père, toujours je vous aimerai! (Le père la presse sur son coeur, elle éclate en sanglots. Au loin la mère continue à chanter) LA MÈRE (dans la chambre voisine) La, la, la, la... LE PÈRE (relève Louise, souriant de pitié) Allons, enfant, sèche tes belles mirettes... Ce gros chagrin passera... et plus tard tu nous remercieras de t'avoir préservée du malheur... Allons! allons! petite folle! (il prend un journal sur l'armoire; enjoué) Tiens, lis-moi le journal, ça te distraira et ça ménagera mes pauvres yeux... Veux-tu? (La mère rentre et s'assied près de la table, reprisant du linge) LOUISE (avec effort) Oui... (À la pendule dix heures sonnent. Louise prend le journal, va s'asseoir près de la lampe et commence sa lecture d'une voix étranglée de sanglots; le père la regarde avec une pitié souriante) LOUISE (lisant) La saison printanière est des plus brillantes, Paris tout en fête... (elle sanglote) Paris!.. (Le rideau tombe subitement lentement pendant les dernier mots de Louise) ACTE II Premier Tableau (La scène représente un carrefour au bas de la butte Montmartre. À gauche, au fond de la scène, un escalier descendant; plus à gauche, une ruelle puis un hangar; à droite, une maison et un cabaret; au fond, à droite, un escalier montant, plus à droite une ruelle; au loin, à droite, la Butte; à gauche le faubourg) Scène Première (Au lever du rideau, sous le hangar, une laitière prépare son étalage et allume son feu; près d'elle, sur une table à la terrasse d'un marchand de vin, une fillette (17 ans) plie les journaux du matin. A droite, près d'une poubelle renversée, une petite chiffonnière travaille hâtivement; à côté d'elle une glaneuse de charbon et, plus loin, un bricoleur fouillent les ordures. Des ménagères vont aux provisions. Cinq heures du matin, en avril. Un léger brouillard enveloppe la ville) LA PETITE CHIFFONNIÈRE (à la glaneuse) Dir' qu'en c'moment y a des femmes qui dorment dans de la soie! LA GLANEUSE DE CHARBON Bah! les draps de soie s'usent plus vite que les autres. LA PETITE CHIFFONNIÈRE Oui, parce qu'on y dort plus longtemps! LA GLANEUSE Grande bête! ton tour viendra... (Un noctambule paraît) LA PETITE CHIFFONNIÈRE Mon tour? si c'était vrai! (Le noctambule s'approche de la plieuse) LE NOCTAMBULE Si jolie, si matin... (il tourne autour de la fillette) Malice du destin, qui revêt de satin et de robes d'aurore les guetteuses de nuit aux rides inclémentes et cache au libertin, sous des voiles de nuit les fillettes d'aurore que le désir tourmente. (à la plieuse) Un baiser? LA PLIEUSE Passez vot' chemin! LE NOCTAMBULE (riant) Mon chemin, je le cherche... me tendras-tu la perche? (avec afféterie) Sans les lanternes de tes jolis yeux, je risque fort de me perdre! tu veux?... (La fillette lui tourne le dos) LA GLANEUSE (s'étirant) Ah! LE BRICOLEUR (geignant) Ah! LE NOCTAMBULE (regardant autour de lui) En ce froid carrefour où gémit la souffrance, je me sens mal à l'aise, (à la fillette) et sans ta jeune chair il me semblerait choir au seuil du sombre enfer où le Dante écrivit: Ici point d'espérance! Le son de ma voix éveille-t-il en toi une vague souvenance... que tu restes songeuse?.. ou bien un frais désir fait-il bondir ton coeur d'amoureuse? LA PLIEUSE (riant) Vous êtes fou! LA LAITIÈRE (riant) Sa folie n'est pas dangereuse!... (le noctambule fait une pirouette) Qui êtes-vous ? LE NOCTAMBULE (rejetant son manteau sur l'épaule et apparaissant séduisant, tout à fait joli dans un costume de printemps auquel sont piqués quelques grelots de folie) Je suis le Plaisir de Paris! (Les deux femmes font un geste d'étonnement admiratif. La petite chiffonnière, la glaneuse, le bricoleur interrompent leur travail et s'approchent. D'autres figures de souffrance, sorties de l'ombre, se groupent derrière eux. Le noctambule pirouette de nouveau) LA LAITIÈRE Où allez-vous? LE NOCTAMBULE Je vais vers les Amantes que le Désir tourmente! Je vais cherchant les coeurs qu'oublia le bonheur. (montrant la ville) Là-bas glanant le Rire, ici semant l'Envie, prêchant partout le droit de tous à la folie: Je suis le Procureur de la grande Cité! Ton humble serviteur... ou ton maître! LA LAITIÈRE (le menaçant de son balai) Effronté! (Il s'enfuit en riant) LE NOCTAMBULE Ha! ha! ha! ha! ha! ha! ha! ha! (Au coin de la rue, il heurte violemment le chiffonnier et disparaît) LE CHIFFONNIER Hé! fait' attention! butor! (le chiffonnier chancelle et tombe) LE NOCTAMBULE (déjà loin) Je suis le Procureur de la grande Cité! (Le bricoleur s'avance vers le chiffonnier; il le débarrasse de sa hotte, puis le relève) LE CHIFFONNIER (à part) Ah!... je le connais... le misérable! ce n'est pas la première fois qu'il se trouve sur mon chemin! (au bricoleur) Un soir, il y a longtemps, je m'en souviens comme si c'était hier... ici, au même endroit, il m'est apparu... (La plieuse fait un paquet de ses journaux et s'en va) hélas! il n'était pas seul ce jour-là... une fillette lui donnait la main et souriait à sa chanson... c'était ma fille! (dramatique) Je l'avais laissée là, au travail... il est venu, il lui a soufflé à l'oreille ses tentations mauvaises... (douloureux) et la coquette l'a écouté... ell'l'a suivi... en s'enfuyant, ell'm'a heurté... comme aujourd'hui... je suis tombé! Ah! ah! ah! ah! (Il sanglote et se met au travail) LA GLANEUSE, LA CHIFFONIERE Pauvre homme! LE BRICOLEUR Bah! dans toutes les familles, c'est la même chose! Moi, j'en avais trois, je n'ai pu les tenir! Faut pas leur en vouloir si elles préfèr' à notre vie d'enfer le paradis qui les appelle là-bas... LA PETITE CHIFFONNIÈRE (à part) Est-c' que les bons lits, les belles robes, comme le soleil, (elle tend les bras vers le soleil dont les premiers rayons éclairent la Butte) ne devraient pas être à tout le monde! Scène Seconde (Deux gardiens de la paix traversent lentement la scène et s'approchent de la laitière. Le carrefour s'anime. Une balayeuse apparaît au fond et s'avance vers le groupe) PREMIER GARDIEN (à la laitière) Belle journée! LA LAITIÈRE Voici le printemps. PREMIER GARDIEN La saison des amours... LA LAITIÈRE Pour ceux qui ont vingt ans! DEUXIÈME GARDIEN Bah! chacun son tour... LA LAITIÈRE J'attends encore le mien! PREMIER GARDIEN Vous n'avez jamais aimé? (Un gavroche s'approche de l'éventaire et se chauffe les mains au fourneau) LA LAITIÈRE (simplement) Je n'ai pas eu le temps! (Les gardiens rient) LA GAVROCHE (à la laitière) Un p'tit noir? LA BALAYEUSE (fanfaronne) Moi, j'ai eu ch'vaux et voitures... Y a vingt ans (triomphante) j'étais la reine de Paris! (comique) quell' dégringolade! hein? mais je ne regrette rien... je me suis tant amusée... (sentimentale) Ah! la belle vie! le joyeux, le tendre, l'inoubliable paradis! (Le gavroche, qui l'a écoutée, hausse les épaules, puis s'approche d'elle, la tire par la manche) LE GAVROCHE (avec une naïveté feinte) Dites: donnez-moi l'adresse... LA BALAYEUSE Quelle adresse? LE GAVROCHE (goguenard) L'adresse... de vot' paradis! LA BALAYEUSE Mais, mon petit, (montrant la ville, tendre) c'est Paris! LE GAVROCHE (jouant l'étonnement) Paris... (il regarde la ville) c'est étonnant! depuis que j'suis au monde j'm'en étais pas encore aperçu! PREMIER GARDIEN (bourru) Allons, circule! LE GAVROCHE (narquois, froidement) De quoi... on n'peut pas s'instruire?.. PREMIER GARDIEN (brutal) Va travailler! (Il le pousse. Le gavroche immobile, toise le gardien, puis d'une pirouette nonchalante il lui tourne le dos et s'en va lentement arrivé au coin de la rue, il se retourne) LE GAVROCHE (criant, ses mains en porte-voix) Y en a donc que pour les femm's, dans vot' paradis! (geste menaçant des gardiens; le gamin s'enfuit; les gardiens s'éloignent du même côté. La petite chiffonnière s'en va d'un autre côté, courbée sous le poids d'un sac de chiffons. La balayeuse reprend son travail et disparaît dans la rue voisine. La glaneuse s'approche de la laitière) LA PETITE CHIFFONNIÈRE (avec amertume) Y en a qu'pour les femmes!... (Le chiffonnier et le bricoleur montent l'escalier. Julien paraît au fond de la scène; il fait un geste à ses amis) Scène Troisième (Les bohèmes paraissent en haut de l'escalier et s'avancent, comiquement, avec des allures de conspirateurs) LE PEINTRE (à Julien) C'est ici? LE SCULPTEUR C'est là qu'elle travaille? (la glaneuse s'éloigne) JULIEN (indiquant la maison) Sa mère l'accompagnera jusqu'à cette porte... sitôt disparue, je m'élance... je rattrape Louise... (rageusement) et, si ses parents refusent... LE PEINTRE Tu l'enlèves! (Julien approuve) TOUS (entourant Julien) Bravo! bravo! bravo! LE CHANSONNIER Mais, consentira-t-elle? JULIEN Je la déciderai! (Ils se répandent sur la place: à droite, le sculpteur, le peintre et le jeune poète; à gauche, Julien, l'étudiant, les philosophes et le chansonnier. Les autres inspectent silencieusement les alentours) LE PEINTRE (à Julien) Nous en ferons notre Muse! LE SCULPTEUR (au poète) Le coin est joli... LE CHANSONNIER (à Julien) Muse des Bohèmes! LE PEINTRE (au sculpteur) Un vrai carrefour à sérénades... PREMIER PHILOSOPHE (avec dédain) Une muse? LE SCULPTEUR (au peintre) Nous aurions dû prendre nos instruments... LE CHANSONNIER (au philosophe) On la couronnera! (Des têtes de bonnes paraissent aux fenêtres de la maison) LE SCULPTEUR Nous reviendrons. PREMIER PHILOSOPHE Les Muses sont mortes! LE CHANSONNIER (enthousiaste) On les ressuscitera! LE PEINTRE (lorgnant les fenêtres) Les jolies filles! LE SCULPTEUR Mesdemoiselles? LE CHANSONNIER Elles sont charmantes! LE JEUNE POETE Ravissantes! (D'autres têtes paraissent à d'autres fenêtres. Les bohèmes envoient des baisers et saluent; d'autres font les clowns. Le chansonnier, grattant sa canne ainsi qu'une guitare, se met en évidence. À l'écart dissertent les philosophes) LE CHANSONNIER Enfants de la bohème, Nous aimons qui nous aime! Toujours gais et pimpants, Les femm's nous trouvent séduisants... DEUXIEME PHILOSOPHE (à l'autre) Pourquoi refuseraient-ils? LE CHANSONNIER Quoiqu' sans argents! PREMIER PHILOSOPHE Ils préfèrent sans doute en faire la femme d'un bourgeois! LE CHANSONNIER Presqu' indigents! DEUXIEME PHILOSOPHE (ironique) Mais, les ouvriers méprisent les bourgeois! PREMIER PHILOSOPHE Ah! ah! tu crois ça! LE CHANSONNIER Mais nous somm's très intelligents! (Cris et bravos; des fenêtres on jette des sous. Les bohèmes saluent ironiquement) LE PEINTRE (saluant) Aimez-vous la peinture? LE SCULPTEUR (de même) La sculpture? LE CHANSONNIER (de même) La musique? LE JEUNE POETE Je suis un grand poète! PREMIER PHILOSOPHE Mon cher, l'idéal des ouvriers c'est d'être des bourgeois. (tous approuvent) le désir des bourgeois: être des grands seigneurs... (nouvelle approbation plus nourrie. Ironique) et le rêve des grands seigneurs: (attention générale ironique. Emphatique) devenir des artistes! (rires) LE PEINTRE Et le rêve des artistes! PREMIER PHILOSOPHE (avec emphase) Être des dieux! TOUS Bravo! LES BOHÈMES Oui, des dieux! L'APPRENTI (traversant la scène, passant dans le fond) Allez donc travailler, tas d'feignants! (Les bohèmes esquissent une poursuite, puis ils descendent l'escalier en chantant. Le philosophe, le chansonnier, le peintre et l'étudiant vont dire adieu à Julien) LES BOHÈMES Enfants de la bohème, Nous aimons qui nous aime. Toujours gais et pimpants, les femm's nous trouvent séduisants... JULIEN (à ses amis, fiévreusement) Voici l'heure, laissez-moi. LES BOHÈMES Quoiqu' sans argents! LE PREMIER PHILOSOPHE (à Julien) Allons, bonne chance... LE CHANSONNIER (l'excitant) Enlève la redoute!.. LES BOHÈMES (déjà loin) Presqu'indigents! LE PEINTRE (avec mystère) Sois éloquent! L'ETUDIANT (donnant une accolade à Julien) A tout à l'heure... (ils s'éloignent) LES BOHÈMES (très loin) Mais nous somm's très intelligents! (cris lointains des bohèmes) Scène Quatrième JULIEN (dans une agitation douloureuse) Elle va paraître, ma joie, mon tourment, ma vie! Voudra-t-elle me suivre? Voudra-t-elle qu'aujourd'hui notre amour soit vainqueur! Que dois-je lui dire? Comment la décider? (avec angoisse) Qui viendrait à mon aide?... LA REMPAILLEUSE (lointaine) La caneus', racc'modeus' de chais's!.. (Julien fait un geste de surprise) MARCHAND DE CHIFFONS (lointain) Marchand d'chiffons, ferraille à vendr'!... (Il écoute avec émoi croissant; les chants qui se rapprochent) LA REMPAILLEUSE (plus près) la caneus', racc'modeus' de chais's!... LA MARCHANDE D'ARTICHAUTS (lointaine) artichauts, des gros artichauts! LE MARCHAND DE CAROTTES v'là d'la carott', elle est bell', v'là d'la carott'! d'la carott'! LA MARCHANDE D'ARTICHAUTS A la tendress', la verduress'! LE MARCHAND DE CAROTTES (très loin) D'la carott'! LA MARCHANDE DE MOURON (près de la scène) Mouron pour les p'tits oiseaux! LA MARCHANDE D'ARTICHAUTS (se rapprochant) Et à un sou, vert et tendre, et à un sou! (flûte du chevrier lointain) LA MARCHANDE DE MOURON (près de la scène) Mouron pour les p'tits oiseaux! LA MARCHANDE D'ARTICHAUTS En v'là des gros, des bien beaux! MARCHANDS DE TONNEAUX Tonneaux, tonneaux, v'la l'marchand d'tonneaux! MARCHANDS DE BALAIS Ach'tez des balais, v'la l'marchand d'balais; c'est papa, qui les fait, c'est maman qui les vend, c'est moi qui mang' l'argent! MARCHANDS DE POMMES DE TERRES Pomm's terr', pomm's terr', oh les pomm's terre, au boisseau, trois sous l'quart, c'est d'la holland'! MARCHANDS DE POIS VERTS Pois verts, pois verts, dix sous l'boisseau! JULIEN (avec enthousiasme) Ah! chanson de Paris, où vibre et palpite mon âme! MARCHANDS ET MARCHANDES (lointain) Pois verts! pois verts! JULIEN Naïf et vieux refrain du faubourg qui s'éveille, aube sonore qui réjouit mon oreille! Cris de Paris... voix de la rue: Êtes-vous le chant de victoire de notre amour triomphant?.. (Des ouvrières paraissent au fond. Julien se cache sous le hangar, épiant, anxieux) Scène Cinquième BLANCHE Bonjour! MARGUERITE Bonjour! BLANCHE Comment vas-tu? (Elles disparaissent à l'entrée de la maison. Une autre paraît faisant un geste à une quatrième qui s'avance) SUZANNE Nous sommes en avance? GERTRUDE Il est huit heures... SUZANNE Ah! (Elles entrent dans la maison. Deux autres s'avancent en caquetant) IRMA Eh! bien, tu t'es amusée, hier? CAMILLE Ah! c'que j'ai ri! IRMA Tu sais... le grand Léon... (elle lui parle à l'oreille) CAMILLE Vrai? IRMA En mariage, ma chère! (elles disparaissent) JULIEN Viendra-t-elle? (impatient, il sort de sa cachette; trois ouvrières entrent et le regardent gesticuler) L'APPRENTIE (riant) Ah! ah! ah! ah! ah! ah! ÉLISE Qu'il est beau! MADELEINE Eh! l'artiste! L'APPRENTIE Il attend sa belle! MADELEINE, MARGUERITE Ah! ah! ah! ah! ah! ah! L'APPRENTIE, MADELEINE MARGUERITE C'te tête! (Elles s'enfuient en riant. Julien les regarde entrer dans la maison, il reste pensif, puis il va vers la rue. Julien, apercevant enfin Louise et sa mère, manifeste sa joie; il revient en courant, va se cacher dans le hangar et guette. Étonné de ne pas les voir, il regarde; il les aperçoit et se dissimule vivement) Scène Sixième (La mère et Louise entrent; elles s'avancent lentement; elles s'arrêtent) LA MÈRE (bougonnant) Pourquoi te retourner? Il nous suit, sans doute... suffit! Je d'mand'rai à ton père que dorénavant tu travailles chez nous. (Louise lève les yeux au ciel. Mimique de Julien qui, n'y pouvant tenir, se montre à Louise) Ah! t'as beau faire les gros yeux!... (Louise, voyant Julien, porte la main sur son coeur) On changera ta mauvaise tête, Il faudra bien que Louise reste une fille honnête!.. Allons, au revoir! (Louise, froidement, lui tend la joue; la mère l'embrasse avec tendresse. Louise entre dans la maison, la mère s'éloigne lentement, surveille un instant les fenêtres de l'atelier; arrivée près de la rue, elle guette de tous côtés, méfiante, puis disparaît. Julien se risque timidement, s'enhardit, hésite, puis s'élance dans la maison) MARCHAND DE LA RUE (lointain) V'là d'la carotte elle est bell'! V'là d'la carott'! d'la carott'! d'la carott'! Scène Septième (Julien reparaît, entraînant Louise) LOUISE (affolée, se débattant) Laissez-moi... ah! de grâce! (Julien l'entraîne dans le hangar) JULIEN Alors, ils ont refusé? (Louise se débat et veut fuir) LOUISE Je vous en prie! si ma mère revenait... JULIEN Ils ont refusé? LOUISE Vous me faites mourir de peur! JULIEN Et tu supportes cette chose! tu ne te révoltes pas? LOUISE Que puis-je faire? JULIEN Tu le demandes! LOUISE Ils sont les maîtres! JULIEN Pourquoi, les maîtres? Parce qu'ils t'on fait naître, se croient-ils le droit d'emprisonner ta jeunesse adorable? LOUISE Julien!... JULIEN D'asservir ta vie! LOUISE (suppliante) Ah! par pitié! JULIEN De la murer pour leur plaisir! LOUISE Laissez-moi partir! JULIEN Ta volonté, désormais, est celle d'une femme et vaut la leur: tu es femme, tu peux, tu dois vouloir! LOUISE (ne sachant que répondre) Ah! je vais être en retard.. (suppliante) laissez-moi partir. (Julien, fâché de son indifférence, la laisse partir. Elle fait quelques pas, puis revient, souriante, espiègle) JULIEN Tu ne m'aimes plus! LOUISE (naïvement) Ce n'est pas vrai! (Les cris de la rue reparaissent, lointains) JULIEN Si tu m'aimais, oublierais-tu ta promesse? (Louise, troublée, se détourne) UNE MARCHANDE DE LA RUE (lointaine) V'là du cresson d'fontain', la santé du corps! JULIEN Écrivez encore à mon père, s'il refuse votre demande je promets de fuir avec vous. UNE MARCHANDE (lointaine) Mouron pour les p'tits oiseaux! UN MARCHAND (lointain) Pois verts! pois verts! LOUISE (presque parlé) Ah! si je pouvais... (flûte du chevrier) si mon père... JULIEN Ton père te pardonnerait! LOUISE Jamais! JULIEN Plus tard, quand ton bonheur... LOUISE Mon abandon le tuerait et je l'aime mon père, autant que je t'aime... JULIEN (la serrant dans ses bras) Ah!.. ah! Louise, si tu m'aimes, partons de suite au Pays (montrant la Butte ensoleillée) où vivent libres les Amants! Viens, je te choierai tant, et toute ta vie! (De la rue voisine viennent des cris et des rires) Viens vers la Joie, le Plaisir! (Entendant des rires, Louise, troublée, veut fuir, Julien la retient. Quatre ouvrières traversent la scène en riant et entrent dans la maison) JULIEN (plus pressant) Si tu m'aimes, Louise, Viens, fuyons de suite, si tu m'aimes, n'attends pas plus longtemps! Tiens ta promesse dès maintenant, Louise! Louise! (il veut l'entraîner) LOUISE (éperdue, se débattant) Julien! JULIEN Viens! LOUISE Ah! je deviens folle... JULIEN Vers le plaisir!... LOUISE (affolée) Je ne sais que faire... laissez-moi partir! Demain... plus tard... (avec tendresse) Je serai ta femme! Julien!. mon bien-aimé!... (Flûte lointaine du chevrier. Louise se jette à son cou, ils s'embrassent; puis Louise se dégage et s'éloigne vers la maison; sur le seuil de la porte, elle envoie un baiser. Julien répond avec tristesse. - Louise disparaît) Scène Huitième UN MARCHAND D'HABITS (descendant l'escalier) Marchand d'habits!... Avez-vous des habits à vendr'? (il interroge les fenêtres) Marchand d'habits!... (il se tourne de l'autre côté) avez-vous des habits à vendr'? (Mélancoliquement il s'éloigne. Julien, accablé, s'achemine tristement vers la Ville) Marchand d'habits!... Avez-vous des habits à vendr'? (Julien, sur le seuil de l'escalier, près de la rue, fait un dernier geste de désespoir, descend lentement et disparaît. Le rideau tombe très lentement) MARCHANDE DE MOURON (Enfant. Très loin) Mouron pour les p'tits oiseaux!... (flûte du chevrier) MARCHANDE D'ARTICHAUTS (très lointaine) A la tendress' (s'éloignant) la verduress'!... Interlude Deuxième Tableau (Rideau. Rire des ouvrières. Un atelier de couture; les ouvrières, autour des tables, travaillent en caquetant et chantant; quelques-unes bavardent; près du mannequin, deux ouvrières plissent une jupe; l'apprentie, couchée à terre, ramasse les épingles; une ouvrière travaille à la machine. Louise, un peu séparée des autres, garde le silence. Durant les conversations, des ouvrières chantent) Scène Première (Première table côté jardin: Irma, Camille, 4 coryphées; deuxième table: Blanche, Madeleine, puis Élise et Suzanne, 2 coryphées; troisième table: Louise, Gertrude, Marguerite; près du mannequin: Suzanne, Élise; l'apprentie, la première, la mécaniceienne; autres tables: jeunes et vieilles ouvrières) La la la la la la la la SUZANNE (près du mannequin, faisant les plis d'une jupe) C'est énervant! je n'peux pas y arriver... L'APPRENTIE (accroupie devant la table; à Gertrude) Passez-moi vos ciseaux... JEUNES OUVRIERES La la la la la la la la GERTRUDE (Gertrude doit avoir les cheveux gris et jouer en vieille fille sentimentale et prétentieuse) Et les tiens? ÉLISE Quell' mauvaise étoffe! L'APPRENTIE perdus!... ÉLISE Les plis n'marquent pas... GERTRUDE J'en ai assez d'les prêter. L'APPRENTIE Un'minute? (Élise prend la jupe, la montre à la première, puis va s'asseoir à la deuxième table) GERTRUDE Tu n'as qu'à t'en payer! (Elle se lève et va essayer un corsage sur le mannequin) JEUNES OUVRIERES La la la la la la la la ! IRMA Moi, j'ai vu «l'Pré aux Clércs et Mignon» (Blanche se lève et va causer à Marguerite) CAMILLE Moi, j'ai vu Manon. BLANCHE (à Marguerite, à mi-voix) Voudrais-tu m'montrer à baleiner? IRMA Cest beau? CAMILLE Très beau, surtout quand ell' meurt. JEUNES OUVRIERES La la la la la la la la!... GERTRUDE (avec impatience) J'peux pas arriver à finir c'corsage! MARGUERITE (à Blanche) Tu prends ton ruban comm' ceci... GERTRUDE Sur l'mann'quin, c'est bien, mais sur la femme! MARGUERITE Tu commenc's par en bas, tu l'fais sout'nir très peu... IRMA C'est pour qui? JEUNES OUVRIERES La la la la la la la!... GERTRUDE Pour la duchesse... CAMILLE (moqueuse) En effet, j'vois ça d'ici! (Élise va s'asseoir près de Blanche à la deuxièmee table) GERTRUDE (riant) Faut lui mett' du crin sous les bras... CAMILLE (riant) Faut lui fair' des hanches... IRMA (riant) Un vrai rembourrage, quoi! L'APPRENTIE (en gavroche) C'qui y a des clientes, tout d'même! (Rires) Ah! ah! ah! ah! ah!... (Blanche reprend sa place) OUVRIERES, IRMA, CAMILLE La la la la la!... BLANCHE (à Irma) Moi, j'vais m'faire une robe pour le Grand Prix... LA PREMIERE (à Louise) N'oubliez pas le sachet d'héliotrope?... BLANCHE J'ai vu un modèl', ma chère (la dispute, bien en dehors) ÉLISE (à Suzanne qui lui donne des conseils) Ah! laiss'-moi tranquille, tu m'ennuies! VIEILLES OUVRIERES La la la la la la la la!... SUZANNE C'est pas comm' ça qu'on s'y prend... ÉLISE Tu veux toujours en savoir plus qu'les autres! SUZANNE P'tite imbécile! tu n'vois pas qu'ça craqu' sous l'aiguille? ÉLISE Oh! la! la! quel cauch'mar! SUZANNE T'en as un caractère! ÉLISE Tu n't'es pas r'gardée! SUZANNE Va donc hé! bouffie! JEUNES ET VIEILLES OUVRIERES La la la la la la la!... (Élise lance une pelote à la tête de Suzanne; les autres s'interposent. Toutes rient avec éclats. La première se lève) LA PREMIERE Mesd'moiselles, un peu d'silence... nous n'sommes pas au marché... (Silence relatif. La première va causer avec Gertrude. Geste de Louise, songeant à Julien) CAMILLE (bas à ses voisines) Voyez Louise, quell' drôl' de tête elle fait aujourd'hui... ÉLISE, SUZANNE C'est vrai! IRMA C'est vrai! on dirait qu'elle a pleuré. GERTRUDE Elle a peut-être des ennuis de famille... CAMILLE Ses parents sont très durs pour elle... (Les ouvrières se groupent et jettent des regards sur Louise qui semble ne rien voir) IRMA Ell' n'a pas la vie belle... CAMILLE Sa mèr' la frappe encore... BLANCHE, SUZANNE (indignées) Ah! ÉLISE Ce n'est pas moi qui me laisserais battre! SUZANNE Moi non plus! BLANCHE Et moi, c'que j'les plaqu'rais! L'APPRENTIE Moi, quand le pèr' veut m' battre, j'lui dis: cogn' sur maman, (emphatique) y a plus d'largeur! (rires. Louise baisse la tête, écoute, et reprend son attitude indifférente) IRMA (regardant ironiquement Louise) Non; je crois que Louise est amoureuse. GERTRUDE (étonnée) Amoureuse! Louise... (elle rit) CAMILLE Pourquoi Louise serait-ell' pas amoureuse? ÉLISE Amoureuse, Louise... (elle hausse les épaules) L'APPRENTIE (à part) Amoureuse! SUZANNE, MADELEINE Amoureuse! GERTRUDE, MARGUERITE Amoureuse! BLANCHE, ÉLISE Amoureuse! IRMA, CAMILLE Amoureuse! BLANCHE, MARGUERITE, GERTRUDE, SUZANNE, MADELEINE, ÉLISE IRMA, CAMILLE, BLANCHE Louise, entends-tu? on dit que tu es amoureuse... LOUISE (troublée) Moi? IRMA, CAMILLE Est-ce vrai? LOUISE (avec colère) Vous êtes folles... GERTRUDE (reprend sa place près de Louise) Un amoureux à ton âge, ce n'est pas un péché, et tu peux l'avouer... A moins que tu ne veuilles garder le secret de tes aventures. (orgue de barbarie lointain) ÉLISE, SUZANNE Louise, raconte-nous... LOUISE (simplement) Je n'ai pas d'aventure. GERTRUDE (avec un lyrisme comique contenu) Que c'est charmant une aventure! (Derrière elle, l'apprentie, avec des gestes de gavroche, mime ironiquement les paroles sentimentales de la chanson de la vieille fille) Un garçon de jolie figure qui vous aime et vous le prouve à tout moment! C'est le rêve d'or des jeunes filles... rêve auquel on pense tout enfant. Pour le baiser d'un jeune amant, (avec feu) je donnerais sans regret le restant de ma vie. (pâmée; orgue de barbarie lointain) CAMILLE (naivement) D'où vient ce sentiment qui nous attire constamment vers les hommes? D'où vient qu'à leur approche nos coeurs chavirent? (pétulante) On a beau nous dire : (avec mystère) «Prenez garde» Qu'apparaisse le prédestiné, les scrupules s'envolent. À son regard, on rougit; à sa parole, on sourit; dans l'enthousiasme du baiser, on s'ouvre au dieu malin; c'est un bonnet de plus qu'on accroche au moulin (Rires étouffés. Peu à peu les ouvrières reprennent leur travail et causent à voix basse) L'APPRENTIE (agenouillée devant Louise) Louise, raconte-nous tes aventures... LOUISE (avec impatience) Je n'ai pas d'aventure. (Louise hausse les épaules; l'apprentie, dépitée, s'éloigne en rampant sous les tables. Élise va s'asseoir auprès de Gertrude) IRMA (à ses voisines, langoureusement) Oh! moi quand je suis dans la rue, tout mon etre prend comme feu; ÉLISE (à Marguerite) C'est un beau brun... IRMA Sous les rayons ardents MARGUERITE Tu l'aimes? IRMA ... des yeux qui me désirent, ÉLISE J'en suis toquée IRMA Je vais radieuse! MARGUERITE Grande folle! (Élise reprend sa place; Suzanne va ``essayer'' au mannequin) LA PREMIERE (à Madeleine) Voyez la longueur des manches IRMA Les frôlements, les appels, GERTRUDE Dieu, qu'il fait chaud! ouvrez la f'nêtre... (l'apprentie va ouvrir une fenêtre) BLANCHE (à Élise) C'est tordant! IRMA ... les flatteries... SUZANNE (à Madeleine) Tu viens avec moi, ce soir? IRMA ... m'attisent et me grisent! ÉLISE Louise, chante-nous quelque chose?... LA PREMIERE (à Marguerite) Laissez-la donc tranquille!... IRMA Il me semble... L'APPRENTIE (à la mécanicienne) J'ai rendez-vous à huit heures... IRMA ... être en voyage... ÉLISE (à Blanche) Il t'a fait la cour? IRMA ... alors... LA PREMIERE A qui l'corsage? IRMA ... que paysages... ÉLISE C'est à moi. IRMA ... et maisons tourbillonnent... LA PREMIERE Dépêchez-vous, il le faut pour ce soir. IRMA ...en ronde folle autour du wagon! SUZANNE, BLANCHE ÉLISE, MADELEINE (riant bruyamment) ah! ah! ah! ah! ah!... CAMILLE, GERTRUDE Chut! (La première va dans la chambre voisine) L'APPRENTIE Écoutez! IRMA (L'apprentie, accroupie près d'Irma, l'écoute avec admiration) Une voix mystérieuse, prometteuse de bonheur, parmi les bruissements de la rue amoureuse, me poursuit et m'enjôle... C'est la voix de Paris! C'est l'appel au plaisir, à l'amour! Et, peu à peu, l'ivresse me gagne... dans un frisson délicieux, à tous les yeux, je livre mes yeux. Et mon coeur bat la campagne et succombe aux désirs de tous les coeurs. LES JEUNES OUVRIERES C'est la voix de Paris... LES VIEILLES OUVRIERES Régalez-vous, mesdam's, voilà l'plaisir! (fanfare dans la coulisse) TOUTES (diversement) Ah! la musique! Scène Seconde (Irma, Camille, Marguerite, Élise, Madeleine et l'apprentie vont aux fenêtres et regardent curieusement dans la cour) UNE VOIX (dans la coulisse, en colère, semblant marquer la mesure) Un! BLANCHE (se levant et courant vers la fenêtre) Quell' drôl' de fanfare! IRMA Ils accompagn'nt un chanteur... CAMILLE Il est bien, c'lui-là. SUZANNE (pouffant) Tu trouves! ÉLISE (à Madeleine) On dirait l'artist' de tout à l'heure! (Élise, Madeleine, l'apprentie, croyant que Julien va chanter pour elles, se moquent de Camille qui le trouve à son goût; pendant la première partie de la sérénade, elles échangent des signes d'intelligence, envoient des baisers au chanteur et semblent très excitées) L'APPRENTIE Il nous r'garde! CAMILLE Louise! viens voir... il est très bien. L'APPRENTIE Très bien! (Louise semble ne pas entendre. Guitare dans la coulisse) JULIEN (dans la coulisse) Dans la cité lointaine, Au bleu pays d'espoir, Je sais, loin de la peine, Un joyeux reposoir, Qui, pour fêter ma reine, Se fleurit chaque soir. LES OUVRIERES Quelle jolie voix! Quelle jolie voix! Ah ma chère, quelle jolie voix! LOUISE (à part) C'est lui! c'est Julien! (Camille vient prendre le bouquet qu'Irma a laissé sur la table pour le jeter au chanteur. Irma veut l'empêcher et la pousse. Suzanne se lève, tout en continuant à coudre, elle passe devant les tables, s'arrête près de la fenêtre, écoute, ravie, pâmée) JULIEN Les fleurs du beau Domaine S'avivent chaque soir; Mais l'insensible reine Dédaigne leur espoir; {Ne daigne s'émouvoir.} (comme en ritornelle) Quand viendras-tu, dis-moi, la belle, Au reposoir d'ivresse éternelle? L'Aube t'appelle et te sourit, voici le jour!... Veux-tu que je te mène en ce riant séjour, A l'amour! LES OUVRIERES Bravo, bravo, bravo, bravo, bravo, bravo, bravo! (fanfare des bohèmes dans la coulisse) CAMILLE (ravie) Il va chanter encore! LOUISE Quel supplice! Quel affreux tourment! JULIEN Jadis tu me contais un magique voyage: «Tous deux, me disais-tu, dès notre mariage, libres, nous partirons au Pays adoré, loin de ce monde où nous avons pleuré» Voici le jour sacré de tenir ta promesse: et l'heure du départ, l'heure d'allégresse, l'heure sonne et carillonne et chante à ton coeur les désirs de mon coeur!... Quand partons-nous, dis-moi, la belle, pour le pays d'ivresse éternelle? LES OUVRIERES (mystérieusement) Quelle caresse! Aux accents de sa tendresse, mon coeur s'abandonne... Quelle jolie voix! ah! ah! ah! Quelle ivresse! à ses accents mon coeur s'abandonne... Quelle jolie voix! ah! ah! ah! Ah quel doux chant de tendresse... Quelle jolie voix! quelle jolie voix! ah! ah! Ah! Ah! quelle caresse! quel doux chant de tendresse! Ah! ah! mon coeur s'abandonne! CAMILLE Comme il nous regarde! IRMA On dirait qu'il s'adresse à l'une de nous... (Élise fait à Madeleine un geste d'intelligence) L'APPRENTIE C'est vrai! LOUISE (à part) Pauvre Julien! ÉLISE Il n'a pas l'air content... BLANCHE Jetons-lui des sous! CAMILLE Et des baisers! (elles jettent des sous et envoient des baisers au chanteur) LOUISE (peut-être jalouse) Ah! j'aurais dû partir tout à l'heure (Julien gratte avec rage les cordes de sa guitare) GERTRUDE Qu'est-c' qu'il a? L'APRENTIE Il devient fou? (Rires. Louise se lève, frémissante, puis se rassied. A partir de ce moment, les ouvrières trouvant la chanson moins jolie, ennuyeuse même, échangent des gestes de lassitude, de moquerie. Élise et Madeleine, déçues dans leur espoir, raillent et sifflent impitoyablement le chanteur) JULIEN (avec émotion) Si ton âme, oubliant les serments d'autrefois, S'est détournée de moi; Si tes voeux sont de vivre sans lumière et sans joie... GERTRUDE Que chante-t-il? ÉLISE C'est assommant! JULIEN ... coeur infidèle... MADELEINE (riant) Ah! ah! ah!... JULIEN (avec emphase) ... va plus loin battre de l'aile ÉLISE (agacée) Ah! CAMILLE Il nous ennuie! GERTRUDE (geignant, avec ennuie) Ah! JULIEN Moi, le renonce à vivre: car la vie est sans excuse quand l'adorée, la seule aimée, à mes appels se refuse! BLANCHE, MARGUERITE Ah! ÉLISE Dieu, qu'il m'énerve! SUZANNE, MADELEINE Que chante-t-il? IRMA, CAMILLE A-t-il bientôt fini? GERTRUDE C'est rasant! BLANCHE, MARGUERITE C'est assommant! LES OUVRIERES (riant) Ah! ah! ah! ah! ah! ÉLISE, SUZANNE, MADELEINE (criant) Une autre! L'APPRENTIE (criant) Une autre! IRMA, CAMILLE, GERTRUDE (criant) Une autre! BLANCHEs, MARGUERITE, ÉLISE, SUZANNE, MADELEINE (criant) Une autre! TOUTES (auf Louise) Une autre! (Durant cette dernière strophe, Louise se lève, frémissante. L'apprentie, juchée sur une chaise, fait la manivelle avec le coin de son tablier roulé imitant comiquement le jouer d'orgue) JULIEN Le temps passe et tu ne réponds pas... ÉLISE Ah! quel malheur! JULIEN Je ne sais plus que te dire!... GERTRUDE Pauvre petit! JULIEN Faut-il que tu m'aies menti jadis!... SUZANNE Quel raseur! L'APPRENTIE Oh! la! la! quell' scie! ÉLISE Va chez l'coiffeur! JULIEN Faut-il que tu m'aies menti! LES JEUNES OUVRIERES (criant) Menti! LES VIEILLES OUVRIERES A-t-il bientôt fini? (L'apprentie court ramasser des chiffons et les jette dans la cour) JULIEN Sois maudite! Fille sans coeur! Ame sans foi! IRMA, CAMILLE (riant) Ah! ah! ah!... JULIEN Assez! assez! (lui répondant par la fenêtre) Fille sans coeur! Ame sans foi! GERTRUDE (riant) Ah! ah! ah!... J'en pleure! c'est tordant! Quell' scie! (criant) Ferme ça BLANCHE, MARGUERITE (riant) Ah! ah! ah! ah! ah! C'te tête! quel type! Voyez-le donc... il est fou! il est fou! (criant) Music! ÉLISE (riant) Ah! ah! ah! ah! ah! Il est fou! il est saoûl! (Élise ramasse des chiffons et les jette dans le cour) A Charenton! quel cauch'mar! oh! la, la! SUZANNE (riant) Ah! ah! ah! ah! ah! Il est saoûl! il est fou! Quel crampon! il est saoûl! il est saoûl! (criant) Music! MADELEINE (riant) Ah! ah! ah! ah! ah! Assez! quell' scie! Quel crampon! il est saoûl! il est saoûl! (criant) Music! L'APPRENTIE (criant, les mains en porte-voix) Ta bouche! Il est fou! (faisant des gestes à la fenêtre) Music! LES JEUNES OUVRIERES (ironiquement) Bravo! bravo! bravo! (imitant le chanteur) Fille sans coeur! Ame sans foi! LES VIEILLES OUVRIERES (criant) Assez! assez! assez! (cri plaintif) Ah! A-t-il bientôt fini! (Élise et Camille se rasseyent) IRMA, CAMILLE, ÉLISE, L'APPRENTIE, JEUNES OUVRIERES (criant) Music! TOUTES (criant) Music! Music! Music! (Les musiciens de la cour obéissent et jouent. Charivari. Les ouvrières dansent et chahutent. Louise se lève. Son visage exprime l'angoisse; elle hésite un moment, puis elle va prendre son chapeau et se dispose à sortir) IRMA, CAMILLE, ÉLISE, SUZANNE La la la la la la la la La la la la LES AUTRES OUVRIERES La la la la la la la La la la la TOUTES (rires) Ah! ah! ah! ah! ah!... GERTRUDE (s'apercevant du trouble de Louise; à Louise) Louise, qu'avez-vous? Êtes-vous souffrante? (d'autres ouvrières s'approchent) L'APPRENTIE (regardant par la fenêtre) Il s'en va! LOUISE (avec embarras) Oui... je ne suis pas bien... J'étouffe... je suis tout étourdie... (Elle se lève, fiévreuse) Je ne puis rester! CAMILLE Tu veux partir? (Louise, indécise, semble écouter au loin) LOUISE (décidée) Oui, je préfèr' rentrer chez nous. (à Gertrude) Vous direz à Madame que j'ai dû m'en aller... (Elle prend son chapeau et va vers la porte. Quelques ouvrières l'entourent) IRMA (affectueusement) Louise, qu'as-tu? (Louise, embarrassée, ne sait que répondre) CAMILLE (de même) Tu souffres? IRMA Veux-tu que je t'accompagne? LOUISE Non, laissez-moi... (elle ouvre la porte; bas avec effort) Adieu! (Elle disparaît. La fanfare s'éloigne. Les ouvrières, étonnées, se regardent) Scène Troisième ÉLISE Qu'est-c' qui lui prend? CAMILLE Qu'est-c' que ça veut dire? IRMA (prenant la défense de Louise) Elle était malade! SUZANNE (ironique) Comm' vous et moi! L'APPRENTIE (criant) C'est la faute au chanteur! ÉLISE, SUZANNE, MADELEINE Voyons! IRMA, BLANCHE, MARGUERITE Voyons! (Elles se précipitent aux fenêtres) CAMILLE La voici! GERTRUDE (restée assise; criant) Eh bien! que fait-elle? ÉLISE, SUZANNE Parfait! IRMA, CAMILLE C'est bien ça! (Les ouvrières restées assises, se lèvent et courent aux fenêtres) TOUTES (avec stupéfaction) Ah!... (Gertrude et la première joignent les mains avec épouvante) L'APPRENTIE (avec transport, criant) Ils part'nt en prom'nade! (Elle se roule à terre) TOUTES (riant aux éclats) Ah! ah! ah! (Rideau vivement) |
ACTO I (Habitación abuhardillada en la vivienda de un barrio obrero. Al fondo, la puerta de entrada; a la derecha, la cocina y la puerta de la habitación de los padres. A la izquierda, puerta con cristales de la habitación de Luisa y una gran ventana que abre sobre el balcón desde el que se ven los tejados, y una parte de cielo parisino. Frente al balcón, pero un poco más elevada, una terraza que precede al pequeño taller de un artista. En primer plano, una mesa y sillas. En segundo plano, una estufa con chimenea. Más al fondo, un pequeño armario y un aparador con fotografías antiguas, un espejo y otros enseres domésticos. En la cocina, se ve otra pequeña mesa; sobre las paredes, cacerolas. Al fondo, el horno con chimenea. Son las seis de la tarde, en abril) Escena Primera (Luisa se dirige a la puerta de entrada desde donde escucha, temerosa; luego regresa, mira por entre las cortinas, abre la ventana y se deja ver por Julián) JULIÁN (de pie en la terraza) ¡Oh, corazón amado! ¡Oh, corazón prometido! ¡Por desgracia, tan lejos, estando tan cerca! ¡Tú! ¡Mi ídolo, mi alegría, mi penar! El día surge... ¡Oh! ¿Tu voz va a decirle a mi amor, que tu corazón se complace de escuchar mi saludo matinal?... LUISA Has tardado en enviarme tu saludo cotidiano. ¡Ya no lo esperaba!... (Va hacia la puerta y escucha, luego regresa) Te lo agradezco y te envío el mío ¡desde el fondo de mi corazón! (Le lanza un beso) JULIÁN Me dijiste en tu última carta: "Ten paciencia, el momento se aproxima; escríbele de nuevo a mi padre; si él niega rotundamente su consentimiento, prometo huir contigo." LUISA (agitada y triste) ¡Estoy loca por ti y por haber dicho eso! ¿Qué puedo hacer? Te amo tanto... ¡pero también amo mucho a mis padres! Si los escucho a ellos, mi corazón se muere... Si te sigo, Julián, ¡cómo sufrirán los míos! JULIÁN (dulcemente) Alma temerosa, y siempre fluctuante... Por pensar tanto en la felicidad de ellos, ¡no haces más que aumentar nuestra desdicha! LUISA (coqueta e irónica) ¡Desdicha que tiene solución! JULIÁN (con pasión) ¡Sin solución! LUISA ¡Desilusión pasajera! JULIÁN ¡Sufrimiento infinito! LUISA ¡Te olvidarás de mí! JULIÁN ¡Ah! ¡Calla! ¡Tus frías bromas me causan dolor! LUISA (sonriendo tranquilamente) Contigo no se puede hacer ni una broma... (Maliciosa) No serías el primero que pierde rápidamente la memoria... (Traviesa) Pues, hablas de amor, y parece que me adoras; (presumida) ¡pero jamás me dijiste cómo nació esa ternura! (coqueta) ¿Sería indiscreta si te pidiera que me hablaras ahora de ella? ¡Vamos, cuéntame, y hazlo de prisa! Mamá va a regresar pronto. JULIÁN (extrañado) ¿Qué quieres que te diga? LUISA Cómo llegaste a enamorarte de mí... ¿Me comprendes? JULIÁN (sonriendo) Presta atención. Durante mucho tiempo yo viví en este cuarto sin darme cuenta que tenía como vecina a una niña de grandes ojos... ¡Ay! A una virgen de los cielos que como prisionera era custodiada por unos padres severos. LUISA Una prisionera que esperaba que un hermoso caballero, como en los cuentos de hadas, por fin viniera a rescatarla. JULIÁN ¿Cómo la conocí? ¡Pasaba los días en alguna taberna y por las noches versificaba mis deseos sobre una distante Ofelia, que representaba todas mis ansias; ¡mientras que aquí, muy cerca de mí, dormía mi dicha futura! LUISA La prisionera soñaba con un príncipe azul que vendría a despertar a la Bella Durmiente. ¿Cómo habría de saber que su Caballero vivía tan cerca, bajo el mismo cielo, y que desde su ventana podía descubrir los secretos de... mi corazón? JULIÁN (animándose) Pero una tarde, en la escalera oscura, ella bajaba cantando... (Luisa va a escuchar a la puerta, y regresa) Ella pasó tan cerca de mí, ¡oh sorpresa! Dos sombras desconocidas, la segunda de ellas, hermosa, coqueta, ideal, ¡dejando al pasar una estela luminosa y fragante! Al día siguiente, era el día de Pascua. Por la mañana miré tu ventana... ¡Qué música fue para mis admirados ojos el verte aparecer sonriente bajo el sol!... ¡Una madonna de Da Vinci no sonríe así, ¡No! ¡No! ¡Esa sonrisa sólo florece en París! Te observé largamente y supe que mi destino estaría ligado para siempre a tu imagen... ¡A mí alrededor se agitaba la inmensa Ciudad! ¡Todos celebraban el feliz día! Todos exclamaban: "¡Esperanza!" ¡Y mi corazón cantaba exultante al amor! (La puerta se abre y aparece la madre que entra y permanece en el umbral, luego cierra despacio y escucha, finalmente avanza hacia la ventana) Escena Segunda LUISA (muy feliz) ¡Yo ya había notado que tú me mirabas! ¿Recuerdas que una vez, en la fiesta de Montmartre, nos seguiste? JULIÁN ¡Sí lo recuerdo!... Me sonreíste, y pululaba a tu alrededor tan insistentemente que tu madre se enojó... ¡Y hasta hizo una brutal escena de celos! LUISA (animada) Otra vez, en el patio, mientras yo sacaba agua, desde tu ventana (graciosamente) me tiraste pétalos de rosas... Que me fueron cubriendo, (extasiada) y me quedé totalmente aturdida, embelesada... JULIÁN Pero tu madre desde la ventana nos vio... LUISA Bajo ese alud fragante de sosas, mi corazón parecía que iba a estallar... JULIÁN ¡Nuestra enemiga, furiosa, te llamó! LUISA ¡Y el dulce sueño se esfumó!... JULIÁN (triunfante) Pero el amor siguió su curso y en las sombras iba preparando, el casto compromiso. Hasta que un día en que yo pasé ante tu puerta... LA MADRE (para sí) ¿De qué me voy a enterar ahora? JULIÁN (misteriosamente) Yo vi que se abría lentamente, (dramáticamente) Una silueta blanca se hallaba allí y saltó hacia mí... ¡eras tú! (con arrebato) ¡Era Luisa! LUISA (con devoción) Ella quería decirte que... (decididamente) el sentimiento que mis padres deseaban ahogar, ¡estaba más exultante que nunca! LA MADRE (para sí, sonriendo con desprecio) ¡Ja! ¡Ja! ¡Ja! ¡Qué bien! JULIÁN ¡Ah! ¡Las dulces promesas!... LUISA No podíamos hablarnos... JULIÁN Mis ojos buscaban los tuyos en vano... LUISA, JULIÁN ¡Nuestros corazones, uno cerca del otro, latían desbocados!... La respiración se agitaba en nuestro pecho... ¡y la noche nos acunó! (Los amantes permanecen un instante pensativos; luego Luisa intenta regresar hacia la puerta, se da vuelta y se sobresalta al ver a su madre) LUISA (al ver a su madre) ¡Ah! (La madre la toma del brazo, la empuja hacia la cocina y regresa a la ventana) JULIÁN (escuchando con inquietud) ¡Y bien! ¿Ya no me dices nada, querida Luisa? (la madre gesticula furiosa) Por favor, contéstame antes de que tu carcelero venga y nos sorprenda... LA MADRE (dejándose ver por Julián) Vamos ¿puedes callarte ya? ¡O hace falta que vaya a tirarte de las orejas!... (Julián queda estupefacto. La madre entra en la habitación vecina; Luisa sale de la cocina y va hacia la ventana. Julián reaparece sobre el balcón y le muestra a Luisa la carta que va a enviarle a sus padres, luego desaparece. Luisa, temerosa, regresa a la cocina) JULIÁN (Fuera de escena) La la la la la la la La la la la la la la la la... (la madre reaparece) La la la la la la (el se ríe estrepitosamente) ¡Ja! ¡Ja! ¡Ja! ¡Ja! ¡Ja! (La madre cierra la ventana y mira un momento por detrás de la cortina) Escena Tercera (Luisa, temblando, sale de la cocina. Trata de mostrarse serena y acomoda en el aparador, las provisiones que trajera su madre) LA MADRE (burlonamente imita a Julián) ¡Eres mi adorada! (Sigue acercándose a Luisa, que para eludirla, da vueltas alrededor de la mesa) ¡Mi dulce enamorada! ¡Mi fiel prometida! ¡Mi Luisa! (La madre, ferozmente, toma las manos de Luisa mirándola a los ojos con reproche) ¡No podíamos hablarnos! ¡Mis ojos buscaban los tuyos en vano!... ¡Nuestros corazones latían desbocados! ¡La sombra se estremeció! ¡Y todos dormían! (Luisa logra librarse de su madre, que exasperada le muestra su puño) ¡Ah! ¡Niña desgraciada! ¡Si tu padre lo supiera! ¡Si él te hubiera sorprendido! ¡Ah! ¡Si él los hubiera sorprendido! ¡Dime! (Luisa baja la cabeza y esconde su rostro) ¡Él que te cree ingenua e inteligente!,,, ¡Si supiera lo que has hecho se moriría! LUISA (implorando) ¿Por qué no quieren que nos casemos? (La madre hace un gesto de "¡Jamás!") ¿Por qué me obligan a esconderme? En realidad ¿qué tiene de malo? ¡Su vida de artista, su alegría, su oficio de poeta! LA MADRE ¡Es un bribón! ¡Un muerto de hambre! ¡Un vicioso que no tiene vergüenza! LUISA ¡Él! ¡Es tan bueno, tan valiente! LA MADRE ¡Un pillo de cabaret! LUISA Si tuviera una mujer, no iría al cabaret... LA MADRE ¡Una mujer! ¡Ja! ¡Ja! ¡Ja! ¡Una mujer! ¡Ja! ¡Ja! ¡No son las mujeres las que le faltan! LUISA ¡Oh, por favor! Si crees que me separarás de él, te engañas, con tus ataques haces que lo ame más aún. (exaltándose) ¡No puedes impedirnos ser felices! ¡Jamás, jamás quebrantarás nuestro amor! LA MADRE ¡Ah! ¡Qué soberbia! ¿En lugar de bajar la cabeza, te atreves a jactarte de tu amante? LUISA ¡Mi amante!... ¡No lo es todavía.!... Pero ¿quién podrá impedir... (hace una pausa) que lo sea? (La madre corre tras de Luisa que la elude dando vueltas alrededor de la mesa) LA MADRE (exasperada) ¡Pequeña desgraciada! ¿Nos amenazas? ¡Ah, ya verás si se entera tu padre! (Oyen algunos pasos en la escalera; temerosas, dejan de hablar y escuchan con atención) LUISA (nerviosa) Allí llega... (La puerta abre, la madre corre hacia la cocina) Escena Cuarta (El padre entra; lleva una carta en la mano; la madre va rápidamente a la cocina; Luisa, nerviosa, pone la mesa para la cena) EL PADRE Buenas tardes... (cuelga la gorra en un perchero) ¿Está lista la sopa? LA MADRE (gritando desde la cocina) ¡Sí, enseguida! (El padre se sienta junto a la estufa. Luisa atiza el fuego; entonces, viendo la carta, se aleja hacia el armario. El padre mira la carta, la abre y lee. Luisa regresa y pone los platos y vasos silenciosamente en la mesa; luego va a buscar los cubiertos. El padre pone la carta en la mesa y mira a su hija. Luisa, turbada, distribuye los cubiertos. El padre le tiende los brazos y se abrazan. Luisa mira por encima del hombro si su madre los ve y luego besa a su padre. El padre acerca la silla a la mesa y se sienta. La madre regresa, trayendo la sopa, el padre la sirve. Todos comen. Las tres personas quedan en silencio, inmóviles, pensativas, los padres miran a Luisa que desvía los ojos avergonzada) EL PADRE (limpiando su boca] ¡Ah! ¡Qué día! LUISA ¿Estás cansado? (La madre se levanta y lleva los platos y la sopera a la cocina) EL PADRE ¡Noto que ya no soy joven pues los días se me hacen largos! LUISA Pobre padre, ¿nunca podrás tomar un descanso? EL PADRE (con sorna) ¿Y quién mantendría la olla si dejo de trabajar? (La madre regresa con el guiso, el padre sirve) LA MADRE ¡Después de treinta años de trajinar, bien te merecerías un poco de descanso! (Mirando de reojo hacia la casa de Julián, con cólera) ¡Cuando vemos que hay tantos holgazanes qué pasan su vida de juerga en juerga! EL PADRE (con franqueza) Ellos tuvieron la suerte de nacer... (riéndose) ¡Después que sus padres!... LA MADRE (con énfasis) ¿Y crees que eso es justo? (golpeando la mesa) ¡Yo, digo que todos debemos trabajar por igual! EL PADRE ¡Igualdad! ¡Qué gran palabra! ¡Una utopía! Si uno tuviera el derecho de escoger, escogería el trabajo más cómodo... LA MADRE (Burlona, mirando a su hija) ¡Es verdad, a todos les gustaría ser artistas! EL PADRE (riéndose) ¡Y no encontraríamos a nadie que hiciera los trabajos más duros! (bondadoso) ¡Ya hace tiempo que elegí mi destino!... Cuando no se tiene ninguna renta, hay que conformarse con trabajar para otros... (con amargura) ¡que gozan de la buena vida! LA MADRE Hoy estás muy resignado. Una buena renta no sería para despreciar. EL PADRE ¿Aquéllos que la tienen, son más felices? ¡La Felicidad, tómalo así, está en amarnos y levarnos bien entre nosotros! Esa felicidad, nadie puede quitárnosla. (La madre comienza a levantar la mesa. El padre se dirige a Luisa con ternura) La felicidad está en el hogar donde se reposa... donde, al lado de los que se ama, ¡se olvidan las desventuras de la vida!... (Atrae a su hija y la abraza. Luisa lo mira con ternura. El padre agrega con rencor) Los que tienen rentas hoy, posiblemente no las tendrán mañana... (Se levanta y con el puño levantado, grita desbordante de felicidad) ¡Siempre, siempre seremos felices! (Radiante, besa a su hija, toma por la cintura a la madre que vuelve de la cocina y baila con ella unos pasos) LA MADRE (riéndose) ¡Basta ya! ¡Termina con esto! ¡Gran loco! EL PADRE (riéndose) ¡Ja! ¡Ja! ¡Ja! ¡Ja! ¡Ja! ¡Estoy contento! (Busca su pipa, la llena de tabaco, se sienta cerca del fuego y tomando un tizón y la enciende. Luego lanza con placer varias bocanadas) LA MADRE (a Luisa, con dureza) ¿Vas a dejar que yo haga todo el trabajo? ¡Vamos, muévete! (Mientras que la madre prepara y enciende las lámparas, Luisa limpia la mesa; ve la carta de Julián que el padre había puesto cerca de su plato; la toma, le da un beso disimuladamente, luego se dirige a su padre y se la entrega) EL PADRE (a Luisa) ¡Ah! Gracias... (Mira maliciosamente a su hija. Luisa se dirige a la cocina llevando los restos de comida. La madre trae una lámpara que pone sobre la mesa. El padre, sentado junto al fuego, relee la carta. Luisa lo espía desde la cocina) LA MADRE (al padre) ¿Una carta? EL PADRE (tranquilamente) Sí, una carta del vecino... LA MADRE ¿Otra carta? EL PADRE Reitera su pedido... LA MADRE ¡Qué descaro! Después de lo que pasó... EL PADRE ¿Qué quieres decir? LA MADRE (confundida) Después de... nuestra primera negativa... EL PADRE (con benevolencia) ¡Mi Dios, pero si su carta es muy educada!... (se la muestra a Luisa) Él parece que la ama y Luisa no lo rechaza... (Luisa se arroja a los brazos de su padre) LA MADRE (estallando de ira) ¡Esto es el colmo! ¡No te tiene respeto! EL PADRE (a la madre) ¡Vamos! ¡Vamos! No vale la pena montar en cólera... ¡Tú lo ves todo muy trágico! Comprobaremos si sus intenciones son serias... (con gravedad) No estamos obligados a entregarle a Luisa mañana mismo, y supongo que no va a quitárnosla... (La madre refrena el deseo de decirle al padre lo que ha sucedido entre Luisa y Julián) Como no sabemos gran cosa de él, lo invitaremos a venir, y cuando yo hable con él... LA MADRE (interrumpiendo, ofuscada) ¡Él! ¡Aquí! ¡En ese caso! ¡Si el entra aquí, yo, yo me iré! EL PADRE (conciliador) ¡Vamos! ¡Vamos! LA MADRE ¿Quieres obligarme a recibir aquí a ese bribón que se ríe de mí cuando se cruza conmigo? EL PADRE Pamplinas... LA MADRE ¡Ese sinvergüenza! ¡Ese muerto de hambre! ¡Ese vicioso! ¿Ese asiduo a los cabarets cuya vida es el escándalo del barrio? ¡Y no digo todo lo que sé de él... (con voz chillona) ... porque conozco muy bien, su larga lista de infamias! LUISA (reaccionando con vehemencia) ¡No es verdad! (La madre le da una bofetada. El padre se interpone entre ellas. Luisa se deja caer en una silla y llora. En la cocina, la madre golpea sus cacerolas con violencia. El padre regresa hacia su hija y el rostro de ambos expresa amor) EL PADRE (sentándose cerca de Luisa ¡Oh mi niña, mi Luisa! ¡Tú sabes cuánto te amamos! Si somos prudentes respecto a aquellos que te pretenden, es porque conocemos todas las miserias de la vida que tendrás que enfrentar! ¡A tu edad, se ve todo muy hermoso, todo color de rosa! Tomar a un marido, es como escoger una muñeca (Luisa sonríe asombrada) ¡Sí, una muñeca! ¡Desgraciadamente, las muñecas, hija mía, a veces te hacen derramar muchas lágrimas! LUISA (eleva sus ojos llorosos y tristes) Sí, cuando los maridos son malos... Pero, si se escoge uno bueno, gentil, amoroso... (La madre sigue refunfuñando en la cocina, enciende una vela y se pone a planchar) EL PADRE ¿Y cómo sabrás todo eso, pequeña mía? LUISA (con vehemencia) ¡Por mi corazón! EL PADRE Es un juez muy malo... LUISA ¿Por qué? EL PADRE Quién obra enamorado, obra deslumbrado... LA MADRE (para sí) Si se pone a discutir con ella, no acabará nunca... (Luisa busca una respuesta. La madre deja la plancha sobre la mesa y mira hacia el comedor) LUISA (con mayor vehemencia) ¿Pero antes de amar, antes de ser deslumbrada, se pueden descubrir los defectos del otro? EL PADRE Quizá... si no nos faltara una cosa... LUISA ¿Qué es? EL PADRE ¡Experiencia! LUISA (en son de broma) Entonces aquéllos que se casan dos veces ¿son más felices en el segundo intento? EL PADRE (serio) ¡No hagas bromas, Luisa! Si bien es difícil descifrar los corazones, siempre podremos, a través del pasado del amado, intuir cómo será su futuro. (La madre aprueba golpeando de nuevo con fuerza, la plancha contra la mesa) Por ejemplo, los antecedentes de ese joven, ¡son detestables! (La madre afirma con la cabeza) Haz de convenir que es así. (la madre puntualiza cada palabra con un violento golpe de plancha) Perezoso, corrupto, sin recursos, sin profesión, desde luego esta es una triste opción para una muchacha como tú. Hoy, él ha renovado su petición, ¿ha cambiado en algo? (Luisa hace una señal afirmativa) No lo sé... EL PADRE Que él sea digno de ti, es el mayor deseo de tu padre. (La madre entona un fragmento de la canción que Julián cantara momentos antes) LA MADRE La, la, la, la... EL PADRE ¿Crees que él te ama? LA MADRE La, la, la, la, la... LUISA ¡Sí! EL PADRE Y tú, ¿crees amarlo? (Luisa esconde la cabeza en el pecho del padre) LA MADRE (a media voz) "Era mi adorada"... (Luisa levanta la cabeza, ansiosa) EL PADRE ¿Él nunca te habló? LUISA (con dificultad) ¡No! (El padre la mira un poco desconfiado) LA MADRE (para sí, sigue imitando a Julián) ¡No podíamos hablarnos!... ¡No podíamos vernos....! ¡Nuestros corazones latían desbocados! ¡La noche se estremeció! ¡Y todos dormían! (Luisa muy nerviosa se vuelve; el padre le toma las manos y la mira a los ojos) EL PADRE ¡Luisa! Si rechazo su petición, ¿me prometes olvidarlo? (Luisa duda, pero la madre, entra llevando manteles, la mira amenazadora y luego entra al cuarto vecino) ¿Prometes aceptar, como una chica juiciosa, nuestra decisión? (Animándose) ¡Ah! Si un día rechazaras mi ternura, haz de saber que, sin ti, no podría vivir... ¡Oh mi niña, mi Luisa!... LUISA (emocionada) ¡Padre, siempre te querré! (El padre la estrecha contra su pecho, ella estalla en llanto. Alejada, la madre continúa cantando) LA MADRE (en el cuarto vecino) La, la, la, la... EL PADRE (Acaricia a Luisa con ternura) Vamos, niña, seca tus hermosos ojos... Esta gran pena pasará... y después nos agradecerás haberte librado de la desdicha... ¡Vamos! ¡Vamos! ¡Loquilla mía! (toma un periódico del armario; alegre] Toma, léeme el periódico, eso te distraerá y de paso mis pobres ojos descansarán... ¿Quieres? (La madre regresa y se sienta cerca de la mesa, mientras zurce unos manteles) LUISA (con esfuerzo) Sí... (El reloj marca las diez. Luisa toma el periódico, se sienta cerca de la lámpara y empieza a leer con la voz apagada por los sollozos mientras su padre la mira condescendiente) LUISA (leyendo) La temporada primaveral es de lo más brillante. Todo París lo celebra... (solloza) ¡París!... (El telón cae lentamente durante las últimas palabras de Luisa) ACTO II Cuadro Primero (Una esquina en el barrio de Montmartre. A la izquierda y al fondo, una escalera descendente; más a la izquierda, un callejón. A la derecha, una casa y un cabaret; al fondo, una escalera ascendente, más a la derecha un callejón; a la izquierda el suburbio) Escena Primera (Bajo un cobertizo, una lechera enciende el fuego; cerca de ella, junto a la taberna, una muchacha (de 17 años) pliega los periódicos de la mañana. A la derecha, cerca de un cubo de basura derribado, una pequeña trapera trabaja apresuradamente; al lado de ella la basurera y, más lejos, un vagabundo revuelve la basura. Amas de casa van y vienen. Son las cinco de la mañana, en el mes de abril) LA TRAPERA (a la basurera) ¡Y pensar que en este momento hay mujeres que duermen sobre sábanas de seda! LA BASURERA ¡Bah! Las sábanas de seda se gastan más rápidamente que las otras. LA TRAPERA ¡Sí, porque se duerme más tiempo sobre ellas! LA BASURERA ¡Gran bestia! Ya llegará tu turno... (Llega un noctámbulo) LA TRAPERA ¿Mi turno?.... ¡Si eso fuera verdad! (El Noctámbulo va hacia la Vendedora de diarios) EL NOCTÁMBULO Hermosa, ¿tan de mañana?... (Girando alrededor de la niña) Travesura del destino, que se viste de raso y con vestidos del alba ocultas en la noche las arrugas inclementes; escondes del libertino, bajo los velos nocturnos a las hijas de la aurora a las que el deseo atormenta. (a la vendedora de diarios) ¿Un beso? LA VENDEDORA DE DIARIOS ¡Siga su camino! EL NOCTÁMBULO (riéndose) Mi camino, eso estoy buscando... ¿Me darías tu ayuda? (Con afectación) ¡Sin los faroles de tus hermosos ojos, corro peligro de perderme! ¿Quieres?... (La niña le da la espalda) LA BASURERA (bostezando) ¡Ah! EL VAGABUNDO (lamentándose) ¡Ah! EL NOCTÁMBULO (mirando su alrededor) En esta fría encrucijada donde gime el dolor, me siento incómodo, (a la muchacha) y sin tu joven cuerpo, me parece estar llegando a las puertas del sombrío infierno donde el Dante escribió: ¡Perded toda esperanza! ¿El sonido de mi voz despierta en ti una vaga remembranza... y quedas ensimismada? ¿O bien un deseo fresco hace saltar tu corazón de enamorada? LA VENDEDORA DE DIARIOS (riéndose) ¡Usted está loco! LA LECHERA (riéndose) ¡Su locura no es peligrosa!... (el Noctámbulo hace una pirueta) ¿Quién es usted? EL NOCTÁMBULO (Echando de nuevo su abrigo sobre el hombro y mostrando seductoramente un hermoso traje de primavera engarzado con sonoros cascabeles) ¡Yo soy el Placer de París! (Las dos mujeres hacen un gesto de admiración. La trapera, la basurera y el vagabundo interrumpen sus tareas y se acercan. Otros mendigos salidos de las sombras, se agrupan detrás de ellos. El noctámbulo hace piruetas) LA LECHERA ¿Dónde va usted? EL NOCTÁMBULO ¡Voy hacia los Amantes a los que el Deseo atormenta! Voy buscando los corazones que olvidaron la felicidad. (señalando la ciudad) Allá, hago florecer la risa; aquí, siembro el deseo. Proclamo el derecho de todos a vivir en la locura. ¡Soy el Procurador de la Ciudad! ¡Vuestro humilde servidor o vuestro señor! LA LECHERA (amenazándolo con su escoba) ¡Descarado! (Huye riéndose) EL NOCTÁMBULO ¡Ja! ¡Ja! ¡Ja! ¡Ja! ¡Ja! ¡Ja! ¡Ja! ¡Ja! (Al cruzarla la esquina atropella con violencia al trapero y desaparece) EL TRAPERO ¡Eh! ¡Ten cuidado! ¡Estúpido! (el trapero se tambalea y cae) EL NOCTÁMBULO (desde lejos) ¡Soy el Procurador de la Ciudad! (El mendigo se aproxima al trapero; lo libera de su carga y lo ayuda a levantarse) EL TRAPERO (para sí) ¡Ah!... Lo conozco... ¡Ese miserable! ¡No es la primera vez que se cruza en mi camino! (al mendigo) Una tarde, hace mucho tiempo, lo recuerdo como si fuera ayer... aquí, en este mismo lugar, apareció... (La vendedora de diarios se marcha) Por desgracia, él no estaba solo aquel día, una sonriente muchacha escuchaba su canción... ¡Era mi hija! (con tono dramático) Yo la había dejado allí para que ella trabajara... Pero él vino, susurró la tentación en su oído (con dolor en el alma) y la muy coqueta lo escuchó... ¡Ambos huyeron! Éll me embistió, y como hoy, y yo caí al suelo. ¡Ja, ja, ja! (Solloza y vuelve a trabajar) LA BASURERA Y LA LECHERA ¡Pobre hombre! EL MENDIGO ¡Bah! ¡En todas las familias, ocurre lo mismo! Yo tenía tres hijos, y no podía mantenerlos. No debemos enojarnos si rechazan nuestra vida de infierno y prefieren el paraíso de allí... LA TRAPERA (para sí) ¡Hay allí buenas camas y hermosos vestidos, que como el sol... (estira sus brazos hacia el sol cuyos primero rayos iluminan la colina) ... deberían pertenecer a todo el mundo! Escena Segunda (Dos policías cruzan la escena lentamente y se acercan a la lechera. Las calles se animan. Una barrendera aparece al fondo y se aproxima hacia el grupo) PRIMER POLICÍA (a la lechera) ¡Lindo día! LA LECHERA Es primavera. PRIMER POLICÍA La estación del amor... LA LECHERA ¡Para aquellos que tienen veinte años! SEGUNDO POLICÍA ¡Bah! A cada uno le llega en su momento... LA LECHERA ¡Yo aún espero el mío! PRIMER POLICÍA ¿Nunca has amado? (Un pillo se acerca a la hoguera y se calienta las manos en el fuego) LA LECHERA (con sencillez) ¡No tuve tiempo! (Los policías se ríen) EL RATERO (a la lechera) ¿Ni un pequeño desliz? LA BARRENDERA (con jactancia) Yo, yo tuve uno con carroza y todo... tenía veinte años entonces (triunfal) ¡Era la reina de París! (divertida) ¡Qué cambio! ¿No? Pero no me importa... me divertía tanto... (sentimental) ¡Ah! ¡La buena vida! La felicidad, la ternura... ¡el paraíso! (El ratero que la escucha se encoge de hombros, se le acerca y le tira de la manga) EL RATERO (con fingida inocencia) Dime: ¿dónde queda?... LA BARRENDERA ¿Dónde queda qué? EL RATERO (burlón) Dónde queda... ¡tu paraíso! LA BARRENDERA Pero, pequeño, (Señalando la ciudad, con cariño) ¡Es París! EL RATERO (con asombro) ¡París!... (mirando la ciudad) ¡Es asombroso! Desde que estoy en este mundo, no me había dado cuenta. PRIMER POLICÍA (hoscamente) ¡Vamos, circula! EL RATERO (por lo bajo, con frialdad) ¿Por qué... no podemos instruirnos?... PRIMER POLICÍA (brutalmente) ¡Ve a trabajar! (El policía empuja al ratero, éste lo mira de arriba abajo, luego indolentemente le da la espalda y se aleja; pero al llegar a la esquina del callejón, se vuelve) EL RATERO (grita, usando sus manos como megáfono) ¡Sólo hay un paraíso para las mujeres! (Los policías le hacen gestos amenazadores; el ratero se aleja y los policías le siguen. La trapera sale por el otro lado, agobiada bajo el peso de una bolsa de trapos. La barrendera retorna a su labor y desaparece en la calle vecina. La basurera se acerca a la lechera) LA TRAPERA (con amargura) ¿Qué dices que hay allí para las mujeres?... (El trapero y el mendigo suben la escalera. Julián aparece y hace un gesto a sus amigos) Escena Tercera (Los bohemios aparecen en lo alto de la escalera y avanzan, cómicamente, con pasos de conspiradores) EL PINTOR (a Julián) ¿Es aquí? EL ESCULTOR ¿Es allí donde ella trabaja? (la basurera se marcha) JULIÁN (señalando la casa) Su madre la acompañará hasta esta puerta... En cuanto se marche, salto... y atrapo a Luisa... (con furor) y, si sus padres se niegan a... EL PINTOR ¡La raptas! (Julián asiente) TODOS (rodeando a Julián) ¡Bravo! ¡Bravo! ¡Bravo! EL CANTANTE Pero, ¿ella estará de acuerdo? JULIÁN ¡Ya la convenceré! (Todos se distribuyen por los alrededores: A la derecha, el escultor, el pintor y el poeta; a la izquierda, Julián, el estudiante, los filósofos y el cantante. Otros vigilan las inmediaciones) EL PINTOR (a Julián) ¡La haremos nuestra Musa! EL ESCULTOR (al poeta) La esquina es hermosa... EL CANTANTE (a Julián) ¡La musa de los Bohemios! EL PINTOR (al escultor) Una calle perfecta para serenatas... PRIMER FILÓSOFO (con desdén) ¿Una musa? EL ESCULTOR (al pintor) Deberíamos haber traído nuestros instrumentos... EL CANTANTE (al filósofo) ¡La coronaremos! (Por las ventanas se asoman las cabezas de algunas lindas vecinas) EL ESCULTOR Regresaremos. PRIMER FILÓSOFO ¡Las Musas murieron! EL CANTANTE (entusiasta) ¡Revivirán! EL PINTOR (observando las ventanas) ¡Qué hermosas muchachas! EL ESCULTOR ¿Señoritas? EL CANTANTE ¡Son muy hermosas! EL JOVEN POETA ¡Encantadoras! (Otras cabezas se asoman. El bohemio arroja algunos besos y saluda; los otros hacen el payaso. El cantante, rascando su bastón como si fuera una guitarra, se separa del grupo y canta. Los dos filósofos disertan apartados) EL CANTANTE ¡Somos hijos de la bohemia y nos gusta que nos amen! Siempre alegres y peripuestos, las mujeres nos encuentran seductores... SEGUNDO FILÓSOFO (al otro) ¿Por qué habrían de negarse sus padres? EL CANTANTE ¡Aunque no tengamos dinero! PRIMER FILÓSOFO Posiblemente ellos prefieren que sea ¡la mujer de un burgués! EL CANTANTE ¡Y seamos casi indigentes! SEGUNDO FILÓSOFO (irónico) Pero, ¡los obreros desprecian a los burgueses! PRIMER FILÓSOFO ¡Ja! ¡Ja! ¡Eso crees! EL CANTANTE ¡Somos muy inteligentes! (Gritos y bravos bajan desde algunas ventanas. También caen monedas. Los bohemios saludan) EL PINTOR (saludando) ¿Aman la pintura? EL ESCULTOR (de la misma manera) ¿Y la escultura? EL CANTANTE (de igual modo) ¿Acaso la música? EL POETA JOVEN ¡Yo soy un gran poeta! PRIMER FILÓSOFO Querido mío, el ideal de los obreros es el de ser burgueses... (todos lo aprueban) yel deseo de los burgueses: es el de ser grandes señores... (nueva y mayor aprobación de todos. Irónico) y el sueño de los grandes señores es: (atención general. Enfático) ¡Transformarse en artistas! (todos ríen) EL PINTOR ¡Y el sueño de los artistas! PRIMER FILÓSOFO (con énfasis) ¡Llegar a ser dioses! TODOS ¡Bravo! LOS BOHEMIOS ¡Sí, dioses! UN APRENDIZ (cruzando la escena y pasando por el fondo] ¡Id a trabajar pandilla de vagos! (Los bohemios esbozan una persecución, luego descienden la escalera cantando. El filósofo, el cantante, el pintor y el estudiante van a decir adiós a Julián) LOS BOHEMIOS ¡Somos hijos de la bohemia, nos gusta que nos amen! Siempre alegres y peripuestos, las mujeres nos encuentran seductores... JULIÁN (a sus amigos, febrilmente) ¡Es la hora, dejadme! LOS BOHEMIOS ... ¡Y somos casi indigentes! EL PRIMER FILÓSOFO ([a Julián) ¡Buena suerte!... EL CANTANTE CALLEJERO (excitándolo) ¡Sin temor!... LOS BOHEMIOS (alejándose) ¡Casi indigentes! EL PINTOR (misteriosamente) ¡Sé elocuente! EL ESTUDIANTE (dando un espaldarazo a Julián) ¡Nos vemos luego!... (se marchan) LOS BOHEMIOS (muy lejos) ¡Pero somos muy inteligentes! (gritos lejanos de los bohemios) Escena Cuarta JULIÁN (con dolorosa agitación) ¡Ven, mi alegría, mi tormento, mi vida! ¿Querrá seguirme? ¿Querrá que hoy nuestro amor triunfe?! ¿Qué le diré? ¿Cómo hacer que ella se decida? (con angustia) ¿Quién podría ayudarme?... LA VENDEDORA DE SILLAS (desde lejos) ¡La sillera, arreglo sillas!... (Julián se muestra sorprendido) CHAMARILERO (desde lejos) ¡Compro trapos viejos, hierros viejos para vender!... (Se escucha un creciente murmullo; los pregones de los vendedores se acercan) LA VENDEDORA DE SILLAS (más cercana) ¡La sillera, arreglo sillas!... LA VENDEDORA DE ALCACHOFAS (lejano) ¡Alcachofas, a las grandes alcachofas! EL VENDEDOR DE ZANAHORIAS ¡Vean qué zanahorias tan lindas! ¡Zanahorias, hermosas zanahorias! LA VENDEDORA DE ALCACHOFAS ¡Verduras frescas y tiernas! EL VENDEDOR DE ZANAHORIAS (muy lejos) ¡Zanahorias! LA VENDEDORA DE SEMILLAS (acercándose) ¡Semillas para los pajaritos! LA VENDEDORA DE ALCACHOFAS (acercándose) ¡A cinco centavos, verdes y tiernas! ¡A cinco centavos! (se oye a lo lejos la flauta del cabrero) LA VENDEDORA DE SEMILLAS (más cerca) ¡Semillas para los pajaritos! LA VENDEDORA DE ALCACHOFAS ¡Grandes, muy hermosas! EL TONELERO ¡Barriles, barriles! ¡Aquí está el vendedor de barriles! EL ESCOBERO ¡Compren escobas, llegó el vendedor de escobas! ¡Mi papá las hace, mi mamá las vende, y yo se las cobro! VENDEDORES DE PATATAS ¡Patatas, patatas, a las lindas patatas! ¡A tres centavos el cuarto! ¡Son patatas de Holanda! VENDEDORES DE GUISANTE ¡A los guisantes verdes, a los guisantes verdes! ¡Diez centavos el cuarto de kilo! JULIÁN (con entusiasmo) ¡Ah! ¡La canción de París donde vibra y palpita mi alma! VENDEDORES (lejos) ¡Guisantes verdes! ¡Guisantes verdes! JULIÁN ¡Es el viejo sonido del suburbio que se despierta! ¡La alborada bulliciosa que regocija mis oídos! ¿Este grito de París?... ¿Esta voz de la calle? ¿Es el himno de victoria de nuestro amor ?... (Algunas modistillas aparecen por el fondo. Julián se esconde, espiando ansiosamente) Escena Quinta BLANCA ¡Buen día! MARGARITA ¡Buen día! BLANCA ¿Cómo estás? (Desaparecen por la puerta del taller de costura. Otras cuatro más se aproximan) SUSANA ¿Llegamos temprano? GERTRUDIS Son las ocho... SUSANA ¡Ah! (Entran en la casa. Dos más avanzan por el otro lado de la calle) IRMA ¡Y bien! ¿Te divertiste ayer? CAMILA ¡Ah! ¡Me reí tanto! IRMA Tú eres... una fiera... (le habla a la oreja) CAMILA ¿Verdad? IRMA ¡EL matrimonio, querida mía! (desaparecen) JULIÁN ¿Vendrá? (Impaciente, sale de su escondite; tres modistillas llegan y lo observan) LA APRENDIZ (riéndose) ¡Ja! ¡Ja! ¡Ja! ¡Ja! ¡Ja! ¡Ja! ELISA ¡Qué bello es! MAGDALENA ¡Ah! ¡Es un artista! LA APRENDIZ ¡Está esperando a su amada! MAGDALENA, MARGARITA, ¡Ja! ¡Ja! ¡Ja! ¡Ja! ¡Ja! ¡Ja! LA APRENDIZ, MAGDALENA MARGARITA, ¡Qué cabeza! (Se alejan riéndose. Julián las mira entrar al taller, permanece pensativo, y finalmente ve a Luisa y acompañada de su madre; vuelve a esconderse. Continúa esperando y se sorprende de no verlas pasar. Sigue observando en forma disimulada) Escena Sexta (La madre y Luisa llegan; avanzan despacio; y luego se detienen) LA MADRE (refunfuñando) ¿Por qué miras para atrás? Seguro que nos sigue... ¡Basta! Le diré a tu padre que de ahora en adelante trabajes en casa. (Luisa levanta los ojos al cielo. Julián impaciente se deja ver y le hace señas) ¡Ah!, debes ser más juiciosa!... (Al ver a Julián, Luisa le hace un gesto de cariño) Cambiaremos tu forma de pensar. Hace falta que él entienda que Luisa ¡es una muchacha honrada!.. ¡Vamos! ¡Hasta la vista! (Luisa, fríamente, le ofrece la mejilla; la madre la besa con ternura. Luisa entra en el taller, la madre se aleja despacio, Al llegar a la esquina de la calle, mira a todos lados, desconfiada, luego desaparece. Julián se asoma tímidamente, luego, más animado, se dirige hacia el taller) VENDEDORES AMBULANTES (lejos) ¡Vendo zanahorias hermosas! ¡Vendo zanahorias!, zanahorias! Escena Séptima (Julián reaparece, arrastrando a Luisa) LUISA (asustada, trata de liberarse) ¡Déjame!... ¡Ah!... ¡Por favor! (Julián la arrastra hasta el cobertizo) JULIÁN ¿Entonces, se negaron? (Luisa se debate y quiere huir) LUISA ¡Por piedad!... ¡Si mi madre regresara!... JULIÁN ¿Se negaron? LUISA ¡Me haces morir de miedo! JULIÁN ¡Y soportas tales cosas! ¿No te rebelas? LUISA ¿Qué puedo hacer? JULIÁN ¡Se lo exiges! LUISA ¡Ellos tienen el poder de decidir! JULIÁN ¿Por qué, tienen que decidir ellos? ¿Porque te engendraron creen que tienen derecho a encadenar tu adorable juventud?... LUISA ¡Julián!.. JULIÁN ¿A esclavizar tu vida? LUISA (implorando) ¡Ah! ¡Por piedad! JULIÁN ¿A mantenerte prisionera por capricho? LUISA ¡Déjame marchar! JULIÁN ¡Eres una mujer adulta y puedes y debes hacer valer tu voluntad! LUISA (no sabiendo qué contestar) ¡Ah! ¡Voy a llegar tarde!... (implorando) ¡Déjame ir! (Julián, enfadado, la deja marchar. Luisa da algunos pasos, pero regresa, sonriendo) JULIÁN ¡Tú ya no me amas! LUISA (con picardía) ¡No es verdad! (Se oyen , lejanos, los gritos callejeros) JULIÁN Si me amaras, ¿hubieras olvidado tu promesa? (Luisa, intranquila, desvía la mirada) UN VENDEDOR CALLEJERO (lejano) ¡Barro de manantial, para la salud del cuerpo! JULIÁN Escribe de nuevo a mi padre, si él rechaza tu petición, prometo huir contigo. UN VENDEDOR (lejano) ¡Semillas para los pajaritos! OTRO VENDEDOR (lejos) ¡Guisantes Verdes! ¡Guisantes verdes! LUISA (casi hablado) ¡Ah! Si yo pudiera... (se oye la flauta del cabrero) si mi padre... JULIÁN ¡Tu padre te perdonaría! LUISA ¡Jamás! JULIÁN Después, cuando tu felicidad... LUISA Mi abandono lo mataría y yo amo a mi padre, tanto como te amo a ti... JULIÁN (abrazándola) ¡Ah!... ¡Ah! ¡Luisa, si realmente me amas, vayamos de inmediato al País (señalando la colina soleada) donde viven libres los amantes! ¡Ven, te mimaré tanto, toda la vida! (Se oyen risas que llegan de la calle vecina) ¡Ven hacia la alegría, hacia el placer! (Oyendo las risas, Luisa, intranquila, quiere huir, Julián la retiene. Cuatro modistillas cruzan la escena riéndose y entran en el taller) JULIÁN (más apremiante) Si me amas, Luisa, ¡ven, huyamos ahora mismo! Si me amas, ¡no esperes más tiempo! ¡Cumple tu promesa, Luisa! ¡Luisa! (intenta arrastrarla) LUISA (debatiéndose por soltarse) ¡Julián! JULIÁN ¡Ven! LUISA ¡Ah, me estoy volviendo loca!... JULIÁN ¡Vamos hacia el placer!... LUISA (aturdida) ¡No sé que hacer!... ¡Déjame marchar! Mañana... más tarde... (con ternura) ¡Seré tu esposa! Julián! ¡Mi bien amado!... (Se oye la flauta lejana del cabrero. Luisa y Julián, se abrazan; luego Luisa se libera y se aleja hacia el taller; sobre el umbral de la puerta, le envía un beso. Julián le responde) Escena Octava UN TEJEDOR (descendiendo por la escalera) ¡El comprador de vestidos!... ¿Tienen vestidos para vender? (pregunta en las ventanas) ¡El comprador de vestidos!... (se vuelve hacia el otro lado) ¿Tienen algunos vestidos para vender? (Melancólicamente se aleja. Julián, triste, se encamina tristemente hacia la ciudad) ¡El comprador de vestidos!... ¿Tienen algunos vestidos para vender? (Julián hace un último gesto de desesperación desapareciendo lentamente. El telón comienza a caer muy despacio) VENDEDOR DE SEMILLAS (Voz de niño, desde muy lejos) ¡Semillas para los pajaritos!... (se escucha la flauta del cabrero) VENDEDORA DE ALCACHOFAS (muy lejana) ¡A las tiernas (perdiéndose su voz) verduras!... Interludio Cuadro Segundo (Mientras se levanta el telón se oyen las risas de las modistillas. Taller de costura; las muchachas, alrededor de las mesas, trabajan mientras chismorrean y cantan; una aprendiza, en cuclillas, recoge los alfileres caídos al suelo; otra trabaja en la máquina de coser. Luisa, un poco apartada, guarda silencio. Durante las conversaciones, algunas modistillas canta) Escena Primera (En la mesa junto al patio: Irma, Camila y cuatro figurantes; en la segunda mesa: Blanca, Magdalena, y luego Elisa, Susana y dos figurantes; en la tercera mesa: Luisa, Gertrudis y Margarita; en otras mesas: costureras jóvenes y viejas ) La la la la la la la la! SUSANA (junto al maniquí, haciendo pliegues a una falda) ¡Es irritante! No me alcanza... LA APRENDIZ (En cuclillas ante la mesa, a Gertrudis) Présteme su tijera... MODISTILLAS JÓVENES La la la la la la la la! GERTRUDIS (Tiene el pelo blanco pues es una mujer vieja, sentimental y presumida) ¿Y la tuya? ELISA ¡Qué ropa tan mala! LA APRENDIZ ¡Se perdió!... ELISA Los pliegues no se marcan... GERTRUDIS Estoy cansada de prestarla. LA APRENDIZ ¿Un minuto? (Elisa toma la falda, se la muestra a la gobernanta y va a sentarse a la segunda mesa) GERTRUDIS ¡Tendrás que pagarla! (Va a probar un corpiño en el maniquí) MODISTILLAS La la la la! IRMA Yo fui a ver «Le Pre aux Clercs» y «Mignon» (Blanca se levanta y va a hablar con Margarita) CAMILA Pues yo, "Manon". BLANCA (a Margarita, a media voz) ¿Puedes mostrarme el emballenado? IRMA ¿Está bonito? CAMILA Muy hermoso, sobre todo el acabado. ONBRERAS La la la la la!... GERTRUDIS (con impaciencia) ¡No puedo terminar este corpiño! MARGARITA (a Blanca) Tomas un poco de cinta, comienzas... GERTRUDIS Sobre el maniquí, queda bien, pero en una mujer... MARGARITA Comienzas por abajo, lo aprietas muy poco... IRMA ¿Para quién es? MODISTILLAS La la la la!... GERTRUDIS Para la duquesa... CAMILA (hablando en broma) ¡En efecto, ya la veo aquí! (Elisa va a sentarse cerca de Blanca en la segunda mesa) GERTRUDIS (riéndose) Hay que ponerle un suplemento bajo los brazos... CAMILA (riéndose) Y un relleno para las caderas... IRMA (riéndose) ¡Un verdadero relleno, sí! LA APRENDIZ (Con picardía) ¡Todos los clientes quieren lo mismo! (risas) ¡Ja! ¡Ja! ¡Ja!... (Blanca regresa a su lugar) MODISTILLAS, IRMA , CAMILA La la la la!... BLANCA (a Irma) Voy a hacerme un vestido para el Gran Premio... LA GOBERNANTA (dirigiéndose a Luisa) ¿No olvidas el saquito de heliotropo?... BLANCA Yo vi un modelo, querida... (la discusión va en aumento) ELISA (a Susana que le da consejos) ¡Ah! ¡Déjame tranquila, me aburres! MODISTILLAS La la la la!... SUSANA No es así como se pone eso... ELISA ¡Tú siempre quieres saber más que todas! SUSANA ¡Tonta! ¿No ves que esto se rompe con la aguja? ELISA ¡Oh, la, la! ¡Qué horror! SUSANA ¡Qué carácter tienes! ELISA ¡No te fijaste en el tuyo! SUSANA ¡Vaya, vaya! ¡Qué engreída! MODISTILLAS La la la la!... (Elisa tira un ovillo de lana a la cabeza de Susana; las otras costureras se interponen. Todas se ríen con ganas. La gobernanta se levanta) LA GOBERNANTA ¡Señoritas, un poco de silencio!... No estamos en el mercado... (Silencio relativo. La gobernanta charla con Gertrudis. Luisa piensa en Julián) CAMILA (por lo bajo a sus vecinas) Mirad a Luisa, qué cara tan extraña tiene hoy... ELISA, SUSANA ¡Es verdad! IRMA ¡Es verdad! Se diría que está por llorar. GERTRUDIS Quizás tiene problemas de familia... CAMILA Sus padres son muy duros con ella... (Las modistillas se agrupan y lanzan algunas miradas a Luisa que no parece verlas) IRMA Está pasando un momento malo... CAMILA Su madre le pegó de nuevo... BLANCA, SUSANA (indignadas) ¡Ah! ELISA ¡Yo no me dejaría pegar! SUSANA ¡Yo tampoco! BLANCA ¡Y yo, me escaparía! LA APRENDIZ Cuando mi padre quiere pegarme, le digo: ¡pégale a mi madre, (enfáticamente) que tiene el trasero más grande que el mío! (Todas ríen. Luisa baja la cabeza, escucha, y adopta una actitud indiferente) IRMA (mirando irónicamente a Luisa) No. Creo que Luisa está enamorada. GERTRUDIS (asombrada) ¡Enamorada! ¿Luisa?... (se ríe) CAMILA ¿Por qué no podría estar enamorada Luisa? ELISA ¿Enamorada, Luisa?... (se encoge de hombros) LA APRENDIZ (para sí) ¡Enamorada! SUSANA, MAGDALENA ¡Enamorada! GERTRUDIS. MARGARITA ¡Enamorada! BLANCA, ELISA ¡Enamorada! IRMA. CAMILA ¡Enamorada! IRMA, CAMILA, BLANCA, ELISA GERTRUDIS, MARGARITA SUSANA y MAGDALENA Luisa, ¿oíste? dicen que estás enamorada... LUISA (turbada) ¿Yo? IRMA, CAMILA ¿Es verdad? LUISA (enojada) Estáis locas... GERTRUDIS (regresa junto a Luisa) Un amante a tu edad, no es un pecado, y puedes confesarlo... A menos que quieras guardar el secreto de tus aventuras. (se oye un organillo a lo lejos) ELISA, SUSANA ¡Luisa, cuéntanos!... LUISA (con sencillez) No tengo aventuras. GERTRUDIS (con un cómico y contenido lirismo) ¡Que encantador es tener una aventura! (Detrás de ella, la aprendiz, con gestos pícaros, acompaña irónicamente las sentimentales palabras de Gertrudis) ¡Un joven de hermosa figura que te quiera y que te lo demuestre a cada momento! Es el sueño dorado de todas las jóvenes... El sueño que tienen todas las niñas. Por el beso de un joven amante, (Con pasión) daría sin pesar todo el resto de mi vida. (cae exhausta; vuelve a oírse el organillo lejano] CAMILA (ingenuamente) ¿De donde viene este sentimiento que nos empuja constantemente hacia los hombres? ¿Por qué cuando ellos se aproximan nuestros corazones zozobran? (impetuosa) Siempre nos dicen: (misteriosamente) "Tened cuidado" Pero cuando se presenta el predestinado, los escrúpulos desaparecen. Ante su mirada, nos sonrojamos; al oír su voz, sonreímos; y en el entusiasmo de un beso, nos entregamos a un dios astuto; que nos ata como esclavas a la piedra del molino. (Las risas se van apagando. Poco a poco las costureras retoman su trabajo) LA APRENDIZ (se arrodilla ante Luisa) Luisa, cuéntanos tus aventuras... LUISA (con impaciencia) No tengo aventuras. (Luisa se encoge de hombros; la aprendiz, molesta, se aleja atropellando las mesas. Elisa va a sentarse junto a Gertrudis) IRMA (a sus vecinas, lánguidamente) ¡Oh, cuando voy por la calle, todo mi ser arde como el fuego!... ELISA (Margarita) Es un hombre muy guapo... IRMA Bajo las miradas ardientes... MARGARITA ¿Lo amas? IRMA ... de los ojos que me desean, ELISA Estoy chiflada por él... IRMA ¡Voy radiante! MARGARITA ¡Eres una loca! (Elisa vuelve a su lugar; Susana va a probar su trabajo al maniquí) LA GOBERNANTA (A Magdalena) Mira la longitud de las mangas. IRMA ... ¡Los susurros, los piropos,... GERTRUDIS ¡Dios, qué calor hace! ¡Abrid la ventana. (La aprendiz va a abrir una ventana) BLANCA (A Elisa) ¡Está torcido! IRMA ... las lisonjas,... SUSANA (A Magdalena) ¿Vendrás conmigo, esta noche? IRMA ... me enfervorizan y me embriagan! ELISA Luisa, ¿quieres cantarnos algo?... LA GOBERNANTA (a Margarita) ¡Dejadla en paz!... IRMA Me parece... LA APRENDIZ (a la encargada de la máquina de coser) Tengo una cita a las ocho... IRMA ... que está de viaje... ELISA (a Blanca) ¿Te hizo la corte? IRMA ... entonces... LA GOBERNANTA ¿A quien le toca el corpiño? IRMA ... ¡Qué paisajes... ELISA A mí. IRMA ... y qué casas se ven pasar rápidamente... LA GOBERNANTA ¡Date prisa, lo necesitan para esta noche! IRMA ... desde el vagón del tren! SUSANA, BLANCA ELISA, MAGDALENA (riéndose ruidosamente) ¡Ja! ¡Ja! ¡Ja! ¡Ja!... CAMILA, GERTRUDIS ¡Silencio! (La gobernanta entra al cuarto vecino) LA APRENDIZ ¡Escuchad! IRMA (La aprendiz se sienta en cuclillas cerca de Irma, y la escucha admirada) Una voz misteriosa y que promete felicidad, entre los encantadores rumores de la calle, me persigue y me halaga... ¡Es la voz de París! ¡Es la llamada del placer y el amor! Y, poco a poco, la embriaguez me atrapa... En una emoción deliciosa, a todos los ojos, yo entrego mis ojos. Y mi corazón repica como una campana y sucumbe a los deseos de todos los corazones. MODISTILLAS JÓVENES Es la voz de París... COSTURERAS VIEJAS ¡Rendirse, señoras, he allí el placer! (se oye una fanfarria entre bastidores) TODAS (sin coordinación) ¡Ah! ¡La música! Escena Segunda (Irma, Camila, Margarita, Elisa, Magdalena y la aprendiz, van curiosas a las ventanas y miran hacia la calle) UNA VOZ (fuera de escena, con energía, pareciendo marcar el compás) ¡Uno! BLANCA (se levanta y corre a la ventana) ¡Qué divertida es esa fanfarria! IRMA Acompañan a un cantante... CAMILA Es ése de allá. SUSANA (riéndose a carcajadas) ¡Lo ves! ELISA (A Magdalena) ¡Se diría que es un artista de ocasión! (Elisa, Magdalena y la aprendiz, que creen que Julián va a cantar para ellas, se burlan de Camila que lo mira con embeleso. Durante la primera parte de la serenata, le envían besos al cantante y muestran un gran entusiasmo) LA APRENDIZ ¡Nos está mirando! CAMILA ¡Luisa, ven a ver!... ¡Está muy bien! LA APRENDIZ ¡Pero que muy bien! (Luisa parece no oír. Se oye una guitarra entre bastidores) JULIÁN (fuera de escena) En la ciudad distante, en el reino azul de la esperanza, alejado de las penas, conozco un refugio feliz que, para hacerte mi reina, se abre en flor cada noche. MODISTILLAS ¡Qué hermosa voz! ¡Qué hermosa voz! ¡Ah, querida mía, qué hermosa voz! LUISA (para sí) ¡Es él! ¡Es Julián! (Camila va a tomar el ramo que Irma dejó sobre la mesa para arrojárselo al cantante. Irma quiere impedirlo y la empuja. Susana se levanta, sin dejar de coser avanza entre las mesas, se para cerca de la ventana y escucha extasiada) JULIÁN Las flores del bello lugar reviven cada tarde; pero la reina insensible desprecia su esperanza; ni siquiera se digna a conmoverse. (como en el ritornelo) ¿Cuándo vendrás, dime, mi amada al refugio de la eterna embriaguez? El alba te llama y te sonríe, ¡he aquí el día!... ¿Quieres que te lleve a esa mansión dichosa? ¡Al Amor! MODISTILLAS ¡Bravo, bravo! (Se oye en el exterior la música de los bohemios) CAMILA (Alegre) ¡Van a cantar de nuevo! LUISA ¡Qué tormento! ¡Qué horrible tormento! JULIÁN Antaño me narrabas un mágico viaje: "Los dos, me decías, unidos en matrimonio, libres, nos iremos al reino adorado, lejos de este mundo de lágrimas." ¡El sagrado día de cumplir tu promesa, la hora de la alegre partida, ha llegado! Ya suena la campana en nuestros corazones... ¿Cuándo nos iremos, dime, amada mía, al reino de eterna felicidad? TODAS LAS COSTURERAS (excepto Luisa, misteriosamente) ¡Qué dulzura! Mi corazón se abandona a los acentos de su ternura... ¡Qué hermosa voz! ¡Ah!... ¡Qué embriaguez! Mi corazón sucumbe ante sus palabras... ¡Qué hermosa voz! ¡Ah! ¡Ah! ¡Ah! ¡Ah, qué dulce canto de ternura!... ¡Qué hermosa voz! ¡Qué hermosa voz! ¡Ah! ¡Ah! ¡Ah! ¡Qué caricia! ¡Qué dulce canto de ternura! ¡Ah! ¡Ah! ¡Mi corazón sucumbe! CAMILA ¡Cómo nos mira! IRMA Seguro que se dirige a una de nosotras... (Elisa, hace un gesto a Magdalena) LA APRENDIZ ¡Es verdad! LUISA (para sí) ¡Pobre Julián! ELISA No parece feliz... BLANCA ¡Tirémosle algunas monedas! CAMILA ¡Y besos! (tiran algunas monedas y envían besos al cantante) LUISA (mostrándose celosa) ¡Ah, Debería asomarme!... (Julián rasga furioso las cuerdas de su guitarra) GERTRUDIS ¿Qué le pasa? LA APRENDIZ ¿Se volvió loco? (Risas. Luisa se levanta, temblando, luego se sienta de nuevo. A partir de este momento, las modistillas, que hallan la canción menos agradable, incluso aburrida, intercambian gestos de fastidio y de burla. Elisa y Magdalena defraudadas silban al cantante sin piedad) JULIÁN (emotivo) Si tu alma, olvidando los juramentos de antaño, se aparta de mí; si tus deseos son vivir sin luz y sin alegría... GERTRUDIS ¿Qué canta? ELISA ¡Qué aburrido! JULIÁN ... corazón infiel... MAGDALENA (riéndose) ¡Ja, ja ja!... JULIÁN (con énfasis) ... ¡vete lejos de mí! ELISA (irritada) ¡Ah! CAMILA ¡Ya nos está aburriendo! GERTRUDIS (quejosa y aburrida) ¡Ah! JULIÁN ¡Yo renuncio a la vida, porque la vida no tiene sentido si mi amada, la única a quien quiero, rechaza mis lamentos! BLANCA, MARGARITA ¡Ah! ELISA ¡Dios, me irrita! SUSANA, MAGDALENA ¿Qué está cantando? IRMA, CAMILA ¿Terminará pronto? GERTRUDIS ¡Qué pesado! BLANCA, MARGARITA ¡Qué fastidioso! LAS MODISTILLAS (riéndose) ¡Ja! ¡Ja! ¡Ja!... ELISA, SUSANA, MAGDALENA, (gritando burlonamente) ¡Otra! LA APRENDIZ (de igual forma) ¡Otra! IRMA, CAMILA, GERTRUDIS, (Lo mismo) ¡Otra! BLANCA, MARGARITA, ELISA, SUSANA, MAGDALENA, (gritando también) ¡Otra! TODAS (menos Luisa) ¡Otra! (Durante esta última estrofa, Luisa se vuelve a levantar temblorosa. La aprendiz, sobre una silla, con una punta de su delantal imita cómicamente la manivela de un organillo) JULIÁN El tiempo pasa y no respondes... ELISA ¡Ah! ¡Qué desgracia! JULIÁN Solamente sé decirte... GERTRUDIS ¡Pobrecito! JULIÁN ¿Acaso me has mentido?... SUSANA ¡Qué pesado! LA APRENDIZ ¡Oh, la, la! ¡Qué cantinela! ELISA ¡Vete a cortar el pelo! JULIÁN ¿Acaso me has mentido? LAS MODISTILLAS (gritando) ... ¡Mentido! LAS COSTURERAS ¿Cuándo va a terminar? (La aprendiz corre a buscar algunos trapos y los arroja a la calle) JULIÁN ¡Maldita seas! ¡Muchacha sin corazón! ¡Alma impía! IRMA, CAMILA (riéndose) ¡Ja! ¡Ja! ¡Ja!... JULIÁN ¡No puedo más! (respondiéndole por la ventana) ¡Muchacha sin corazón! ¡Alma sin fe! GERTRUDIS (riéndose) ¡Ja! ¡Ja! ¡Ja!... ¡Me hace llorar! ¡Qué ridículo! ¡Qué cantinela! (gritando) ¡Acaba ya! BLANCA, MARGARITA (riéndose) ¡Ja! ¡Ja! ¡Ja!... ¡Qué cabeza! ¡Qué tipo! ¡Mirad... está loco! ¡Está loco! (gritando) ¡Música! ELISA (riéndose) ¡Ja! ¡Ja! ¡Ja!... ¡Está loco! ¡Está borracho! (Elisa recoge algunos trapos y los tira a la calle) ¡Arrojadlo al río! ¡Qué pesadilla! ¡Oh, la, lá! SUSANA (riéndose) ¡Ja! ¡Ja! ¡Ja!... ¡Está borracho! ¡Está loco! ¡Qué fastidioso! ¡Está ebrio! ¡Está ebrio! (gritando) ¡Música! MAGDALENA (riéndose) ¡Ja! ¡Ja! ¡Ja!... ¡Basta! ¡Qué cantinela! ¡Qué fastidioso! ¡Está ebrio! ¡Está ebrio! (gritando) ¡Música! LA APRENDIZ (gritando con las manos como altavoz) ¡Cierra el pico! ¡Está loco! (haciendo gestos desde la ventana) ¡Música! LAS MODISTILLAS (irónicamente) ¡Bravo! ¡Bravo! ¡Bravo! (imitando al cantante) ¡Muchacha sin corazón! ¡Alma impía! LAS COSTURERAS (gritando) ¡Basta ya! ¡Basta! ¡Basta! (con un grito lastimero) ¡Ah! ¡Termina pronto! (Elisa y Camila se sientan de nuevo) IRMA, CAMILA, ELISA LA APRENDIZ, MODISTILLAS (gritando) ¡Música! TODAS (gritando) ¡Música! ¡Música! ¡Música! (Los músicos de la calle obedecen y tocan. Gran confusión. Las modistillas bailan. Luisa se levanta. Su cara expresa angustia; vacila un momento, luego va a tomar su sombrero y se dispone a salir) IRMA, CAMILA, ELISA, SUSANA La la la la la! La la la la la! LAS DEMÁS La la la la la! La la la la la! TODAS (ríen) ¡Ja! ¡Ja! ¡Ja!... GERTRUDIS (observando y dirigiéndose a Luisa) Luisa ¿qué te pasa? ¿Estás sufriendo? (otras compañeras se acercan) LA APRENDIZ (Mirando por la ventana) ¡Se va! LUISA (turbada) Sí... no me siento bien... me ahogo... estoy aturdida... (Se levanta, febrilmente) ¡No puedo seguir aquí! CAMILA ¿Quieres salir? (Luisa, indecisa, escuchando a lo lejos) LUISA (decidida) Sí, preferiría volver a mi casa. (a Gertrudis) Dígale a la señora que tuve que irme... (Toma su sombrero y va hacia la puerta. Algunas de sus compañeras la rodean) IRMA (afectuosamente) Luisa ¿qué tienes? (Luisa, avergonzada, no sabe qué contestar) CAMILA (de la misma manera) ¿Sufres? IRMA ¿Quieres que vaya contigo? LUISA No, déjame... (abre la puerta; y dice con dificultad) ¡Adiós! (Desaparece. La fanfarria se marcha. Las muchachas, asombradas, se miran unas a otras] Escena Tercera ELISA ¿Qué le ocurre a ésa? CAMILA ¿Qué le pasa? IRMA (justificando a Luisa) ¡Se sentía enferma! SUSANA (irónica) ¡Como tú y como yo! LA APRENDIZ (gritando) ¡Es por culpa del cantante! ELISA, SUSANA, MAGDALENA ¡Veamos! IRMA, BLANCA, MARGARITA ¡Veamos! (Corren a las ventanas) CAMILA ¡Allí está! GERTRUDIS (sigue sentada; gritando) ¡Y bien! ¿Qué hace? ELISA, SUSANA ¡Perfecto! IRMA, CAMILA ¡Eso está bien! (Las modistillas que seguían sentadas, se levantan y corren a las ventanas) TODAS (con sorpresa) ¡Ah!... (Gertrudis y la gobernanta juntan las manos temerosas) LA APRENDIZ (con emoción, gritando) ¡Se van juntos a dar un paseo! (Se deja caer de espaldas) TODAS (riendo a carcajadas) ¡Ja! ¡Ja! ¡Ja! (Cae el telón rápidamente) |