EL JUGLAR DE NUESTRA SEÑORA

 

 

 

 

Personajes

 

JUAN              

PRIOR

BONIFACIO

POETA

PINTOR


MÚSICO


ESCULTOR

CANTOR

          Un juglar       

   Prior de un monasterio


    Monje cocinero

       Un monje poeta    

      Un monje pintor
   

    Un monje músico 

     Un monje escultor

    Un monje cantor

                  Tenor

                    Bajo

              Barítono

                  Tenor
 
              Barítono

            
 Barítono

                    Bajo

              Barítono

 

 

La acción transcurre en el monasterio de Cluny, Francia, a mediados del siglo XIV.




ACTE  PREMIER

 
(La Place de Cluny au XIVme siècle. Au milieu
de la place: l'orme traditionnel; et sous l'orme
un banc. On aperçoit la façade de l'Abbaye,
avec une statue de la Vierge au-dessus de la
porte. C'est le premier jour de mois de Marie
et jour de marché. Bourgeois, Bourgeoises,
Chevaliers, Clercs, Paysans, Paysannes,
Gueux, vont et viennent; des filles et des
garçons dansent la Bergerette Marchands,
Marchandes à leur places. Bergerette)


LA FOULE
(sans les Marchands)
Pour Notre-Dame des cieux,
Dansez la Bergerette,
Dansez la Bergerette.
Ohé! Pierrot! Ohé! Pierette!
Voici le Mai gracieux,
Dansez la Bergerette,
Pour le dauphin Jésus
Faites un tour de plus.

MARCHANDES
(1er Groupe, en criant)
Poireaux, navets! Poireaux, navets!
Choux blancs!

(5e Groupe)
 
Pruneaux de Tours!
Pruneaux de Tours!

(3e Groupe, en criant)
 
A la fraise nouvelle! A la fraise nouvelle!

(2e Groupe, en riant)
 
Fromage de crème! Fromage de crème!

(4e Groupe, en riant)
 
Achetez la bonne sauce!

LE MOINE CRIEUR
Les Pardons sont au grand Autel!

LA FOULE
Dansez la Bergerette,
Dansez la Bergerette,
Pour le dauphin Jésus
Faites un tour de plus!

MARCHANDES
(5e Groupe)
Pruneaux de Tours!

(1er Groupe)
 
Poireaux, navets!

LE MOINE CRIEUR
Les Pardons sont au grand Autel!

MARCHANDS
(4e Groupe)
Achetez la bonne sauce verte!
Voilà! Voilà!

(3e Groupe)
 
A la fraise nouvelle!

(5e Groupe)
 
Pruneaux de Tours!

(2e Groupe)
 
Fromages blancs!

(1er Groupe)
 
Achetez! achetez!

LE MOINES CRIEUR
Les Pardons sont au grand Autel!

LA FOULE
Pour le dauphin Jésus
Faites un tour de plus.

UNE VOIX
(dans la foule)
Silence... écoutez.

(La danse cesse. On écoute)

LA FOULE
(un groupe, sans les Marchands,
on entend le son d'une vièle au loin)

Silence... écoutez.

(un groupe)
 
Entendez-vous?

(un groupe)
 
Entendez-vous?

(4 1rs Soprani)
 
C'est un accord de vièle.

LA FOULE, LES MARCHANDS
(avec joie)
Un jongleur!
Un jongleur!
Un jongleur!

(Tous écoutent attentivement)

LA FOULE
(sans les Marchands, 1rs
et 2ds Soprani, léger)

Comme une sauterelle
Le refrain vif sautille!

(ténors, indiquant)
 
Là! Là!

(basses)
 
Il approche!

(joyeux)
 

Noël! Noël!

(soprani et basses)
 

C'est un jongleur!

(ténors)
 

Il va nous dire une chanson nouvelle.

(basses)
 

Nous faire un tour nouveau.

(soprani et ténors)
 

Sa plus neuve grimace!

LES MARCHANDS
(avec la foule)
Place! Le Voici! Le voici!
Place! Place!

JEAN
(il entre en jouant de la vièle; en s'arrêtant)
Place au Roi des Jongleurs!

(Il est maigre, hâve, de pauvre équipage.
Déception générale, murmures)


LA FOULE, LES MARCHANDS
(entre eux)
Le Roi n'est pas très beau:
Roi de piteuse mine.

UN LOUSTIC
(annonçant)
Sa Majesté le Roi Famine!

(Jean se prépare au boniment)

JEAN
(à la foule)
Avancez! Reculez! Attention!

(avec verbiage et rapidité)
 

Ecoutez tous, chevaliers et manants,
Jeunes et vieux, bêtes et gens,
Dames au mignard sourire,
Sages clercs qui savez lire,
Bancroches, bossus, ivrognes et voleurs,
Ecoutez Jean,
Roi des Jongleurs!

(Pour toute réponse des filles et des garçons
esquissent autour du jongleur une ronde
ironique que la foule accompagne avec
une ancienne chanson)


TOUS
Gentil Roi, choisis ta Reine,
Lanturli, virelonlaine! lon lon la...
Lanturli virelonlaine.
Virelonlaine, Virelonlaine, la...
Choisis ta Reine, choisis ta Reine, lon la.
Choisis ta Reine, choisis ta Reine,
Virelonlaine! virelonlaine! virelonlaine!
Virelonlaine! La.

JEAN
(avec impatience, interrompant la ronde)
Attention! Attention!
Mais dans ma sébile d'abord.
Mes doux amis, un peu de menuaille.

(à quelqu'un qui lui donne)
 

Jésus vous le rende.

(à part, avec tristesse, regardant la sébile)
 

Ah! vieille monnaie... rien qui vaille...
Attention!
Voulez-vous tours de jonglerie,
Voire de sorcellerie?
Voulez-vous?
Oncques sur terre ne vit-on
Plus dextre à jongler de bâton,
D'écuelles et de boules.

LA FOULE
(rires dédaigneux)
Ah! Ah! Ah!

JEAN
(plus empressé)
Je sais tirer des œufs d'un chapeau!

LA FOULE
Vieux jeu.
Va t'en traire les poules!

JEAN
Je sais la danse des cerceaux.

(Il esquisse lourdement un pas de danse)

LA FOULE
Voyez! Voyez! que de grâce légère!

(Les filles et les garçons forcent
le jongleur à danser avec eux)

 
Choisis ta Reine, lon la.
Choisis ta Reine, lon la.

JEAN
(avec effort, en se dégageant)
La paix, la paix, folles et fous.
Messeigneurs, pour vous plaire,
Je vais chanter un beau Salut d'amour!

MARCHANDS
(1er Groupe, en criant)
Poireaux, navets! Navets!

(Rires de la foule)
 
(5e Groupe, en criant)

 
Pruneaux de Tours!

JEAN
(insistant malgré les rires)
Un beau Salut d'amour.

MARCHANDS
(1er Groupe, en criant)
Poireaux, navets! Navets!

(5e Groupe, en criant)
 

Pruneaux de Tours!

JEAN
(commençant à désespérer)
Eh bien...
Chant de bataille,
Olifant, tambour et clairon,
Hennissements sous l'éperon,
Estoc et taille!

TOUS LA FOULE
Non. Non.

JEAN
Je sais Roland.

2 MARCHANDES
(du 1er Groupe)
Choux blanc!

FOULE
(répétant ironiquement le cri
des marchandes)

Choux blanc!

(Rires de la foule)

JEAN
(plus accentué)
Je sais Berthe aux grands pieds.

TOUTE LA FOULE
Non. Non. Virelonlaine.
Lanturli, Virelonlaine.

JEAN
(essayant de dominer le vacarme)
Renaud de Montauban.

TOUTE LA FOULE
Non.

JEAN
Charlemagne.

TOUTE LA FOULE
Non. Non.

JEAN
Pépin.

UN LOUSTIC
(imitant le cri de la rue)
Peaux d'lapin!

(Rires en tumulte)

JEAN, LA FOULE
(Ronde folle pendant que
Jean se débat et veut parler)

Vieux jeu. Vieux jeu. Vieux jeu.
Vieux jeu. Vieux jeu.
Non.
Vieux jeu. Vieux jeu. Vieux jeu.
Vieux jeu. Vieux jeu.
Non! Non! Non! Non!
Non!

UN GROUPE
(à Jean, franchement)
Dis-nous plutôt une chanson à boire!

TOUTE LA FOULE
Très bien. Très bien. Vivat! A boire!

UN IVROGNE
In vino veritas.

UN GROUPE
Dis-moi le Credo de l'Ivrogne.

UN CHEVALIER
Le Te Deum de l'hypocras.

TOUTES
Le Gloria a Rouge-Trogne!

JEAN
(proposant assez timidement à la foule)
L'Alléluia du vin?

TOUTES
(acceptant avec bonne humeur)
L'Alléluia du vin!

JEAN
(avec anxiété, se tournant, les mains
jointes vers la statue de la Vierge)

Pardonnez-moi, Sainte Vierge Marie,
Et vous, Jésus, doux enfançon.
Je vais chanter sacrilège chanson;
Mais il faut bien gagner sa vie.
La faim dans mes entrailles crie,
Et si mon cœur est bon-chrétien,

(en s'attendrissant)
 

Pourquoi mon ventres est-il païen?

TOUS
(réclamant la chanson)
L'Alléluia du vin!

JEAN
(s'empresse de préluder sur sa
vièle; à haute voix et à volonté)

Pater noster.
Le vin, c'est Dieu, c'est Dieu le Père
Qui descend du tréfonds des cieux,
Culotté de velours soyeux.
Tout au long de mon cou pieux,
Quand je vide mon verre.
Chantons l'Alleluia du vin!

TOUS
(chaque fois que l'Alleluia paraît, il faut le
chanter en parodie et comme en hurlant)

Alleluia!
Chantons l'Alleluia, l'Alleluia du vin!

JEAN
(à haute voix et à volonté)
Ave.
Vénus la belle aux galants dit:
«Compère,
La nuit encor plus que le jour
Bois le vin, le vieux vin, philtre d'amour:
On a le coeur chaud comme four,
Quand on vide son verre.»

TOUS
Alleluia!

JEAN
Chantons l'Alleluia du vin!

TOUS
Chantons l'Alleluia,
l'Alleluia du vin!

JEAN
l'Alleluia!

(à haute voix et à volonté)
 

Credo.

TOUS
Alleluia, Alleluia,

JEAN
(avec onction)
Ne buvez d'eau, breuvage délétère.
A buveur d'eau l'antre infernal!
Mais pour qu'à mon nez triomphal
Le ciel dise:
«Entrez, Cardinal.»

TOUS
Alléluia,

JEAN, FOULE
Vidons encore un verre.

TOUTE LA FOULE
Chantons l'Alléluia du vin!
Chantons l'Alléluia du vin!
Chantons l'Alléluia du vin!

JEAN
L'Alléluia du vin!
L'Alléluia du vin!

(La porte de l'abbaye s'ouvre brusquement.
Le Prieur parait sur les marches)


LE PRIEUR
(avec énergie, à la foule)
Hors d'ici!... troupe infâme,
hors d'ici! allez!

TOUTE LA FOULE
C'est le Prieur... le Prieur...

(en s'enfuyant, sauf Jean, interdit)
 

Fuyons! Fuyons! Fuyons!

LE PRIEUR
(à Jean)
Et toi, vil Baladin, pour mieux damner ton âme,
Viens-tu donc insulter jusque dans ce couvent

(pieusement)
 

Notre mère Marie et son divin enfant!

JEAN
(tombant à genoux)
Grâce, mon Père!

LE PRIEUR
(avec mépris)
Détestable et maudite race!

JEAN
(encore plus pressant)
Oh! mon Père, pitié, pitié.

LE PRIEUR
Ne vois-tu pas Satan!

(avec une exagération voulue
afin de terrifier Jean)

 
Satan, Satan, dont le poing
vert brandit l'écarlate trident?
Il t'enfourche,

JEAN
(avec terreur)
Grâce! grâce!

LE PRIEUR
... il t'emporte,
Pour t'engloutir, voici flammes et fer,

JEAN
(se traînant aux pieds du Prieur)
... pitié! grâce! ah!

(déchirant)
 

je brûle! ah! je meurs!

LE PRIEUR
Voici la porte formidable de l'Enfer.
L'Enfer! Tremble: L'Enfer! va! va!

JEAN
(se relevant peu à peu
mais encore à genoux)

Ah! mon Père, pardon.

(se traînant vers la Vierge)
 

Pardon, Marie!

(en s'attendrissant)
 

voyez mes pleurs.

(Il sanglote)

LE PRIEUR
(à part)
Il pleure...
Un peu de foi, dans cette âme flétrie,
Pâle rose d'hiver, va-t-il donc refleurir?

(à Jean, doucement)
 

Ton nom?

JEAN
(simplement)
Jean.

LE PRIEUR
C'est le nom d'un Saint cher à la Vierge.

(montrant la Vierge)
 

Le pardon de Marie, on peut le conquérir.
Tu seras pardonné si,
brûlant comme un cierge,
Parfumé comme un encensoir,
Ton cœur à son autel,
sans retard, dès ce soir.
Abjure ce métier immonde;
Tu seras pardonné, si,
plein d'un repentir fervent
Et, secouant la poussière du monde,
Tu deviens, dès ce soir,
mon frère en ce couvent.

JEAN
(avec ferveur, les mains jointes vers la Vierge)
Dame des cieux,
Vous savez bien, Jésus le sait de même,
De quel amour tendre et dévotieux
Jean, le pauvre jongleur, vous aime...

LE PRIEUR
Eh bien?


JEAN
(hésitant et troublé)
Mais renoncer, quand je suis jeune encor,

(avec élan, se retrouvant)
 

Renoncer à te suivre, Liberté,

(avec une tendre joie)
 

ô Liberté, ma mie,
Insoucieuse fée au clair sourire d'or!

(heureux, souriant)
 

Liberté! Liberté!
C'est Elle que mon cœur
pour maîtresse a choisie.
Cheveux au vent, rieuse,
Elle me prend la main
Et m'm'entraîne au hasard de l'heure

(sans respirer)
 

et de chemin.
C'est Elle! Elle!
L'argent des eaux,
L'or de la moisson blonde,
Les diamants des nuits,
par Elle sont à moi, à moi, à moi!

(avec enthousiasme)
 
Par Elle j'ai l'espace, et l'Amour,

(fièrement)
 
et le Monde:

(vibrant)
 
Par Elle le gueux devient Roi!
Par son charme divin,
tout me rit, tout m'enchante.
Tout me rit!

(avec enivrement)
 

Je vais et je respire, je rêve et je chante,
Et pour accompagner le vol de ma chanson,
Le concert des oiseaux pétille
au vert buisson...

(tendrement)
 
Maîtresse gracieuse, et sœur que j'ai choisie.
Faut-il que je vous perde, ô mon royal trésor.

(avec un doux sourire)
 

O Liberté, ma mie,
Insoucieuse fée au clair sourire d'or!

LE PRIEUR
(avec ironie)
Belle maîtresse en vérité.
Redoute, pauvre sot, la mortelle caresse
De sa mensongère beauté.

JEAN
Printemps sourit dans son cortège.

LE PRIEUR
N'y vois-tu pas l'hiver, et la Bise, et la Neige?

JEAN
(ardent)
Sa jeunesse est en fleur.

LE PRIEUR
Mais bientôt sera vieux son amant le jongleur.

JEAN
(tristement, après avoir regardé
son bagage de jongleur)

Et vous, balles, cerceaux,
vieux amis pleins de zèle,

(expressif)
 
Va-t-il vous laisser là, votre maître infidèle?

(tendrement, s'adressant à sa vièle)
 
Toi dont l'âme chantait docile sous ma main.

LE PRIEUR
(avec mépris et résolution)
Garde-les et va-t'en.
Va-t-en mourir de faim,
Sans confesseur, dans un fossé,
guenille infâme...

(changeant de ton)
 

Mais le couvent, c'était le salut de ton âme...
C'était le salut,

(avec intention)
 

le salut de ton corps.

(souriant)
 

En carême, sans doute,
haricots, harengs saurs,
Mais aux fêtes carillonnées,
Ah! les plantureuses journées.

(indiquant subitement le côté par où
Boniface va paraître accompagné d'un frère
lai. Il est monté sur un âne chargé de deux
paniers, l'un contenant des fleurs, l'autre
des victuailles et des bouteilles)

Tiens

(souriant)
 

regarde plutôt...
Cuisinier sans égal,
Le frère Boniface, arrivant de sa quête,
Glorieux, souriant, apporte pour la fête
Tout un régal.

BONIFACE
(avec bonne humeur et onction)
Pour la Vierge
D'abord voici les fleurs qu'elle aime.
Voici les fleurs qu'elle aime.
Œillets, lilas, myosotis,
Eglantine et lys, anémone, hélianthème,
Et voici la pervenche encor.
Pour la Vierge d'abord
voici les fleurs qu'elle aime.
Voici les fleurs qu'elle aime.
Et pour les serviteurs de Madame Marie:
Voici des oignons nouvelletés,
Voici des poireaux verdelets,
Voici du cresson de prairie,
Choux veloutés, sauge fleurie...
C'est pour les serviteurs de Madame Marie.
Sainte Vierge,

(avec une animation enthousiaste)
 

le beau chapon!
Mon Père, s'il vous plaît, soupesez ce jambon...

(avec une joyeuse exclamation)
 

Du vin, nous en avons, et quel vin délectable!
Voyez comme il scintille dans le flacon;
Doux Jésus, c'est du vieux Mâcon!
Pour la Vierge,
Voici des fleurs
Et ce beau cierge!
Et voici pour ses humbles serviteurs.

(Au loin, Cloche dans l'abbaye)
(au Prieur, pieusement)

 
Le Bénédicité, mon Père

(Voix des Moines dans l'intérieur de l'abbaye)

UN VOIX
(au loin)
Bénédicité.

LES MOINES
(au loin)
Bénédicité.

UN VOIX
Nos et ea quæ sumus sumpturi
benedicat dextera Christi.

LES MOINES
Amen.

UN VOIX
In nomine patris et filii et spiritus sancti.

LES MOINES
Amen.

BONIFACE
(changeant de ton et avec bonhomie et entrain)
A table! à table! Et qu'un bon déjeuner

(montrant ses provisions)
 

Nous prépare au dîner.

LE PRIEUR
(à Jean, avec un geste d'invitation)
A table! à table!

JEAN
(comme en extase, mains béatement jointes)
A table! à table!

(Le Prieur, Boniface et le frère lai
se dirigent vers l'entrée de l'abbaye)


JEAN, BONIFACE, LE PRIEUR
(Tous les trois avec une
expression et un geste différents)

A table!

(Jean suit Le Prieur et Boniface, encore
ésitant, mais comme entraîné par le parfum
des victuailles... Jean revient sur ses pas
pour prendre son bagage de jongleur qu'il
emporte en cachette)

 
 

ACTE  DEUXIÈME
 

(A l'Abbaye de Cluny, dans la salle d'études.
Tables, pupitres, chevalets. Se détachant bien
en vue, nouvellement achevée, une statue de la
Vierge qu'un moine est en train de colorier.
Elle a les mains croisées sur la poitrine, dans
une attitude mystique d'indulgence et d'amour.
Groupés autour de Moine Musicien, les Moines
achèvent de répéter sous sa direction un hymne
à la Vierge qu'il a composé pour la circonstance
c'est le matin de l'Assomption. Le Moine
Musicien enseigne le chant exact, les Moines
répètent selon les indications, lorsqu'ils
commettent une erreur, le Moine Musicien

arrête et corrige en chantant le passage)

LE MOINE MUSICIEN, LES MOINES
Ave rosa... speciosa...

LE MOINE MUSICIEN
Non!

(avec intention)
 

speciosa,

LES MOINES
... speciosa,

LE MOINE MUSICIEN
Bien! Très bien!

LES MOINES
Ave mater humi...

LE MOINE MUSICIEN
Non!

(avec intention, en rectifiant
l'erreur commise)

 
Ave mater humilium, lium...

LES MOINES
Ave mater humilium, Superis...

LE MOINE MUSICIEN
(en exagérant la nuance
pour mieux la faire comprendre)

... -ris,

LES MOINES
... imperiosa.

LE MOINE MUSICIEN
(arrêtant)
Non! Superis imperiosa... osa... imperiosa.

(Un Moine joue d'un orgue portatif ou
«régale» qu'un autre Moine tient dans
ses bras)


JEAN
(rêveur, à l'écart)
La cuisine est bonne au couvent...
Moi qui ne dînais pas souvent,
Je bois bon vin,
Je mange viandes grasses,
Jour glorieux!
Aujourd'hui la Vierge monte aux cieux;
Et pour Elle on répète un cantique de grâces...

(avec tristesse)
 

Un cantique en latin!

LES MOINES
Ave coeleste lilium,
Ave rosa speciosa,
In hac valle lacrymarum,
Da robur, fer auxilium.
 
Ave coeleste lilium,
Ave rosa speciosa,
In hac valle lacrymarum,
Da robur, fer auxilium.

JEAN
(avec élan)
Reine des anges,

(comme une prière)
 

O vous à qui je dois grasse viande et bon vin,
Je voudrais avec eux célébrer vos louanges...
Hélas! je ne sais pas chanter latin...

LE PRIEUR
Mes frères, c'est très bien.

(au Moine Musicien)
 

Compliments à l'auteur.

(au Moine Poète, auteur des paroles
de l'hymne et qui s'avance jaloux)

 
Au poète aussi.

(Les Moines reprennent chacun, dans
la salle d'études, leur place et leur travail;
les uns peignent, les autres sculptent ou
modèlent, d'autres copient sur vélin, etc.
Dans un coin, modestement, Boniface
épluche des légumes. Calme recueillement)


(à Jean)
 

Mais dans ce coin solitaire,
Seul, vous ne chantez pas, vous,
un ancien chanteur?

JEAN
(timidement)
Pardonnez-moi, mon Père,
Mais, hélas, je ne sais
Que profanes chansons en vulgaire français.

(Quelques Moines s'approchent
de Jean et le plaisantent)


LES MOINES
Oh! Frère Jean! Quelles paresse!
Comme il engraisse!
Oh! Frère Jean! voyez,
voyez, comme il engraisse!
Oh! Sentez-vous son ventre pousser?

BONIFACE
(intervenant avec bienveillance)
Eh bien quoi!
Frère Jean aimes les bonnes choses.

LE PRIEUR
(doucement, avec malice)
A la Vierge sans doute il offre ce matin,
Comme un bouquet, la fraîcheur de son teint
Tout fleuri de lis et de roses.

(Tous les Moines autour de Jean, sauf
Boniface et les 4 Moines artistes)


LES MOINES
Frère Jean, dormez-vous......

JEAN
(avec sentiment)
Ah! mes frères je connais
ma triste indignité
Jour et nuit je la pleure.

(avec sincérité et emportement)
 

Vous me raillez, c'est peu.
Votre courroux, sur l'heure, devrait

(à volonté)
 

m'anéantir: je l'ai bien mérité.
Hélas!
Depuis qu'en ce convent prospère,
Me guidant de sa blanche main,
La Vierge, secourable Mère,
Permet que je mange à ma faim.
Ai-je un seul jour gagné mon pain?
Non, non, jamais ouvre méritoire...

(expressif)
 

jamais...
Ne témoigne au ciel mon amour.

(en s'accusant avec un ton de reproche)
 

Moine ignorant,

(de même)
 

Moine balourd,

(avec nonchalance)
 

Je ne sais rien qu'au réfectoire
Boire et manger, manger et boire,

TOUS LES MOINES
(sauf Le Prieur, Boniface et les 4
Moines artistes, avec nonchalance)

Jean ne sait rien qu'au réfectoire
Boire et manger, manger et boire.

JEAN
Chacun, dans la sainte maison,
Sert Notre Dame d'un grand zèle;
Il n'est pas si petit clergeon
Qui ne sache entonner pour Elle
Verset ou psaume à la chapelle.

(expressif, douloureux)
 

Et moi, qui recevrais la mort
D'un coeur si joyeux, pour sa gloire,
Hélas, hélas, quel affreux sort!

LES MOINES
(avec nonchalance)
Jean ne sait rien qu'au réfectoire...

JEAN
(s'accusant)
Boire et manger,
manger et boire.

LES MOINES
Boire et manger,
manger et boire.

JEAN
(au Prieur, avec un chaleureuse décision)
Ah! chassez-moi, chassez-moi, mon Père,

(tristement)
 

Je crains de vous porter malheur...

(rude et avec une amère bravoure)
 

Allons, Jongleur, reprends ta besace

(découragé)
 

et reprends ta misère!

LE MOINE SCULPTEUR
(avec dédain)
Jongleur, piteux métier.

(ironique)
 

Deviens plutôt sculpteur.
Tu seras mon élève.

(désignant une statuette
qu'il tient dans ses mains)
 

Vois:
Des flancs du marbre se lève.
Eveillé d'un ciseau pieux,
Le charme de la Reine au front délicieux.
Vois... Je la crée à mon tour, moi, sa créature,
Gagnant la Gloire avec les cieux.

(hautain)
 

Rien ne vaut la sculpture!

LE MOINE PEINTRE
Vous oubliez, mon frère, la Peinture...

(à Jean)
 

Jean, sois mon élève,
Le marbre inanimé ne peut donner la vie;
Mais sous le pinceau tout puissant,

(désignant la statue de la Vierge
qu'il est en train de peindre)
 

Tu la vois palpiter, frémissante... asservie
Aux lèvres qu'elle empourpre,
aux yeux dans le regard.

LE MOINE SCULPTEUR
(avec emportement et dédain)
Le grand art, c'est la Sculpture.

LE MOINE POÈTE
Non pas, à la place d'honneur
ne doit s'asseoir que Poésie.

(avec religion)
 

C'est ma Dame et je suis son fervent serviteur.
Votre art est bien grossier;
D'essence plus choisie
Le Piète, fixant le vol de l'esprit pur,
L'enferme, tout vibrant, aux vers d'or et d'azur.
Gloire à la poésie!

LE MOINE PEINTRE
(fièrement)
Le grand art, c'est la Peinture!

LE MOINE SCULPTEUR
(rudement)
Le grand art, c'est la Sculpture! la Sculpture!

LE MOINE PEINTRE
... la Peinture!

LE MOINE SCULPTEUR
... la Sculpture!

LE MOINE PEINTRE
... la Peinture!

LE MOINE SCULPTEUR
Non! non!

LE MOINE PEINTRE
Non!

LE PRIEUR
(intervenant)
Mes frères, calmons-nous.

LE MOINE MUSICIEN
(approchant)
Pour moi, je me figure que mon art
seul peut vous mettre d'accord...

(comme extasié)
 

Voyez de quel ardent essor,
Tandis que vous rampez à terre,
La musique va droit au ciel...
Voix de l'inexprimable,
écho du grand Mystère,
C'est l'Oiseau Bleu
qui vient du Rivage Eternel,
Et c'est la Blanche
Nef sur l'océan du Rêve...
Que fait aux cieux un Séraphin?
Il chante, encore, et toujours, et sans trêve.
La Musique est un Art divin!

LE MOINE PEINTRE
(avec suffisance)
Non, le grand Art, c'est la Peinture!

LE MOINE SCULPTEUR
(avec suffisance)
Non, le grand Art, c'est la Sculpture!

LE MOINE MUSICIEN
(avec conviction)
O Musique, Reine des arts!

LE MOINE PEINTRE
(avec dédain)
Des maçons, les sculpteurs!
Non! non! Le grand art, c'est la Peinture!

LE MOINE SCULPTEUR
Des barbouilleurs, les peintres!
Non! le grand art, c'est la Sculpture!

LE MOINE MUSICIEN
(avec dédain)
Un bavard, le Poète!
Bavard!
Bavard! Bavard! Bavard!
O Poète!! bavard!

LE MOINE POÈTE
(avec conviction)
Poésie, ô Reine des arts!

(ironique)
 

La musique adoucit les moeurs! voyez!
O musique, Reine des arts!

JEAN
(avec effroi)
Grand Dieu, grand Dieu,
quelle tempête! quelle tempête!

LE PRIEUR
(suppliant)
Mes frères! mes frères!

(avec autorité)
 

Calmons-nous! calmons-nous!
Quoi, mes frères, dans cet asile la discorde!
«Agitans discordia fratres, »
c'est le mot de Virgile.
Par ordre d'Apollon, par ordre de Prieur,
Que la Muse à la Muse offre un baiser de sœur;

(Les quatre rivaux s'embrassent,
mais de mauvais gré)
 

Et venez tous à la chapelle,
Aux pieds de Notre Dame,
et plus humbles de cœur,
La prier d'accueillir son Image nouvelle.

(Emportant la statue de la Vierge les Moines
se retirent avec Le Prieur en rechantant
l'hymne; le Moine Musicien bat la mesure)


LES MOINES
(sauf Le Prieur, Boniface et Jean)
Ave coeleste lilium,
Ave rosa speciosa,
In hac valle lacrymarum
Da robur, fer auxilium.


(Les Voix se perdent dans le silence du
monastère. Jean et Boniface restent
seuls. Jean assis, la tête dans ses mains.
Boniface reprenant sa tâche en épluchant
des légumes)


JEAN
(vague et pensif)
Seul, je n'offre rien à Marie.

BONIFACE
Va, ne les envie.
Tous vois-tu,

(en s'animant)
 

des orgueilleux:
Et le Paradis, ça n'est pas pour eux!

JEAN
(avec un geste découragé)
Le paradis!

BONIFACE
S'il faut s'enfler de gloire
Quand je prépare un bon repas,
Je fais œuvre aussi méritoire,
Sculpteur, je le suis en nougats;
Peintre, par la couleur si douce de mes crèmes;
Un chapon cuit à point vaut, seul, mille poèmes,
Et quelle symphonie à ravir terre et cieux
Qu'une table où préside un ordre harmonieux!

JEAN
(très convaincu)
Certainement.

BONIFACE
(un peu fat)
Mais pour plaire à Marie,
Je reste simple.

JEAN
Simple, hélas,
Je le suis trop...
Elle aime qu'on la prie
En ce latin que je ne connais pas.

BONIFACE
Et moi si peu...
Latin de cuisine...
Est-ce là ton souci?

(naïvement)
 

La Vierge entend fort bien, va, le français aussi;
Sa tendresse au besoin devine.
Pour les humbles, Marie a des bontés de soeur;
Et j'ai lu dans un livre une histoire divine
Où l'on voit clairement qu'elle a donné son coeur
A la plus simple, à la plus humble fleur.

Légende du "sagebush"
 
«Marie avec l'Enfant Jésus
Par les monts, par les plaines fuit...»
«Mais l'âme essoufflé n'en peut plus;
«Et voici que là-bas, là-bas,
au versant de la côte,
ont apparu soudain
Les sanglants cavaliers
du Roi tueur d'enfants.»

(déchirant)
 

«Mon fils, ô mon fils,
où cacher ta faiblesse!»
«Fleurissait une Rose
au bord de chemin:»
«Sois bonne, belle Rose,
à mon enfant pour s'y blottir,
Ouvre tout large ton calice.
«Sauve mon Jésus de mourir.»
«Mais de peur de froisser
l'incarnat de sa robe,
L'orgueilleuse répond:
«Je ne veux pas m'ouvrir.»
«Fleurissait une sauge au bord du chemin:
«Sauge ma petite saugette,
Ouvre ta feuille à mon enfant.
Ouvre à mon enfant.»
«Et la bonne fleurette ouvre si bien sa feuille
Qu'au fond de ce berceau Jésus va s'endormir...»

JEAN
(tendrement, à part)
O miracle d'amour!

BONIFACE
«Et la Vierge bénie
entre toutes les femmes
A béni l'humble sauge
entre toutes les fleurs.»

(à part, très convaincu)
 

La sauge est en effet précieuse en cuisine.

JEAN
(à part, les yeux au ciel, s'exaltant)
Si votre blanche main me bénissait un jour!

(ardent)
 

Vienne la mort, mourir sous vos yeux,
quelle fête!

BONIFACE
(de belle humeur)
Nous fêterons d'abord le dîner que j'apprête.

(avec précipitation)
 

Mais je cours à mon dindonneau...

(revenant aussitôt)
 

Car je plais à la Vierge en veillant au fourneau.
Jésus n'a-t-il pas, d'un égal sourire,
Reçu des Mages Rois
l'or, l'encens et la myrrhe,
Et du pauvre berger un air de chalumeau.

(Il sort en courant)

JEAN
(resté seul et répétant vaguement
les paroles de Boniface)

Et du pauvre berger un air de chalumeau...

(en extase, comme écoutant des voix
célestes, à lui-même, à voix basse, avec
une profonde émotion, parlé)

 
Quel trait de soudaine lumière...

(de même)
 

et dans mon cœur quel émoi!

(plus accentué dans l'émotion)
 

Il a raison... La Vierge n'est pas fière:
Le Berger, le jongleur
vaut à ses yeux le Roi.

(avec ferveur et conviction)
 

Vierge, mère d'amour,
Vierge, Bonté suprême,
Comme à l'air du berger
souriait l'Enfant-Dieu,

(palpitant)
 

Si le jongleur osait vous honorer de même,
Daignez sourire au seuil des cieux!
O Vierge! ô Vierge, mère d'amour!

(Jean reste dans cette attitude de
pieuse invocation. Rideau. L'Orchestre
continue et l'on enchaîne la Pastorale
avec le 3e Acte)

 
 

ACTE  TROISIÈME
 

Pastorale Mystique

(Dans la chapelle de l'Abbaye. Bien en vue, la
statue de la Vierge. La chapelle est disposée
de telle sorte que, d'un côté, un puisse voir
Jean sans qu'il aperçoive lui-même ceux qui
l'observent. Les Moines achèvent de chanter
l'hymne et disparaissent lentement dans le
cloître. Le Moine Peintre seul devant la statue
peinte)


LES MOINES
(au loin peu à peu)
Ave coeleste lilium
Ave rosa speciosa,
In hac valle lacrymarum,
Da robur, fer auxilium.

LE MOINE PEINTRE
(en pieuse admiration devant la statue)
Un regard, le dernier... à mon œuvre,

(orgueilleusement)
 
à ma Vierge...

LES MOINES
(de très loin)
Ave coeleste lilium.

LE MOINE PEINTRE
Le chant s'éloigne et meurt...
Dans le silence où dort l'immobile
flamme des cierges,
Pour son peintre jaloux
Elle est plus belle encor.
Mais on entre... c'est Jean.
Pourquoi tout ce bagage?

(Il se dissimule derrière un pilier. Jean, entre
encore vêtu de sa robe de moine, portant sa
viele et sa besace de jongleur. Il entre à pas
de loup, regardant partout avec inquiétude)


JEAN
(ému)
Personne... allons, courage!
Nul à cette heure, ne vient plus.

(S'approchant de l'autel et restant devant en
fervente et muette contemplation. Avec foi et
tendresse)

 
Vierge, mère adorable de Jésus,
Blanche souveraine,
Me voilà donc seul devant vous...
Tremblant... le cœur
plein d'amour et de peine,
Je tombe à vos genoux... écoutez ma prière:
Hélas, le pauvre Jean
n'est rien qu'un vil jongleur;

(timidement)
 

Laissez-le cependant, à son humble manière,
Travailler sous vos yeux,
ô Vierge, en votre honneur.

(Dépouillant sa robe de moine, il apparaît
en surcot de jongleur, étend son tapis et,
saisissant sa vièle, en tire les même accords
qui annonçaient sa venue sur la place)


LE MOINE PEINTRE
(à part)
Il devient fou.
Je cours avertir le Prieur.

(Il sort vivement)

JEAN
(à haute voix)
Je commence.

(d'abord, il salue la Vierge, puis, avec force
et rapidité, il commence son boniment)

 
Place! Place! Place! Silence!
Ecoutez Jean, Roi des Jongleurs!
Mais dans ma sébile,
d'avance ce quelques sols...

(s'arrêtant confus; à la Vierge)
 

L'habitude! Pardon.

(reprenant son boniment avec vivacité)
 

Attention! Pour vous plaire,
Je chante une chanson de guerre.

(chaque syllabe brutalement accentuée)
 

Il fait beau voir ces hommes d'armes
Quand ils sont montés et bardés;
Il fait beau voir luire ces armes
Dessous les étendards dorés.
Pour gagner gloire et belle terre,
Entre nous gentils compagnons,
Suivons

(presque en hurlant)
 

la guerre!
Suivons la guerre! la guerre!

(à part)
 

Mais, ce vacarme à la Vierge fait peur.

(s'adressant à la Vierge, naïvement)
 

Vous préférez peut-être Le Romance d'Amour?
«Belle Doètte à sa fenêtre...»

(la mémoire lui manque)
 

«Belle Doètte...»

(honteux)
 

Je ne sais plus...

(commençant une autre romance)
 

«Belle Erembourg
Sur la plus haute tour...

(cherchant à se rappeler la suite)
 

Sur la plus haute tour...
Sur la plus haute tour...»
Ah! mémoire infidèle!
Eh bien, rabâche alors, imbécile histrion,
L'éternelle Pastourelle de Robin et Marion.

(franchement)
 

A l'oré' du joli bocage,
Saderaladon.
Chante rossignolet, Saderaladon,
Marion, pastoure bien sage,
A ses amours
Pense toujours
Saderaladon!
Aé! Aé! Aé!

(fièrement)
 

Vient à passer, fier sous l'armure,
Saderaladon,
Chante, rossignolet,
Saderaladon.
Chevalier de belle figure;

(Le Prieur, conduit par le Moine Peintre,
arrive avec Boniface. Jean ne peut les
apercevoir; ils observent le manège du
jongleur)

 
«Je suis le Roi;
Sois toute à moi, Saderaladon,
Aé! Aé! Aé!

LE PRIEUR
(scandalisé, il fait mine
de se précipiter vers Jean)

Sacrilège!

JEAN
«Non, beau seigneur,
je reste sage,
Saderaladon,
Chante rossignolet, Saderaladon

BONIFACE
(contenant le Prieur)
Attendez... la fin de la chanson
Catholiquement Marie
La fille avec le garçon.

JEAN
Avec ma cotte et mon fromage,
Toute à Robin.
J'aime Robin, Saderaladon!
Aé! Aé! Aé!

(avec volubilité, sur le mode
d'un rapide boniment)

 
Et maintenant, Voulez-vous tours de jonglerie,
Voire de sorcellerie?
Voulez vous griffons et diables volants?

(Jean s'est arrêté, honteux
de ce sacrilège, à la Vierge)

 
Pardon...

(avec confusion)
 

l'habitude!

(se rapprochant de la
Vierge, et en confidence)

 
Entre nous, j'exagère,
Mais vous savez qu'un boniment
n'est jamais absolument sincère.

(reprenant)
 

Attention! Pour finir la séance,
J'aurai l'honneur de danser devant vous,

LE PRIEUR
(prêt à s'élancer)
Ah! je cours!

BONIFACE
(le retenant)
Patience!

JEAN
(avec humilité)
Tout simplement la danse de chez nous.

(Le Jongleur se met à danser alors une sorte
de bourrée avec des appels de pieds et des
exclamations jetées par intervalles. Il danse
de plus en plus vite, jusqu'au moment où,
couvert de sueur, haletant, il tombe aux pieds
de la Vierge et s'y prosterne dans une longue
et profonde adoration. Successivement arrivent
tous les Moines y compris le Moine musicien,
le Moine poète, le Moine sculpteur ils entourent
le Prieur. Jean ne peut savoir qu'il est regardé.
Il n'entend aucune des imprécations de colère
qui grandissent à mesure que la danse du
jongleur s'accentue)


LE PRIEUR
(à Boniface, désignant Jean,
avec dégoût et colère)

A son vomissement vois retourner le chien!

BONIFACE
(au Prieur, à part, comme pour l'apaiser)
Devant l'arche dansa le roi David.

(de bonne humeur)
 

Je pense que David! n'était pas païen.

(Rumeurs de colère peu à
peu grandissantes)


LES MOINES
(entre eux, désignant Jean)
Sacrilège! Sacrilège! chassons-le...
du Saint lieu!
Quelle insulte!

(d'autre arrivant)
 

Quelle insulte!
Chassons-le, chassons-le du Saint lieu!
Vengeance! Vengeance!
Il se vautre
Il se joue dans son impiété...
Vengeance! Vengeance! Vengeance!

TOUS LES MOINES
(réunis)
Mort à l'impie! Mort!
Mort à l'impie! Mort!

LE PRIEUR
Anathème sur lui!

BONIFACE
(très expressif)
Pitié, pitié pour lui!

LE PRIEUR
Anathème sur lui!

BONIFACE
Pitié pour lui!

LE PRIEUR
Anathème!
Mort au sacrilège!

LE PRIEUR, LES MOINES
Mort!

BONIFACE
Non!

(Furieux, les Moines vont se précipiter sur
Jean. Mais Boniface, d'un geste vers
la statue de la Vierge, les arrête)

 
Arrière tous! la Vierge le protège!

(avec une terreur religieuse)
 

Voyez-vous...

(presque sans voix)
 

le tableau...
D'une étrange lumière
Il commence à briller...
Un doux regard se lève au bord de la paupière,
Sur la bouche...
un sourire est près de s'éveiller.

LES MOINES
(entre eux, désignant la statue)
... là! là!

LES MOINE PEINTRE
... là! voyez-vous?

LES MOINES
O miracle! Voyez!

LES MOINES PEINTRE
(radieux d'orgueil)
O Peinture!

BONIFACE
Ah!, voyez... la main blanche
Vers le Jongleur incline un geste maternel...
Le front délicieux avec amour se penche...

PRIEUR, LE MOINE PEINTRE, MOINES
O miracle!

LES ANGES
(Voix invisibles au très loin;
sopranos, contraltos, enfants)

Hosanna! Gloire à Jean.
Gloire au plus haut des cieux,
Hosanna!
Gloire et sérénité. Paix sur la terre
Aux hommes de bonne volonté,
Hosanna!

(les sopranos seulement)
 

Hosanna!

BONIFACE
(extasié)
Ecoutez les musiques du ciel!
Adorable mystère.

LES MOINES
(les Moine Peintre avec les barytons)
Adorable mystère.

LE PRIEUR
Adorable mystère.

BONIFACE, PRIEUR, MOINES
Miracle!

(Le Prieur, suivi des Moines, s'approche
de Jean toujours aux pieds de la Vierge,
abîmé dans sa prière. Jean se relève,
et se retourne au bruit, effrayé d'être
surpris dans son costume de jongleur)


JEAN
C'est le Prieur! ah! pardon!

LE PRIEUR
(le relevant)
Relevez-vous,
C'est à moi d'être à vos genoux...
Vous êtes un grand Saint.
Priez, priez pour nous.

BONIFACE, LES MOINES
Priez pour nous.

JEAN
(croyant qu'on le raille)
Non! ne me raillez point.
Punissez-moi, mon Père.

LE PRIEUR
Vous railler, vous punir,
Vous, l'honneur
de ce monastère,

(désignant la statue)
 

Quand je vois de mes yeux
la Vierge vous bénir.

JEAN
(très simplement)
Je ne vois rien.

BONIFACE, LES MOINES
Etrange merveille!

LE PRIEUR
Enseignement des cieux
et leçon non pareille
de candide vertu, de sainte humilité.

(s'adressant à la Vierge)
 

Mais cependant, ô Vierge souveraine,
Mère d'amour et de bonté,
pour le délasser de sa peine,
Aux yeux fermés encor de Votre cher Jongleur,
Divine et vivante Pâleur,
Révélez-vous!

BONIFACE, LES MOINES
Miracle! Miracle!

(Se détachant des mains de la Vierge,
l'auréole des bienheureux
vient briller sur la tête de Jean)


JEAN
(extasié)
Rayonnement!
Ah! bonheur!
Délicieusement... je meurs...

BONIFACE, LE PRIEUR, MOINES
Miracle! Miracle!
Miracle! Miracle!

(Jean défaille)

LES MOINES
(tombant à genoux)
Kyrie eleison,
Christe, exaudi nos,
Sancta Maria,
Ora pro nobis.

JEAN
(d'un ton naïf et tendre)
Enfin... Je comprends le latin...

(Il retombe)

DEUX ANGES
Caressé du vent de nos ailes,
Souriant, le jongleur s'endort;
Voyez devant son humble zèle
S'ouvrir aux cieux la porte d'or.

LES ANGES
Alléluia! Alléluia!

DEUX ANGES
Voyez s'ouvrir la porte d'or,
Voyez s'ouvrir la porte d'or!

JEAN
(extasié, souriant)
Spectacle radieux...
Je vois s'ouvrir les cieux!
Parfums divins... frais palpitèments d'ailes...

(tendrement, ému)
 

La Vierge de la main me fait signe...
Je viens... quel doux sourire...
Ah! sa main blanche... sa main...
La Gloire du Paradis

(La Vierge, au milieu du
Paradis, entourée des Anges)


BONIFACE
(contemplant Jean avec
une ardent et radieuse piété)

Délivré des terrestres liens...
Il s'envole... au bonheur...
de l'Eternel Dimanche...
Plus de chagrin... plus de souci...
Il entre en la céleste ronde...

JEAN
(sans voix)
Me voici...

(Il meurt)

LE PRIEUR
Heureux les simples
car ils verront Dieu.

LES ANGES
(au très loin)
Amen.

BONIFACE, LE PRIEUR, LES MOINES
Amen.
 

  

ACTO  PRIMERO
 

(La Plaza de Cluny en el siglo XIV, con
un olmo y un banco. Podemos ver la
fachada de la abadía, con una estatua
de la Virgen encima de la puerta. Es
el primer día del mes de María y día
de mercado. Burgueses, clérigos,
campesinos, mendigos, van y vienen;
los jóvenes bailan la “Bergerette”:
abundantes vendedores tras sus puestos.
Bergerette)


LA MULTITUD
(excepto los comerciantes)
¡Por Nuestra Señora del Cielo,
bailad la Bergerette!
¡Bailad la Bergerette!
¡Oye! ¡Pierrot! ¡Oye! ¡Pierreta!
Ya ha llegado el dulce mayo,
Bailad la Bergerette.
Para el niño Jesús,
haced una ronda más.

COMERCIANTES
(1er Grupo, gritando)
¡Puerros, nabos! ¡Puerros, nabos!
¡Coles blancas!

(Quinto grupo)
 
¡Ciruelas pasas de Tours!
¡Ciruelas pasas de Tours!

(3er Grupo, gritando)
 
¡Fresas nuevas! ¡Fresas nuevas!

(2do grupo, riendo)
 

¡Queso crema! ¡Queso crema!

(4to Grupo, riendo)
 
¡Comprad esta buena salsa!

EL MONJE PREGONERO
¡Ya están las indulgencias en el altar mayor!

LA MULTITUD
¡Bailad la Bergerette!
¡Bailad la Bergerette
para el delfín Jesús!
¡Haced una ronda más!

COMERCIANTES
(Quinto grupo)
¡Ciruelas pasas de Tours!

(1er grupo)
 
¡Puerros, nabos!

EL MONJE PREGONERO
¡Las indulgencias están en el altar mayor!

COMERCIANTES
(4to Grupo)
¡Comprad la buena salsa verde!
¡Aquí! ¡Aquí esta!

(3er grupo)
 

¡A las fresas frescas!

(Quinto grupo)
 
¡Ciruelas pasas de Tours!

(Segundo grupo)
 
¡Quesos blancos!

(1er grupo)
 
¡Compren! ¡Compren!

EL MONJE PREGONERO
¡Las indulgencias están en el altar mayor!

LA MULTITUD
¡Para el niño Jesús,
haced una ronda más!

UNA VOZ
(en la multitud)
¡Silencio... escuchad!

(El baile se detiene. todos escuchan)

LA MULTITUD
(un grupo, excepto los comerciantes,
escuchan el sonido de un laúd a lo lejos)

¡Silencio... escuchad!

(un grupo)
 
¿Escuchasteis?

(otro grupo)
 
¿Habéis escuchado?

(4 sopranos)
 
Es un acorde de laúd...

LA MULTITUD, COMERCIANTES
(con placer)
¡Un juglar!
¡Un juglar!
¡Un juglar!

(Todos escuchan atentamente)

LA MULTITUD
(menos los comerciantes
y las sopranos, ligeras)

¡Como un saltamontes
el animado coro salta!

(los tenores, señalando)
 

¡Allá! ¡allá!

(los bajos)
 
¡Se acerca!

(contentos)
 
¡Navidad! ¡Navidad!

(las sopranos y los bajos)
 

¡Es un juglar!

(los tenores)
 

¿Nos cantará una nueva canción?

(los bajos)
 

¿Nos hará un nuevo truco?

(las sopranos y los tenores)
 

¿Cómo será su sonrisa?

COMERCIANTES
(con la multitud)
¡Abran paso! ¡Aquí lo tenéis!
¡Abran paso! ¡Abran paso!

JUAN
(entra tocando la laúd y se detiene)
¡Abrid paso al rey de los juglares!

(Es delgado, está demacrado y lleva poco
equipaje. Decepción general, susurros)


MULTITUD, COMERCIANTES
(entre ellos)
El rey no es muy guapo que digamos
Es un rey de apariencia lastimera.

UN BUFÓN
(anunciando)
¡Su Majestad el Rey de la Hambruna!

(Juan se prepara para presentarse)

JUAN
(a la multitud)
¡Acercaos! ¡Un paso atrás! ¡Atención!

(con verborrea rápida)
 

¡Escuchad todos, caballeros y campesinos,
jóvenes y viejos, bestias y personas,
damas de lindas sonrisas,
clérigos sabios que saben leer,
tullidos, jorobados, borrachos y ladrones!
¡Escuchad a Juan,
el rey de los juglares!

(En respuesta, las muchachas y los jóvenes
bailan burlones alrededor del malabarista,
mientras que la multitud acompaña con una
vieja canción)


TODOS
¡Gentil rey, elige a tu reina,
Lanturli, virelonlaine! lon la...
Lanturli virelonlaine.
Virelonlaine, Virelonlaine, la...
Elige tu reina, elige tu reina, lon la.
¡Elige tu reina, elige tu reina,
virelonlaine! virelonlaine! virelonlaine!
Virelonlaine! La.

JUAN
(impaciente, interrumpiendo la ronda)
¡Atención! ¡Atención!
Primero en mi cuenco, queridos amigos,
¡un poco de generosidad!

(a alguien que le da una propina)
 

¡Jesús te lo agradecerá!

(aparte, mirando tristemente el cuenco)
 

¡Ah! Dinero viejo... no vale nada...
¡Atención!
¿Queréis trucos de juglería?
¿Algo de magia?
¿Queréis?
Algo nunca visto en esta tierra:
juegos malabares
con clavas, aros y pelotas.

LA MULTITUD
(risas despectivas)
¡Ja! ¡ja! ¡ja!

JUAN
(más ansioso)
¡Puedo sacar huevos de un sombrero!

LA MULTITUD
Es un truco muy viejo.
¡Saca en vez de un huevo una gallina!

JUAN
Conozco el baile del aro.

(Esboza rápidamente un paso de baile)

LA MULTITUD
¡Mirad! ¡Mirad! ¡Qué tontería!

(Los jóvenes de ambos sexos obligan
al malabarista a bailar con ellos)
 

Elige tu reina, aquí está.
Elige tu reina, aquí está.

JUAN
(con esfuerzo, liberándose)
¡Paz, paz, alocados!
¡Señores, para complaceros,
cantaré un hermoso poema de amor!

COMERCIANTES
(1er Grupo, gritando)
¡Puerros, nabos! ¡Nabos!

(La multitud se ríe)
 
(Quinto grupo, gritando)
 

¡Ciruelas pasas de Tours!

JUAN
(insistiendo a pesar de la risa)
¡Un hermoso poema de amor!

COMERCIANTES
(1er Grupo, gritando)
¡Puerros, nabos! ¡Nabos!

(Quinto grupo, gritando)
 

¡Ciruelas pasas de Tours!

JUAN
(comienza a desesperarse)
Y bien...
¡Canto de batalla!
¡Con tambor, corno y corneta!
¡Relincho bajo la espuela,
estocada y tajo!

TODA LA MULTITUD
¡No, no!

JUAN
¡Conozco las gestas de Roland!

2 COMERCIANTES
(del 1er grupo)
¡Repollo blanco!

MULTITUD
(irónicamente, repitiendo
el grito de los comerciantes)

¡Repollo blanco!

(La multitud ríe)

JUAN
(más exaltado)
¡Conozco a Berthe, la de los pies grandes!

TODA LA MULTITUD
¡No, no, Virelonlaine!
¡Lanturli, Virelonlaine!

JUAN
(tratando de superar el barullo)
¡Renaud de Montauban!

TODA LA MULTITUD
¡No!

JUAN
¡Carlomagno!

TODA LA MULTITUD
¡No, no!

JUAN
¡Pépin!

UN BUFÓN
(imitando el grito de la calle)
¡Peaux d'lapin!

(Risas alborotadas)

JUAN, LA MULTITUD
(Hacen una ronda de baile alocada
mientras Juan se debate y quiere hablar)

Juego antiguo. Juego antiguo. Juego antiguo.
Juego antiguo. Juego antiguo.
No.
Juego antiguo. Juego antiguo. Juego antiguo.
Juego antiguo. Juego antiguo.
¡No! ¡No! ¡No! ¡No!
¡No!

UN GRUPO
(a Juan, decididos)
¡Cántanos una canción para beber!

TODA LA MULTITUD
¡Sí, muy bien! ¡Viva! ¡Para beber!

UN BORRACHO
¡In vino veritas!

UN GRUPO
¡Cántanos el Credo del Borracho!

UN CABALLERO
¡El Te Deum del hipocrás!

TODAS
¡El Gloria de Rouge -Trogne!

JUAN
(como proponiendo con timidez a la gente)
¿El Aleluya del vino?

TODOS
(aceptando con buen humor)
¡El Aleluya del vino!

JUAN
(ansioso, volviéndose con las manos
juntas hacia la estatua de la Virgen)

Perdóname, Santísima Virgen María,
y tú, Jesús, dulce niño.
Cantaré una canción sacrílega,
pero debo ganarme la vida.
El hambre en mi vientre clama
y si mi corazón es el de un buen cristiano,

(Con ternura)
 
¿por qué mi estómago es el de un pagano?

TODOS
(reclamando la canción)
¡El Aleluya del vino!

JUAN
(se apresura a preludiar con su
laúd; en voz alta y libremente)

¡Padre nuestro!
El vino es Dios, es el Dios Padre
que desciende de lo profundo de los cielos,
envuelto en sedoso terciopelo
y corre a lo largo de mi piadoso cuello,
cuando vacío mi vaso.
¡Cantemos el Aleluya del vino!

TODOS
(cada vez que aparece el
Aleluya lo parodian gritando)

¡Aleluya!
¡Cantemos el Aleluya, el Aleluya del vino!

JUAN
(en voz alta y libremente)
¡Ave!
Venus, la bella, dice a los amantes:
"Amigo mío, de noche,
más que de día, bebe vino.
El vino añejo, como un filtro de amor,
hace arder los corazones como en un horno
cuando se vacían los vasos".

TODOS
¡Aleluya!

JUAN
¡Cantemos el Aleluya del vino!

TODOS
¡Cantemos el Aleluya,
el Aleluya del vino!

JUAN
¡El Aleluya!

(en voz alta y libremente)
 

¡Credo!

TODOS
¡Aleluya, aleluya!

JUAN
(con unción)
¡No bebáis agua, pues es una bebida nociva!
A quien beba agua,
¡se le abrirán las puertas del infierno!
Pero a quien tenga mi nariz triunfal,
que el cielo le diga "¡Entra, cardenal!"

TODOS
¡Aleluya!

JUAN, MULTITUD
¡Sirvámonos otro vaso!

MULTITUD
¡Cantemos el Aleluya del vino!
¡Cantemos el Aleluya del vino!
¡Cantemos el Aleluya del vino!

JUAN
¡El Aleluya del vino!
¡El Aleluya del vino!

(La puerta de la abadía se abre de repente.
El Prior aparece en los escalones)


PRIOR
(con energía, a la multitud)
¡Fuera de aquí!... ¡Tropa infame!
¡Fuera de aquí! ¡Marchaos!

MULTITUD
¡Es el Prior!... ¡El Prior!...

(todos huyen, excepto Juan, asustados)
 

¡Huyamos! ¡Huyamos! ¡Huyamos!

EL PRIOR
(a Juan)
¿Y tú, vil payaso, para condenar tu alma,
vienes a blasfemar a este convento?

(piadosamente)
 

¡A Nuestra madre María y su divino niño!

JUAN
(cayendo de rodillas)
¡Perdón, padre!

EL PRIOR
(con desprecio)
¡Raza detestable y maldita!

JUAN
(más vehemente)
¡Oh, padre mío, piedad, piedad!

EL PRIOR
¿No puedes ver a Satanás?

(exagerando deliberadamente
para aterrorizar a Juan)
 

¡A Satanás, Satanás, en cuyo
puño verde empuña el tridente escarlata?
¡Te va a ensartar!

JUAN
(con terror)
¡Perdón! ¡Perdón!

EL PRIOR
Te llevará para engullirte allí,
entre las llamas y los hierros,

JUAN
(arrastrándose a los pies del Prior)
... ¡Por favor! ¡Piedad! ¡Ah!

(angustiado)
 

¡Me quemo! ¡Ah! ¡Me estoy muriendo!

EL PRIOR
He ahí la formidable puerta del infierno.
¡Del Infierno! ¡Tiembla! ¡Ve al Infierno! ¡Ve!

JUAN
(levantándose poco a poco
pero todavía de rodillas)

¡Ah, padre mío, perdón!

(arrastrándose hacia la imagen de la Virgen)
 

¡Perdóname, María!

(enternecido)
 

¡Mira mis lágrimas!

(Solloza)

EL PRIOR
(aparte)
Llora...
Hay aún un poco de fe en tu alma marchita.
Rosa pálida de invierno, ¿volverá a florecer?

(a Juan, dulcemente)
 

¿Tu nombre?

JUAN
(simplemente)
Juan.

EL PRIOR
Es el nombre de un santo amado por la Virgen.

(señalando la imagen de la Virgen)
 

El perdón de María se puede lograr.
Serás perdonado si,
ardiendo como una vela,
fragante como un incensario,
dedicas tu corazón a su altar,
sin demora, desde esta misma noche.
Abjura de tu sucia profesión.
Serás perdonado si,
lleno de ferviente arrepentimiento
y sacudiéndote el polvo del mundo,
te conviertes, desde esta noche,
en un hermano en este convento.

JUAN
(Con las manos juntas hacia la Virgen)
Señora del cielo,
tú lo sabes bien, Jesús también lo sabe,
con qué tierno y devoto amor te ama Juan,
el pobre juglar...

EL PRIOR
¿Y bien?

JUAN
(vacilante y confundido)
Pero... ¿renunciar siendo tan joven?

(con impulso, recuperándose)
 

¿Renunciar a seguirte, Libertad?

(con tierna alegría)
 

¡Oh Libertad, mi querida y despreocupada hada
de luminosa sonrisa dorada!

(feliz, sonriente)
 

¡Libertad! ¡Libertad!
Es a ella
a quien ha elegido mi corazón por señora.
Con sus cabellos al viento, riendo,
toma mi mano
y ahuyenta los peligros diarios

(sin respirar)
 

del camino.
¡Es ella! ¡Ella!
La plata de las aguas,
el oro de la buena mies,
los diamantes de la noche,
por ella son todos ellos míos, míos, míos.

(con entusiasmo)
 
Por ella tengo el espacio y el amor,

(con orgullo)
 

y el mundo:

(vibrante)
 
¡Por ella el mendigo se convierte en rey!
Por su divino hechizo, todo me sonríe,
todo me encanta.
¡Todo me sonríe!

(con embeleso)
 
Voy y respiro, sueño y canto,
y para acompañar el vuelo de mi canto,
el concierto de los pajarillos
suena en la foresta verde...

(tiernamente)
 
Dulce señora y hermana a quien he elegido.
¿Debo perderte, oh mi verdadero tesoro?

(con una dulce sonrisa)
 

¡Oh libertad, mi querida y despreocupada hada
de diáfana sonrisa dorada!

EL PRIOR
(con ironía)
Ciertamente hermosa señora.
Teme, no obstante, pobre tonto,
la caricia mortal de su engañosa belleza.

JUAN
La primavera sonríe en su cortejo.

EL PRIOR
¿No ves el invierno, el viento helado y la nieve?

JUAN
(ardiente)
Su juventud está en flor.

EL PRIOR
Pero pronto su amante, el juglar, envejecerá.

JUAN
(tristemente, después de mirar
su equipaje de juglar)

Y a vosotros, aros y pelotas,
amigos celosos,

(expresivo)
 
¿Os abandonará, vuestro amo infiel?

(tiernamente, dirigiéndose a su laúd)
 
Tú, cuya alma canta dócil bajo mi mano.

EL PRIOR
(con desprecio y resolución)
Guarda todo eso y vete.
Morirás de hambre,
sin confesor, en una zanja,
¡Guiñapo infame!...

(cambiando de tono)
 

El convento sería la salvación de tu alma...
y también sería la salvación,

(con intención)
 

la salvación de tu cuerpo.

(sonriente)
 

En cuaresma, sin duda comerías
frijoles y arenque ahumado,
pero en las fiestas con redoble de campañas,
¡ah, qué días de abundancia!

(Indicando de repente a un lado por donde
ve aparecer a Bonifacio acompañado de
un hermano lego. Llega montado en un
burro cargado con dos cestas, una con
flores y la otra con comida y botellas)

Ahí lo tienes.

(sonriente)
 

Mira bien...
cocinero inigualable,
hermano Bonifacio,
que llega glorioso y sonriente,
trayendo todo lo necesario para las fiestas.

BONIFACIO
(con buen humo)
Para la Virgen, en primer lugar,
aquí están las flores que ella ama.
Aquí están las flores que ella ama.
Claveles, lilas, nomeolvides,
eglantinas y lirios;
y de nuevo anémonas y margaritas.
Para la Virgen, en primer lugar,
aquí están las flores que ella ama.
Aquí están las flores que ella ama.
Y para los siervos de Nuestra Señora María
aquí hay cebollas nuevas,
aquí hay puerros verdes,
aquí hay berros de la pradera,
repollo aterciopelado, salvia en flor...
son para los siervos de la Virgen María.
La Santa Virgen,

(con animación entusiasmo)
 

¡Y hasta un capón bien hermoso!
Padre mío, por favor, ¡mira qué jamón!...

(con una exclamación de felicidad)
 

También hay vino... ¡y qué vino tan delicioso!
Mira cómo brilla en la botella...
¡Dios mío, es tinto añejo de Macon!
Para la Virgen,
aquí hay flores
y esta hermosa vela.
Y esto es para sus humildes servidores.

(A lo lejos, suena la campana de la abadía)
(Al Prior, piadosamente)
 

¡Bendígalo, padre!

(Voces de monjes desde la abadía)

UNA VOZ
(a la distancia)
¡Bendígalo!

MONJES
(a la distancia)
¡Bendígalo!

UNA VOZ
Nos et ea quæ sumus sumpturi
benedicat dextera Christi.

MONJES
¡Amén!

UNA VOZ
In nomine patris et filii et spiritus sancti.

MONJES
¡Amén!

BONIFACIO
(cambiando de tono, con entusiasmo)
¡A la mesa! ¡A la mesa! ¡Y buen provecho!

(mostrando sus provisiones)
 

Voy a preparar la cena...

EL PRIOR
(a Juan, con gesto de invitación)
¡A la mesa! ¡A la mesa!

JUAN
(como en éxtasis, manos felizmente unidas)
¡A la mesa! ¡A la mesa!

(El Prior, Bonifacio y Juan se
dirigen a la entrada de la abadía)


JUAN, BONIFACIO, EL PRIOR
(Los tres con diferentes
expresiones y gestos)

¡A la mesa!

(Juan sigue al Prior y Bonifacio, todavía
indeciso, pero como impulsado por el olor
de la comida... Juan vuelve sobre sus pasos
para tomar su equipaje de juglar que guarda
disimuladamente)

 
 

ACTO   SEGUNDO
 

(Sala de estudios de la Abadía de Cluny,
con esas, escritorios, caballetes. Una
imagen de la Virgen, que un monje está
coloreando, se destaca a la vista, recién
terminada. Tiene las manos cruzadas
sobre el pecho, en una actitud mística
de indulgencia y amor. En torno a un
hermano músico, los monjes terminan
de repetir bajo su dirección un himno a
la Virgen que ha compuesto para la
ocasión. Es el día de la Ascensión. El
hermano músico enseña la canción a
los monjes y los hace repetir cuando se
equivocan, volviendo a cantar el pasaje)


MONJE MÚSICO, MONJES
Ave rosa... speciosa...

EL MONJE MÚSICO
¡No!

(con autoridad)
 
speciosa,

MONJES
... speciosa,

EL MONJE MÚSICO
¡Bien! ¡Muy bien!

MONJES
Ave mater humi...

EL MONJE MÚSICO
¡No!

(con energía, corrigiendo
el error cometido)

 
Ave mater humilium, lium...

MONJES
Ave mater humilium, Superis...

EL MONJE MÚSICO
(exagerando el matiz para
que se entienda mejor)

... ris,

MONJES
... imperiosa.

EL MONJE MÚSICO
(deteniendo el canto)
¡No! Superis imperiosa... osa... imperiosa.

(Un monje toca un órgano portátil
o “regal” que otro monje sostiene
en sus brazos)


JUAN
(ensimismado)
Par alguien que a menudo no come,
la comida es buena...
¡y el vino, mejor!
Hoy, ha habido carne: ¡día glorioso!
La Virgen asciende al cielo;
y para ella cantamos
un himno de alabanza...

(tristemente)
 

¡Un himno en latín!

MONJES
Ave coeleste lilium,
Ave rosa speciosa,
In hac valle lacrymarum,
Da robur, fer auxilium.
 
Ave coeleste lilium,
Ave rosa speciosa,
In hac valle lacrymarum,
Da robur, fer auxilium.

JUAN
(con ímpetu)
Reina de los Ángeles,

(como en una plegaria)
 

a quien debo la carne abundante y el buen vino,
quisiera cantar con ellos tus alabanzas,
pero ¡ay! no sé latín...

EL PRIOR
Hermanos míos, el canto está muy bien.

(al monje músico)
 

Felicitaciones al autor.

(al monje poeta, autor de la letra del himno,
que avanza celosamente)
 

También al poeta.

(Los monjes toman cada uno su lugar
y trabajan en la sala de estudio; unos
pintan, otros esculpen o modelan, otros
copian sobre pergaminos... En un rincón,
humildemente, Bonifacio pela las verduras.
Momento de recogimiento)
 
(a Juan)
 

Pero en este rincón solitario,
¿eres el único que no cantas,
habiendo sido cantante?

JUAN
(tímidamente)
Perdóneme, padre,
pero, ¡ay! sólo sé canciones profanas
y en francés vulgar.

(Algunos monjes se acercan a
Juan y hacen chanzas sobre él)


MONJES
¡Oh! ¡Hermano Juan! ¡Qué haragán!
¡Qué gordo estás!
¡Oh! ¡Hermano Juan!
¡Mira, mira, qué gordo está!
¡Oh! ¿Notas como te crece la barriga?

BONIFACIO
(interviene amablemente)
¿Y qué?
El hermano Juan ama las cosas buenas.

EL PRIOR
(gentil y maliciosamente)
A la Virgen él le ofrece esta mañana,
como un regalo, la frescura de su tez
toda florecida con lirios y rosas.

(Todos los monjes rodean a Juan, excepto
Bonifacio y los cuatro monjes artistas)


MONJES
Hermano Juan, ¿estás durmiendo...?

JUAN
(con pesar)
¡Ah, hermanos míos, reconozco
mi triste indignidad.
Día y noche la lloro.

(con sinceridad y arrebato)
 

Os estáis burlando, pero eso no es suficiente.
Vuestra cólera, ahora, debería aniquilarme.

(libremente)
 

Bien me lo tengo merecido.
¡Ay de mí!
A este próspero convento,
guiándome con su blanca mano,
la Virgen, madre protectora,
me permitió calmar mí apetito.
¿Me ganaré algún día el pan?
No, no, nunca seré merecedor...

(expresivo)
 

Nunca...
No, nunca lo conseguiré.

(acusándose con tono de reproche)
 

Monje ignorante,

(de igual modo, refiriéndose a sí mismo)
 
Monje grosero,

(con indiferencia)
 
No sé nada más que estar en el refectorio
bebiendo y comiendo, comiendo y bebiendo,

MONJES
(excepto los cuatro artistas el Prior y
Bonifacio, con indiferencia)

Juan sólo sabe beber y comer,
comer y beber en el refectorio.

JUAN
Todos en esta santa casa
sirven a Nuestra Señora con gran celo.
Hasta el último de los clérigos
sabe cantarle unos versos
o un salmo en la capilla.

(expresivo, doloroso)
 

Y yo, que recibiría la muerte
con un corazón alegre, por su gloria...
¡Ay, ay, qué terrible destino!

MONJES
(con indiferencia)
Juan no conoce nada fuera del refectorio...

JUAN
(señalándose a sí mismo)
Beber y comer,
comer y beber.

MONJES
Bebe y come,
come y bebe.

JUAN
(al Prior, con fervorosa decisión)
¡Ah, expúlseme, expúlseme, padre,

(tristemente)
 

temo traerles mala suerte!...

(rudo y con amarga valentía)
 

¡Vamos, Juglar, toma tus bártulos

(desanimado)
 

y vuelve a tu miseria!

EL MONJE ESCULTOR
(con desdén)
Juglar, profesión miserable.

(irónico)
 

Mejor conviértete en escultor,
serías mi alumno.

(señalando una estatuilla
que sostiene en sus manos)
 

Mira.
Del bloque de mármol ha surgido,
despertada por un piadoso cincel,
el delicioso rostro de la Reina.
¿Sabes?... creo que me he ganado con ella
la gloria celestial.

(arrogante)
 

¡Nada supera a la escultura!

EL MONJE PINTOR
Te olvidas, hermano mío, de la pintura...

(a Juan)
 

Juan, sé mi alumno,
el mármol inanimado no puede dar vida,
pero bajo el pincel todopoderoso

(señalando la imagen de la
Virgen que está pintando)

 
la puedes ver
palpitar, temblar...
hechizar con su mirada.

EL MONJE ESCULTOR
(con rabia y desdén)
El gran arte es la escultura.

EL MONJE POETA
No, el lugar de honor
le corresponde sólo a la poesía.

(con devoción)
 

Ella es mi señora y yo su ferviente servidor.
Tu arte es muy tosco.
Sólo unos pocos pueden transformar la piedad
en un vuelo espiritual,
cabalgando sobre unos versos de oro y azul.
¡Gloria a la poesía!

EL MONJE PINTOR
(con orgullo)
¡El gran arte es la pintura!

EL MONJE ESCULTOR
(con rudeza)
¡El gran arte es la escultura! ¡La escultura!

EL MONJE PINTOR
... ¡La pintura!

EL MONJE ESCULTOR
... ¡La escultura!

EL MONJE PINTOR
... ¡La pintura!

EL MONJE ESCULTOR
¡No! ¡No!

EL MONJE PINTOR
¡No!

EL PRIOR
(interviniendo)
Hermanos míos, calmémonos.

EL MONJE MÚSICO
(acercándose)
A mí me parece que sólo mi arte
puede poneros de acuerdo...

(como extasiado)
 

Mirad como en un ardiente remolino,
mientras vuestro arte se arrastra por el suelo,
la música va directa al cielo...
Voz de lo inexpresable,
eco del gran misterio,
es el pájaro azul
que viene de la rivera eterna;
es la nave blanca
sobre el océano de los sueños...
¿Qué hace un serafín en el cielo?
Canta, una y otra vez, sin tregua.
¡La música es el arte divino!

EL MONJE PINTOR
(con aire de suficiencia)
¡No, el gran arte es la pintura!

EL MONJE ESCULTOR
(con aire de suficiencia)
¡No, el gran arte es la escultura!

EL MONJE MÚSICO
(con convicción)
¡Oh, la música, es la reina de las artes!

EL MONJE PINTOR
(con desdén)
¡Albañiles, escultores!
¡No! ¡No! ¡El gran arte es la pintura!

EL MONJE ESCULTOR
¡Dibujantes torpes, pintores!
¡No! ¡El gran arte es la escultura!

EL MONJE MÚSICO
(con desdén)
¡Un charlatán, el poeta!
¡Charlatán! ¡Charlatán! ¡Charlatán! ¡Charlatán!
¡Oh, poeta! ¡Charlatán!

EL MONJE POETA
(con convicción)
Poesía, ¡oh, reina de las artes!

(irónico)
 

¡La música calma el alma! ¡Ved!
¡Oh, música, reina de las artes!

JUAN
(con pavor)
¡Gran Dios, gran Dios!
¡Qué conmoción! ¡Cuánta violencia!

EL PRIOR
(suplicando)
¡Hermanos! ¡Hermanos!

(con autoridad)
 

¡Calmaos! ¡Calmémonos!
¿Acaso en este convento reina la discordia!
"Agitans discordia fratres",
es la palabra de Virgilio.
Por orden de Apolo, por orden del Prior,
que la Musa a la Musa le ofrezca un beso.

(Los cuatro rivales se
besan, pero de mala gana)
 

¡Vayamos todos a la capilla,
a los pies de Nuestra Señora,
humildes de corazón,
para rogar ante su nueva Imagen!

(Llevando la imagen de la Virgen, los monjes
se retiran con el Prior, entonando un himno;
el Monje Músico marca el compás)


MONJES
(excepto el Prior, Bonifacio y Juan)
Ave coeleste lilium,
Ave rosa speciosa,
In hac valle lacrymarum
Da robur, fer auxilium.

(Las voces se pierden en el silencio del
monasterio. Juan y Bonifacio quedan
solos. Juan sentado, con la cabeza entre
las manos. Bonifacio reanuda su tarea
pelando verduras)


JUAN
(indeciso y pensativo)
Solo yo, no le ofrezco nada a María.

BONIFACIO
Ve, no los envidies.
Míralos a todos

(animándose)
 

esos orgullosos:
¡Y el paraíso no será para ellos!

JUAN
(con gesto desanimado)
¡El paraíso!

BONIFACIO
Debería hincharme de gloria
cuando preparo una buena comida,
también cuando hago obras meritorias.
Como el mejor escultor, hago turrones;
como pintor, doy suave color a mis cremas;
un capón bien cocinado vale mil poemas,
y qué sinfonía deleitaría más al cielo
¡que una mesa con un orden armonioso!

JUAN
(muy convencido)
Ciertamente.

BONIFACIO
(Humilde)
Pero para complacer a la virgen,
yo me mantengo humilde.

JUAN
Humilde ¡ay!
yo lo soy también...
Pero ella ama que le recen
en ese latín que desconozco.

BONIFACIO
Y yo también empleo...
¡latín de cocinero!...
¿Esa es tu preocupación?

(ingenuo)
 

La Virgen entiende muy bien el francés;
su ternura adivina la necesidad.
Para los humildes, María es como una hermana.
Leí en un libro una historia donde se ve
claramente que entregó su corazón
a la flor más simple, a la más humilde.

Leyenda de La salvia
 
"María con el Niño Jesús
huyó por los montes, por la llanura..."
“Y finalmente no pudo soportarlo”
"Y he aquí que, allá,
en la ladera de la montaña,
aparecieron de repente
los jinetes sanguinarios
del Rey asesino de niños".

(con angustia)
 
"¡Hijo mío, oh hijo mío!
¿Dónde esconder tu indefensión?"
"Una rosa había florecido
al lado del camino:"
"Sé buena, hermosa rosa,
para que mi niño se cobije en ti
abre tu cáliz de par en par.
"Salva a mi Jesús de morir".
"Pero por temor a arrugar
su vestido escarlata,
la orgullosa flor respondió:
"No quiero abrirme".
"Una planta de salvia florecía junto al camino:
Sagebush mi pequeña sagebush,
abre tus hojas para mi hijo.
Ábrelas para mi hijo".
"Y la planta abrió ampliamente sus ramas
y en esa cuna florida Jesús se durmió..."

JUAN
(tiernamente, aparte)
¡Oh, milagro de amor!

BONIFACIO
"Y la Virgen bendita
entre todas las mujeres
bendijo al humilde sagebush
entre todas las flores".

(aparte, muy convencido)
 

La salvia es fundamental en la cocina.

JUAN
(aparte, mirando al cielo, exaltado)
¡Si alguna vez tu blanca mano me bendijera!

(apasionado)
 
Si viniera la muerte, morir frente a tus ojos,
¡qué fiesta sería!

BONIFACIO
(de buen humor)
Pero antes ¡hay que cenar!

(con prisa)
 
Corro a la cocina...

(regresando inmediatamente)
 

Complazco a la Virgen cuidando el horno.
¿No recibió Jesús, con una sonrisa,
el oro, el incienso y la mirra
de los Reyes Magos,
que el dulce son del caramillo de los pastores?

(se marcha corriendo)

JUAN
(quedándose a solas y repitiendo vagamente
las palabras de Bonifacio)

El dulce son del caramillo de los pastores...

(extasiado, como si escuchara voces
celestiales, para sí mismo, en voz baja,
con profunda emoción, hablando)

 
¡Qué rayo de luz repentina...

(de la misma manera)
 
ilumina mi corazón!

(más acentuado por la emoción)
 

Él tiene razón... La Virgen no es soberbia:
ante sus ojos, el pastor o el juglar,
son tan dignos como un Rey.

(con fervor y convicción)
 

Virgen, madre de amor,
Virgen, bondad suprema,
el Niño-Dios sonreía
ante el sonido del caramillo del pastor.

(emocionado)
 

Si el juglar osara a honrarte de igual modo,
¡dígnate sonreírle en las puertas del Cielo!
¡Oh, Virgen! ¡Oh Virgen, madre del amor!

(Juan permanece en esta actitud de
piadosa invocación. Baja el telón y la
orquesta continúa tocando la Pastoral
el comienzo del tercer acto)

 
 

ACTO  TERCERO



Pastoral Mística
 
(En la capilla de la Abadía. Bien visible, la
imagen de la Virgen. La capilla está dispuesta
de modo que, por un lado, se puede ver a
Juan sin que él vea a los que lo están mirando.
Los monjes terminan de entonar el himno y
desaparecen lentamente en el claustro. El
Monje Pintor permanece solo frente a la
imagen pintada)


MONJES
(a lo lejos, poco a poco)
Ave coeleste lilium
Ave rosa speciosa,
In hac valle lacrymarum,
Da robur, fer auxilium.

EL MONJE PINTOR
(en piadosa admiración por la imagen)
Una mirada, la última... a mi trabajo,

(con orgullo)
 

a mi virgen...

MONJES
(Desde muy lejos)
Ave coeleste lilium.

EL MONJE PINTOR
El cántico se apaga y muere...
En el silencio,
donde duermen las llamas de las velas,
para el celoso pintor
Ella es aún más hermosa.
Pero entremos... ¡Es Juan!
Pero... ¿por qué lleva todos estos bártulos?

(Se esconde detrás de un pilar. Entra Juan
vestido con su hábito de monje y con su vieja
mochila de juglar. Entra sigilosamente,
mirando a su alrededor con inquietud)


JUAN
(emocionado)
Nadie... ¡vamos, coraje!
Nadie, a esta hora no viene nadie.

(Acercándose al altar y parándose frente
a él, en ferviente y silenciosa contemplación.
Con fe y ternura)
 

Virgen, adorable madre de Jesús,
soberana inmaculada,
aquí estoy solo frente a ti...
Temblando... con el corazón
lleno de amor y de pena caigo de rodillas...
Escucha mi oración.
¡Ay, el pobre Juan
no es más que un vil juglar;

(tímidamente)
 

Sin embargo, permíteme, humildemente,
trabajar ante tus ojos,
oh Virgen, en tu honor.

(Despojándose de la túnica de monje, se
muestra con un jubón de juglar. Extiende una
alfombra y, agarrando su laúd, toca los
mismos acordes que a su llegada a la plaza)


EL MONJE PINTOR
(aparte)
Se ha vuelto loco.
¡Corro a contárselo al Prior!

(sale rápidamente)

JUAN
(en voz alta)
Voy a comenzar.

(primero saluda a la Virgen, luego, con
ímpetu y rapidez, inicia su actuación)
 

¡Abran paso! ¡Abran paso! ¡Silencio!
¡Escuchad a Juan, el rey de los juglares!
Pero antes, en mi plato
echen un poco de diner...

(deteniéndose confundido; ante la Virgen)
 

¡Es la costumbre! Perdóname.

(reanudando su pregón con entusiasmo)
 

Para agradarte,
cantaré una canción de guerra.

(acentúa cada sílaba con fuerza)
 

Es hermoso ver a los guerreros
cuando marchan cabalgando.
Es hermoso ver relucir sus armaduras
bajo los estandartes dorados.
Para lograr la gloria y extensas tierras,
vayamos,
gentiles compañeros,

(casi gritando)
 

¡A la guerra!
¡Vayamos a la guerra! ¡La guerra!

(aparte)
 
Pero tanto estrépito asustará a la Virgen.

(dirigiéndose a la Virgen, ingenuamente)
 

¿Quizás prefieras “El romance del amor”?
"La Bella Doètte en su ventana..."

(la memoria le falla)
 
"La bella Doètte..."

(avergonzado)
 

Ya no me acuerdo...

(comenzando otro romance)
 

“Hermosa Erembourg
en la torre más alta...

(tratando de recordar el resto)
 

En la torre más alta...
En la torre más alta... "
¡Ah! ¡Memoria infiel!
Pues repite entonces, histrión imbécil,
la eterna “Pastoral” de Robin y Marion.

(desenvuelto)
 

En el borde del hermoso bosquecillo,
Saderaladon.
Canta el ruiseñor, Saderaladon.
Marion, pastora muy prudente,
¡en sus amores
siempre piensa
Saderaladon!
¡Aé! ¡Aé! ¡Aé!

(con fuerza)
 

Camina altivo bajo su armadura,
Saderaladon.
Canta, el ruiseñor,
Saderaladon.
El caballero de la bella figura;

(El Prior, guiado por el Monje Pintor,
llega con Bonifacio. Juan no puede
verlos, pero ellos observan la actuación
del juglar)
 

"Soy el rey;
sé toda mía, Saderaladon,
¡Aé! ¡Aé! ¡Aé!

EL PRIOR
(escandalizado, amaga
a correr hacia Juan)

¡Sacrilegio!

JUAN
"No, apuesto señor,
sigo siendo prudente,
Saderaladon,
Canta el ruiseñor, Saderaladon.

BONIFACIO
(conteniendo al Prior)
¡Espere!... Al final de la canción
se casarán por la iglesia
la muchacha con el joven.

JUAN
Con mi abrigo y mi queso,
todo para Robin.
¡Amo a Robin, Saderaladon!
Aé! Aé! Aé!

(con volubilidad, cada
vez más rápido
 

Y ahora ¿quieres que haga malabares
o trucos de magia?
¿Quieres grifos y demonios voladores?

(Juan se detiene, avergonzado,
por el sacrilegio a la Virgen)

 
Perdón...

(confuso)
 
¡Es la costumbre!

(acercándose a la Virgen y
hablándole confidencialmente)
 

Entre nosotros, estoy exagerando,
pero tú sabes que un pregón
nunca es absolutamente sincero.

(reanudando)
 

¡Atención! Para finalizar la actuación,
tendré el honor de bailar frente a ti,

EL PRIOR
(dispuesto a lanzarse sobre Juan)
¡Ah! ¡Corro hacia él!

BONIFACIO
(reteniéndolo)
¡Tenga paciencia!

JUAN
(con humildad)
Bailaré la danza de mi pueblo.

(El juglar comienza a bailar una danza
popular francesa con zapateos y
exclamaciones lanzadas a intervalos
regulares. Baila cada vez más rápido,
hasta que, cubierto de sudor, jadeante,
cae a los pies del Virgen y postrado allí
permanece en profunda adoración.
Sucesivamente llegan todos los monjes,
incluidos el Monje Músico, el Poeta, y el
Escultor que rodean al Prior. Juan no se da
cuenta que está siendo observado. no escucha
ninguna de las exclamaciones de indignación
que crecen a medida que él baila)


EL PRIOR
(a Bonifacio, señalando a
Juan, con disgusto y enfado)

¡El perro ha vuelto a las andadas!

BONIFACIO
(al Prior, aparte, como para apaciguarlo)
El rey David bailó ante el arca.

(con humor)
 

Creo que David no era pagano...

(Las expresiones de cólera de
los monjes crecen gradualmente)


MONJES
(entre ellos, señalando a Juan)
¡Sacrilegio! ¡Sacrilegio!
¡Saquémoslo... de este lugar santo!
¡Qué ofensa!

(otro que llega)
 

¡Qué agravio!
¡Saquémoslo de este lugar santo!
¡Venganza! ¡Venganza!
Se revuelca en el barro.
Juega con su impiedad...
¡Venganza! ¡Venganza! ¡Venganza!

TODOS MONJES
(reunidos)
¡Muerte al impío! ¡Muerte!
¡Muerte al impío! ¡Muerte!

EL PRIOR
¡Anatema sobre él!

BONIFACIO
(muy expresivo)
¡Piedad, piedad para él!

EL PRIOR
¡Anatema sobre él!

BONIFACIO
¡Tened piedad de él!

EL PRIOR
¡Anatema!
¡Muerte al sacrilegio!

EL PRIOR, MONJES
¡Muerte!

BONIFACIO
¡No!

(Furiosos, los monjes se precipitan sobre
Juan, pero Bonifacio, señalando hacia la
imagen de la Virgen, los detiene)
 

¡Atrás todos! ¡La Virgen lo protege!

(con terror religioso)
 
Lo veis...

(casi sin palabras)
 
El cuadro...
comienza a brillar
con una luz extraña...
Una mirada suave surge de sus ojos,
En la boca...
una sonrisa está a punto de despertar.

MONJES
(entre ellos, señalando la imagen)
... ¡Allí! ¡allí!

EL MONJE PINTOR
... ¡Allí! ¿Lo veis?

MONJES
¡Oh, milagro! ¡Mirad!

MONJES PINTORES
(radiantes de orgullo)
¡Oh, la pintura!

BONIFACIO
¡Ah! Mirad... la mano blanca como
se inclina hacia el juglar con gesto maternal...
Su delicada frente con amor se inclina...

PRIOR, EL MONJE PINTOR, MONJES
¡Oh, milagro!

LOS ÁNGELES
(Voces invisibles y lejanas;
sopranos, contraltos y niños)

¡Hosanna! ¡Gloria a Juan!
¡Gloria en el Cielo!
¡Hosanna! ¡Gloria y paz!
¡Paz en la tierra
los hombres de buena voluntad!
¡Hosanna!

(solo las sopranos)
 
¡Hosanna!

BONIFACIO
(extático)
¡Escuchad la música del cielo!
Adorable misterio.

MONJES
(los monjes pintores con los barítonos)
Adorable misterio.

EL PRIOR
Adorable misterio.

BONIFACIO, PRIOR, MONJES
¡Milagro!

(El Prior, seguido de los monjes, se acerca
a Juan todavía a los pies de la Virgen,
sumido en su oración. Juan se levanta y se
vuelve ante el bullicio, temeroso por haber
sido sorprendido con su ropa de juglar)


JUAN
¡El Prior! ¡Ah! ¡Perdón!

EL PRIOR
(Lo levanta)
Levántate, me corresponde a mí
estar de rodillas...
Tú eres un gran santo.
¡Ora, ora por nosotros!

BONIFACIO, MONJES
¡Ora por nosotros!

JUAN
(creyendo que se burlan de él)
¡No, no os riais de mí!
¡Castígame, padre!

EL PRIOR
¿Burlarme de ti?
¿Castigarte, cuando eres
el honor de este monasterio?

(señalando la imagen de la virgen)
 

¿Cuando acabo de ver con mis propios ojos,
a la Virgen bendiciéndote?

JUAN
(muy tranquilo)
Yo no veo nada.

BONIFACIO, MONJES
¡Qué extraña maravilla!

EL PRIOR
Es una enseñanza del Cielo
y una lección sin igual
de sincera virtud y santa humildad.

(dirigiéndose a la Virgen)
 

Sin embargo, ¡oh, Virgen soberana!
madre de amor y bondad,
para aliviar al juglar de sus penas,
con los ojos aún cerrados,
y con divina palidez,
¡revélate!

BONIFACIO, MONJES
¡Milagro! ¡Milagro!

(Surgiendo de las manos de la Virgen,
la aureola de los bienaventurados
brilla sobre la cabeza de Juan)


JUAN
(extático)
¡Rayo de luz!
¡Ah, qué felicidad!
Deliciosamente... muero...

BONIFACIO, EL PRIOR, MONJES
¡Milagro! ¡Milagro!
¡Milagro! ¡Milagro!

(Juan desfallece)

MONJES
(cayendo de rodillas)
Kyrie Eleison,
Christe, exaudi nos,
Sancta Maria,
Ora pro nobis.

JUAN
(con tono ingenuo y tierno)
Finalmente... entiendo el latín...

(Retrocede)

DOS ÁNGELES
Acariciado por el viento de nuestras alas,
sonriendo, el juglar se duerme.
Mirad cómo ante su humilde fervor,
la puerta dorada se abre en el Cielo.

LOS ÁNGELES
¡Aleluya! ¡Aleluya!

DOS ÁNGELES
¡Mirad, la puerta de oro está abierta!
¡Mirad, la puerta de oro está abierta!

JUAN
(extasiado, sonriente)
Qué espectáculo radiante...
¡Veo abrirse los cielos!
Aromas divinos... frescor de alas palpitantes...

(tiernamente, conmovido)
 

La Virgen, con su mano me llama...
Voy... qué dulce sonrisa...
¡Ah! su mano blanca... su mano...
¡La gloria del Paraíso!

(Se ve a la Virgen, en medio
del Paraíso, rodeada de ángeles)


BONIFACIO
(contemplando a Juan con
ardiente y radiante piedad)

Liberado de los lazos terrenales...
va volando... hacia la felicidad...
de la eterna paz... no más tristezas...
no más preocupaciones...
Entra en el círculo celestial...

JUAN
(sin voz)
Aquí estoy...

(Muere)

EL PRIOR
¡Bienaventurados los de corazón limpio,
porque ellos verán a Dios!

LOS ÁNGELES
(muy lejanos)
Amén.

BONIFACIO, EL PRIOR MONJES
Amén.
 
 

Digitalizado y traducido por:

José Luis Roviaro 2021