ACTE PREMIER
(Une salle du palais de Henri VIII à Londres, avec
deux grandes fenêtres à gauche donnant sur la place
publique)
Scène I
(Norfolk, Don Gomez de Féria)
NORFOLK
Trop heureux, Don Gomez, de vous revoir ici!
Nous y reparlerons de nos beaux jours de France,
De la cour de François où vous étiez aussi.
DON GOMEZ
De votre souvenir, mon cher Norfolk, merci!
Celle à qui j'avais dit ma secrète espérance,
Comme compatriote intercédant pour moi,
La reine Catherine obtint de votre roi
Qu'ambassadeur d'Espagne en Angleterre
À sa cour je fusse accepté.
NORFOLK
Nul mieux que vous ne l'avait mérité.
DON GOMEZ
À vous, Norfolk, je n'en fais pas mystère:
Pour rien dans mon désir, l'ambition n'entrait
Et de mon cœur plus doux est le secret.
NORFOLK
Quoi, l'amour?
DON GOMEZ
Oui, l'amour qui m'a percé d'un trait.
La beauté que je sers est telle
Que jamais les regards ne sauraient s'en lasser
Et que, rien qu'à la voir passer,
On la prend pour une immortelle!
Si je vous disais ses appas,
Ses charmes, sa grâce ingénue,
Vous l'auriez bientôt reconnue,
Bien que je ne la nomme pas.
NORFOLK
C'est donc du ciel qu'elle est venue
Celle dont vous suivez les pas!
DON GOMEZ
La beauté que je sers est blonde,
Ses cheveux sont plus clairs que l'or vivant des blés,
Et ses yeux dans les cœurs troublés
Versent une langueur profonde!
Le long du chemin de ses pas
Les roses pâlissent d'envie!
Elle est la lumière et la vie!
Ne la reconnaissez-vous pas?
NORFOLK
Comme elle a votre âme ravie
Celle dont vous suivez les pas!
DON GOMEZ
Quoi! votre esprit ne devine pas celle
Qui, comme une étincelle
Dans tous les cœurs allumant le désir,
Fut à la cour de Blois la reine du plaisir?
NORFOLK
Anne Boleyn?
DON GOMEZ
Elle-même!
NORFOLK
Et vous croyez qu'elle vous aime
Autant que vous l'aimez?
DON GOMEZ
J'en suis certain vraiment!
Tenez! la reine en garde une preuve fidèle.
NORFOLK
Une preuve?
DON GOMEZ
Une lettre d'elle.
De ce billet charmant
La tendresse nous fit Catherine clémente.
NORFOLK
Je suis ravi!
DON GOMEZ
De quoi?
NORFOLK
Mais que cela démente
Certains bruits...
DON GOMEZ
Qu'est-ce donc?
NORFOLK
On contait, à la cour,
Que le roi, mal guéri de son ancien amour
Pour la sœur d'Anne aujourd'hui trépassée
Voulait s'en faire aimer...
DON GOMEZ
La chose est insensée!
De Marguerite délaissée
Le souvenir saurait la protéger
De ce danger!
D'ailleurs, elle m'aime!
NORFOLK
On ajoute
Que pour la fasciner sans doute
Dès aujourd'hui notre maître et seigneur
De la reine la veut nommer dame d'honneur.
DON GOMEZ
Il n'est, de tout cela, rien que mon cœur redoute.
Oui, je suis sûr de son amour!
Toute ma foi repose en elle.
C'est une tendresse éternelle
Qui nous enchaîne sans retour.
Oui, je suis sûr de son amour.
NORFOLK
Le ciel vous garde son amour!
Et puisiez-vous trouver en elle,
Avec la constance éternelle,
L'objet d'un bonheur sans retour.
Le ciel vous garde son amour!
Si vous connaissiez notre roi,
Peut-être auriez-vous plus d'effroi?!
Pour Henry VIII, il n'est chose sacrée:
L'amitié, l'amour, les serments,
Tout est litière à ses emportements.
Il n'est pour lui ni loi, ni foi jurée.
La preuve: Buckingham était son favori
Ainsi qu'un traître, on le juge à cette heure
Et que je meure
Si ce soir même il n'a péri.
(Bruit sur la place)
Mais c'est du tribunal que la foule s'empresse.
(Des seigneurs entrent)
Scène II
(Les mêmes, des Seigneurs)
NORFOLK
(allant aux seigneurs)
La nouvelle, messieurs? Buckingham?
CHŒUR DES SEIGNEURS
Condamné.
NORFOLK
Quel châtiment?
CHŒUR DES SEIGNEURS
La mort!
NORFOLK
L'avais-je deviné?
CHŒUR DES SEIGNEURS
Pauvre Buckingham que, dans sa détresse
Nul de nous ne peut secourir,
De ton royal ami la menteuse tendresse,
Sans éclair de pitié, te laissera mourir!
PREMIER SEIGNEUR
C'est tout à l'heure qu'on l'emmène
Et l'échafaud déjà l'attend!
DEUXIÈME SEIGNEUR
Pour faire une chose inhumaine
Le roi ne perd pas un instant.
TROISIÈME SEIGNEUR
Nous pourrons de cette fenêtre
Le voir quand on le conduira.
QUATRIÈME SEIGNEUR
Certes! mais de le reconnaître
Nul de nous ne s'avisera!
PREMIER SEIGNEUR
À la cour, messieurs, le plus sage
Est de vivre chacun pour soi!...
SEIGNEURS
Rien en effet ne nous présage
Ce qu'il faut attendre du roi!
CHŒUR DES SEIGNEURS
Pauvre Buckingham que, dans sa détresse
Nul de nous ne peut secourir,
De ton royal ami la menteuse tendresse,
Sans éclair de pitié, te laissera mourir!
LES QUATRE SEIGNEURS
Nous vivons sous un roi terrible, impie et traître
Et par son joug de fer notre front est meurtri.
(Le roi apparaît.)
Mais le voici.
(sur un ton mielleux)
Salut à notre noble maître!
À notre doux seigneur, au très clément Henry!
Salut au prince magnanime
Dont le bras de fer revêtu,
Impitoyable pour le crime,
Est toujours doux à la vertu!
(Ils saluent avec obséquiosité 1e roi qui ne fait
pas attention à eux et se retirent en se courbant)
Scène III
(Norfolk, Don Gomez, Henry, Surrey)
NORFOLK
(présentant Don Gomez au roi)
Daignez, sire, accueillir celui qui m'accompagne,
Don Gomez de Féria, l'ambassadeur d'Espagne!
HENRY
(gracieusement, à Don Gomez)
À notre cour, monsieur, soyez le bienvenu
Car vous m'étiez déjà connu.
La reine qui pour vous s'est fort intéressée,
M'a parlé d'une fiancée
Dont les beaux yeux vous attiraient ici,
Que vous aimiez, qui vous aimait aussi.
Remise par vous, une lettre d'elle,
Lui fut de cet amour une preuve fidèle,
Je ne sais rien de plus, mais de tels sentiments
Méritent qu'on les récompense:
Les rois sont trop heureux de servir les amants!
Si, comme je le pense,
Remercier la reine est pour vous un désir,
Dans un instant vous aurez ce plaisir,
Par moi, devant la cour en ces lieux arrêtée,
Une dame d'honneur lui sera présentée.
DON GOMEZ
(surpris et à part)
Une dame d'honneur! Norfolk dirait-il vrai?
(Le roi les congédie, sauf Surrey)
Scène IV
(Henry, Surrey)
HENRY
(se rapprochant vivement de Surrey)
Donc le pape est hostile à ma secrète envie?
SURREY
Oui, sire!
HENRY
Je l'y soumettrai!
SURREY
Mais il y va pour vous du trône et de la vie!
HENRY
Que m'importe, Surrey? Dans mon âme ravie
Rien ne demeure plus quand l'amour est entré.
Je souffre, pour cette rebelle,
Des maux plus durs que le trépas!
SURREY
Près de la femme la plus belle,
Un roi commande et ne soupire pas!
HENRY
Qui donc commande quand il aime?
Et quel empire reste au cœur
Où l'amour met son pied vainqueur?
Ah! c'est la torture suprême:
Espérer et craindre à la fois!
Et vivre, exilé de soi-même,
Ayant des caprices pour lois!
Qui donc commande quand il aime?
Elle veut et puis ne veut plus,
Elle me cherche et puis m'évite.
Le souvenir de Marguerite
Fait-il mes regrets superflus?
Elle me cherche et puis m'évite,
Elle veut et puis ne veut plus.
Ah! c'est la torture suprême:
Espérer et craindre à la fois!
Et vivre exilé de soi-même,
Ayant des caprices pour lois!
Qui donc commande quand il aime?
SURREY
(apercevant Catherine)
Sire, la reine!
(Surrey sort; entre Catherine.)
Scène V
(Henry, Catherine)
CATHERINE
Ô mon maître et seigneur,
Vous m'avez demandée?
HENRY
(courtoisement)
En effet, noble reine,
C'est pour vous présenter une dame d'honneur
Dont vous serez bientôt la souveraine.
Sachez, avant même son nom,
Que de la cour de France, ici le ciel l'envoie.
CATHERINE
(joyeusement)
Anne Boleyn?
HENRY
(inquiet)
Quoi? vous la connaissez?
CATHERINE
Non!
(bas)
Gardons à Don Gomez le secret de sa joie.
(haut)
Le bruit de sa beauté parvint seul jusqu'à moi.
HENRY
Le présent de vous n'en est que plus digne.
CATHERINE
Je l'accepterai donc, puisqu'il vient de mon roi,
Dont j'attends à mon tour une faveur insigne.
HENRY
(gracieusement)
Parlez! Vous plaire en tout est ma plus chère loi.
CATHERINE
De Buckingham je sais le sort terrible.
Donnez-moi sa grâce.
HENRY
(doucement)
Impossible.
CATHERINE
Cependant vous m'aviez promis...
HENRY
Ma justice est inexorable!
CATHERINE
Mais il était de vos amis!
HENRY
Il n'en est que plus méprisable!
CATHERINE
J'en appelle à votre pitié!
HENRY
Je n'en ressens pas pour un traître.
CATHERINE
Peut-être on l'a calomnié.
HENRY
Apprenez à mieux le connaître:
Pour lui prêter votre secours,
Reine, vous ignorez peut-être
Qu'il fut votre ennemi toujours!
CATHERINE
Je suis chrétienne, ô mon maître,
Pardonnez!
HENRY
Buckingham a mérité la mort!
Cessez pour le sauver un inutile effort!
CATHERINE
Triste secret de mes vœux superflus!
Mon seigneur, vous ne m'aimez plus!
HENRY
Que dites-vous là, Catherine?
Eh! quoi donc! votre humeur chagrine
Méconnaît l'amour que pourtant
Je vous témoigne à tout instant,
Domptant jusqu'à ma conscience,
Pour rester toujours votre époux!
CATHERINE
(épouvantée)
Que dites-vous? que dites-vous?
HENRY
Je dis que quelquefois je pense
Que Dieu maudit notre union,
Comme illégitime et contraire
À la sainte prescription
Qui défend d'épouser la veuve de son frère.
CATHERINE
Ô mon maître, vous blasphémez!
Car le pape a béni les nœuds par nous formés.
HENRY
(avec hypocrisie)
Que le pape soit infaillible
On le prétend et c'est possible,
Mais le lévitique est formel,
Et ce livre nous vient du ciel.
CATHERINE
Où voulez-vous en venir, je vous prie?
HENRY
(avec une feinte bonhomie)
Moi? Mais à rien, Catherine chérie,
Rassurez-vous, j'ai voulu seulement
Vous rendre juste envers un sentiment
Qui, surmontant la différence d'âge
Et l'absence de fils, fait encor davantage
En bravant jusqu'à Dieu pour garder son serment.
(à part)
A-t-elle compris? Elle tremble.
Du triste hymen qui nous rassemble
L'amour d'Anne sera vainqueur!
La paix de l'âme étant perdue,
Ah! du moins cette ivresse est due
À mon cœur!
CATHERINE
(bas, avec désespoir)
Ah! j'ai tout compris et je tremble!
Du saint hymen qui nous rassemble,
Un amour coupable est vainqueur!
Plus de justice m'était due,
Je me sens à jamais perdue
Dans son cœur!
(Bruit au dehors)
HENRY
Mais voici venir, ce me semble,
Celle que dans ce lieu nous attendons ensemble.
(Entre Anne conduite par Surrey et accompagné
de demoiselles d'honneur. De tous côtés entrent
des seigneurs avec Norfolk et Don Gomez de Féria)
Scène VI
(Les mêmes, Anne, Don Gomez, Norfolk, Surrey,
Dames, Seigneurs)
ANNE
(apercevant Don Gomez)
Don Gomez, juste ciel!
DON GOMEZ
(apercevant Anne)
C'est bien elle vraiment!
HENRY
(qui s'est aperçu de leur mouvement; à Anne)
Vous vous reconnaissez, vous étant vus en France?
ANNE
(se remettant)
Sire, précisément.
HENRY
(présentant Anne à Catherine)
Reine, pour vous donner la nouvelle assurance
De notre amour royal, nous plaçons près de vous
Honorait autrefois d'une amitié jalouse;
Venant d'un peuple ami, ce présent nous est doux.
CHŒUR DE FEMMES
(entourant Anne)
Salut à toi qui nous viens de la France!
Nos deux pays ont les mêmes aïeux,
Gage de paix et gage d'espérance,
Salut à toi, vierge au front radieux!
CATHERINE
(à part)
De celle-là du moins, quoiqu'elle soit belle
Un autre amour protège mon bonheur.
(haut et affectueusement à Anne)
Soyez la bienvenue ici, mademoiselle,
Ma nouvelle dame d'honneur.
ANNE
(avec résolution en lui baisant la main)
Reine, à vous bien servir je mettrai tout mon zèle.
HENRY
(se rapprochant d'Anne)
Pour honorer encore en vous
Un poste dont vous êtes digne,
J'y veux joindre, faveur insigne,
Un titre désiré de tous:
De Pembroke soyez marquise!
LE CHŒUR
De Pembroke le roi la nomme aussi marquise!
ANNE
Sire, c'est vraiment me combler.
(On entend dans la coulisse les accents d'une
marche funèbre: c'est celle qui conduit Buckingham
au supplice. Catherine, Don Gomez, Surrey, Norfolk,
les dames d'honneur et les seigneurs se précipitent
à la fenêtre, tandis que Anne et le roi continuent à
se parler sur le devant de la scène)
HENRY
(bas et gracieusement)
Quel bienfait pourrait égaler
L'éclat de cette grâce exquise!
ANNE
Non, c'est trop!
HENRY
Ce n'est pas assez!
(avec passion et plus bas encore)
Si tu savais comme je t'aime!
ANNE
(à elle-même)
Mon cœur s'emplit de rêves insensés.
HENRY
(même jeu)
Je suis ici maître suprême!
Si tu savais comme je t'aime!
(Depuis un instant la marche funèbre de Buckingham
se fait entendre; elle s'est rapprochée et on entend
distinctement le chœur des moines qui l'accompagnent
au supplice)
CHŒUR DES MOINES
De profundis! de profundis!
Que Dieu dans sa miséricorde
Au pécheur repentant accorde
Une place en son paradis!
De profundis!
ANNE
(épouvantée)
Quel est ce chant de deuil dont mon âme est troublée?
HENRY
(avec indifférence)
Rien! un traître qui meurt!
ANNE
(portant la main à ses yeux comme si une vision
terrible l'obsédait)
Une hache! du sang!
Ô sombre vision de l'enfer envolée!
J'ai peur!
HENRY
(tâchant de la rassurer)
Ô ma colombe au regard innocent,
Reviens à toi, mon bien suprême!
(avec passion)
Si tu savais comme je t'aime!
CHŒUR DES MOINES
De profundis! de profundis!
Que Dieu dans sa miséricorde
Au pécheur repentant accorde
Une place en son paradis!
De profundis!
ANNE
Taisez-vous! taisez-vous! une hache, du sang!
Ô sombre vision qui sur mon front descend!
(La marche funèbre s'est éloignée.)
C'était un sombre rêve
Qui s'envole et s'achève,
Mais dans mon cœur reste un secret effroi!
Ah! d'un coupable amour, Seigneur, protège-moi.
HENRY
(regardant Anne)
C'était un sombre rêve
Qui s'envole et s'achève,
La mort est due à qui trahit son roi.
Non! rien ne la saurait défendre contre moi.
DON GOMEZ
(regardant Anne)
Hélas, c'est mon doux rêve
Qui s'envole et s'achève!
Comment lutter contre l'amour d'un roi?
De ce tourment jaloux, Seigneur, protège-moi.
CATHERINE ET LE CHŒUR
Hélas! c'est sous le glaive
Qu'un sort brillant s'achève!
Qui tenterait de désarmer le roi?
Dédaigneux de l'amour, il règne par l'effroi!
ACTE DEUXIÈME
(Dans les jardins de Richmond. Un carrefour
de verdure auquel aboutissent plusieurs avenues.
Apprêts d'une fête)
Scène I
(Don Gomez)
CHŒUR
Joyeux enfants qui ne savez encore
Les lourds secrets du monde et de la Cour,
En doux refrains comme en jeux tour à tour
S'évanouit votre gaieté sonore.
Quand des soucis pour vous viendra le jour
Rappelez-vous les plaisirs de l'aurore.
DON GOMEZ
(sombre)
Norfolk avait dit vrai! J'ai vainement douté!
En vain, pour me rapprocher d'elle
À Londres j'avais tout tenté,
Ne pouvant la croire infidèle!
Et j'espérais encor, si grande était ma foi!
Mais ici plus de doutes et plus d'espoir qui leurre
Elle est ici près de ce roi
Qui déserte la ville à l'heure
Où la peste y sème l'effroi!
Tandis que la reine y demeure!
Elle est ici près de ce roi!
Ah! le lâche! ah! la criminelle!
Je veux pour guérir ma raison
Qu'affola sa beauté cruelle,
Savoir ce qu'elle porte en elle
D'infamie et de trahison!
Ah! par quelle ironie étrange
Le ciel mit-il sous ce front d'ange
Le génie ami d'un démon
Ô mensonge d'un doux visage!
Ô charme trompeur de ses yeux!
Je sens dans mon cœur anxieux
Renaître et mourir le courage.
Tout me redit son crime, hélas!
Sans convaincre mon cœur rebelle.
Ô sort plus dur que le trépas!
Jamais je ne la vis si belle!
(Anne apparaît au fond d'une avenue
accompagnée de femmes qui chantent
sur un rythme caressant.)
C'est elle! La douleur a brisé ma colère!
CHŒUR DES FEMMES
Noble dame, pour vous plaire
Tout s'empresse autour de vous,
Sans vouloir d'autre salaire
Que vos sourires si doux!
Chants d'oiseaux, parfums de roses,
Cœurs épris, charmantes choses,
Tout s'empresse autour de vous!
ANNE
C'est par vous, ô demoiselles,
Que ces lieux sont embellis
Mieux que par le bruit des ailes
Et par la blancheur des lis.
Comme aux fleurs un lit de mousse,
Près de vous la vie est douce,
Pleine de charme et d'oublis.
(En apercevant Don Gomez, Anne fait
un geste de surprise et de frayeur, puis
fait signe à ses femmes de s'éloigner.)
Scène II
(Don Gomez, Anne)
DON GOMEZ
Elle vient: de quel front va m'aborder l'infâme?
ANNE
(allant à lui avec une grâce forcée)
Je suis heureuse sur mon âme,
Gomez, de vous revoir.
DON GOMEZ
Bonheur que vous avez
À Londres refusé, madame.
ANNE
J'étais alors, vous le savez
Toute au service de la reine.
DON GOMEZ
Assez de mensonges, vraiment,
De feindre, ce n'est plus la peine!
Anne, qui vous a fait oublier le serment
Qui pour jamais à moi vous lie?
ANNE
(tristement)
Et qui vous dit que je l'oublie?
DON GOMEZ
Vous m'aimiez, disiez-vous?
ANNE
Et je le dis encore,
Oui, votre amour me fut un immense bonheur,
S'il me prit mon repos, il me rendit l'honneur.
DON GOMEZ
Par la fidélité seule, une âme s'honore!
ANNE
(apercevant Henry VIII)
Ciel! le Roi!
Scène III
(Henry, Don Gomez, Anne)
HENRY
(avec étonnement, à Don Gomez)
Vous ici, monsieur, faisant la cour
À la belle marquise?
DON GOMEZ
En France, autrefois, sire,
J'eus l'honneur de la voir un jour.
HENRY
Ce fut assez pour vous soumettre à son empire!
Je lui donne ce soir
(d'un air de menace)
Une fête ici même et compte vous y voir.
DON GOMEZ
Sire, j'obéirai.
(Il s'incline et se retire en jetant sur
Anne un douloureux regard.)
Scène IV
(Henry, Anne)
HENRY
Chère Anne que j'implore,
Vous trouvez-vous heureuse ici?
À vous plaire ai-je réussi?
Puis-je espérer enfin?
ANNE
(avec fermeté)
Je vous le dis encore;
Sire, n'espérez rien de moi!
HENRY
Rien! Pourquoi donc alors te montrer, fille ingrate,
Heureuse des honneurs où mon amour éclate?
ANNE
Vous osez demander pourquoi?
C'est pour laver la flétrissure,
Qu'à mon nom jadis plein d'honneur
Mit le triste amour de ma sœur!
HENRY
N'évoque pas, je t'en conjure,
Cette affreuse douleur!
Ah! tes doutes sont des blasphèmes!
Paix du foyer, souci du rang,
Honneurs que mérite mon sang,
J'ai tout quitté pour que tu m'aimes!
ANNE
Attendez donc encor!
HENRY
Ne désespère pas
Un amour qui ferait ta fierté si contente!
Ah! si tu le voulais, ingrate, sous tes pas,
Tant d'honneurs te feraient une route éclatante,
Que ton destin serait le plus grand d'ici-bas!
ANNE
N'achevez pas! oh! n'achevez pas, Sire!
HENRY
Oui, je comprends! que vaut l'empire!
Que vaut la fortune d'un Roi,
Auprès de ton divin sourire,
Auprès d'un seul regard de toi?
ANNE
(s'attendrissant)
Oh! malgré moi, sa voix me touche!
HENRY
Ah! ne me reste pas farouche,
Laisse enfin ton cœur s'attendrir,
Vienne un sourire sur ta bouche
Et pour moi le ciel va s'ouvrir!
ANNE
Quel rêve, quel avenir!
HENRY
De ton regard la douceur me pénètre,
De doux frissons il emplit tout mon être!
Ô mon amour, crois donc en moi!
Ton esclave, c'est ton roi!
ANNE
De ses regards la chaleur me pénètre.
HENRY
Oui, pour jamais je t'ai donné mon âme,
Une tendresse éternelle m'enflamme,
Ce jour pour nous est un beau jour,
Si tu crois à mon amour!
ANNE
(avec un effort)
Ah! Sire, gardez votre amour!
HENRY
(essayant de la prendre dans ses bras)
Je t'aime, je te veux, ma belle enchanteresse!
ANNE
(se réveillant de son rêve et le repoussant)
Non! non! jamais votre maîtresse!
HENRY
Ma maîtresse, dis-tu? Qui parle de cela?
Ma femme!
ANNE
(avec éclat)
Que dites-vous là?
Votre femme?
HENRY
Oui.
ANNE
Parole vaine!
HENRY
La reine alors n'est plus la reine,
Et la reine, c'est toi!
ANNE
(très troublée)
Mais ce lien sacré
Qui vous fait son époux?
HENRY
Eh bien! je le romprai.
ANNE
Rêve que tout cela!
HENRY
(tendrement)
Non! ce n'est pas un rêve!
C'est bientôt la réalité,
Tu n'avais pas assez compté
Sur l'amour profond qui m'a fait, sans trêve,
L'humble esclave de ta beauté.
Repousseras-tu donc, d'un époux respecté,
Avec un nom royal, la pourpre souveraine?
ANNE
(comme affolée)
Reine! reine! Je serais reine!
HENRY
Refuseras-tu donc de suivre cet époux
Sur le chemin d'honneur où son amour t'entraîne?
ANNE
(même jeu)
Reine! reine! je serais reine!
HENRY
J'en jure par le ciel et par ces yeux si doux!
ANNE
Je cède au rêve qui m'enivre,
Comment repousser un tel sort?
Ah! sire, je jure de vivre
Fidèle à vous jusqu'à la mort!
Aimons-nous d'un amour puissant et fort!
HENRY
Ah! cède au rêve qui t'enivre!
Pourquoi repousser un tel sort?
Chère Anne, jure-moi de vivre
Fidèle à moi jusqu'à la mort!
Aimons-nous d'un amour profond puissant et fort!
(Anne est dans les bras d'Henry VIII.)
HENRY
(tout bas)
Tu seras, n'est-ce pas, ma femme?
ANNE
(plus bas encore)
Oui, votre femme,
Jurez-le!
HENRY
(solennellement)
Sur mon âme
Je le jure! Je suis à toi jusqu'à la mort.
(Surrey apparaît et le roi s'arrache des bras d'Anne
pour le suivre, mais non sans échanger avec elle un
regard d'adieu plein de tendresse)
Scène V
(Anne)
ANNE
Reine! je serai reine! Ah! ce n'est plus un rêve!
Plus haut que mes rêves pâlis,
Mon destin glorieux se lève
Sur tous mes projets abolis!
Je vais donc enfin te connaître,
Ivresse du pouvoir, suprême volupté!
J'aurai pour esclave le maître,
Le maître de tous redouté!
De ceux qui jadis m'ont bravée,
J'aurai, pour défier l'affront,
Un sceptre dans ma main levée,
Une couronne sur mon front!
Sûre aujourd'hui de la victoire
Et d'un triomphe sans retour,
Enfin je saurai si la gloire
Ne fait pas oublier l'amour!
Enfin je connaîtrai la gloire!
L'humble fille d'hier sera reine demain!
(À ce moment apparaît Catherine qui
s'avance lentement vers elle.)
Scène VI
(Anne, Catherine)
CATHERINE
(lui posant la main sur l'épaule)
Pauvre fille! que Dieu t'arrête en ton chemin.
(avec autorité)
Regarde-moi! Je suis la reine d'Angleterre!
La reine au cœur clément, qui, te voyant à terre,
Un jour vers toi tendit sa main!
Avant d'oser, pour récompense,
Lever les yeux sur mon époux,
Tu n'as pas mesuré, je pense,
Quel abîme existe entre nous?
En te voyant à ce point descendue,
Longtemps, oubliant mon courroux,
J'ai plaint l'orgueil qui t'a perdue,
Prends garde maintenant!
ANNE
Mais, madame, je vous jure que...
CATHERINE
Crois-tu donc que mes regards jaloux
Dans tes projets obscurs ne t'aient pas poursuivie?
ANNE
Hélas! madame, sur ma vie
Pour fuir le roi j'avais tout fait.
CATHERINE
(ironiquement)
C'est pour le fuir qu'on te vit, en effet,
En accepter titres, honneurs, fortune?
ANNE
Mais je ne demandais aucune
De ces faveurs dont le poids m'accablait.
CATHERINE
(même jeu)
Tu ne demandais rien? Sans en être enhardie,
Tu souffrais, des faveurs dont t'accablait le roi,
N'est-ce pas, pauvre enfant?...
Et vous voudrais que, moi,
Je crusse à cette comédie!
Non!... je sais les calculs de ta feinte douceur:
Il te reste en effet, - à merveille, tu comptes-
À te faire payer deux hontes:
La tienne et celle de ta sœur!
ANNE
(se relevant furieuse)
Dieu m'est témoin, madame,
Que je voulais vous respecter ici!
Mais puisqu'on est pour moi sans pitié ni merci,
Je saurai me venger. Soit! torturez mon âme!
Votre époux est à moi. Je relève le front!
CATHERINE
Assez! C'est trop longtemps écouter une infâme!
C'est trop longtemps subir l'affront!
Va! poursuis dans l'ombre ta trame;
Méprisée en tout lieu!
Va! mais ne tente pas la justice de Dieu!
Pour châtier ton cœur rebelle
C'est à ce Dieu que j'en appelle
À mon époux il rendra la fierté...
Et, s'il m'abandonne en ce monde,
C'est plus haut et plus loin que mon espoir se fonde:
Anne, gardez le temps! j'aurai l'éternité!
Scène VII
(Les mêmes, Henry, Don Gomez, Lady
Clarence, Surrey, Norfolk, puis le Légat)
HENRY
(avec colère)
Eh! quoi, madame, vous ici?
ANNE
(s'avançant résolument)
Sire, défendez-moi.
CATHERINE
Sire, j'y viens rappeler à mon roi
Que je suis la reine.
HENRY
Pourquoi?
Je n'ai pas encor, sur mon âme,
Dit le contraire.
CATHERINE
(épouvantée)
Pas encor?
HENRY
Et vous serez reine, d'accord,
Jusqu'au jour où la loi, par mes soins consultée,
De mon trône royal vous aura rejetée.
Demain vous saurez votre sort.
NORFOLK
(annonçant le légat qui le suit)
Monseigneur, le légat du pape.
CATHERINE
(avec un cri d'espoir)
Mon refuge!
HENRY
(à Catherine)
Non! c'est le Parlement qui sera votre juge.
(à Norfolk)
Qu'il soit le bienvenu.
(Le légat est introduit)
LE LÉGAT
Salut, roi d'Angleterre.
Au nom du Pape-roi, représentant sur terre
Du Dieu puissant et doux que nous servons tous deux,
Sachant ton âme en proie aux desseins hasardeux,
Je viens pour te parler une parole austère.
HENRY
(au légat)
De l'écouter demain nous aurons le loisir.
(à Anne)
Madame, en attendant, soyons tout au plaisir.
(Un bouffon vient annoncer au roi que tout est
prêt pour la fête. Le roi fait signe qu'on peut
commencer. Catherine et le légat se retirent.
Les autres personnages se dispersent dans les
jardins, Henry sort, donnant la main à Anne.)
Divertissement
(Fête populaire dans le parc de Richmond)
1 - Introduction. Entrée des Clans.
2 - Idylle écossaise.
3 - La fête du houblon.
4 - Danse de la gitane.
5 - Scherzetto.
6 - Gigue et Finale.
ACTE TROISIÈME
(La salle du Parlement où a lieu le jugement
de la Reine)
Scène I
(Henry, Don Gomez, Catherine, Lady Clarence,
Garter, Cranmer, puis Campeggio, Juges,
Gentilshommes, Huissiers La salle immense
avec son public d'assistants. Fanfares au dehors,
puis marche sur laquelle est introduit le cortège.
Le Roi est conduit à son trône occupant la gauche;
puis la Reine est amenée sur un trône situé vis-à-vis
et Gomez s'assied à ses pieds. Les juges entrent les
derniers et prennent place)
GARTER
Le synode est ouvert.
À tous Dieu fasse droit!
L'ARCHEVÊQUE DE CANTERBURY
(solennellement)
Toi qui veilles sur l'Angleterre,
Dieu puissant, dicte-nous ta loi.
Toi qu'entoure un triple mystère,
À tes enfants révèle-toi!
Toi qui veilles sur l'Angleterre,
Garde la patrie et le roi!
GARTER
Henry, roi d'Angleterre, avancez devant nous.
L'HUISSIER
(répétant)
Henry, roi d'Angleterre, avancez devant nous.
HENRY
Présent.
GARTER
Et vous, ô reine, avancez devant nous.
L'HUISSIER
(répétant)
Ô reine Catherine, avancez devant nous.
CATHERINE
Mon maître et mon seigneur, je me soumets à vous.
HENRY
(se levant)
Vous tous qui m'écoutez, gens d'Église et de loi,
En ce jour solennel, votre seigneur et roi,
Demande à voir briser, comme à sa foi contraire,
L'hymen qui lui donna la veuve de son frère.
Sur le saint Lévitique appuyant son désir,
Il soumet cette cause à votre bon plaisir,
Et la confie aussi à votre conscience,
Priant Dieu qu'il l'éclaire en sa toute-puissance!
GARTER
Maintenant, la parole est à dame la reine.
CATHERINE
(descendant de son trône et s'adressant au roi)
À ta bonté souveraine,
Seule, dans cet instant, je m'adresse, ô mon roi!
Prends pitié de la pauvre femme
Qui t'a donné toute son âme,
Et toujours t'a gardé sa foi!
Car je ne suis qu'une étrangère
Qui t'aborde d'un ton soumis,
Et qui, dans cette cour légère,
Toi la quittant, n'a plus d'amis!
N'ai-je donc pas été l'épouse,
Loyale et pure en sa maison,
Et jamais ton âme jalouse
M'atteignit-elle d'un soupçon?
Henry, c'est ta femme fidèle
Qui vient supplier son seigneur
De se souvenir encor d'elle,
Et de ne pas briser son cœur!
CHŒUR DES ASSISTANTS
(très bas)
Ah! pauvre femme et pauvre reine!
Comment ne pas compatir à sa peine?
(Signes d'impatience du roi)
CATHERINE
Sire Henry, le roi votre père
Était un roi juste et clément,
Et du mien vous avez, j'espère,
Gardé le même sentiment.
En unissant nos mains, sans doute,
Ils ont bien fait ce qu'ils ont fait.
Le pape a béni notre route
Qui longtemps fut douce, en effet.
Donc aujourd'hui c'est votre femme
Qui vous somme, dans ce saint lieu,
De respecter, suivant votre âme,
Votre père, le pape et Dieu!
CHŒUR DES ASSISTANTS
(murmures)
Ah! pauvre femme! ah! pauvre reine!
Comment ne pas compatir à sa peine?
Pour elle nous implorons Dieu.
(Signes de mécontentement du roi)
CATHERINE
(se tournant vers ses juges)
Et vous, messieurs, que le roi fit mes juges,
Si la pitié règne en vos cœurs,
Que ma douleur trouve en vous des refuges!
Épargnez-moi, voyez mes pleurs!
Peu m'importent le diadème
Et les tristes faveurs du sort.
Mais rendez-moi l'époux que j'aime,
Et dont l'adieu serait ma mort!
(Elle sanglote)
CHŒUR DES ASSISTANTS
(plus fort)
Ah! pauvre femme et pauvre reine!
Comment ne pas compatir à sa peine?
Quoi! d'une si longue amitié,
Le roi n'a-t-il donc pas pitié?!
HENRY
(se levant furieux et promenant sur les juges
et sur l'assistance des regard menaçants)
Il suffit.
CATHERINE
(avec un geste de désespoir)
Ah! je suis perdue!
(Elle va s'asseoir avec découragement.)
GARTER
Messieurs, la cause est entendue,
À moins qu'un défenseur, sans nous en prévenir,
Ait projeté d'intervenir.
DON GOMEZ
(se levant)
Je serais celui-là que vous n'attendiez guère.
La reine est espagnole et je suis son sujet.
Au nom de mon pays, votre allié naguère,
Je proteste en ce jour contre un pareil projet,
Entre peuples amis pouvant causer la guerre.
UN GROUPE DE SEIGNEURS
Qui donc nous ose menacer?
UN AUTRE
(se retournant vers le roi)
C est au roi de punir qui nous vient offenser!
(Murmures de la foule.)
HENRY
(froidement et avec hauteur)
Monsieur l'ambassadeur, si j'ai compris la chose,
Pour peser sur l'arrêt vous comptiez sur l'effroi.
Mais tout mon peuple, je suppose,
Pense en cela comme son roi.
Les fils de la noble Angleterre,
Sachant combattre et se venger,
N'ont pas coutume de se taire,
Pour laisser parler l'étranger!
LE CHŒUR
Vivat! vivat!
Les fils de la noble Angleterre,
N'ont pas coutume de se taire,
Pour laisser parler l'étranger!
(Les juges commencent à délibérer. Curiosité
inquiète des assistants.)
CHŒUR DES ASSISTANTS
Certes, nous aimons notre reine;
Mais nous ne saurions supporter
Qu'un étranger vienne insulter
De notre roi la grandeur souveraine.
Que le ciel dicte donc l'arrêt.
À l'accepter, chacun de nous est prêt!
UN OFFICIER
La Cour va prononcer.
L'ARCHEVÊQUE
Sire! Illustre assistance!
En vertu des pouvoirs à nous par Dieu donnés,
Déclarons par notre sentence
Nul et contraire aux lois l'hymen à nous soumis.
CATHERINE
Dieu!
Voilà quel forfait ta justice a permis.
Soit. Mais avant de fuir ce tribunal infâme
Où je cherchais des juges et ne vois qu'ennemis
Devant tous je proclame mon trône vainement contesté,
Je proteste du fond de l'âme et j'en appelle à la postérité.
UN OFFICIER
(annonçant)
Sire, le Légat du Saint-Père.
(Entrée du Légat suivi des cardinaux
qui se rangent derrière lui)
LE LÉGAT
(tirant de sa robe la bulle du pape)
Au nom de Clément sept, pontife souverain,
Délibérant en paix et que nul ne contraint,
Je viens ratifier, par la présente bulle,
Ton premier mariage, Henry huit, et j'annule
Toute décision contraire.
HENRY
Par ma foi!
C'est fort bien! mes sujets vous répondront pour moi.
Qu'on fasse entrer le peuple!
(Les portes sont ouvertes et l'enceinte
s'emplit d'une foule nombreuse)
Enfants de l'Angleterre,
Libres fils d'une terre libre,
Vous plaît-il de recevoir des lois de l'étranger?
LE PEUPLE
Non! non! jamais!
HENRY
Vous convient-il qu'un homme,
Dont le vrai pouvoir est à Rome,
Sur mon trône m'ose outrager?
LE PEUPLE
Non! non! jamais!
HENRY
Si contre la puissance
Du Pape-roi las de l'obéissance,
Je me lève?
LE PEUPLE
Nous te suivrons!
HENRY
Si dans le sein d'une Église nouvelle,
Je vous appelle?
LE PEUPLE
Nous irons!
HENRY
S'il faut un chef pour y guider les âmes,
Choisirez-vous, vous, vos fils et vos femmes,
Votre roi?
LE PEUPLE
Nous te le jurons!
HENRY
Écoutez! Henry huit se proclame à la terre
Chef de l'Église d'Angleterre,
Et pour sa femme il prend dame Anne Boleyn,
Marquise de Pembroke!
(La reine pousse un cri et tombe à demi
évanouie; on l'entraîne.)
LE LÉGAT
Au nom du Dieu que l'on renie,
Henry huit, je t'excommunie!
(Le Légat sort)
LE PEUPLE
Vive le roi! Vivat!
CHŒUR
Gloire au chef de l'État! Gloire au chef de l'Église,
Henry huit dont le nom désormais symbolise
Deux pouvoirs réunis dans une même main.
Que Dieu bénisse son hymen!
HENRY ET LE CHŒUR
C'en est donc fait, il a brisé ta chaîne!
Ô peuple épris de liberté!
Trop longtemps dompté
Par Rome souveraine,
Ton âme sereine
Reprend sa fierté!
(Cris de Vive le roi! Des drapeaux s'agitent
dans la foule. Enthousiasme général)
ACTE QUATRIÈME
Premier Tableau
(Chez Anne Boleyn. Un salon dans le goût
de la Renaissance anglaise. Au lever du
rideau, dames et seigneurs répètent, au fond du
théâtre, les pas d'un ballet galant en l'honneur
du roi dont c'est la fête native. Anne préside à
cette répétition)
Scène I
(Anne, Norfolk, Surrey, Seigneurs, Dames Sur
une musique de scène, la danse se poursuit
dans le fond. Anne suit avec intérêt et fait des
signes d'assentiment. Pendant ce temps-là,
Norfolk et Surrey viennent causer dans un
coin en avant)
NORFOLK
(à Anne)
Bravo! du divertissement
Le roi, je crois, sera content.
(à Surrey mystérieusement)
Avez-vous remarqué l'humeur sombre et farouche
Du roi depuis le jour de son nouvel hymen?
SURREY
Certes! Les mots amers montent seuls à sa bouche
Et vers nous, ses amis, ne se tend plus sa main.
NORFOLK
On dirait qu'un secret dans son ombre l'entraîne.
SURREY
Mieux encore! On dirait qu'il doute de la reine.
NORFOLK
(avec effroi)
Taisez-vous!
SURREY
Anne, hélas! sent aussi bien que nous
Qu'un mal mystérieux tourmente son époux.
Elle sourit ici, mais chez elle, elle pleure!
Tout lui fait peur: - Tenez, le roi qui, tout à l'heure
Devait venir, n'est pas venu - nouvel effroi!
NORFOLK
Elle a raison de craindre: elle connaît le roi!
SURREY
Sait-on ce que devient la reine Catherine?
NORFOLK
Au château de Kimbolt elle languit, chagrine
Et bien près de mourir. - On m'a même conté
Que le roi s'informait beaucoup de sa santé.
SURREY
C'est un peu tard, vraiment, pour s'inquiéter d'elle.
NORFOLK
Il punit celle-là d'avoir été fidèle!
(Bravos dans le fond. Les deux seigneurs se
prennent le bras et rentrent dans les groupes.)
UN HUISSIER
(annonçant)
Monsieur l'ambassadeur d'Espagne!
(Mouvement de surprise.)
Scène II
(Les mêmes, Don Gomez)
ANNE
(avec terreur)
Encore lui!
Que vient-il faire à la cour aujourd'hui?
Rien qu'à le voir mon sang se glace.
DON GOMEZ
(entrant en saluant)
Salut, messieurs!
(apercevant Anne)
Pardon, madame, mais de grâce
Si je vous trouble, excusez-moi.
On m'avait dit qu'ici je trouverais le roi
À qui j'apportais un message
De dame Catherine...
ANNE
Ô ciel!
(aux dames et seigneurs)
Éloignez-vous
Un instant seulement.
(Les dames et seigneurs obéissent, en
chantant en sourdine.)
SURREY ET NORFOLK
Depuis ce mariage
Tout est mystère autour de nous.
Scène III
(Anne, Don Gomez)
ANNE
(fiévreusement)
Vous venez pour me perdre ici?
DON GOMEZ
Qui? Moi, Madame?
Vous perdre? Et pourquoi donc? Sachez que, dans
mon âme, La haine est morte avec l'amour.
ANNE
Mais ce message de la reine?
DON GOMEZ
Contient les vœux qu'elle adresse en ce jour
À celui qui l'aima.
ANNE
Mais qui me rend certaine
Qu'il ne renferme rien de plus?
DON GOMEZ
En vérité,
Que voulez-vous donc qu'il contienne?
ANNE
Et, que sais-je!... Un message, et par vous apporté,
À raison, m'est suspect. N'avez-vous pas encore
Des armes contre moi?
DON GOMEZ
Des armes?
ANNE
Oui, vraiment
Mes lettres d'autrefois.
DON GOMEZ
Ce que le feu dévore
Ne trahit plus le faux serment
Et les promesses violées.
ANNE
(joyeusement)
Ainsi vous les avez brûlées?
DON GOMEZ
Toutes!
ANNE
Toutes!... Et celle aussi
Qui décida votre arrivée ici
En qualité d'ambassadeur?
DON GOMEZ
Non, celle-ci
Existe encore.
ANNE
(avec terreur)
Où donc est-elle?
DON GOMEZ
Dans les mains de la reine.
ANNE
Hélas!
Terreur mortelle!
(Henry apparaît.)
Scène IV
(Les mêmes, Henry)
HENRY
(à part)
Elle encore avec lui! Nous allons bien savoir...
(à Anne, brusquement)
Madame, laissez-nous.
ANNE
(se retirent tremblante)
Je n'ai plus qu'un espoir.
Scène V
(Henry, Don Gomez)
HENRY
(durement)
Après ce qui s'était passé, monsieur, naguère,
Ne soyez pas surpris si je n'espérais guère
Vous revoir en ces lieux. D'ailleurs, sachez-le bien,
Si vous avez gardé ce poste en Angleterre,
Pour ce nouveau bienfait vous ne me devez rien.
C'est que j'avais besoin de vous pour un mystère
Que je veux pénétrer.
DON GOMEZ
(froidement)
Sire, de mon côté
Si j'ai gardé le poste autrefois accepté,
C'est qu'un dernier devoir à cette cour m'enchaîne,
Étante seul ami de celle qui fut reine.
HENRY
(se radoucissant subitement)
De dame Catherine, en effet, parlez-moi.
DON GOMEZ
D'un message pour vous je suis chargé par elle.
HENRY
Parlez.
DON GOMEZ
Si ma mémoire est en tous points fidèle,
Voici ce qu'elle a dit en pleurant: «Ô mon roi!
Bien qu'étant par vous délaissée,
Je ne veux pas laisser passer ce jour
Sans vous dire que ma pensée
Vous reste encore fidèle sans retour!
Mes tristes vœux et ma prière
Gémissants montent vers les cieux,
Et je vous bénirai jusqu'à l'heure dernière
Qui bientôt fermera mes yeux.»
HENRY
Pauvre reine vraiment! Son discours fait revivre
Plus ardent le désir que j'ai de la revoir.
DON GOMEZ
(saluant)
Je me retire donc.
HENRY
Non pas! Veuillez me suivre.
DON GOMEZ
Pourquoi, sire?
HENRY
(d'un accent menaçant)
À Kimbolt vous allez le savoir.
(à part)
Qui sait si le secret que je cherche n'est pas
Aux mains de Catherine? Ensemble seuls là-bas,
Elle doit tout savoir, car il doit tout lui dire.
La reine est Espagnole, et malgré sa bonté,
L'ardeur de se venger d'Anne peut la conduire
À me dire la vérité.
DON GOMEZ
(à part)
Quel dessein à Kimbolt l'entraîne?
Que peut-il vouloir à la reine?
J'ai peur de sa fausse bonté...
Pour un crime nouveau quel démon l'a tenté?
HENRY
(à part)
Enfin ma vengeance est prochaine!
Je ferai bien parler la reine
Par la rigueur ou la bonté.
Car je veux aujourd'hui savoir la vérité!
Deuxième Tableau
(Dans la retraite de Catherine à Kimbolt)
Scène I
(Au lever du rideau, la reine est assise auprès
d'une haute cheminée. Chant du dehors où le
peuple célèbre le jour natal de Henry VIII)
CHŒUR DU PEUPLE
(au dehors)
Vive notre roi!
En ce jour prospère,
Naquit notre père,
Du méchant l'effroi!
CATHERINE
(tristement)
Ô souvenirs cruels! Là-bas, dans ma patrie
Le nom du roi mon père était ainsi fêté!
Tout me parle de toi dans ma captivité,
Ô berceau de mes jours, mon Espagne chérie!
Je ne te reverrai jamais,
Ô douce terre où je suis née!
Au destin qui m'a condamnée
Sans révolte je me soumets.
Mais du moins garde à ma mémoire
Un souvenir plein de pitié,
Ô pays d'amour et de gloire
Que je n'ai jamais oublié!
La mort m'eût été moins amère
Si, comme autrefois, le sommeil,
Je l'avais trouvée, ô ma mère,
Sur ton sein fécond et vermeil.
Comme un soldat vaincu je tombe
Sur une terre de douleurs...
Ceux-là sont heureux dont la tombe
De leur berceau garde des fleurs.
(Sur un appel de Catherine, ses femmes entrent)
Scène II
(Catherine, ses Femmes)
CATHERINE
(les appelant autour d'elle et leur distribuant
des bijoux)
Chère filles venez! Prête à quitter la terre,
Je veux que vous gardiez un souvenir de moi...
À toi cet anneau d'or, cette croix est pour toi,
Gardez de mon amour cette preuve dernière.
(prenant un livre d'heures et y mettant une lettre
qu'elle a tirée du coffret où étaient ses bijoux.)
(à apart)
Quant au livre où je lis chaque soir ma prière,
Il est pour Don Gomez. Il y retrouvera
Cet écrit que j'y mets et que lui seul lira,
La preuve de l'amour que lui donna l'infâme
Qui m'a pris mon époux et tortura son âme!
UNE FEMME
(entrant)
Reine, une femme est là, qui, sous son voile, attend
L'heure de vous parler.
CATHERINE
(éloignant ses femmes)
Qu'on nous laisse un instant!
Qui sait, quelque douleur confiante à la mienne...
(Les femmes s'éloignent. Anne voilée; à Anne)
Entrez, vous qui souffrez sans doute... car ici
C'est le triste séjour du deuil et du souci.
(Anne soulève son voile.)
Scène III
(Catherine, Anne)
CATHERINE
(après avoir poussé un cri de surprise et d'indignation)
Anne! venez-vous donc pour me braver encore?
ANNE
(humblement)
Vous braver! non! je vous implore.
CATHERINE
Et de moi que voulez-vous donc?
ANNE
Rien qu'un mot de pardon.
CATHERINE
Vous pardonner! jamais!
ANNE
Ce n'est pas à la reine
Que j'ai parle, mais c'est à la chrétienne.
CATHERINE
La chrétienne au Seigneur demandera l'oubli.
ANNE
Ah! connaissez du moins le remords qui m'accable.
CATHERINE
Que me fait le remords
D'un mal irréparable,
Laissez dormir en paix mon cœur enseveli.
ANNE
Mon crime est sans appel, mais du roi d'Angleterre
Le trône m'apparut... un vertige me prit...
Et mon rêve immola mon cœur à mon esprit,
Car moi j'aimais aussi, mais d'un amour sans crime...
CATHERINE
(durement)
C'est vrai, je ne fus pas votre seule victime,
Et votre main perça du même coup deux cœurs;
Mais vous ne l'aimiez pas celui dont la blessure
Saigne encore aujourd'hui sous vos mépris vainqueurs!
Vous ne l'aimiez pas, j'en suis sûre!
ANNE
(humblement)
Hélas! qui moins que vous, madame, en douterait?
N'avez-vous donc pas mon secret...
CATHERINE
Quel secret?
ANNE
(avec embarras)
Mais la preuve entre vos mains laissée
De l'amour que Gomez m'inspirait autrefois!
CATHERINE
(avec des éclats d'indignation)
Ah! je comprends enfin pourquoi je te revois!
Tu viens ici, par la terreur poussée,
M'arracher cette preuve et, pour l'anéantir
Me parler de ton repentir.
Dis donc que je n'ai pas deviné ta pensée!
ANNE
(suppliante et s'humiliant)
Je suis folle! j'ai peur, peur de vous, peur du roi,
Ah! je vous en supplie, ayez pitié de moi!
Rendez-moi cette lettre.
CATHERINE
(avec colère)
Eh bien non! misérable!
Non, non, fille sans cœur!
(Elle va à son livre d'heures et en retire la lettre)
Regarde, le voilà
Cet écrit qui te perd, et me fait redoutable!...
ANNE
(à genoux et tendant la main pour s'emparer
de la lettre)
Ah! grâce!
CATHERINE
(reculant et impitoyable)
Et si le roi, ton époux, était là,
C'est à lui...
(Le roi apparaît suivi de Don Gomez.)
Le roi!
(Anne se relève épouvantée. Catherine
froisse la lettre dans ses mains. Henry
entre suivi de Don Gomez.)
Scène IV
(Anne, Catherine, Henry, Don Gomez)
HENRY
(à Anne)
Vous ici, madame!
J'en suis fort heureux sur mon âme!
(allant à Catherine et lui parlant sur le
ton d'un faux repentir)
Mon cœur fut pour vous sans merci,
Madame je vous fis, avant le temps, ma veuve,
Mais je viens aujourd'hui vous demander la preuve
Que je fus lâche et fou de vous traiter ainsi,
En vous délaissant, noble femme
Honneur d'une antique maison,
Pour une créature infâme
Dont le cœur n'est que trahison.
Cette preuve en vos mains, l'avez-vous, Catherine?
ANNE
C'en est fait!
DON GOMEZ
Ciel!
CATHERINE
(froissant nerveusement la lettre entre ses mains)
Pourquoi me tentez-vous, seigneur?
HENRY
(après un silence)
Vous vous taisez?
(bas)
En torturant son cœur,
La jalousie et la douleur
La feront parler, j'imagine.
(haut)
Reine, votre silence est doux à mon amour:
Croyez à ma reconnaissance!
Il témoigne de l'innocence,
De celle que j'osais soupçonner en ce jour.
(s'approchant d'Anne avec tendresse)
Anne, pardonne-moi l'injure
Dont t'effleura mon cœur jaloux!
Ta rivale, elle-même, oubliant son courroux,
Te proclame fidèle et pure.
Anne, ma chère idole, jure
Que tu n'aimas jamais que ton époux.
CHŒUR
(en coulisses)
Chantons le jour où naquit notre Roi!
ANNE
(avec effort et tremblante)
Je n'ai jamais aimé que vous.
CATHERINE
(avec angoisse pendant que le roi l'observe)
Seigneur! Seigneur! pourquoi me tentez-vous?
HENRY
(bas)
Elle se tait!
(prenant Anne dans ses bras. Chœur joyeux
du peuple au dehors)
Anne, ma bien-aimée.
Écoute donc, autour de nous
Monter dans la nuit parfumée
Ces chants harmonieux et doux!
CATHERINE
(prête à lui donner le billet)
Seigneur! seigneur, pourquoi me tentez-vous?
ANNE
(à part)
Dans mon cœur quel effroi!
Ô Dieu, conseille-moi.
DON GOMEZ
(à part)
Dans mon cœur quel effroi!
Que va faire le Roi?
HENRY
Ils disent notre amour immense
Et le bonheur qui recommence
Pour nos cœurs où renaît la foi.
CATHERINE
(qui va céder à la tentation)
Seigneur, Seigneur, ayez pitié de moi!
HENRY
Car, sache-le, mon bien suprême,
Anne, c'est toi seule que j'aime!
Je n'ai jamais aimé que toi!
CATHERINE
(à part)
Ô torture, ô suprême outrage,
Ô mal impossible à souffrir,
Je sens défaillir mon courage,
Seigneur!
ANNE
(à part)
Ô torture, ô suprême outrage,
En voyant fléchir son courage
Je me sens mourir!
DON GOMEZ
(à part)
Ô torture, ô suprême outrage,
Ô mal impossible à souffrir,
L'injure a brisé son courage,
Va-t-elle parler?
HENRY
(à part)
L'injure a brisé son courage,
Enfin tout va se découvrir.
Par cet outrage
J'ai brisé son courage.
(Il serre Anne dans ses bras. Catherine pousse un
cri terrible comme si quelque chose se déchirait
dans son cœur. Elle jette la lettre dans la cheminée
où elle disparaît immédiatement, brûlée, et se laisse
retomber presque inanimée sur un fauteuil.)
CATHERINE
(d'une voix mourante)
Auprès de tes élus, Dieu juste, accueille-moi!
(à Don Gomez, lui montrant la lettre qui brûle)
Comme moi, pardonnez!
(Elle meurt. Ses femmes accourent.)
HENRY
(qui s'est dégagé avec fureur de l'étreinte d'Anne
et contemple froidement le cadavre de Catherine)
Morte avec son secret! Mais si j'apprends jamais
Qu'on s'est raillé de moi, la hache désormais!
(Il lance un regard terrible à Anne, folle de terreur)

|
ACTO PRIMERO
(Sala del palacio de Enrique VIII en Londres,
con dos grandes ventanales que dan a la plaza
pública)
Escena I
(Norfolk, Don Gómez de Feria)
NORFOLK
¡Dichoso de volveros a ver por aquí, Don Gómez!
Recuerdo los buenos momentos que pasamos
en la corte de Francisco, rey de Francia.
DON GÓMEZ
¡Efectivamente, mi querido Norfolk!
Aún recuerdo cuando le confesé
a la reina Catalina,
mi secreta esperanza de ocupa el cargo
de embajador de España ante vuestro señor,
el rey de Inglaterra.
NORFOLK
¡Nadie mejor que vos para ocupar tal cargo!
DON GÓMEZ
Con vos, Norfolk, no puedo tener secretos...
No era la ambición lo que me movía,
sino otro sentimiento más dulce...
NORFOLK
¿Quizás el amor?
DON GÓMEZ
Sí, el amor que me ha herido con su flecha.
La belleza a la que adoro es tal,
que nunca mis ojos se cansan de contemplarla.
¡Cuando la veo pasar,
me parece estar ante un ser celestial!
Si os describiera sus encantos,
su ingenua gracia, sus donaires,
la reconoceríais al instante,
aún sin haberla nombrado.
NORFOLK
¡Parece una criatura caída del cielo
aquella a la que amáis!
DON GÓMEZ
La belleza a la que amo es rubia
su cabello es tan rubio como las espigas doradas.
¡Su lánguida mirada es capaz de turbar
hasta los corazones más templados!
¡Cuando pasea, incluso las rosas
palidecen de envidia!
¡Es toda luz y vida!
¿No adivináis quién es?
NORFOLK
¡Qué profundamente os ha cautivado
la hermosa dama a la que amáis!
DON GÓMEZ
¿Es posible que aún no reconozcáis
a la bella dama que, como una estrella,
iluminaba todos los corazones
de la alegre corte de Blois?
NORFOLK
¿Ana Bolena?
DON GÓMEZ
¡Ella misma!
NORFOLK
¡Y ella os corresponde
del mismo modo?
DON GÓMEZ
¡Sí, ciertamente!
La reina posee una prueba que confirma mi dicha.
NORFOLK
¿Una prueba?
DON GÓMEZ
¡Sí, una carta!
Ese encantador billete hizo que Catalina
obrara a mi favor.
NORFOLK
¡Estoy sorprendido!
DON GÓMEZ
¿De qué?
NORFOLK
Pues que vuestra declaración
desmiente ciertos rumores...
DON GÓMEZ
¿Qué rumores?
NORFOLK
En la Corte se dice que el Rey,
curado del amor que otrora sintió
por la difunta hermana de Ana,
busca en ella su consuelo...
DON GÓMEZ
¡Eso es una insensatez!
El recuerdo de
su desafortunada hermana, Margarita,
la mantendrá alejada del peligro.
Además... ¡ella me ama!
NORFOLK
También se dice que,
para tener un acceso más libre y discreto a ella,
el Rey, nuestro señor,
la nombrará dama de honor de la Reina.
DON GÓMEZ
Mi corazón no debe temer nada de eso.
¡Sí, estoy seguro de su amor!
Tengo total confianza en ella.
Una sincera ternura
nos encadena por siempre.
¡Sí, estoy seguro de su amor!
NORFOLK
¡El Cielo proteja su amor!
Que encontréis en ella,
una constancia eterna
que mantenga viva la llama del amor.
¡El Cielo proteja su amor!
Si conocierais mejor a nuestro Rey,
no estarías tan seguro de vuestros amores.
Para Enrique VIII, no hay nada sagrado;
ni la amistad, ni el amor, ni los sentimientos;
sólo se guía por el capricho de sus instintos.
Para él no existe ni la ley, ni el honor.
Buckingham es la prueba. Ha pasado de ser
el Favorito a ser juzgado por traición.
Que me muera si esta misma noche,
no cae bajo el peso del hacha.
(Ruido en la plaza)
¡La multitud ya sale del Tribunal!
(Los nobles entran)
Escena II
(Los mismos, nobles)
NORFOLK
(yendo hacia los nobles)
¿Y bien, señores?... ¿Buckingham?
NOBLES
Condenado.
NORFOLK
Condenado a...
NOBLES
¡Muerte!
NORFOLK
Me lo imaginaba.
NOBLES
Ninguno de nosotros ha podido socorrer,
en su amargura, al desventurado Buckingham.
La pérfida ternura de su real amigo
lo entrega a una muerte irremediable.
UN NOBLE
¡El cadalso lo espera
dentro de un ahora!
OTRO NOBLE
El Rey no titubea
ni ante un atropello como éste.
OTRO MÁS
Desde esta ventana
podremos ver cuando se lo lleven.
Y OTRO
¡Sí, y ninguno de nosotros se atreverá
a darle el último adiós!
EL PRIMER NOBLE
Efectivamente, en la Corte,
lo más sabio es pasar desapercibido.
LOS CUATRO NOBLES
¡Las reacciones del Rey son
totalmente imprevisibles!
NOBLES
Ninguno de nosotros ha podido socorrer,
en su amargura, al desventurado Buckingham.
La pérfida ternura de su real amigo
lo entrega a una muerte irremediable.
LOS CUATROS NOBLES
Nuestro monarca es taimado, cruel y caprichoso;
nuestras cabezas están en permanente peligro.
(El rey aparece)
¡Aquí llega!
(con tono melifluo)
¡Salud a nuestro noble señor!
¡Nuestro dulce señor, el muy clemente Enrique!
¡Salud al príncipe magnánimo cuyo brazo,
revestido de acero,
castiga inexorable el crimen
y protege siempre la virtud!
(Saludan obsequiosos al rey, que no les presta
atención. Los nobles salen entre reverencias)
Escena III
(Norfolk, Don Gómez, Enrique, Surrey)
NORFOLK
(presenta a Don Gómez al Rey)
¡Dignaos, sire, recibir a quien me acompaña,
Don Gómez de Feria, el embajador de España!
ENRIQUE
(graciosamente, a Don Gómez)
Señor, sed bienvenido a la Corte.
He oído hablar de vos.
La Reina, que os tiene en alta estima,
me dice que vuestro corazón se inclina
ante una bella dama de ojos deslumbrantes,
y que a su vez sois correspondido.
Remitisteis a la Reina una carta
donde expresabais vuestros tiernos sentimientos.
Es mi deseo ayudaros en ver realizadas
tan nobles expectativas.
¡Los reyes nos sentimos felices
cuando somos cómplices del Amor!
Si, como creo, la Reina piensa de igual manera,
muy pronto ella satisfará vuestras ansias
nombrando, ante toda la Corte,
una nueva dama de honor.
DON GÓMEZ
(sorprendido, para sí)
¡Dama de honor!... ¿Tendrá razón Norfolk?
(El rey los despide. Todos salen excepto Surrey)
Escena IV
(Enrique, Surrey)
ENRIQUE
(Nervioso)
¿Así pues, el Papa se opone a mi deseo?
SURREY
¡Sí, sire!
ENRIQUE
¡Yo le haré entrar en razón!
SURREY
Pero... ¡pondréis en peligro el trono!
ENRIQUE
¿Y qué importa, Surrey?
Para un alma enamorada no existen barreras.
Suspiro y sufro por esa esquiva,
¡preferiría mil veces la muerte!
SURREY
Ante una mujer tan bella,
¡un rey no suspira, ordena!
ENRIQUE
Cuando se ama ¿quién es capaz de ordenar?
¿Qué fuerza le queda a un corazón
cuando es invadido por el amor?
¡Ah, es una tortura sublime!
¡Confiar y temer al mismo tiempo!
Y vivir fuera de su propio ser,
¡teniendo los caprichos por ley!
Cuando se ama ¿quién es capaz de ordenar?
Ella quiere y no quiere,
me busca y me evita.
¿Acaso el recuerdo de Margarita
no hace mis sufrimientos más penosos?
Ella quiere y no quiere,
me busca y me evita.
¡Ah, es una tortura sublime!
¡Confiar y temer al mismo tiempo!
Y vivir fuera de su propio ser,
¡teniendo los caprichos por ley!
Cuando se ama ¿quién es capaz de ordenar?
SURREY
(viendo a Catalina)
¡Sire, la Reina!
(Surrey sale; entra Catalina)
Escena V
(Enrique, Catalina)
CATALINA
¡Oh, mi dueño y señor!
¿Me habéis llamado?
ENRIQUE
(cortésmente)
En efecto, noble reina,
Es para proponeros una nueva dama de honor,
que está ansiosa por serviros.
Antes de comunicaros su identidad,
debéis saber que ella procede de Francia.
CATALINA
(alegremente)
¿Ana Bolena?
ENRIQUE
(inquieto)
¿Cómo?... ¿La conocéis?
CATALINA
¡No!
(para sí)
Guardaré a Don Gómez el secreto de su alegría.
(a Enrique)
La fama de su belleza ha llegado hasta mí.
ENRIQUE
Es un digno regalo para vos.
CATALINA
Lo acepto puesto que viene de mi rey.
A la vez deseo pediros un favor...
ENRIQUE
(graciosamente)
¡Hablad, deseo complaceros en todo!
CATALINA
Conozco la terrible sentencia de Buckingham.
Os pido gracia para él.
ENRIQUE
(suavemente)
Imposible.
CATALINA
Sin embargo vos me habíais prometido...
ENRIQUE
¡Mi justicia es inexorable!
CATALINA
¡Pero él era vuestro amigo!
ENRIQUE
¡Eso lo hace aún más miserable!
CATALINA
¡Apelo a vuestra piedad!
ENRIQUE
No la concedo a un traidor.
CATALINA
Quizás le hayan calumniado.
ENRIQUE
Debéis aprender a conocer mejor a los hombres
antes de interceder por ellos.
¡Reina, quizás ignoréis que
él siempre fue vuestro enemigo!
CATALINA
¡Soy cristiana, oh mi señor,
perdonad!
ENRIQUE
¡Buckingham merece morir!
¡Es inútil que intercedáis por él!
CATALINA
¡Mis peticiones siempre son desoídas!
¡Señor, vos no me amáis!
ENRIQUE
¿Qué decís, Catalina?
¡Oh!... Vuestro mal humor
os impide ver todo el afecto
que os demuestro a cada instante;
luchando incluso contra mi conciencia
por seguir siendo vuestro esposo.
CATALINA
(asustada)
¿Cómo?... ¿Qué decís?
ENRIQUE
Digo, que a veces pienso,
que Dios ha maldecido nuestra unión.
Hemos roto la santa prescripción
que prohíbe desposar
a la viuda de un hermano.
CATALINA
¡Oh, mi señor, blasfemáis!
¿Por qué, si no, el Papa iba a bendecirnos?
ENRIQUE
(con hipocresía)
Es posible que el Papa
sea o no infalible;
pero el Levítico lo dice muy claro
¡y ese libro nos ha sido dado por el Cielo!
CATALINA
¿Qué queréis decir?
ENRIQUE
(con fingida bondad)
¿Yo?... Nada, Catalina querida.
Tranquilizaros.
Sólo quiero haceros ver que,
la diferencia de edad
y la ausencia de hijos,
hace que Dios no nos otorgue su bendición.
(para sí)
¿Lo habrá comprendido?... Está temblando.
El amor de Ana me libará
del triste himeneo al que estoy sometido.
Mi alma ha perdido la paz,
¡ah, que al menos mi corazón
salga reconfortado!
CATALINA
(para sí, con desesperación)
¡Ah, bien que lo comprendo... y tiemblo!
¡Un amor adúltero quiere romper
el lazo que nos une!
¡Ojalá la Providencia impida
que pierda para siempre
su corazón!
(Ruido fuera)
ENRIQUE
Pero... creo que ya están aquí
los que estábamos esperando.
(Entra Ana conducida por Surrey y acompañada
de damas de honor. Por todos lados entran
nobles junto con Norfolk y Don Gómez de Feria)
Escena VI
(Los mismos, Ana, Don Gómez, Norfolk, Surrey,
damas y nobles)
ANA
(viendo a Don Gómez)
¡Don Gómez, justo cielo!
DON GÓMEZ
(viendo a Ana)
¡Es ella en verdad!
ENRIQUE
(viendo la reacción de Ana)
¿Lo conocéis... de Francia?
ANA
(recobrándose)
Sí, sire.
ENRIQUE
(presentando a Ana a Catalina)
Reina, para demostraros una vez más
el profundo amor que siento por vos,
quiero que os sirva esta noble dama
que viene de una nación amiga.
CORO DE MUJERES
(rodeando a Ana)
¡Sed bienvenida, bella hija de Francia!
Nuestro dos países proceden del mismo linaje.
Seréis garantía de paz y esperanza.
¡Bienvenida, virgen radiante!
CATALINA
(aparte)
Es muy bella, pero al menos
hay otro amor que salvaguarda el mío.
(afectuosamente, a Ana)
Sed bienvenida, señorita,
mi nueva dama de honor.
ANA
(decidida, besándole la mano)
Reina, pondré todo mi celo en serviros.
ENRIQUE
(acercándose a Ana)
Para agradeceros vuestra venida,
quiero honraros con un título
acorde con vuestro nuevo puesto
y que todos desean:
¡os nombro marquesa de Pembroke!
EL CORO
¡El rey la ha nombrado marquesa de Pembroke!
ANA
Sire, os lo agradezco profundamente.
(Se oye fuera de escena una marcha fúnebre,
es la que acompaña a Buckingham al cadalso.
Catalina, Don Gómez, Surrey, Norfolk, las
damas de honor y los nobles corren a la ventana,
mientras que Ana y el rey continúan su diálogo
en la intimidad)
ENRIQUE
(bajo y graciosamente)
¡Ningún honor podría igualar
la gracia de vuestra belleza!
ANA
¡Exageráis!
ENRIQUE
¡Os aseguro que me quedo corto!
(con pasión y más bajo aún)
¡Si supieras cómo te amo!
ANA
(para sí)
Mi corazón se llena de doradas esperanzas.
ENRIQUE
(de igual modo)
¡Yo soy el Rey!
¡Si supieras cómo te amo!
(Luego de un momento, la marcha fúnebre
de Buckingham se ha aproximado y ya se oye
claramente al coro de monjes que lo confortarán
en el suplicio)
CORO DE MONJES
¡De profundis! ¡De profundis!
Que Dios, en su misericordia,
otorgue al pecador
un lugar en el Paraíso!
¡De profundis!
ANA
(asustada)
¿Qué es ese canto fúnebre?
ENRIQUE
(con indiferencia)
¡Nada!... ¡Un traidor que muere!
ANA
(Se lleva la mano a los ojos como si una visión
terrible la obsesionara)
¡El hacha ensangrentada!
¡Oh, funesta visión del Averno!
¡Tiemblo!
ENRIQUE
(tratando de tranquilizarla)
¡Oh, paloma de mirada inocente,
no debes temer nada, mi bien supremo!
(con pasión)
¡Si supieras cómo te amo!
CORO DE MONJES
¡De profundis! ¡de profundis!
Que Dios, en su misericordia,
otorgue al pecador
un lugar en el Paraíso!
¡De profundis!
ANA
¡Callad!... ¡Un hacha, sangre!
¡Oh, funesta visión del Averno!
(La marcha fúnebre se aleja)
Ha sido una alucinación
que ya ha pasado,
sin embargo, me ha dejado en el corazón
una sombría desazón... ¡Señor, protégeme!
ENRIQUE
(mirando a Ana)
Ha sido una alucinación
que ya ha pasado.
Así acaban los que desafían a su Rey.
No, nadie podía interceder por él.
DON GÓMEZ
(mirando a Ana)
¡Ay, mi dulce sueño
que ya ha pasado!
¿Cómo luchar contra el amor de un rey?
De mis celos... ¡Señor, protégeme!
CATALINA, CORO
¡Ay, camino del hacha
un poderoso ha pasado!
¿Quién osaría desafiar al Rey?
¡No ejercita la clemencia, sino el terror!
ACTO SEGUNDO
(Jardines de Richmond. Una encrucijada en la
que desembocan varias avenidas. Preparativos
de una fiesta)
Escena I
(Don Gómez)
CORO
Alegres niños que aún no conocéis
los peligros que acechan en la Corte;
que entre alegres cantos y alocados juegos
pasáis vuestra despreocupada infancia;
cuando lleguen los días de las preocupaciones,
acordaros de los gozos de vuestra aurora.
DON GÓMEZ
(sombrío)
¡Norfolk decía verdad!...
¡Y yo que dudaba!
En Londres he intentado en vano
aproximarme a ella.
¡No la creía infiel!
¡Allí aún tenía esperanzas! ¡Qué ingenuo!
Pero ya no hay la menor duda;
ella está aquí, junto a este rey que
huye de la capital
¡mientras la peste devora a sus súbditos!
¡mientras la Reina permanece en su puesto!
¡Ella está junto al Rey!
¡Ah, el cobarde!... ¡Ah, la criminal!
Quisiera que su belleza se trocara en fealdad,
que todos pudieran ver cómo su alma
está infectada de infamia y traición.
¡Ah! ¿Por qué extraña ironía
el cielo unió un rostro angelical
y un alma abyecta?
¡Oh, mentira de un dulce rostro!
¡Oh, encanto engañoso a los ojos!
Siento como en mi perturbado corazón
el valor muere nada más nacer.
¡Todo me habla de su crimen, ay!
¡Mi corazón se niega a resignarse!
¡Oh, destino más cruel que la muerte!
¡Está más bella que nunca!
(Ana aparece por el fondo de un camino
acompañada de damas que cantan una
dulce melodía)
¡Es ella! ¡El dolor apacigua mi furor!
CORO DE MUJERES
Noble dama, para agradaros,
todas estamos prestas a serviros,
sin esperar otra recompensa
que vuestra dulce sonrisa.
El canto de los pájaros, el perfume de las rosas,
los corazones tiernos, las dulzuras de la vida,
¡todos acuden a vuestra llamada!
ANA
Gracias a vosotras, queridas,
este bello paraje no necesita
ni batir de las alas
ni la blancura de los lirios.
Como una flor en mullido lecho,
entre vosotras la vida parece dulce,
llena de encanto y olvido.
(Al ver a Don Gómez, Ana hace un gesto de
sorpresa y espanto, luego hace un gesto para
que las damas se alejen)
Escena II
(Don Gómez, Ana)
DON GÓMEZ
¡Ahí llega!... ¿Cómo me recibirá?
ANA
(con gracia forzada)
Mi alma se alegra
de volveros a ver, Don Gómez.
DON GÓMEZ
Alegría que rechazasteis en Londres,
señora.
ANA
Bien sabéis que estaba
al total servicio de la Reina.
DON GÓMEZ
¡Basta de mentiras,
bien sabéis que es inútil fingir!
Ana, ¿qué os ha hecho olvidar
el dulce lazo que nos unía?
ANA
(tristemente)
¿Por qué decís que lo he olvidado?
DON GÓMEZ
¿Acaso me amáis?
ANA
Sólo os digo que vuestro amor
me proporcionó una gran felicidad,
me privó del descanso, pero me dio vida.
DON GÓMEZ
¡La fidelidad va unida al honor!
ANA
(viendo a Enrique)
¡Cielos!... ¡El Rey!
Escena III
(Enrique, Don Gómez, Ana)
ENRIQUE
(con asombro, a Don Gómez)
¡Vos aquí, señor, haciendo la corte
a la bella marquesa?
DON GÓMEZ
Hace tiempo, en Francia, sire,
tuve el honor de verla un día.
ENRIQUE
¡Fue suficiente para embelesaros!
Esta noche doy una fiesta...
(con aire de amenaza)
¡y cuento con vos!
DON GÓMEZ
Sire, no faltaré.
(Se inclina y se retira dirigiendo a Ana
una dolorosa mirada)
Escena IV
(Enrique, Ana)
ENRIQUE
Querida Ana
¿sois feliz aquí?
¿He logrado complaceros?
¿Puedo tener esperanzas?
ANA
(con firmeza)
Os lo digo de nuevo, sire,
¡no esperéis nada de mí!
ENRIQUE
¡Nada! ¿Por qué entonces, ingrata,
aceptáis feliz los honores que mi amor os otorga?
ANA
¿Os atrevéis a preguntar por qué?
Es para lavar el nombre de mi hermana,
otrora honorable,
¡y que vuestro amor mancilló!
ENRIQUE
¡Te ruego que no avives en mí
esos dolorosos recuerdos!
¡Ah, tus dudas son blasfemias!
La paz de mi hogar, mi rango,
el respeto a mi linaje, todo,
¡todo lo he abandonado por tu amor!
ANA
¡Seguid esperando!
ENRIQUE
¡No cejaré hasta que mi amor
te convierta en una mujer feliz!
¡Ah, si así lo quisieras, ingrata,
los honores con los que te colmaría
harían de ti la mujer más grande del reino!
ANA
¡No sigáis! ¡Oh, no sigáis hablando, sire!
ENRIQUE
¡Sí, es cierto! ¿Qué vale mi reino?
¿Qué vale toda mi fortuna
comparada con tu divina sonrisa,
con una sola mirada tuya?
ANA
(Para sí, tiernamente)
¡Oh, muy a mi pesar, su voz me conmueve!
ENRIQUE
¡Ah, no me sigas rechazando,
deja que tu corazón se apiade de mí!
Si una sonrisa se asoma en tus labios,
¡el Cielo se abrirá para mí!
ANA
¿Estaré soñando?
ENRIQUE
¡Cuando tu dulce mirada me traspasa el alma,
todo mi ser se estremece!
¡Oh, amor mío, cree en mí!
¡Tu esclavo, es tu rey!
ANA
¡Su ardiente mirada me penetra!
ENRIQUE
Te ofrezco mi alma para siempre,
me inflama una ternura eterna,
si crees en mi amor,
¡hoy puede ser para nosotros un día hermoso!
ANA
(con un esfuerzo)
¡Ah, sire, mantened vuestro amor!
ENRIQUE
(trata de abrazarla)
¡Te amo, te quiero, bella hechicera!
ANA
(recuperándose y rechazándolo)
¡No! ¡No! ¡Jamás seré vuestra amante!
ENRIQUE
¿Mi amante, dices? ¿Quién habla de eso?
¡Mi esposa!
ANA
(sorprendida)
¿Qué decís?
¿Vuestra esposa?
ENRIQUE
¡Sí!
ANA
¡Palabras vanas!
ENRIQUE
¡La reina dejará de serlo,
y la reina serás tú!
ANA
(muy turbada)
¿Pero y el vínculo sagrado
que os hace su esposo?
ENRIQUE
Bueno... ¡Lo romperé!
ANA
¡Eso es un sueño!
ENRIQUE
(con ternura)
¡No, no es un sueño!
¡Pronto será una realidad!
Aún no comprendes
el profundo amor que me embarga
y que me convierte
en un humilde esclavo de tu belleza.
¿Rechazarás por esposo a tu Rey?
ANA
(como enloquecida)
¡Reina!... ¡Reina! ¡Seré reina!
ENRIQUE
¿Rechazarás seguir a tu esposo
por el camino del honor y el amor?
ANA
(de igual modo)
¡Reina!... ¡Reina! ¡Seré reina!
ENRIQUE
¡Te lo juro por el Cielo y por tus dulces ojos!
ANA
¡Cedo al sueño que me embriaga!
¿Como dar la espalda a la fortuna?
¡Ah, sire, os juro fidelidad
hasta la muerte!
¡Amémonos con un amor intenso y poderoso!
ENRIQUE
¡Ah, cede al sueño que te embriaga!
¿Por qué rehusar lo que te ofrece el destino?
¡Querida Ana, jura que vivirás
siéndome fiel hasta la muerte!
¡Amémonos con un amor intenso y poderoso!
(Ana se deja abrazar por Enrique)
ENRIQUE
(muy bajo)
¿Serás mi esposa?...
ANA
(aún más bajo)
¡Sí, seré vuestra esposa!
¡Jurad!
ENRIQUE
(solemnemente)
¡Te lo juro por mi alma!
¡Seré tuyo hasta la muerte!
(Surrey aparece y el rey se aparta de los brazos
de Ana para seguirle, no sin antes dirigirle a ella
una tierna mirada)
Escena V
(Ana, sola)
ANA
¡Reina!... ¡Seré reina!... ¡No es un sueño!
Jamás pensé nada semejante.
Ni en mis más dulces esperanzas, pensé jamás
¡en alcanzar un destino tan glorioso!
Por fin conoceré embriaguez del poder
¡Ah, suprema voluptuosidad!
El hombre, al que todos temen,
¡será mi esclavo!
A aquellos que otrora me desdeñaron,
les devolveré sus afrentas.
¡Tendré un cetro en la mano
y una corona sobre mi frente!
¡Mi victoria es definitiva,
y mi triunfo, eterno!
¡La pasión del poder hará olvidar
al melifluo amor!
¡Por fin conoceré la gloria!
¡La humilde muchacha de ayer, hoy es reina!
(En este momento aparece Catalina que
avanza lentamente hacia ella)
Escena VI
(Ana, Catalina)
CATALINA
(apoya la mano sobre su hombro)
¡Pobre muchacha! ¡Que Dios ilumine tu camino!
(con autoridad)
¡Mírame!...
¡Yo soy la reina de Inglaterra!
¡La reina de corazón clemente que un día,
al verte en el suelo, te tendió su mano!
Antes de atreverte, como pago,
a poner tus ojos sobre mi marido,
¿no has medido el abismo tremendo
que existe entre nosotras?
Al verte caer tan bajo y olvidando mi furia,
quisiera darte un consejo:
¡que el orgullo no te pierda, ten cuidado!
ANA
Pero, señora, yo os juro que...
CATALINA
¿Crees acaso que, llena de celos,
no me he dado cuenta de lo que tramas?
ANA
¡Ay, señora, os juro que para huir del Rey
he hecho todo lo que estaba en mi mano!
CATALINA
(irónica)
¿Y para huir de él has aceptado
títulos, honores y riquezas?
ANA
¡Yo no deseaba ninguno de esos dones
cuyo peso me abruma!
CATALINA
(lo mismo)
¿No pediste nada?...
La pobrecita sufría con resignación
los favores con los que la cortejaba el rey.
¿No es verdad, niñita?...
¡Y quieres que yo me crea esa comedia! ¡No!...
Conozco los cálculos de tu fingida dulzura,
actúas maravillosamente...
Te haré pagar dos vergüenzas:
¡la tuya y la de tu hermana!
ANA
(levantándose furiosa)
Dios es testigo, señora, de que yo
quería respetaros; pero puesto que
no tenéis por mí piedad... ¡Sabré vengarme!
Aunque me torturéis...¡Vuestro esposo es mío!
¡Puedo caminar con la frente bien alta!
CATALINA
¡Basta, ya he escuchado bastante tus infamias!
¡He sufrido demasiado tiempo tus afrentas!
¡Vete!... Sigue conspirando en la sombra.
¡Acabarás despreciada por todos!
¡Vete!... Sigue desafiando la justicia de Dios.
Para castigar tu corazón pecador, ¡apelo a Dios!
quien le devolverá a mi esposo la razón...
Y, si él me abandonara en este mundo,
mi constancia lo recuperaría en el más allá.
¡Ana, cuidado con el tiempo!...
¡Mía será la eternidad!
Escena VII
(Los mismos, Enrique, Don Gómez, Lady
Clarence, Surrey, Norfolk, luego el Legado)
ENRIQUE
(con cólera)
¡Cómo, señora!... ¿Vos aquí?
ANA
(avanzando resueltamente)
¡Sire, defendedme!
CATALINA
¡Sire, os recuerdo
que yo soy la reina!
ENRIQUE
¿Por qué?
Que yo sepa,
aún no he dicho lo contrario.
CATALINA
(asustada)
¿Aún?
ENRIQUE
Y seréis reina hasta... el día en que la ley,
rigurosamente interpretada,
os arroje del trono real.
¡Mañana conoceréis vuestra suerte!
NORFOLK
(anunciando al Legado que le sigue)
¡Sire, el Legado papal!
CATALINA
(con un grito de esperanza)
¡Mi salvación!
ENRIQUE
(a Catalina)
¡No!... Lo será el Parlamento, quien os juzgará.
(a Norfolk)
Que sea bienvenido.
(El Legado es introducido)
EL LEGADO
¡Salud, rey de Inglaterra!
Sabiendo que vuestra alma está agitada,
vengo a traeros unas palabras del Papa,
representante en la tierra del Todopoderoso,
a quien ambos servimos.
ENRIQUE
(al Legado)
Mañana tendremos el placer de escucharla...
(a Ana)
Señora, y ahora, divirtámonos.
(Un bufón llega para anunciar al rey que todo
está preparado para la fiesta. El rey indica
que se puede comenzar. Catalina y el Legado
se retiran. Los demás se dispersan por los
jardines, Enrique sale, dando la mano a Ana)
Divertimiento
(Fiesta popular en el parque de Richmond)
1 - Introducción. Entrada de los Clanes.
2 - Idilio escocés.
3 - La fiesta del lúpulo.
4 - Danza de la gitana.
5 - Scherzetto.
6 - Giga y Final.
ACTO TERCERO
(Sala del Parlamento donde tiene lugar
el juicio de la Reina)
Escena I
(Enrique, Don Gómez, Catalina, Lady Clarence,
Garter, Cranmer, luego Campeggio, jueces,
gentileshombres, ujieres La inmensa sala está
abarrotada de público. Fanfarrias desde fuera,
luego marcha con la que es introducido el
cortejo. El Rey es conducido a su trono ocupando
el lado izquierdo; la Reina es llevada a un trono
situado en frente y Gómez se sienta a sus pies.
Los jueces entran los últimos y toman asiento)
GARTER
¡El sínodo queda abierto!
¡A todos, Dios dé su derecho!
EL ARZOBISPO DE CANTERBURY
(solemne)
¡Tú, que velas por Inglaterra,
Dios todopoderoso, díctanos tu ley!
¡Tú, que encierras un triple misterio,
ilumina a tus hijos!
¡Tú, que velas por Inglaterra,
protege la patria y al rey!
GARTER
¡Enrique, Rey de Inglaterra, avanzad!
EL UJIER
(repitiendo)
¡Enrique, Rey de Inglaterra, avanzad!
ENRIQUE
¡Presente!
GARTER
¡Y vos, oh reina, avanzad!
EL UJIER
(repitiendo)
¡Y vos, oh reina, avanzad!
CATALINA
Mi dueño y señor, me someto a vos.
ENRIQUE
(levantándose)
Todos vosotros, hombres de iglesia y de leyes,
en este día solemne, vuestro señor y rey,
os pide que anuléis , como contrario a su fe,
el himeneo que me une a la viuda de mi hermano.
¡El santo libro del Levítico apoya mi demanda!
Someto mi causa a vuestro buen entendimiento,
y la confío a vuestra conciencia, rogando a Dios
que os ilumine con su omnipotencia!
GARTER
¡La Reina tiene la palabra!
CATALINA
(descendiendo del trono y dirigiéndose al rey)
¡A tu bondad soberana apelo, oh mi rey!
¡Apiádate de la pobre mujer
que te ha dado toda su alma
y que siempre te ha sido fiel!
No soy más que una extranjera
que sumisa te suplica;
pues en esta Corte,
si tú la abandonas,
¡no le quedará ningún amigo!
¿No he sido una esposa fiel y casta?
¡Jamás tu alma se ha ensombrecido
con la sospecha de los celos!
¡Enrique, es tu leal mujer
la que viene a suplicar a su señor
que se digne continuar mirándola,
pues de lo contrario,
¡le romperías el corazón!
CORO DE ASISTENTES
(muy bajo)
¡Ah, pobre mujer y pobre reina!
¿Cómo no compartir su pena?
(El Rey, muestra signos de impaciencia)
CATALINA
Sire Enrique, el rey vuestro padre,
era un rey justo y clemente;
y del mío, creo que vos
habéis conservado el mismo recuerdo.
Ellos fueron los que unieron nuestras manos,
y sin duda, actuaron correctamente.
El Papa ha bendecido en numerosas ocasiones,
nuestro largo camino juntos.
Así pues, hoy vuestra mujer os requiere,
en este santo lugar,
para que vuestra alma siga el sendero
¡de vuestro padre, del Papa y de Dios!
CORO DE ASISTENTES
(murmullos)
¡Ah, pobre mujer!... ¡Ah, pobre reina!
¿Cómo no compartir su pena?
¡Roguemos a Dios por ella!
(Signos de descontento en el rey)
CATALINA
(volviéndose hacia los jueces)
Vosotros, a quien el Rey os ha hecho mis jueces,
si la piedad reina en vuestros corazones,
¡que mi dolor encuentre refugio en vosotros!
¡Perdonad mis lágrimas!
En este momento poco me importan la corona
y los tristes vaivenes de la fortuna.
Tan sólo os pido que me devolváis a mi esposo,
¡pues su pérdida significaría mi muerte!
(Llora)
CORO DE ASISTENTES
(Casi en voz alta)
¡Ah, pobre mujer!... ¡Pobre reina!
Cómo no compartir su pena?
Después de tantos años...
¿Es que el Rey no tiene piedad?
ENRIQUE
(Se levantan furioso y dirige una mirada
amenazadora sobre los jueces y nobles))
¡Es suficiente!
CATALINA
(con gesto de desesperación)
¡Ah, estoy perdida!
(Se sienta apesadumbrada)
GARTER
Señores, habéis oído a ambas las partes...
¿Quiere alguno de los presentes
intervenir como defensor de la Reina?
DON GÓMEZ
(levantándose)
Seré yo quien con placer lo haga...
La reina es española, al igual que yo.
En nombre de mi país, vuestro amigo y aliado,
estoy disconforme con semejante proyecto,
pues podría provocar una guerra.
UN GRUPO DE SEÑORES
¡Se atreve a amenazarnos!
OTRO GRUPO
(volviéndose hacia el rey)
¡El Rey debe castigar a quien nos provoca!
(Murmullos entre el pueblo)
ENRIQUE
(frío y altivo)
Señor embajador, si os he comprendido bien,
queréis forzar la justicia con el miedo.
Pero debéis saber que,
¡todo mi pueblo piensa como su rey!
¡Los hijos de la noble Inglaterra,
saben luchar con valor,
y no tienen por costumbre quedar ociosos,
cuando los amenaza un extranjero!
EL CORO
¡Viva! ¡Viva!
¡Los hijos de la noble Inglaterra,
y no tienen por costumbre quedar ociosos,
cuando los amenaza un extranjero!
(Los jueces comienzan sus deliberaciones.
Los asistentes se inquietan)
CORO
¡Es cierto, amamos a nuestra reina;
pero no soportamos
que un extranjero venga a insultar
la grandeza soberana de nuestro rey!
¡Que el cielo dicte sentencia,
sea cual sea la acataremos!
UN OFICIAL
¡El Tribunal se va a pronunciar!
EL ARZOBISPO
¡Sire! ¡Ilustre asistencia!
En virtud del poder que Dios nos ha dado,
declaramos que este matrimonio
fue nulo y contrario a las leyes.
CATALINA
¡Dios, qué crimen contra tu justicia!
¡Esta bien! Pero antes de salir de esta sala,
donde he sido juzgada por un tribunal infame,
no de jueces, sino de enemigos; quiero ante todos
proclamar que he sido arteramente destronada.
¡El futuro me juzgará!
UN OFICIAL
(anunciando)
¡Sire, el Legado del Santo Padre!
(Entrada del Legado seguido de los cardenales,
que se alinean tras él)
EL LEGADO
(sacando la bula del Papa)
En nombre de Clemente VII, pontífice soberano,
con el alma serena y sin coacción alguna,
vengo a ratificar, por la presente bula,
tu primer matrimonio, Enrique VIII.
Toda decisión contraria queda anulada.
ENRIQUE
¡Por mi fe!
¡Mis súbditos os responderán por mí.
¡Haced entrar al pueblo!
(Las puertas se abren y la sala se llena con
una multitud numerosa)
¡Hijos de Inglaterra,
libres hijos de una tierra libre!
¿Permitiréis que un extranjero legisle?
EL PUEBLO
¡No! ¡no! ¡Jamás!
ENRIQUE
¿Permitiréis que un hombre,
cuyo verdadero poder está en Roma,
se atreva a mancillar mi trono?
EL PUEBLO
¡No! ¡no! ¡Jamás!
ENRIQUE
Si me revelo contra el poder del Papa
y no acato sus abusos...
¿Me seguiréis?
EL PUEBLO
¡Te seguiremos!
ENRIQUE
Si constituimos una nueva Iglesia...
¿Vendréis a su seno?
EL PUEBLO
¡Iremos!
ENRIQUE
Si hace falta un pastor que guíe vuestras almas,
la de vuestros hijos y mujeres...
¿Elegiréis como guía a vuestro rey?
EL PUEBLO
¡Te lo juramos!
ENRIQUE
¡Escuchad! ¡Hoy, Enrique VIII queda proclamado
jefe de la Iglesia de Inglaterra,
tomando por esposa toma a Ana Bolena,
marquesa de Pembroke!
(La reina lanza un grito cayendo desvanecida,
Unos criados se la llevan)
EL LEGADO
¡En nombre del Dios de quien reniegas,
Enrique VIII, quedas excomulgado!
(El Legado sale)
EL PUEBLO
¡Viva el rey! ¡Viva!
CORO
¡Gloria al Rey, gloria jefe de la Iglesia!
Enrique VIII ha reunido en una sola mano,
los dos poderes.
¡Que Dios bendiga su matrimonio!
ENRIQUE, CORO
¡Acabamos de romper las cadenas!
¡Oh pueblo, ahora tienes libertad!
Demasiado tiempo dominada
por la soberanía de Roma,
tu alma sencilla
recupera su orgullo.
(Gritos de ¡Viva el rey! La gente agita banderas.
Entusiasmo general)
ACTO CUARTO
Primer Cuadro
(Residencia de Ana Bolena. Un salón de
estilo renacimiento inglés. Al levantarse
el telón, damas y señores ensayan, al fondo
de la sala, el paso de una ballet en honor del
Rey, de quien es su cumpleaños. Ana preside el
ensayo)
Escena I
(Ana, Norfolk, Surrey, señores, damas
ensayando un paso de baile al fondo.
Ana sigue el ensayo con interés y hace
signos de asentimiento. Mientras tanto,
Norfolk y Surrey, charlan en un rincón
en primer plano)
NORFOLK
(a Ana)
¡Un espectáculo estupendo!
Al Rey le gustará.
(a Surrey, misteriosamente)
¿Habéis notado el humor sombrío y serio del Rey
desde el día de su nueva boda?
SURREY
¡Así es! Sólo tiene palabras amargas,
y a nosotros, sus amigos, no nos tiende la mano.
NORFOLK
Se diría que un secreto le corroe las entrañas.
SURREY
¡Más aún!... Yo diría que duda de la Reina.
NORFOLK
(con temor)
¡Callad!
SURREY
También Ana, ¡ay! nota como nosotros
que un mal misterioso atormenta a su esposo.
¡Ella sonríe aquí, pero a solas, llora!
Todo le da miedo... Por ejemplo: el Rey hace
tiempo que debería haber venido...¡nuevo temor!
NORFOLK
Tiene motivos para estar asustada: ¡conoce al rey!
SURREY
¿Sabéis qué ha sido de la reina Catalina?
NORFOLK
Triste languidece en el castillo de Kimbolt,
creo que está próxima a la muerte...
Dicen que el Rey se interesa mucho por su salud.
SURREY
Ya es tarde para inquietarse por ella.
NORFOLK
¡La castiga por haberle sido fiel!
(Se oyen gritos de aprobación en el fondo.
Los dos señores van a reunirse con los demás)
UN CRIADO
(anunciando)
¡El señor Embajador de España!
(Movimiento de sorpresa)
Escena II
(Los mismos, Don Gómez)
ANA
(con terror)
¡Otra vez él!
¿Qué viene a hacer aquí?
Sólo de verlo se me hiela la sangre.
DON GÓMEZ
(entra saludando)
¡Salud, señores!
(viendo a Ana)
Perdón, señora, disculpadme,
no quisiera interrumpiros.
Me habían dicho que encontraría aquí al Rey,
le traigo un mensaje
de la Señora Catalina...
ANA
¡Oh, cielos!
(a las damas y señores)
Marcharos
por un momento...
(Las damas y señores se alejan murmurando
en voz baja)
SURREY, NORFOLK
Tras este matrimonio,
todo es misterioso aquí...
Escena III
(Ana, Don Gómez)
ANA
(acalorada)
¿Queréis perderme?
DON GÓMEZ
¿Quién?... ¿Yo, señora?... ¿Perderos?
¿Y por qué iba a hacerlo? Sabed que en mi alma
hace tiempo que murió el amor.
ANA
Pero ¿y este mensaje de la Reina?
DON GÓMEZ
Contiene peticiones dirigidas
a aquél que otrora la amó.
ANA
Pero ¿cómo estaré segura
de que no contiene nada más?
DON GÓMEZ
Es cierto.
¿Qué queréis que contenga?
ANA
¡Qué sé yo!...
Un mensaje, y traído por vos, es sospechoso.
¿No tenéis alguna prueba contra mí?
DON GÓMEZ
¿Prueba?
ANA
Sí, por ejemplo,
mis cartas de hace tiempo.
DON GÓMEZ
Lo que el fuego devora
no puede traiciona ya
los juramento y promesas incumplidas.
ANA
(alegre)
¿Así pues, las habéis quemado?
DON GÓMEZ
¡Todas!
ANA
¡Todas!...
¿Y aquélla que decidió
vuestro nombramiento como embajador?
DON GÓMEZ
No...
Ésa no la he quemado.
ANA
(con terror)
¿Dónde la tenéis?
DON GÓMEZ
Está en las manos de la Reina.
ANA
¡Ay!
¡Terror mortal!
(Enrique aparece)
Escena IV
(Los mismos, Enrique)
ENRIQUE
(Para sí)
¡Otra vez él aquí!... Veamos...
(a Ana, bruscamente)
¡Señora, dejadnos!
ANA
(retirándose temblorosa)
Me temo lo peor...
Escena V
(Enrique, Don Gómez)
ENRIQUE
(Con dureza)
Señor, después de lo sucedido hace poco,
comprenderéis que ya no esperaba
volver a veros por aquí.
Aunque por otra parte, debéis saber que si aún
sois embajador en Inglaterra,
es porque tengo necesidad de vos,
para descubrir un misterio que me intriga.
DON GÓMEZ
(Con frialdad)
Sire, debo deciros por mi parte,
que si aún soy embajador, ha sido
por cumplir un último deber en esta Corte,
pues soy el único amigo de la que fue reina.
ENRIQUE
(Súbitamente calmado)
De la Señora Catalina, en efecto... decidme...
DON GÓMEZ
Os traigo un mensaje de ella.
ENRIQUE
Hablad.
DON GÓMEZ
Si mi memoria no me falla,
ella me dijo llorando:
«¡Oh mi rey! Aún habiendo sido abandonada,
no quiero dejar pasar este día
sin deciros que mi pensamiento
os permanecerá fiel por siempre.
Mis llantos y plegarias
ya suben hacia el Cielo.
Os bendigo en ésta, mi última hora,
pues pronto cerraré los ojos.»
ENRIQUE
¡Pobre Reina! Sus palabras hacen revivir en mí
el deseo de volver a verla.
DON GÓMEZ
(saludando)
Me retiro...
ENRIQUE
¡Aún no!... ¡Dignaos seguirme!
DON GÓMEZ
¿Por qué, Sire?
ENRIQUE
(amenazador)
¡En Kimbolt lo sabréis!
(aparte)
¿Quizás el secreto que busco
esté en manos de Catalina?
Ella sabe muchas cosas, y deberá decírselas a él.
La venganza de la Reina, como española,
será más fuerte que su bondad.
Para perder a Ana, me dirá la verdad.
DON GÓMEZ
(aparte)
¿Qué motivo puede conducirle a Kimbolt?
¿Qué puede querer de la Reina?
Desconfío de su falsa bondad...
¿Qué nuevo crimen tramará su demonio?
ENRIQUE
(para sí)
¡Al fin mi venganza está próxima!
Ablandaré a la Reina
mediante el rigor o la bondad.
¡Quiero saber hoy toda la verdad!
Segundo Cuadro
(Residencia de Catalina en Kimbolt)
Escena I
(Al levantarse el telón, la reina está sentada junto
a una chimenea. En el exterior se oye cantar al
pueblo que celebra el cumpleaños de Enrique)
CORO DEL PUEBLO
(Fuera de escena)
¡Viva nuestro rey!
¡En este día próspero,
nació nuestro padre,
aniquilador de los pérfidos!
CATALINA
(triste)
¡Oh, crueles recuerdos! ¡Allí, en mi patria,
el nombre de mi padre, el Rey, así era festejado!
Todo me habla de ti en mi cautiverio,
¡oh, cuna de mi niñez, España querida!
¡No te volveré a ver nunca,
oh, dulce tierra en que nací!
Al destino, que me ha condenado,
sin rebelarme me someto.
Pero al menos piensa en mí
con un recuerdo lleno de piedad,
¡oh, país de amor y gloria
al que jamás he olvidado!
La muerte sería menos amarga si, como antaño,
hubiera encontrado el sueño,
¡oh, madre mía!
sobre tu seno fecundo y bermejo.
Como un soldado vencido,
caigo sobre una tierra de dolor...
Sólo alcanzaré la felicidad cuando sobre
la tierra de mi tumba germinen las flores.
(A una llamada, entran sus doncellas)
Escena II
(Catalina, damas)
CATALINA
(llamándolas y repartiendo joyas entre
ellas)
¡Queridas, venid! Dentro de poco tiempo,
abandonaré esta tierra…
Deseo que conservéis un recuerdo de mío...
Toma este anillo… Y esta cruz es para ti...
(toma un libro de oraciones y mete en él
una carta que ha sacado del joyero)
(Para sí)
Este libro, donde cada noche rezo,
es para Don Gómez.
Él encontrará aquí
la prueba del amor que le dio esa infame
¡que me quitó a mi esposo y torturó su alma!
UNA DAMA
(entrando)
Reina, una mujer, oculta bajo un velo,
solicita ser recibida por vos.
CATALINA
(alejando a sus damas)
¡Dejadme sola unos instantes!
Quién sabe si podré auxiliar a una desgraciada…
(Las damas se alejan. Entra Ana, velada)
Pasad… sin duda os afije una pena.
Todo aquí es triste y digno de lástima.
(Ana se descubre)
Escena III
(Catalina, Ana)
CATALINA
(Con sorpresa e indignación)
¡Ana!... ¿Venís de nuevo a humillarme?
ANA
(humilde)
¿Humillaros?... ¡No! ¡Vengo a suplicar!
CATALINA
¿Qué deseáis de mí?
ANA
Sólo una palabra de perdón.
CATALINA
¡Perdonaros!... ¿Yo?... ¡Jamás!
ANA
No es a la Reina a quien me dirijo,
sino a un alma cristiana.
CATALINA
El Señor le ha concedido el olvido a la cristiana...
ANA
¡Ah, conoced al menos mis remordimientos!
CATALINA
Con vuestros remordimientos
ya no podréis reparar el daño que causasteis...
Dejad que mi corazón descanse en paz...
ANA
Mi crimen no tiene perdón, pero me cegaron
el Rey… el trono de Inglaterra…
¡Bien que mi alma está penando por aquel error!
Yo sabía lo que era el amor sincero y limpio...
CATALINA
(Con dureza)
Es cierto, yo no fui la única víctima.
Vuestra mano rompió a la vez dos corazones;
¡Pero vos no amabais, estoy segura, a aquél cuya
herida aún sangra bajo vuestro desprecio!
¡Nunca le amasteis!
ANA
(humildemente)
¿Cómo es posible que lo dudéis, Señora?
Acaso no tenéis la prueba...
CATALINA
¿Qué prueba?
ANA
(azorada)
¡Aquella que os envié intercediendo por
mi amado Don Gómez!
CATALINA
(Estallando de indignación)
¡Ah, ahora comprendo por qué vienes a verme!
El terror te empuja a venir aquí
para conseguir esa prueba y hacerla desaparecer.
¡Y hablas de arrepentimiento!
Dime.. ¿he adivinado tus intenciones?
ANA
(suplicante y humillándose)
¡Estoy loca! ¡Tengo miedo de vos y del Rey!
¡Ah, os lo suplico, tened piedad de mí!
¡Devolvedme esa carta!
CATALINA
(con cólera)
¡No lo esperes, miserable!
¡No, no, jovenzuela sin entrañas!
(Va a su libro de oraciones y retira la carta)
¡Mira, aquí está!
¡La carta que te pierde, y me hace temible!...
ANA
(de rodillas y tendiendo la mano para
apoderarse de la carta)
¡Ah, gracia!
CATALINA
(retrocediendo, despiadada)
¿Y si el Rey, tu esposo, estuviera aquí?
Es a él...
(El rey aparece seguido de Don Gómez.)
¡El Rey!
(Ana se levanta asustada. Catalina arruga la
carta entre sus manos. Enrique entra seguido
de Don Gómez.)
Escena IV
(Ana, Catalina, Enrique, Don Gómez)
ENRIQUE
(a Ana)
¡Vos aquí, señora!
¡Qué agradable sorpresa, me siento muy feliz!
(va hacia Catalina y le habla con tono de falso
arrepentimiento)
Mi corazón fue demasiado duro con vos, Señora.
Declarándoros viuda antes de tiempo.
Sin embargo, hoy quiero daros la oportunidad
de demostrarme que actué como un loco
irreflexivo al trataros de aquella manera;
al traicionaros con una criatura innoble,
cuyo corazón es un nido de sierpes.
Catalina, ¿tenéis en vuestro poder
alguna prueba que reafirme lo que digo?
ANA
¡Estoy perdida!
DON GÓMEZ
¡Cielos!
CATALINA
(arrugando la carta entre sus manos)
¿Qué pretendéis, señor?
ENRIQUE
(tras un silencio)
¿No decís nada?
(para sí)
Supongo que haciendo sufrir a su corazón,
los celos y el dolor
la ablandarán.
(en voz alta)
Reina, vuestro silencio trae la paz a mi corazón.
¡Os lo agradezco!
De este modo queda reafirmada la inocencia
de aquella de quien me atrevía sospechar.
(a Ana, con ternura)
¡Ana, perdonadme las injurias
que mi celoso corazón os ha hecho!
Vuestra rival, olvidando el rencor,
os declara con su silencio fiel y pura.
Ana, mi querido ídolo,
jurad que jamás amasteis a ningún otro...
CORO
(entre bastidores)
¡Festejemos con cantos el día del Rey!
ANA
(temblorosa)
Juro que sólo a vos he amado...
CATALINA
(Para sí, angustiada, mientras el Rey la observa)
¡Señor! ¡Señor! ¿Por qué me tientas?
ENRIQUE
(para sí)
¡Se calla!...
(Toma a Ana entre sus brazos. Coro
alegre del pueblo fuera)
¡Ana, amada mía!
¡Oye como a nuestro alrededor se elevan,
en la noche perfumada,
cantos armoniosos y dulces!
CATALINA
(dispuesta a darle la carta. Para sí)
¡Señor! ¡Señor! ¿Por qué me tientas?
ANA
(Para sí)
¡Mi corazón se llena de espanto!
¡Oh Dios, ampárame!
DON GÓMEZ
(Para sí)
¡Mi corazón se llena de espanto!
¿Qué se propone el Rey?
ENRIQUE
Nuestro amor es tan intenso,
que la felicidad y la paz
renacen constantemente en nuestros corazones.
CATALINA
(a punto de ceder a la tentación. Para sí)
¡Señor, Señor, ten piedad de mí!
ENRIQUE
Debes tenerlo muy claro, Ana,
¡sólo te he amado a ti!
¡Jamás he amado a ninguna otra!
CATALINA
(Para sí)
¡Oh, tortura! ¡Oh, supremo ultraje!
¡Oh, angustia insoportable!
Mi entereza se derrumba...
¡Señor!
ANA
(Para sí)
¡Oh, tortura! ¡Oh, supremo ultraje!
Su entereza decae...
¡Me siento morir!
DON GÓMEZ
(Para sí)
¡Oh, tortura! ¡Oh, supremo ultraje!
¡Oh, angustia insoportable!
La injuria está quebrantando su entereza...
¿Hablará?
ENRIQUE
(Para sí)
La injuria está quebrantando su entereza,
al todo se descubrirá.
Gracias a este ultraje
su entereza vacila...
(Toma a Ana entre sus brazos. Catalina lanza
un grito terrible como si algo se desgarrara en
su corazón. Arroja la carta a la chimenea donde
desaparece inmediatamente quemada, y se deja
caer de nuevo casi inanimada sobre un sillón)
CATALINA
(con voz agonizante)
¡Junto a tus elegidos, Dios mío, acógeme!
(a Don Gómez, señalando la carta que arde)
Haced como yo... ¡perdonad!
(Muere. Las damas la rodean)
ENRIQUE
(Se libera con furor de los brazos de Ana y
contempla fríamente el cadáver de Catalina)
¡Ha muerto llevándose su secreto!
Pero si logro confirmar mis dudas... ¡el hacha!
(Lanza una mirada mortal a la atemorizada Ana)
Escaneado y Traducido por:
Eduardo Almagro 2010
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