EL TROVADOR

 

Personajes

CONDE DE LUNA

MANRIQUE

LEONOR

AZUCENA

FERNANDO

RUIZ

INÉS

Noble, enamorado de Leonor

Militar, prometido de Leonor

Prometida de Manrique

Gitana, supuesta madre de Manrique

       Jefe de la guardia del Conde de Luna        

Lugarteniente de Manrique

Doncella de Leonor

Barítono

Tenor

Soprano

Mezzosoprano

Bajo

Tenor

Soprano

 

La acción transcurre en Zaragoza (Aragón, España) en el año 1413.

 

PREMIER ACTE


Le Duel.

(En Aragon. Vestibule du palais de l'Alfaferia à
Saragosse; porte latérale conduisant aux
appartements du Comte de Luna)

Scène I

(Fernand et plusieurs vassaux du comte couchés près
de la porte; quelques hommes d'armes se promènent
au fond)

FERNAND
Alerte! Alerte! Qu'on veille
En attendant l'aube vermeille!
Le Comte de Luna,
Notre maître... il est là...
Sous les balcons de sa belle il soupire,
En proie au plus sombre délire.

VASSAUX
D'un amour trop jaloux
Toujours le tourment le dévore.

FERNAND
Ce Trouvère qui, dès l'aurore,
Redit ses chants si doux,
Ce rival le trouble encore.

VASSAUX
Pour chasser le sommeil
Qui s'empare de nous,
Redites donc, sur le frère du Comte,
L'histoire qu'on raconte!

FERNAND
Volontiers! Amis, approchez-vous.

LES HOMMES D'ARMES
Quel conte?

VASSAUX
Silence! Vous tous!

FERNAND
De mon maître le père avait
Deux fils, seul espoir de sa vie.
Près du berceau du plus jeune rêvait
La nourrice endormie.
Un jour, aux feux
De l'aurore nouvelle,
Lorsqu'elle ouvre les yeux,
Près du lit de l'enfant qu'aperçoit-elle?

LE CHOEUR
Quoi? Qu'était-ce?... Grands Dieux!

FERNAND
Parait à ses regards
Une sorcière
Roulant des yeux hagards
Sous sa paupière.
Sur le pauvre ange, avec furie,
La vieille attache un oeil d'envie...
D'horreur saisie,
Quand la nourrice appelle et crie,
En hâte, dans l'ombre,
Surviennent en nombre,
Des gardes, des valets,
En grand émoi courant dans le palais,
Avec colère, avec menace,
Chacun s'agite et veut qu'on chasse
Cette sorcière, esprit du mal.
On chasse du château ce démon infernal!

LE CHOEUR
Juste colère,
Pour la sorcière,
Pour la mégère,
Suppôt d'Enfer!

FERNAND
Elle venait, dit-elle, de l'enfant,
Dévoiler l'horoscope...
Dans son berceau voilà qu'au même instant
La fièvre l'enveloppe...
En cet accès brûlant,
Pâle, débile, et de maux accablés.
La pauvre créature, à l'Enfer immolée,
Etait ensorcelée!!...
La bohémienne un jour fut prise;
Au bûcher même elle fut mise.
Mais à sa fille étaient d'avance
Légués le crime et la vengeance!...
Vengeance horrible!... Et qui fut prompte.
La fille enlève le fils du Comte!
Puis, à la place où le supplice,
De la sorcière a fait justice,
Parmi la cendre encore fumante,
Des gens du peuple, au jour naissant
Trouvé avec horreur les restes d'un enfant.

LE CHOEUR
Pauvre victime!
Horrible crime
Qui légitime
Le châtiment!...
Son père?...

FERNAND
Brisé par sa peine amère,
Il avait comme un instinct secret
Que ce fils respirait,
Sauvé peut-être...
Au moment de mourir, il manda notre maître.
De rechercher son frère
Il lui fallut promettre.
Mais vains efforts!...

LE CHOEUR
De ces forfaits
L'auteur ne revint jamais?

FERNAND
Point de nouvelle!...
Infâme! Cruelle!
Ah, si je la trouvais!...

VASSAUX
La pourriez-vous reconnaître?

FERNAND
C'est un espoir qu'en mon coeur je sens naître.
Oui... peut-être!

LE CHOEUR
Comme sa mère, auteur du maléfice
Que l'enfer l'engloutisse!...

FERNAND
Qui? Sa mère?... Son âme ici plane dans l'air,
Son spectre affreux souille ce monde;
Et dans la nuit profonde
Changeant de forme, elle apparaît souvent.

LE CHOEUR
Vraiment!

LES HOMMES D'ARMES
Dans les murs funèbres,
Oiseau des ténèbres,
Lorsque tout est sombre,
On l'entend dans l'ombre.

LES VASSAUX
Un cri de chouette
Est son chant de fête;
Brûlante son aile
Aux fleurs est mortelle.

FERNAND
Passant, prends bien garde,
Que le ciel te garde!
Pour qui se hasarde,
Pour qui la regarde
La mort!...
C'est le sort!
Plus d'espoir!

LE CHOEUR
La mort!

FERNAND
Il marche timide,
Regarde livide
L'oiseau funéraire
Sortant de son aire.
L'effroi qui le glace
Trahit son audace;
Il tombe sur place.
Puis meurt à l'instant.
Alors minuit sonne...

(On entend sonner minuit)

FERNAND ET LE CHOEUR
Ah! Que la foudre tonne!
Malheur au suppôt de Satan!

(On entend quelques coups de tambour. Les hommes
d'armes se précipitent vers le fond, les vassaux se
retirent du côté de la porte)

Scène II

(Les jardins du palais; à droite, un escalier de marbre
blanc conduisant aux appartements; la nuit est
avancée; clair de lune voilé. Léonore et Ines.)

INES
Qui vous arrête? Il est temps, hâtons-nous,
La reine vous réclame,
C'est l'heure.

LEONORE
(à part)
O rêve de mon âme,
Ne viens-tu pas?...

INES
Ah! Quel malheur, madame,
Vous menace! Funeste flamme!...
Maudit le jour
où naquit un tel amour.

LEONORE
Dans la lice, superbe,
Sous son haubert de noir acier,
Il m'apparut... puis, bondissant dans l'herbe,
Vint arrêter sous mes yeux son coursier;
De ses rivaux il hâta la défaite,
Et par ma main fut couronné vainqueur!
J'ai depuis ce jour de fête
La mort au coeur!...
Comme un rayon céleste,
Sa douce image en vain me reste.
Ecoute...

INES
Achevez!

LEONORE
Sort funeste!!
La nuit calme et sereine
Couvrait l'immense plaine.
La lune encore lointaine
Au ciel montait à peine...
Alors l'écho soupire
Sur l'aile du zéphyre,
Qui semble me redire
Les plaines d'une lyre
Qu'ils mêle à tour à tour
A des refrains d'amour.
Pour moi céleste ivresse!...
Ce chant plein de tendresse
Disait avec tristesse
Mon nom... mon nom... sans cesse.
A cet accent suprême,
J'accours... c'était lui-même!
Oh, quel bonheur suprême!...
Mes sens ravis, mes yeux
Voyaient s'ouvrir les cieux!

INES
Pour vous, madame! Ah! Que de peine,
Oui je frémis! Ma crainte...

LEONORE
Est vaine!

INES
Ah, je redoute un noir présage
Qui nous annonce un long orage,
Oubliez tout,
Cédez aux voeux de l'amitié!

LEONORE
Le puis-je encore?

INES
De grâce!

LEONORE
L'oublier, lui que mon coeur adore!
De moi n'as-tu pas pitié!
L'amour ardent, l'amour sublime et tendre
A des accents que seul il peux comprendre...
Ma voix l'appelle... au loin je crois l'entendre...
Mon coeur est enivré.
Je lui donnai mon âme tout entière,
Je veut l'aimer jusqu'à l'heure dernière,
Si je ne puis être à lui sur la terre
Heureuse au ciel je le suivrai.
Sans lui s'il me faut vivre
Heureuse je mourrai,
Heureuse au ciel je le suivrai.
Par mon amour je l'ai juré,
Sans lui je mourrai.

INES
Que le ciel nous délivre
D'un malheur assuré!

LEONORE
Pourrais-je lui survivre?..
Non, je mourrai.

(Elles montent au palais)

Scène III

LE COMTE
La nuit est calme.
Au loin, tout dort dans le silence.
Chez notre reine auguste, on sait ma vigilance.
O Léonore! Tes beaux yeux,
Ainsi qu'un soleil radieux,
Brillent dans mon ombre,
Alors que tout est sombre
Ah, Quelle ardente flamme
A pénétré mon âme!...
O Léonore! Oui tu viendras,
Cruelle, et malgré toi tu m'entendras.

(Les accords d'une lyre résonnent dans le lointain)

Le Trouvère!... Qu'entends-je!...

(Le Trouvère, en dehors)

LE TROUVERE
Exilé sur la terre
Quand il gémit solitaire...
Ecoutez un instant
Le troubadour chantant.

LE COMTE
O rage! O jalousie!

LE TROUVERE
Ah, que l'amour fidèle
Touche ton coeur ma belle,
Et reconnais l'accent
Du troubadour passant.

Scène IV

LE COMTE
C'est bien elle... oui, c'est elle!...

LEONORE
(prenant Le Comte pour le Trouvère)
Oh, Manrique, est-ce toi?...
Quand je t'attends, que l'heure est lente,
Et la fièvre brûlante
Consume ton amante.
Enfin c'est toi!
Plus de pleurs, plus d'effroi,
Mais le bonheur pour moi!

LE TROUVERE
(de loin)
Perfide!

(La lune se montre à travers les nuages et éclaire un
autre personnage qui apparaît tout à coup. C'est le
Trouvère)

LEONORE
(stupéfaite)
Qu'entends-je!...

Scène V

LEONORE
(reconnaissant le Trouvère)
Ah, quelle erreur! O ciel! Et quel mystère étrange,
Je t'ai cru seul en cet instant!
Ta voix, j'ai cru l'entendre,
Et je venais t'attendre
Ici, dans ce moment.
Je n'aime que toi seul! Ah! Crois à mon serment!

LE COMTE
Perfide!

LE TROUVERE
(près de Léonore)
O bien suprême!

LE COMTE
Redoute mon courroux!

LEONORE
(au Trouvère)
Je t'aime!

LE COMTE
Fais-toi connaître ici de tous!

LEONORE
(à part)
Hélas!

LE COMTE
Dis moi ton nom!

LEONORE
C'est tait de nous!

LE TROUVERE
Mon nom? Je suis Manrique!

LE COMTE
Ah! Tremble, indigne!
Toi, proscrit, partisan d'Urgel, notre ennemi,
Oser paraître ici!
La mort est là regarde!

LE TROUVERE
Courage! Appelle donc ta garde!
Pour tes rivaux,
La hache des bourreaux
Et l'infamie!

LE COMTE
Eh bien! Pour ces affronts nouveaux,
Je veux, et j'aurai ta vie!...
Viens!

LEONORE
Comte!

LE COMTE
Vil félon, redoute ma furie!

LEONORE
Que faire, hélas!

LE COMTE
Au combat!

LE TROUVERE
Marchons.

LEONORE
Grand Dieu! Mon sang se glace!
Grâce!!

LE COMTE
Non! De fureur, de jalousie!
Cette ardente frénésie
Dont j'ai l'âme soudain saisie
Doit te présager ton sort.
Quand ta bouche lui dit : je t'aime,
Ah! Crains tout de mon transport!
Cet aveu, c'est l'anathème,
La sentence de ta mort!

LEONORE
(au Trouvère)
Ah! Méprise ce téméraire!
Un tel combat me désespère!
Ah! De grâce, entends ma prière!
Et prends pitié de mon amour.

(au Comte)

Vois mes larmes! Vois ma souffrance!
Mais ne garde plus d'espérance!
S'il succombe, crains ma vengeance!
Oui, crains ma haine, et sans retour!

LE TROUVERE
(à Léonore)
Dans mon glaive mon âme espère
Je ne crains rien de sa colère.
Plus d'alarmes! Vaine prière!
Je suis sauvé par ton amour!

(au Comte)

de combattre l'instant s'avance,
oui, c'est l'heure de la vengeance.
Ah! Perfide, crains ma vaillance,
Tu vois luire ton dernier jour.

LE COMTE
Tremble! Vengeance!
Crains ma vaillance!
Oui, félon, j'aurai ta vie!
Oh, crains tous de ma jalousie!
Ton audace impie
A dû te présager ton sort.
Tremble! Félon! Car c'est ta mort.
En vain ton bras est fort,
De mon courroux vois le transport.

LEONORE
(au Comte)
Vois mes larmes!
Vois ma souffrance!
Pour toi plus d'espérance!...
S'il succombe, crains ma vengeance!
Crains ma haine, et sans retour!

(au Trouvère)

De mon amour vois le transport!
A toi mon coeur jusqu'à la mort!!!

LE TROUVERE
(au Comte)
De combattre l'instant s'avance,
Oui c'est l'heure de la vengeance!
Ah, perfide! Crains ma vaillance,
Tu vois fuir ton dernier jour!
De mon courroux vois le transport!
Tremble, félon!...
Car c'est ta mort.

LE COMTE
De mon courroux crains le transport!
Déjà ton coeur pressent ton sort!
En vain ton bras est fort,
Tremble, félon!... Car c'est ta mort!!!

(Les deux rivaux, l'épée nue, sortent en se menaçant.
Léonore tente en vain de les retenir. Elle tombe
évanouie)



ACTE DEUXIEME


(En Biscaye. Montagnes escarpées et arides sous
un ciel enflammé; un grand feu brûle au milieu du
théâtre. Le point du jour)

Scène I

(Azucena, assise près du feu, Manrique le Trouvère,
est assis auprès d'elle, couché dans son manteau;
une troupe de bohémiens, dispersés ça et là)

LES BOHEMIENS
Le jour renaît... admirez ce coup d'oeil!
Le manteau de la nuit s'est levé de la terre.
comme une veuve abandonnant son deuil.
La nature dépouille un funèbre mystère!
Vite à l'ouvrage!
Courage!

(Ils prennent des marteaux et frappent en
cadence sur des enclumes)

Au bohémien joyeux
Qui fait braver la peine?...
Un regard de deux beaux yeux,
Qui de son coeur bannit la peine?...
La bohémienne!

(Les hommes tendent leurs coupes aux femmes,
qui leur versent à boire)

Versez, encore, à tasse pleine
Le vin généreux!...
Trinquons gaiement et soyons tous heureux!
Au lever d'un beau jour redoublons de courage!
Vite, à l'ouvrage! Vite, courage!
Au bohémien joyeux
Qui fait braver la peine?
Un regard de deux beaux yeux,
La bohémienne!...

(Les bohémiens se groupent autour d'Azucena)

AZUCENA
La flamme brille... au loin la foule
Accourt, semblable au flot qui roule.
Passe une femme, humble, enchaînée,
Vers le supplice elle est traînée...
Le glas résonne! Et du bûcher cruel
La flamme immense...
S'élance
Au ciel!...
La flamme brille, et la captive
Pâle, mourante, enfin arrive,
Un cri s'élève,
L'écho l'emporte et le répète
Le glas résonne, et du bûcher cruel
La flamme immense
S'élance
Au ciel!...

LES BOHEMIENS
Que ta chanson est triste...

AZUCENA
Elle est moins noire que l'histoire
Dont je garde la mémoire...

(Bas, se tournant vers Manrique.)

Vengeance! Vengeance!

LE TROUVERE
(à part)
Toujours
Cet étrange discours!...

UN BOHEMIEN
Amis! Que l'on m'écoute!...
Il faut gagner son pain,
Allons! Ce chemin
Mène à la ville... En route!...

(Ils prennent leurs outils et descendent dans
le vallon sur la reprise du choeur)

Au bohémien joyeux, etc.

(Les chants se perdent dans l'éloignement)

Scène II

LE TROUVERE
(se levant)
Nous voilà seuls... Quelle est cette histoire terrible?

AZUCENA
Tu l'ignores aussi?
Oui... ta jeunesse à la gloire sensible,
N'eut pas d'autre souci.
De ton aïeule, hélas! c'était l'histoire.
O mon fils, pourras-tu me croire?
Un seigneur orgueilleux l'accusa faussement
D'avoir osé sur un enfant
Jeter Lin sortilège!

LE TROUVERE
O sacrilège!

AZUCENA
C'est là qu'ils l'ont traînée,
En larmes, enchaînée,
Victime infortunée,
Aux flammes condamnée!
De loin par moi suivie,
A l'heure d'agonie,
Ma mère tant chérie
M'a vue et m'a bénie...
Une horde sauvage
Me ferme le passage;
Et puis des cris de rage
L'accablent sous l'outrage...
A cette dernière heure,
"Vengeance!..." a-t-elle dit...,
Maudite que je meure
Si ma haine faiblit!...

LE TROUVERE
Et ta vengeance?

AZUCENA
Un jour je prends le fils du Comte...
Je l'emmène avec moi... Déjà la flamme monte...

LE TROUVERE
La flamme!... ô ciel!... un crime!...

AZUCENA
Comme il pleurait!... Pauvre victime!...
Mon coeur brisé, palpitant,
S'attendrit un instant...
L'effroi, soudain, m'accable!...
Un spectre lamentable
A mes regards se lève...
Il me poursuit sans trêve...
Délire... horrible rêve...
Je vois l'affreux bûcher... Ma pauvre mère avance
J'entends encore ce mot fatal: Vengeance!
J'étends ma main tremblante... Aussitôt, dans le feu
La victime lancée a satisfait mon voeu...
La vision se passe et disparaît rapide...
La flamme seule brille, et le bûcher est vide...
Là... de mes yeux hagards
Se tournent les regards.
Que vois-je? ô ciel!...

LE TROUVERE
Effroi suprême!...

AZUCENA
C'était mon fils
Que j'ai brûlé moi-même!!

LE TROUVERE
Quelle horreur!
Jour de crime et de fureur!...

AZUCENA
Ah! C'était mon fils...
Brûlé par moi, oui, par moi-même!...

LE TROUVERE
Horreur! Oh, terreur!

AZUCENA
Oh, trop fatale erreur!
Mes cheveux se sont dressés d'horreur!

LE TROUVERE
Je ne suis pas ton fils!
Eh bien, qui suis-je?

AZUCENA
C'est toi, mon fils!

LE TROUVERE
Eh, quoi! Ma mère...

AZUCENA
Oui, moi, te dis-je.
Quand je sens revenir
Ce fatal souvenir,
Mon esprit rêve encore une folle chimère.
Parle, ne sais-tu pas tout mon amour de mère?

LE TROUVERE
Oui, je vous crois.

AZUCENA
C'est moi
Qui protégeai ton jeune âge.
Un soir, l'en souvient-il?
Dans les champs du carnage
Sur tes pas j'allai sans effroi.
Pour te sauver j'avais tout mon courage.
On disait que la mort avait frappé sur toi...
Mes tendres soins te rendirent la vie,
Je sauvais ta jeunesse à mon amour ravie.

LE TROUVERE
Il est vrai que je fus blessé...
Mais avec honneur en face!
Seul, au milieu de mon camp dispersé,
De l'ennemi j’affrontais la menace.
Le Comte de Luna, mon rival,
En poussant son cheval,
Sur moi s'élance,
Je tombe alors frappé d'un coup de lance.

AZUCENA
Le Comte en duel,
Un jour te dut la vie.
Ton bras d'un coup mortel
Menaçait le cruel.
Tu lui fis grâce... oh! Pourquoi donc? L'impie!...

LE TROUVERE
Ma mère, je ne s’ai.

AZUCENA
Insensé!

(À part)

Etrange pitié!

LE TROUVERE
Au milieu de la carrière
Il tomba sanglant dans la poussière.
Sous ma dague meurtrière
Je tenais mon ennemi...
Quand soudain une terreur secrète
Me saisit
Et mon bras s'arrête...
Je frissonne... fatal instant!...
Un froid mortel glace mon sang
Puis une voix plaintive et tendre
Du haut du ciel me fait entendre
Ce cri:
Pitié pour lui!...

AZUCENA
Ah! Le coeur du noble Comte,
Serait-il si généreux?
Oh! Pour lui je veux la honte
D'un trépas, d'un sort affreux!
S'il t'osait encor combattre,
A tes pieds il faut l'abattre.
Que ta dague vengeresse
Frappe cet infâme au coeur!

ENSEMBLE
Que ma/ta dague vengeresse
Sans pitié le frappe au coeur!
Point de grâce! De faiblesse!

LE TROUVERE
Qu'il redoute son vainqueur,
Oui, mon bras sera vainqueur.

AZUCENA
Venge nous et sois vainqueur,
Oui frappe-le d'un fer vainqueur.

LE TROUVERE
Un messager vers nous s'avance.
Qu'est-ce donc?

AZUCENA
(à part)
Vengeance!

Scène III

LE TROUVERE
De nos combats
Quelle nouvelle!

LE MESSAGER
(présentant une lettre)
Lis... lis, et tu le sauras.

LE TROUVERE
(lisant)
"Accours dans Castellor!
La ville s'est livrée!
Mais le bruit de ta mort
A suivi nos exploits.
Léonore éplorée
Aujourd'hui prend le voile au couvent de la Croix."
O juste ciel!...

AZUCENA
Mon fils...

LE TROUVERE
(au Messager)
Va vite...
Oui, cours sur l'heure.
Que mon coursier soit prêt là-bas.

LE MESSAGER
C'est bien.

AZUCENA
(l'arrêtant)
Demeure...

LE TROUVERE
(au messager)
Va... le temps presse... cours!
Va m'attendre... pars vite...

AZUCENA
Quel trouble t'agite?

LE TROUVERE
(à part)
Faut-il la perdre et pour toujours!...

AZUCENA
Pourquoi partir?

LE TROUVERE
Adieu!...

AZUCENA
Non! Reste!

LE TROUVERE
Ordre funeste!

AZUCENA
Je le veux! Obéis-moi!...
O mon fils! Toi
Que j'adore,
Au péril courir encore!
Vois l'effroi qui me dévore,
Veux-tu fuir quand je t'implore!
C'est la mort qui te menace!
De terreur mon sang se glace.
Mets un terme à ton audace!
Peux-tu voir couler mes pleurs?
Prends pitié de mes douleurs!
Cède, cède à mes pleurs!

LE TROUVERE
Cet instant pour moi suprême
Me ravit celle que j'aime.
Ah! Du ciel, du ciel lui-même
Que je brave l'anathème!
Laisse-moi partir, ma mère!
Cède enfin à ma prière,
Ah! Tu vois ma peine amère!
Je succombe à mes douleurs.

AZUCENA
C'est la mort qui te menace!
Mets un terme à ton audace.
De terreur
Mon sang se glace,
Prend pitié de ma douleur.
Reste mon fils! Cède à mes voeux.
Mon fils, je meurs, adieu!

LE TROUVERE
Laisse-moi partir de grâce!
Le malheur
Qui nous menace
Double encore mon audace.
Ah! Parfois dans ma pâleur,
Grand Dieu!
Il faut partir ma mère, adieu!

(Le Trouvère s'éloigne malgré les efforts
d'Azucena qui veut le retenir)

Scène IV

(Un cloître; arbres au fond; il fait nuit.
Le Comte, Fernand, quelques affidés s'avançant
mystérieusement, enveloppés dans des manteaux)

LE COMTE
Tout est désert, et l'hymne accoutumée
Ne s'entend pas encor, J'arrive à temps.

FERNAND
Quelle entreprise avez-vous donc formée?...

LE COMTE
Courage! Et cette femme aimée
Deviendra ma conquête: en ce lieu je l'attends.
Loin d'un rival, mon coeur enivré d'espérance,
Brûle d'avance.
C'est en vain qu'elle cherche un refuge à l'autel!
Non! Non! Sois à moi, Léonore!
Viens, je t'adore
D'un amour éternel!
Son regard, son doux sourire
Tout ajoute à mon délire,
Et dans l'air qu'elle respire
Je respire le bonheur.
Quand pour elle je soupire,
Qu'elle épargne mon martyre!
Car le trait qui me déchire
Me pénètre au fond du coeur

(Les cloches sonnent)

Qu'entends-je! ô ciel!

FERNAND
Voici l'instant du sacrifice.

LE COMTE
Avant qu'elle n'ait pris le voile, qu'on l'enlève!

FERNAND
Soyez prudent!

LE COMTE
Cet amour est mon rêve!
Cachez-vous tous dans ces détours secrets.
Désormais,
Elle est à moi pour jamais!

FERNAND, AFFIDES
(s'éloignant)
Allons, amis, et cachons-nous!
Sachons tromper les yeux jaloux,
Gagnons le prix promis pour tous!
Seigneur, nos bras, nos coeurs ne sont qu'à vous.

LE COMTE
Cruelle impatience!
Heure trop lente, avance!
Fuyez, périls, souffrance!
Je vois s'ouvrir le ciel!
En vain un Dieu sévère
L'entraîne vers l'autel.
Te perdre, ô toi si chère,
Serait pour moi le coup mortel!

FERNAND, AFFIDES
(dans l'ombre)
Allons, amis, cachons-nous, etc.

LE COMTE
Je veux braver un Dieu sévère,
A moi ce coeur, ces yeux si doux!
Oui, je veux être son époux,
Allons, à nous!
Le bonheur luira pour nous!

CHOEUR DES RELIGIEUSES
(en dehors)
L'exil est sur la terre!
Pour un divin mystère,
Une voix salutaire
T'appelle parmi nous.
Dans ce lieu solitaire
Brille un soleil plus doux.

LE COMTE
Je veux braver
Un Dieu jaloux,
A moi bientôt
Le nom d'époux.

FERNAND, AFFIDES
Allons, amis!
Sachons tromper
Les yeux jaloux.

CHOEUR DES RELIGIEUSES
Dans ce séjour paisible,
Au mal inaccessible,
Dieu, pour les coeurs visible,
Prodigue sa faveur,
Et sa bonté sensible
Couronne la ferveur.
Viens prier, viens avec nous...

FERNAND ET LES AFFIDES
Allons, amis!
A nous, à nous!
A vous bientôt
Le nom d'époux.

(Les Religieuses entrent en scène et
viennent au devant de Léonore)

Scène V

LEONORE
Pourquoi pleurer?

INES
Hélas! Nous perdons une amie.

LEONORE
Ah! Ne me plaignez pas. Pour moi,
Dans cette vie,
L'espoir n'est plus... funeste loi!
Je me consacre au Seigneur,
Consolateur
Des maux de ce monde!
Je vais goûter la paix profonde
Que le ciel garde à ses élus
Sur terre.
Sur moi ne pleurez plus.
Inès si chère,
Adieu donc désormais!

(Elle va pour sortir; le Comte paraît tout à coup)

Scène VI

LE COMTE
(s'avançant)
Non! Jamais'

INES ET LE CHOEUR
Le Comte!!...

LEONORE
Juste ciel!...

LE COMTE
Non! sur ma vie,
Je brise tes liens!

INES, CHOEUR
Audace impie!...

LEONORE
Insensé, de quel droit?...

LE COMTE
Tu m'appartiens!

(Le Comte fait pour saisir Léonore...
Le Trouvère paraît)

TOUS
Ah!...

Scène VII

LEONORE
O ciel! Manrique! Est-ce bien lui!...
Il vit! Il vit encore!...
Quel Dieu clément t'envoie ici?...
O toi... toi que j'adore!...
Un feu divin rayonne en moi!
Dieu cède à ma prière...
Descends-tu sur la terre?
Au ciel suis-je avec toi?

LE COMTE
De leur tombeau parfois les morts
Quittent donc la poussière!

LE TROUVERE
Pour te punir, tu vois,
Dieu vengeur m'a laissé la terre.

LE COMTE
L'Enfer vomit pour mon malheur
Sa proie et ma victime.

LE TROUVERE
Un chevalier, par sa valeur,
Déjoue ainsi le crime.

LE COMTE
Si de tes jours trop odieux
Rien n'a rompu la trame,
Sur mon âme!
Tu vas quitter ces lieux,
Oui, spectre mystérieux!

LE TROUVERE
Du meurtrier mystérieux
Dieu déjoua la trame,
Et c'est lui, sur mon âme!
Qui me guide en ces lieux.

LEONORE
Ah! Pour moi s’entrouvrent les cieux.
Oh! N'est-ce pas du ciel un rêve
Offert à moi dans ce moment!
Merci, mon Dieu! Fais qu'il s'achève,
Et mets un terme à mon tourment!
Transport d'amour! sublime extase!
En qui mon coeur reprend espoir;
Rayon divin, ton feu m'embrase
Et je succombe à ton pouvoir!

LE TROUVERE
Non, ce n'est pas une ombre, un rêve
Qui s'offre à toi dans ce doux moment.
Un doux rayon au ciel s'élève,
Au ciel pour nous clément.
Transport d'amour! sublime extase!
Par qui mon coeur renaît à l'espoir;
Ton feu divin m'embrase...
Je cède à son pouvoir!

LE COMTE, FERNAND
Oh! N'est-ce pas une ombre, un rêve
De l'Enfer dans ce moment!
Ah! Quel orage ici s'élève,
Cause, hélas! De mon tourment!

LE COMTE
Quel triste rêve
Pour moi s'achève en ce moment!
Transport d'amour, brûlante extase,
Faut-il donc perdre l'espoir?
Quand cet ardeur, hélas! M'embrase
Il l'a soustrait à mon pouvoir,
Lorsque l'extase d'amour m'embrase
Hélas! Ne faut-il plus la voir, jamais la voir!

FERNAND
Hélas! Ah, quel orage éclate en ce moment!
Transport d'amour, brûlante extase,
Doit-il donc perdre l'espoir?
Elle n'est plus en son pouvoir,
Pour lui non plus d'espoir!

INES, CHOEUR DE FEMMES
Oui, dans ce jour le ciel clément
A pris pitié de son tourment!
Son coeur enfin reprend l'espoir,
Et Dieu nous montre son pouvoir.

LES AFFIDES
Le sort, en ce moment,
Trahit les voeux d'un tendre amant;
Hélas, elle n'est plus en son pouvoir!

Scène VIII

RUIZ ET LES SIENS
(accourant)
Vive! Manrique!

LE TROUVERE
Ah! Mes amis!
Ruiz Viens! Viens!

(à Léonore)

Il faut me suivre!

LE COMTE
(s'opposant)
Téméraire!

RUIZ ET LES SIENS
Aux armes!

LE TROUVERE
(au Comte)
Arrière!...

LE COMTE
Tu voudrais me la ravir?... Non!

(Il tire l'épée et est désarmé par les gens de Ruiz)

FERNAND, AFFIDES
Nous sommes trahis!

LE COMTE
Ah! La fureur a troublé mes esprits!

LEONORE, INES
Je tremble! Je frémis!

LE TROUVERE
(au Comte)
Misérable!
Oui, que tes jours soient maudits!

RUIZ ET LES SIENS
Maître, oui,
Par le ciel nos efforts sont bénis!

LE COMTE
Oh! Colère! Fureur!
Ah! Soyez tous maudits!

FERNAND, AFFIDES
Cède, ah!
Nos efforts sont trahis!

LES RELIGIEUSES
Ah! L'effroi trouble tous nos esprits!...

LEONORE, LE TROUVERE
(seuls)
D'espoir, d'amour, d'ivresse,
Cette heure enchanteresse
Transporte nos esprits!
Tous deux soyons unis!

RUIZ ET LES SIENS
Tous deux soyez unis!

LE COMTE, FERNAND
Tous deux qu'ils soient maudits!...

INES, RELIGIEUSES
Tous deux qu'ils soient bénis!

(Le Trouvère emmène Léonore. Le Comte est repoussé.
Les femmes effrayées se retirent vers le cloître)



ACTE TROISIEME


(Un camp sous les murs de Castellor; à droite,
la tente du Comte de Luna sur laquelle flotte
une bannière, signe du commandement)

Scène I

(Des sentinelles de toutes parts; quelques soldants
jouent fourbissant leurs armes, d'autres se promènent,
etc. Choeur de soldats, puis Fernand)

QUELQUES SOLDATS
(jouant)
Les dés ont pour nous des charmes
A bientôt le jeu des armes!

D'AUTRES SOLDATS
(fourbissant leurs armes)
Essuyons le sang du glaive,
Mais demain
Ni paix ni trêve!

QUELQUES-UNS
Que le siège enfin s'achève!

QUELQUES AUTRES
Nous faut-il attendre encor?

TOUS
Que demain le jour se lève
Pour l'assaut de Castellor!

FERNAND
(sortant de la tente du Comte)
Chers compagnons! Votre vaillance
N'attendra pas longtemps.
On garde à votre impatience
Un butin magnifique, et des faits éclatants.
Pour vos travaux la gloire est prête.

LES SOLDATS
Oui, demain la fête!

CHOEUR
Que la trompette aux accents belliqueux
Fasse éclater la fanfare guerrière!
Nos ennemis nous verront avec eux
Descendre armés dans la noble carrière.
Le signal des combats
Dans l'arène nous appelle,
Courage, soldats!
Dieu qui guide nos bras
Nous promet un beau trépas,
C'est la palme la plus belle!
Et marche sur nos pas,
En avant, fiers soldats!
Nous partons tous joyeux à la voix de l'honneur,
Trop heureux de mourir sous un signe vainqueur.

Divertissement

(Pas de bohémiens, gitanilla, sevillana,
la bohémienne et le Galop)

(Après les ballets tout le monde s'éloigne à la suite
des bohémiens; la scène reste vide un instant)

Scène III

(Le Comte sortant de sa tente et jetant
vers Castellor un regard inquiet)

LE COMTE
Dans les bras d'un rival!
Oh! Triste pensée
Qui poursuit mon âme oppressée!
Rage insensée!
Dans les bras d'un rival!
Qu'il tremble!
Au lever de l'aurore
Luira l'instant fatal... O Léonore!

Scène IV

LE COMTE
Quel bruit?

FERNAND
(accourant)
Autour du camp,
Sous les yeux de la sentinelle,
Rôdait mystérieusement
Une bohémienne... Vers elle
Un soldat court, et l'appelle
Elle a fui...

LE COMTE
L'a-t-on prise?

FERNAND
Oui, certes.
Elle est sur ma trace,

(Le bruit se rapproche)

C'est elle...

Scène V

(Azucena les mains attachées et amenée
par des soldats)

LES SOLDATS
(entraînant Azucena)
Allons! Avance! Avance!

AZUCENA
A l'aide! Grâce!
Plus de menaces!
Quel est mon crime?

LE COMTE
Approche,
Et tremble de mentir!

AZUCENA
Parle.

LE COMTE
Où vas-tu?

AZUCENA
Dieu le sait!

LE COMTE
Eh quoi!

AZUCENA
La pauvre bohémienne erre au loin sans projet,
Tremblante, poursuivie,
J'ai pour abri le ciel, le monde pour patrie.

LE COMTE
D'où viens-tu?...

AZUCENA
De Biscaye, où la terre flétrie
Au pauvre refuse la vie.

LE COMTE
De Biscaye?

FERNAND
(à part)
Ah!... ce nom!...
Dieu! Quel soupçon!

AZUCENA
Je vivais pauvre et sans peine,
Comme une humble bohémienne,
Et ma vie était joyeuse...
Par mon fils j'étais heureuse.
Mais l'ingrat, hélas! M'oublie.
Je suis seule et je mendie
En cherchant, dans ma folie,
Cet enfant
Que j'aime tant!
Ah! Jamais sur cette terre
Amour de mère
Ne fut égal à cet amour!

FERNAND
(à part)
Cette femme...

LE COMTE
En Biscaye as-tu fait long séjour?

AZUCENA
Oui! Oui!

LE COMTE
Te souvient-il?
Voilà vingt ans, un jour,
Le fils d'un comte fut ravi dans son berceau
Et transporté loin du château!

AZUCENA
Qui donc es-tu? Toi?

LE COMTE
Je suis frère
De cet enfant.

AZUCENA
Ciel!

FERNAND
(à part)
C'est bien elle!

AZUCENA
Prenez pitié de ma douleur amère,
Soyez clément, cédez à ma prière!
En liberté laissez la pauvre mère
Chercher l'enfant
Qu'elle aime tant!

FERNAND
Arrête!

AZUCENA
Mon Dieu!

FERNAND
(à part)
C'est elle!

(Haut)

Oui, voilà devant nos yeux la criminelle.

LE COMTE
Achève!

FERNAND
C'est elle!

AZUCENA
Silence!

FERNAND
C'est elle qui brûla l'enfant!

LE COMTE
Ah! Malheureuse!

AZUCENA
Il ment!

LE CHOEUR
Oui, c'est elle!

LE COMTE
La mort ici t'attend.
Tremble!

AZUCENA
Ciel!

LE COMTE
Pour toi le châtiment!

AZUCENA
Grâce!

LE CHOEUR
La mort t'attend!

AZUCENA
Défends ta mère! O toi mon fils!
Manrique! Accours!
Ah! Viens, mon fils! A mon secours!

LE COMTE
De Manrique elle est la mère!
A moi ton sang, tes jours!

FERNAND
Tremble!

AZUCENA
Barbares! Laissez-vous toucher!
Pitié pour mon martyre!
L'angoisse me déchire,
Dans la douleur j'expire!
Qui donc peut m'arracher
A leur cruel délire!

(Au Comte)

Tremble! Le ciel m'exaucera!
Le ciel un jour te punira!

LE COMTE
Eh bien! Ton fils, Démon d'Enfer!
C'était ce traître! Tous deux vous allez être
Frappés du même fer.
Plaisir de la vengeance,
Je te goûte d'avance!
Oui, mon frère, tes mânes outragés,
Seront enfin vengés!

FERNAND, SOLDATS
Dans un instant
Vers le bûcher
Tu vas marcher
Pour la vengeance.
Frémis d'avance!
Nous punissons l'offense,
N'attends nulle défense.
Ah, redoute la vengeance!
Tu vas mourir, démon d'Enfer!
Ton fils et toi, soyez frappés du même fer.

AZUCENA
Barbares, laissez-vous toucher, etc.

LE COMTE
Eh bien! Ton fils, Démon d'Enfer! Etc.

FERNAND
Tu vas mourir, Démon d'Enfer!
A toi les gouffres de l'Enfer.

LE CHOEUR
A toi les gouffres de l'Enfer,
Dans les tourments expire,
Tu vas mourir, Démon d'Enfer!

FERNAND, LE CHOEUR, LE COMTE
Soyez frappés
Du même fer,
Ton fils et toi, Démon d'Enfer!
Oui, vous mourrez par ce fer,
Oui, il vous vengera, ce fer bientôt vous frappera.

(Sur un geste du Comte les soldats emmènent
Azucena. Il rentre dans sa tente suivi de Fernand)

Scène VI

(Une salle dans le château de Castellor;
au fond une fenêtre avec un balcon)

LEONORE
(écoutant)
Quel est ce bruit lointain?
Le bruit des armes!

LE TROUVERE
Tout nous menace en cet instant d'alarmes:
Au lever du soleil nous serons assaillis.

LEONORE
Faut-il y croire!

LE TROUVERE
Mais sur nos ennemis
Nous aurons la victoire,
Je suis sûr de nos amis,
De leur courage!

(à Ruiz)

Et toi qui les conduis,
Pars, pendant mon absence
Redouble encor de vigilance!

(Ruiz sort)

LEONORE
Ah! Quelle triste aurore a lui
Sur notre hymen!

LE TROUVERE
Non! Bannis, chère idole, un noir
présage!

LEONORE
Le puis-je!

LE TROUVERE
Ta main
Est mon partage;
De ma tendresse à jamais c'est le gage!
O toi! Mon seul espoir,
Sois à la crainte inaccessible!
Tes yeux par leur pouvoir
Me rendront invincible.
Mais si le sort mystérieux
Veut que ma triste vie
Dans ce combat devant tes yeux
Bientôt me soit ravie...
Chère âme, si la vie
Devait m'être ravie,
S'il faut que je succombe...
L'espoir console mes adieux!
Pour nous reste la tombe,
J'irai t'attendre aux cieux!

(On entend l'orgue dans la chapelle voisine)

LEONORE
Entends ces chants religieux...

LE TROUVERE
Du ciel écho mystérieux!
Que Dieu bénisse
Nos serments dans ce beau jour!
Et que l'hymen unisse
Nos deux coeurs unis par l'amour.
A loi mon seul amour!

(Ruiz accourt)

RUIZ
O maître!

LE TROUVERE
Quoi...

RUIZ
(indiquant du côté de la fenêtre)
La bohémienne...
Regarde... ployante sous sa chaîne.

LE TROUVERE
Que vois-le!

RUIZ
Et les bourreaux cruels
Préparent le supplice.

LE TROUVERE
O Dieu, tourments mortels!
Ah! Je respire à peine...

LEONORE
O Manrique!

LE TROUVERE
Ecoute et frémis!
Je suis...

LEONORE
Qui donc?...

LE TROUVERE
Son fils!

LEONORE
Ah!...

LE TROUVERE
Barbares! Affreux délire!...
Hélas!... je le sens,
J'expire...

(A Ruiz)

Oui, pars, conduis nos gens,
Va, va! Cours, va!
Supplice infâme
Qui la réclame!...
L'horrible flamme
Va grandissant.
Prête à l'atteindre.
Ah! Sans rien craindre,
Je veux l'éteindre
Avec leur sang!
Ma pauvre mère!...
O peine amère!...
En Dieu j'espère
C'est trop souffrir!...
Ma mère appelle
Mon bras fidèle...
Je dois près d'elle
Vaincre ou périr!!
Sauver ma mère
Ou bien périr!

LEONORE
Souffrance extrême!
Jour d'anathème!
Funeste sort!
Mieux vaut la mort.

LE TROUVERE
Bûcher infâme! Etc., etc.

Scène VII

RUIZ, CHOEUR
(accourant)
Aux armes!
Accourons! Aux armes, compagnons!...
Pour ta défense
Avec vaillance,
Il faut tous mourir!

LE TROUVERE
Ma pauvre mère,
Je veux te sauver ou si non périr!

TOUS
Courons!... Aux armes!

(Le Trouvère est suivi de Ruiz et des soldats qui
brandissent leurs épées. Léonore paraît accablée
par la plus grande douleur)



ACTE QUATRIEME


(Une aile du palais de l'Aljaferia; dans l'angle une
tour avec des fenêtres grillées par des barreaux de
fer; nuit profonde)

Scène I

(Deux personnes s'avancent enveloppées dans
leurs manteaux. Ce sont Léonore et Ruiz)

RUIZ
(à voix basse, indiquant la tour)
C'est là!... Voici la tour ou, sous sa chaîne,
Victime de la haine,
Le prisonnier subit sa peine.

LEONORE
Va, laisse-moi.
Ne crains rien pour moi-même, et je sauve sa tête.

(Ruiz sort)

Non, plus d'effroi!

(Indiquant la bague qu'elle porte)

La mort est là toujours sûre et prête!
Dans cette nuit profonde, oui je suis près de toi,
Mon bien aimé! Léger zéphyre,
O douce brise, allez lui dire
Que près de lui je soupire!...
Brise d'amour fidèle,
Vers sa prison cruelle
Emporte sur ton aile
Les soupirs de mon coeur!
Sommeil, sur sa paupière
Etends ta main légère,
Et calme sa misère
Par un rêve enchanteur,
Douce erreur!
Mon Dieu, veuillez lui taire
L'excès de ma douleur!

(On entend la cloche des morts)

CHOEUR
(en dehors)
Miserere!...
Pitié pour notre frère
Qui va quitter, Seigneur, la terre!
Miserere!...
Des cieux bonté sublime,
Sauve un mortel de l'éternel abîme!...

LEONORE
Ces voix en prière,
Ce chant funéraire
Remplissent la terre
De sombre terreur...
Cette heure est maudite!
Mon âme palpite...
L'effroi qui m'agite
Déchire mon coeur!...

LE TROUVERE
(dans la tour)
Dieu que ma voix implore,
Fais-moi bientôt mourir!
C'est trop longtemps souffrir...
Adieu, ma Léonore!...

LEONORE
Dieu, je t'implore!

REPRISE DU CHOEUR
Miserere!... etc.

LEONORE
La mort m'environne!...
Déjà l'heure sonne...
Mon âme frissonne...
Il meurt sous mes yeux!
S'il faut qu'il succombe,
Eh bien! Que je tombe!
Dormons dans la tombe,
Vivons dans les cieux!...
N’ayons qu'une tombe pour nous deux.

LE TROUVERE
(dans la tour)
Je meurs heureux encore
Si ton coeur est à moi!
Un souvenir de toi!...
Adieu, ma Léonore!...

LEONORE
O toi, lui que j'adore,
L'angoisse me dévore...
Je veux te voir encore!
Ta plainte me dévore!

LE CHOEUR
Miserere!...

(A ce moment le Comte paraît suivi de quelques
hommes d'armes. Léonore se tient à l'écart)

Scène II

LE COMTE
(aux hommes d'armes)
C'est l'ordre:
Que le fils soit puni par la hache,
Puis, la mère au bûcher!

(Les hommes d'armes entrent dans la tour)

Sur ce félon que la honte s'attache!
Qu'il meure ainsi qu'un lâche!
A ma fureur rien ne peut l'arracher!
Léonore!... oh! cruelle!...
Castellor est repris, mais je ne sais rien d'elle!
En vain partout je l'ai fait rechercher...
Où donc est la rebelle?...

LEONORE
(s'avançant)
En ta présence!

LE COMTE
O ciel! Quoi! Dans ces lieux?...

LEONORE
Moi-même!

LE COMTE
Que veux-tu donc?

LEONORE
Il va mourir, et tu demandes
Ce que je veux!...

LE COMTE
Et se peut-il que tu prétendes...

LEONORE
Pitié pour lui! Voi
C'est moi
Qui te supplie!

LE COMTE
O folie!

LEONORE
Pitié!

LE COMTE
Non, non,
Jamais grâce, ni merci!

LEONORE
Ah! Sois clément!... Que Dieu t'inspire!

LE COMTE
Non! La vengeance est mon seul Dieu.

LEONORE
Grâce pour mon martyre!

LE COMTE
Non! Je dois accomplir mon voeu!
La vengeance est mon seul Dieu,
C'est le but auquel j'aspire!

LEONORE
Pitié! Pitié! J'expire...

LE COMTE
Non, jamais!

LEONORE
Grâce! Contemple mes douleurs!
Grâce pour mon martyre!
A tes genoux je tombe en pleurs,
Je suis en ta puissance!
Ah! Plutôt prends mon sang! Et lève
Sur moi ton glaive!
Pour moi ce jour est le dernier,
Mais sauve le prisonnier!

LE COMTE
Rien ne peut le sauver
D'un supplice effroyable!
C'est toi qui te livras à ma haine implacable,
Plus grande est ta tendresse
Et plus dans mon transport
Je songe avec ivresse
Aux tourments de sa mort.

LEONORE
Ah! Pour moi ce jour est le dernier,
Mais sauve le prisonnier!...

LE COMTE
Plus grande est ta tendresse
Et plus dans mon transport etc.

LEONORE
Ah! Grâce, viens prendre ma vie!
Mon âme te prie.
Ah! Par pitié, grâce pour mon amant!

LE COMTE
Ah! Tu redoubles mon fureur!
Tu l'aimes!... Pour lui la mort!

LEONORE
Ah! Pour moi ce jour est le dernier,
Mais sauve le prisonnier!...

LE COMTE
Pour lui ce jour est le dernier,
Périsse le prisonnier!

(Le Comte veut s'éloigner, Léonore le retient)

LEONORE
Comte!

LE COMTE
(la repoussant)
Arrière!

LEONORE
Grâce!

LE COMTE
Rien ne saurait le sauver sur la terre!
Rien!...

LEONORE
Il est pourtant un prix... Eh bien,
Je te l'offre!

LE COMTE
Et lequel?

LEONORE
Moi-même!...

LE COMTE
Que dit-elle?

LEONORE
Qu'il vive! Et moi... je t'appartiens!

LE COMTE
Toi!... qu'il aime!...

LEONORE
Qu'un seul moment
Il puisse au moins m'entendre!
Qu'il parte, et mon coeur va se rendre.
J'en fais serment!

LE COMTE
Tu le jures!

LEONORE
J'en fais serment
Par le Dieu qui me voit et m'entend!

LE COMTE
(appelant)
Holà!...

(Un geôlier paraît, Le Comte lui parle bas. Pendant
ce temps, Léonore avale le poison contenu dans sa
bague)

LEONORE
(à part)
Mais il n'aura bientôt qu'un cadavre!

LE COMTE
(revenant près de Léonore)
Il vivra!

LEONORE
(à part)
Sauvé! Sauvé! Bonheur divin!
Merci, bonté céleste!
Mon coeur respire enfin...
Plus de terreur funeste!
Espoir longtemps par moi rêvé!
Heureuse au moins j'expire...
Je peux lui dire encore:
C'est moi qui t'ai sauvé!

LE COMTE
Un seul regarde, moins inhumain,
D'amour rayon céleste!
Plus de rigueur funeste!
Tu m'appartiens enfin.
Oui, que ton regard, sur moi levé,
De feux plus doux s'inspire!
Rends-moi, dans un sourire,
Le ciel que j'ai rêvé!

(A part)

Elle est à moi!
Extase d'amour brûlante!

LEONORE
(à part)
Non! Plus de plainte, plus d'effroi!...

(Haut)

Partons! Je t'ai juré ma foi!

(Ils entrent dans la tour)

Scène III

(Un cachot; d'un côté une fenêtre grillée; au fond,
à droite une porte; une lampe à demi éteinte est
suspendue à la voûte. Azucena, couchée sur un
grabat, le Trouvère, assis près d'elle)

LE TROUVERE
Mère! Tu dors!

AZUCENA
Sous ces voûtes de pierre,
Le sommeil fuit ma brûlante paupière,
Je prie...

LE TROUVERE
Par le froid, tes membres engourdis
Languissent...

AZUCENA
Non, ces murs maudits,
Cette tombe,
Où je sens que j'étouffe... ah! Je veux en sortir,
Car je succombe.

LE TROUVERE
(avec désespoir)
Et comment fuir?

AZUCENA
Plus de tristesse.
Mon corps résiste au tourment qui l'oppresse.

LE TROUVERE
(à part)
O douleur!

AZUCENA
Vois si la mort, sur mon front,
A mis sa froide empreinte!
Réponds, réponds sans crainte.

LE TROUVERE
Ah!

AZUCENA
Il n'auront
Qu'un cadavre glacé, muet dans son suaire.

LE TROUVERE
Mon Dieu!...

AZUCENA
Ecoute... approche..., ah!
Ce sont les bourreaux!
On me traîne au bûcher!...
Défends, défends ta mère!...

LE TROUVERE
Personne... pauvre mère,
Tout dort dans le mystère...

AZUCENA
(avec épouvante)
Le bûcher! Le bûcher!...
Le voilà! Horrible! horrible!! Un jour,
Par des barbares ton aïeule
Fut traînée au bûcher! Ah! vois... la flamme seule
Brille en ce noir séjour...
Vois... la victime... aux flammes on la livre...
Tout son corps se consume... elle a cessé de vivre...
Loin de moi ce spectacle d'horreur!...

LE TROUVERE
Ah! que d'un fils une tendre parole
Touche ton âme et la console!
Que l'effroi qui t'agite s'appaise enfin.
Dors ma mère,
Et sur mon sein repose.

AZUCENA
La fatigue à la fin m'excède;
Au doux sommeil, malgré moi, je cède.
Mais qu'au supplice je te précède!
Si le feu brille, éveille-moi!

LE TROUVERE
Repose en paix dans le calme d'un songe!
Qu'un doux mensonge
Plane sur toi!

AZUCENA
(qui s'est presque assoupie)
O ma patrie! O chère Espagne!
Mon fils m'emmène à ma montagne,
Et, sur sa lyre, il s'accompagne,
Chantant toujours,
Ses chants d'amour.

LE TROUVERE
Viens, ô ma mère!
Dors près de moi!
Que ma prière
Veille sur toi!
Mon Dieu, pitié,
Pour ma mère en ce jour.
épouse, ma mère, ton fils en prière
Veille en ce jour.

(Azucena s'endort. Le Trouvère
reste à genoux auprès d'elle)

Scène IV

LE TROUVERE
(voyant entrer Léonore)
Quoi! Qu'ai-je vu!...
Rêves-je encore!...

LEONORE
C'est moi! C'est moi!

ENSEMBLE
Ta/ma Léonore!

LE TROUVERE
Dieu clément pour nous, Dieu lui-même
Ici t'envoie à mon heure suprême.

LEONORE
Moi je te sauve,
Et tu vivras!

LE TROUVERE
Moi! Vivre!...

LEONORE
Oui, je te délivre...
Va, va... hâte-toi de partir!

LE TROUVERE
Et toi?

LEONORE
Je ne dois pas fuir...

LE TROUVERE
Pourquoi?

LEONORE
Vat'en!

LE TROUVERE
Non!

LEONORE
Tes fers, je les brise!

LE TROUVERE
Non!

LEONORE
Ta vie!...

LE TROUVERE
Je la méprise!...

LEONORE
Oui, de grâce!

LE TROUVERE
Non!

LEONORE
Ah! Ta vie!

LE TROUVERE
Je la méprise!
Mais qu'un regard, qu'un mot me dise...
La vie... à quel prix
Viens-tu me l'apporter? Dis!
Réponds, réponds!
Eclair funeste!... C'est mon rival!... Parjure!
Ah! cette infâme a vendu sa tendresse!

LEONORE
Jour de détresse!

LE TROUVERE
Elle a donné son amour sans regret!

LEONORE
Si tu savais quelle angoisse m'oppresse!
Pour cet espoir que Dieu te laisse,
Va, le temps presse...
La mort se dresse...
Une heure encore et c'en est fait!

LE TROUVERE
Infâme!

(Pendant cet ensemble, Azucena murmure
dans son sommeil son refrain)

AZUCENA
O ma patrie! O chère Espagne, etc.

LE TROUVERE
Ah! cette infâme a vendu sa tendresse!

LEONORE
Si tu savais quelle angoisse m'oppresse!

LE TROUVERE
Je te maudis pour ce lâche forfait!

LEONORE
Vois quel espoir le ciel te laisse,
Cède à mes pleurs, ah! Cède a ma tendresse!
Va! Le temps presse...
La mort se dresse...
Une heure encore et c'en est fait!

LE TROUVERE
Hélas! L'infâme!
Ton coeur est sans regret.

(Léonore est tombée aux pieds du Trouvère)

Arrière!

LEONORE
Quel martyre!.. .
Grâce! Je souffre. Ah! vois... j'expire!

LE TROUVERE
Va! Perfide!
Je te déteste.

LEONORE
Quels mots funestes
As-tu dit là!...
Il faut prier le ciel pour moi... mon heure sonne.

LE TROUVERE
Mon âme frissonne...
Mon sang se glace!...

LEONORE
Manrique!...

LE TROUVERE
Parle!

LEONORE
La mort est dans mon sein.

LE TROUVERE
La mort!

LEONORE
Et de ma main.
L'effet de ce poison devait tarder encore...

LE TROUVERE
Léonore!...

LEONORE
Tiens, ma main est froide... et là...
C'est un feu qui dévore.

LE TROUVERE
Oh, Dieu puissant!

LEONORE
Plutôt que vivre et te trahir,
Pure, j'ai voulu mourir!

LE TROUVERE
Qu'entends-je:
Tu meurs pour moi, cher ange!
Et moi je t'accusai!
Insensé!

LEONORE
Ce feu me brûle, quelle souffrance!

LE TROUVERE
Malheur!...

LEONORE
Manrique, Manrique, ah!!
Pardon, mon Dieu, si mon amour t'offense.
Plutôt que vivre et te trahir,
Ah! Pure j'ai voulu mourir.
Trahir celui que j'adorais!
Plutôt le perdre et pour jamais,
Manrique adieu! Toi que j'amais,
Moi te trahir! Jamais!
Adieu, toi que j'amais!

Scène VI

LE COMTE
Ah, l'ingrate est parjure
Et pour lui veut périr.
Ah, la perfide que j'amais m'échappe,
Et pour jamais! Je la perds pour jamais!
Ah, faut-il la perdre, hélas!

LE TROUVERE
Oh, noble coeur!
Je blasphémais, pour moi tu t'immolais!
Cher ange, lorsque pour moi, ah! Tu t'immolais,
Faut-il te perdre pour jamais?
Léonore, adieu, c'est pour jamais!

LE COMTE
(voyant Léonore expirante)
Que l'arrêt s'accomplisse!

LE TROUVERE
(emmené par des soldats)
Mère, adieu ma mère!

CHOEUR
Miserere, priez pour notre frère
Qui va quitter la terre.
Miserere! Descends bonté sublime,
Sauve un mortel de l'éternel abîme.

AZUCENA
(s'éveillant peu à peu)
Oh, ciel! Ce chant de mort!
Mon fils, ou donc est-il?
Mon fils, mon fils!

LE TROUVERE
Ma mère, sois bénie!

AZUCENA
Ah, ils vont tuer mon fils!

LE TROUVERE
L'heure du martyr!

AZUCENA
Mon Dieu, pitié pour lui!

CHOEUR
Il va mourir.

LE TROUVERE
Oh, Léonore, hélas, j'expire!
Je vais te suivre au ciel!

LE COMTE
L'hache est prête,
Et ma vengeance est satisfaite.

CHOEUR
(en dehors)
Miserere... etc.

(Coup de tambour)

AZUCENA
(éperdue)
Ah!

LE COMTE
Regarde...

(A ce moment le fond du théâtre s'ouvre. On aperçoit
l'échafaud entouré de pénitents. Le bourreau se tient
appuyé sur sa hache. Près du billot un drap rouge
recouvre le corps de la victime)

AZUCENA
Mort! Il est mort!...

(Avec une ironie féroce)

Eh bien... c'était ton frère!

LE COMTE
Jour d'horreur!

AZUCENA
Le ciel a vengé ma mère!...

(Elle tombe expirante.)

LE COMTE
(épouvanté)
O terreur!!!...


PRIMER ACTO


El Duelo

(En Aragón. Atrio del palacio de la Aljafería
de Zaragoza; una puerta lateral conduce a
los aposentos del Conde de Luna)

Escena I

(Fernando y numerosa servidumbre del Conde,
sentados junto a la puerta; algunos soldados
pasean por el fondo)

FERNANDO
¡Alerta! ¡Alerta! ¡Debemos velar
esperando la rosada aurora!
El Conde de Luna,
nuestro señor... está allá...
bajo los balcones de su amada suspirando,
presa del más sombrío delirio.

SERVIDUMBRE
El tormento de un amor demasiado ardiente
lo está devorando.

FERNANDO
Ese trovador que cada madrugada
renueva sus dulces cantos,
es un rival que lo perturba.

SERVIDUMBRE
Para alejar el sueño
que de nosotros se apodera,
¡repítenos la historia del hermano del Conde,
ésa que siempre nos cuentas!

FERNANDO
¡Con mucho gusto! Amigos, acercaos.

SOLDADOS
¿Qué historia es ésa?

SERVIDUMBRE
¡Silencio, todos!

FERNANDO
El padre de nuestro señor tenía dos hijos
que eran la única esperanza de su vida.
Cerca de la cuna del más joven,
soñaba un día su nodriza dormitando,
cuando al romper de la aurora
la bella mañana,
en el momento en que abrió los ojos
¿a quién diréis que vio cerca de la cuna del niño?

CORO
¿A quién? ¿Qué pasó?... ¡Dios bendito!...

FERNANDO
Pues apareció ante su vista una bruja.
Centelleando con ojos pavorosos
bajo sus párpados,
sobre el pobre angelito, furibunda,
la vieja fijaba una envidiosa mirada...
Abrumada por el horror,
la nodriza llamó y gritó,
y a toda prisa, entre las sombras,
acudieron en gran número
los guardias y sirvientes
corriendo velozmente a través de todo el palacio.
Coléricos y amenazantes,
cada cual se afanaba en echar
a la bruja y su maligno espíritu,
¡Hasta que por fin sacamos del castillo
a aquel demonio infernal!

CORO
¡Justa fue
la indignación que sintieron
por aquella bruja harpía,
por aquel esbirro del Infierno!

FERNANDO
Aseguró que había venido para
desvelar el horóscopo del niño...
Pero he aquí que pocos instantes después
la fiebre lo abrasó en su cunita...
Tenía un ataque ardiente, y continuó
pálido, débil y colmado de males.
La pobre criatura, sacrificada al Infierno,
¡había sido embrujada!
Una día, la gitana fue apresada
y conducida a la hoguera.
¡Pero antes, a su hija, le dejó por legado
el crimen y la venganza!...
¡Una venganza horrible!... Y que fue pronta...
¡pues secuestró al hijo del Conde!
Después, y en el mismo lugar del suplicio en que
se había hecho justicia con la bruja,
entre cenizas todavía humeantes,
la gente del pueblo, al clarear del día,
encontraron con horror los restos de un niño.

CORO
¡Pobre víctima!
¡Qué crimen más horrible,
que legitimaría
cualquier castigo!
¿Y el padre?...

FERNANDO
Roto por su amargo dolor,
conservó no obstante la misteriosa sensación
de que su hijo estaba vivo
y de que quizá se habría salvado...
A la hora de su muerte,
ordenó a nuestro señor que buscase a su hermano,
haciéndoselo jurar.
¡Pero todos sus esfuerzos han sido en vano!...

CORO
¿Y nunca más se supo
de la autora de los delitos?

FERNANDO
¡Ni una palabra!
¡Infame! ¡Cruel!
¡Ah, si yo la encontrara!…

SERVIDUMBRE
¿Podrías reconocerla?

FERNANDO
Es una esperanza que guardo en mi corazón.
¡Y sí... ya lo creo que podría!

CORO
¡Que el Infierno se la trague como a su madre,
perpetradora del maleficio!

FERNANDO
¿Quién?... ¿La madre?... Su alma flota en el aire,
su hórrido espectro emponzoña este mundo,
y en la noche profunda, cambiando de forma,
se manifiesta a menudo.

CORO
¡Cierto!

SOLDADOS
Sobre los oscuros muros,
como el ave de las tinieblas,
cuando todo está oscuro
se le escucha entre la sombras.

SIRVIENTES
El grito de la lechuza
es su cantar jubiloso...
Ésa, que al flamear sus alas
hace marchitar las flores.

FERNANDO
Pasando a su vera, ten cuidado,
¡y que el Cielo te guarde!
Pues para quien se atreve
y la mira...
¡La muerte!
¡Esa es su suerte!
¡Sin más esperanza!

CORO
¡La muerte!

FERNANDO
Mientras avanza confiado,
el pájaro fúnebre
hace nacer tras de sí
una lívida mirada acechante...
El terror que lo paraliza
castigará su audacia,
haciéndolo caer al instante
muerto en semejante lugar.
Y entonces tocará a medianoche...

(Se escuchar tocar la medianoche)

FERNANDO Y EL CORO
¡Ah! ¡Rayos y truenos!
¡Maldita sea esa hija de Satán!

(Se oyen algunos toques de tambor. Los soldados
corren al fondo y los sirvientes se dirigen hacia
la puerta)

Escena II

(Jardines del palacio. A la derecha, una
escalera de mármol blanco. Está avanzada
la noche. Densas nubes cubren la luna)

INÉS
¿Qué te detiene?
¡Vamos, apresurémonos!
La reina te ha llamado, es el momento.

LEONOR
(aparte)
¡Oh, sueño de mi alma!
¿Es que no vas a venir?...

INÉS
¡Ay, qué desgracia, mi señora, os amenaza!
¡Funesta llama!
Maldita sea la hora
en que nació este amor...

LEONOR
En el torneo... soberbio,
cubierto por su escudo de acero negro
apareció ante mí... y luego, trotando por el campo,
vino a detener su corcel ante mis ojos.
Apresuró la derrota de sus rivales,
¡y mi mano lo coronó como vencedor!
¡Desde aquél día glorioso
tengo muerto el corazón!
Como un rayo celestial,
su dulce imagen es lo único que conservo.
¿Comprendes?...

INÉS
¡Acaba!

LEONOR
¡Destino cruel!
La noche tranquila y serena
cubría toda la tierra.
La luna, aún lejana,
todavía apenas despuntaba...
cuando susurró un eco
sobre las alas del Céfiro
que parecía repetir
los acordes de una lira
entremezclándose uno tras otro
con palabras de amor...
¡Sentí un éxtasis celestial!...
Aquél canto preñado de ternura
pronunciaba con tristeza
mi nombre... mi nombre... y sin cesar.
A tan caras palabras
acudí al punto... ¡era él!
¡Oh, qué inmensa felicidad!
¡Con los sentidos arrebatados,
mis ojos contemplaron cómo se abrían los cielos!

INÉS
¡Para vos, señora! ¡Ay, cuánta amargura!
¡Sí, me hacéis temblar!... Mi temor...

LEONOR
¡Es vano!

INÉS
¡Ah, pero siento un negro presagio
que os anuncia una terrible tempestad!...
¡Olvidadlo todo!
¡Ceded a los consejos de mi amistad!

LEONOR
¿Acaso podría?...

INÉS
¡Por favor!

LEONOR
¡Olvidar, a quien mi corazón adora!
¡No tienes piedad de mí!
El amor ardiente, sublime y tierno,
habla un idioma que sólo él puede entender...
Mi voz lo llama y... cuando creo escucharle...
¡mi corazón se embriaga!
Ya le he entregado toda mi alma
y le amaré hasta mi último suspiro.
Si no puedo estar junto a él sobre la tierra,
feliz lo seguiré hasta el Cielo.
Si he de vivir sin él,
moriré feliz,
y feliz al Cielo le seguiré.
Por mi propio amor lo he jurado:
¡sin él, moriré!

INÉS
¡Que el Cielo nos libre
de una desgracia segura!

LEONORA
¿Es que podría yo sobrevivirle?...
¡No, antes moriré!

(Suben al palacio)

Escena III

CONDE
La noche está tranquila y serena.
En la morada de nuestra augusta reina
ejerzo mi vigilia.
¡Oh, Leonor! Tus hermosos ojos,
como un sol radiante,
iluminan mi oscuridad,
ahora que todo está sombrío...
¡Ah, qué llama más ardiente
ha penetrado en mi alma!...
¡Oh, Leonor! Sí, vendrás a mí,
cruel, y mal que te pese me escucharás...

(Suenan a lo lejos los acordes de una lira)

¡El Trovador!... ¡Pero qué oigo!...

(El Trovador, fuera de escena)

EL TROVADOR
Exiliado en la tierra
se lamentaba solitario...
Escuchad un instante
al Trovador cantando.

CONDE
¡Oh, rabia! ¡Oh, celos!

EL TROVADOR
¡Ah, que el amor fiel toque
tu corazón, hermosa mía,
y reconozca la voz
del errante Trovador!

Escena IV

CONDE
¡Es ella!... ¡Sí, es ella!...

LEONOR
(confundiendo al Conde con el Trovador)
¡Oh, Manrique! ¿Eres tú?...
Cuando te espero, el tiempo parece detenerse,
y una fiebre ardiente
consume a tu amada...
¡Pero al fin estás aquí!
¡No más llantos ni miedos,
sino felicidad es lo que siento!

EL TROVADOR
(De lejos)
¡Pérfida!

(La luna se descubre entre las nubes
y deja ver una persona con el rostro
oculto por la celada. Es el Trovador)

LEONOR
(estupefacta)
¡Qué oigo!

Escena V

LEONORA
(reconociendo al Trovador)
¡Ay, qué error! ¡Cielos! ¡Qué extraño misterio,
pues creía que estabas solo!
Creí escuchar tu voz,
y venía a esperarte... aquí, y ahora.
¡No amo a nadie más que a ti!
¡Ah, créeme, te lo juro!

CONDE
¡Pérfida!

EL TROVADOR
(junto a Leonor)
¡Oh, felicidad extrema!

EL CONDE
¡Tiembla ante mi ira!

LEONOR
(al Trovador)
¡Te amo!

EL CONDE
¡Date a conocer, aquí, ante todos!

LEONOR
(aparte)
¡Ay!

EL CONDE
¡Dime tu nombre!

LEONOR
¡Habla de nosotros!

EL TROVADOR
¿Mi nombre? ¡Soy Manrique!

EL CONDE
¡Ah! ¡Tiembla, indigno!
¡Tú, un proscrito, secuaz de Urgel, mi enemigo!
¿Cómo osas acercarte aquí!!
¡La muerte te aguarda, mira!

EL TROVADOR
¡Qué valeroso!
¡Llama, como acostumbras a la guardia!
Pues así llevas a tus rivales
al hacha de los verdugos y a la infamia.

EL CONDE
¡Está bien! Por esta nueva afrenta
yo mismo quiero y obtendré tu vida.
¡Ven!

LEONOR
¡Conde!

EL CONDE
¡Vil cobarde, teme mi furia!

LEONOR
¿Qué hacer? ¡Ay de mí!

EL CONDE
¡Luchemos!

EL TROVADOR
¡Vamos!

LEONOR
¡Dios Santo! ¡Se me hiela la sangre!
¡Piedad!

EL CONDE
¡No, oh, furor y celos!
El ardiente frenesí que de repente
se apodera de mi alma
sentencia tu destino.
Cuando de tu boca le has dicho: ¡te amo!,
¡ah! ¡Temed mi inmensa cólera!
¡Tal confesión ha sido una maldición,
convertida en la sentencia de tu muerte!

LEONOR
(al Trovador)
¡Ah, no escuches a este temerario!
¡Un combate así me llevaría a la desesperación!
¡Ah, por Dios, atiende a mis ruegos!
¡Ten piedad de mi amor!...

(al Conde)

¡Mira mis lágrimas! ¡Mira mi sufrimiento!
Pero no guardes ninguna esperanza,
pues si él muere, ¡teme mi venganza!
¡Sí, témele a mi odio eterno!

EL TROVADOR
(a Leonor)
Mi alma confía en mi espada,
y para nada temo su cólera.
¡No te alarmes! ¡Tus ruegos son en vano!
¡Estoy seguro por tu amor!

(al Conde)

Llega el momento del combate,
sí, es la hora de la venganza.
¡Ah, pérfido, témele a mi valentía,
pues hoy ves brillar tu último día.

EL CONDE
¡Tiembla! ¡Venganza!
¡Teme mi valor!
¡Sí, cobarde, te voy a quitar la vida!
¡Teme mis celos!
Tu impía audacia debe
presagiar tu destino.
¡Tiembla, cobarde, pues vas a morir!
De nada te servirán tus fuerzas,
contra el delirio de mi furor.

LEONOR
(al Conde)
¡Mira mis lágrimas!
¡Mira cómo sufro!
¡Ya no habrá esperanza para ti!...
¡Si él muere, teme mi venganza
y mi odio eterno!

(al Trovador)

¡Mira el ansia de mi amor!
¡Tu corazón será mío en la hora de tu muerte!

EL TROVADOR
(al Conde)
¡Ya se acerca el momento del combate,
sí, es la hora de la venganza!
¡Ah, pérfido! ¡Teme a mi valor,
pues hoy ves brillar tu día postrero!
¡Mira el furor de mi ira!
¡Tiembla, cobarde!...
¡Es la hora de tu muerte!

EL CONDE
¡Teme el delirio de mi cólera!
¡Ya tu corazón presiente tu suerte!
En vano serán tus fuerzas,
¡tiembla, cobarde!... ¡Es la hora de tu muerte!

(Los dos rivales, espada en mano, salen
amenazándose. Leonor intenta retenerlos
en vano, y cae desvanecida)



ACTO SEGUNDO


(En Vizcaya. Montañas áridas y escarpadas
bajo un cielo enrojecido; una gran fogata arde
en medio del escenario. Amanece)

Escena I

(Azucena, sentada junto al fuego. Manrique,
el Trovador, junto a ella envuelto en su capa;
un grupo de gitanos, dispersos aquí y allá)

LOS GITANOS
Está despuntando el día... ¡admirad esta visión!
El manto de la noche se ha retirado de la tierra
cual una viuda que abandona el luto...
¡La naturaleza se despoja de su fúnebre misterio!
¡Vamos, a trabajar!
¡Ánimo!

(Cogen martillos y golpean con ellos sobre
los yunques a compás)

¿Quién le quita las penas
al alegre gitano?...
La mirada de unos bellos ojos.
¿Quién aleja el pesar de su corazón?...
¡La gitanilla!

(Los hombres alargan sus copas a las mujeres,
que les echan de beber)

¡Echad otra vez, hasta colmar nuestros vasos
de vino generoso!...
¡Bebamos y seamos felices, y al amanecer
de un nuevo día redoblemos nuestras fuerzas!
¡Rápido, al trabajo! ¡Vamos, ánimo!
¿Quién le quita las penas
al alegre gitano?...
La mirada de unos bellos ojos...
¡La gitanilla!...

(Los gitanos se agrupan en torno a Azucena)

AZUCENA
Las llamas brillan... y desde lejos acude
la multitud como un fluctuante torrente.
Avanza una mujer, humilde y encadenada,
que es arrastrada al suplicio...
¡Resuenan tañidos!
¡Y la inmensa llama de la pira cruel
se eleva
al cielo!...
Las llamas brillan, y la prisionera,
pálida y moribunda, las alcanza al fin...
¡elevándose un grito
que el eco se lleva y repite,
mientras al son de los tañidos
la inmensa llama de la pira cruel
se eleva
al cielo!...

LOS GITANOS
Qué triste es tu canción...

AZUCENA
Menos sombría es que la historia
que conservo en mi memoria...

(Susurrando, volviéndose hacia Manrique)

¡Venganza! ¡Venganza!

EL TROVADOR
(aparte)
¡Siempre
esa extraña narración!...

UN GITANO
¡Compadres, escuchadme todos!...
Es menester ganarse el pan,
¡así que vamos! Ese camino
conduce al pueblo... ¡en marcha!...

(Cogen sus herramientas y, descendiendo
por el valle, retoman el coro)

Al alegre gitano, etc...

(Sus cantos se pierden en la lejanía)

Escena II

EL TROVADOR
(levantándose)
Ya estamos solos... ¿cuál es esa historia terrible?

AZUCENA
¿Todavía la ignoras?
Sí... pues tu juventud, pendiente sólo del triunfo,
no atiende a otras preocupaciones.
¡Ay, de tu abuela es de quien trataba la historia!
¡Ah, hijo mío! ¿Podrás creerme?
¡Un orgulloso señor la acusó falsamente
de haberse atrevido a lanzar sobre un niño
un maleficio!

EL TROVADOR
¡Oh, sacrilegio!

AZUCENA
Aquí es donde la trajeron
entre lágrimas y encadenada...
¡Víctima desafortunada
a la hoguera fue condenada!
Seguida por mí, de lejos,
a la hora de la agonía,
mi querida madre
me vio y me bendijo...
pero una horda salvaje
me cerró el paso,
para luego con rabiosos alaridos
cubrirla de ultrajes...
Y en esa última hora,
"¡Venganza!..." exclamó...
"¡Que muera maldita
si mi odio desaparece!"...

EL TROVADOR
¿Y tu venganza?

AZUCENA
Un día secuestré al hijo del Conde...
Lo traje conmigo... las llamas ya estaban listas...

EL TROVADOR
¡Las llamas!... ¡Oh, cielos!... ¡Un crimen!...

AZUCENA
¡Cómo lloraba!... ¡Pobre víctima!...
Mi corazón deshecho, palpitante,
se enterneció por un momento...
¡pero el miedo, de repente, me cegó!
Un espectro se elevó ante mis ojos
persiguiéndome sin tregua...
¡Delirio... sueño terrible!...
Se me apareció la horrible hoguera,
mi pobre madre avanzaba...
y escuché la sentencia fatal: "¡Venganza!"
Extendí mi mano temblorosa...
y arrojando a la víctima al fuego,
cumplí mi promesa...
Las visiones desaparecieron rápidamente...
y sólo brillaban las llamas en la vacía hoguera.
Pero cuando mis ojos miraron hacia allá...
¿Qué es lo que vi? ¡Oh, cielos!...

EL TROVADOR
¡Oh, terror!...

AZUCENA
¡Fue a mi propio hijo
a quien había arrojado a la hoguera!

EL TROVADOR
¡Qué horror!
¡Día de crimen y furor!

AZUCENA
¡Ah, era mi hijo!...
¡Quemado por mí, sí, por mí misma!...

EL TROVADOR
¡Horror! ¡Oh, terror!

AZUCENA
¡Oh, error fatal!
¡Mis cabellos aún se erizan de horror!

EL TROVADOR
Si yo no soy tu hijo...
entonces, ¿quién soy yo?

AZUCENA
¡Tú, tú eres mi hijo!

EL TROVADOR
¿Cómo?... Mi madre...

AZUCENA
Sí, soy yo, te lo estoy diciendo...
Lo que sucede es que cuando revivo
aquellos terribles momentos,
mi espíritu se pierde en locas quimeras...
¡Bien sabes todo el amor que tu madre te ha dado!

EL TROVADOR
Sí... te creo.

AZUCENA
Era yo quien
te protegía cuando eras niño.
Una noche, ¿te acuerdas?,
corrí al campo de batalla
siguiendo tus pasos sin miedo alguno.
Para salvarte, me armé de valor.
Decían que habías encontrado la muerte...
pero mis tiernos cuidados te devolvieron a la vida,
Salvé tu juventud con mi más dulce amor.

EL TROVADOR
Cierto es que fui herido...
¡pero con honor, cara a cara!
Solo, en mitad del campo,
afronté la amenaza del enemigo.
El Conde de Luna, mi rival,
arreando su corcel
se abalanzó sobre mí
y caí herido de un lanzazo.

AZUCENA
Pero un día el Conde, en un duelo,
te debió la vida...
A ese cruel le amenazó tu brazo
con un golpe mortal y lo perdonaste...
¡Oh! ¿Por qué? ¡A ese impío!...

EL TROVADOR
Madre... no lo sé.

AZUCENA
¡Insensato!

(aparte)

¡Extraña piedad!

EL TROVADOR
En mitad de la contienda
cayó sangrando en el polvo.
A merced de mi mortal daga
yacía mi enemigo...
Cuando de repente,
un inefable terror se apoderó de mí,
deteniéndome el brazo...
Me estremecí... ¡qué fatal momento!
Un frío mortal me heló la sangre
y una voz quejumbrosa y dulce
desde lo alto de los cielos me hizo
escuchar un veredicto:
¡Piedad para él!

AZUCENA
¡Ah! ¿Acaso el corazón del Conde
habría sido tan generoso?
¡Oh! ¡Yo le deseo una muerte ignominiosa,
un destino terrible!
Si osase combatir contigo una vez más,
debe caer muerto a tus pies.
¡Que tu daga vengadora
golpee a ese infame en el corazón!

JUNTOS
¡Que mi/tu daga vengadora
lo golpee sin piedad en el corazón!
¡Sin piedad! ¡Sin dilación!

EL TROVADOR
¡Que tiemble ante su vencedor!
¡Sí, mi brazo saldrá victorioso!

AZUCENA
¡Vénganos y sal vencedor,
sí, golpeándolo con tu puñal victorioso!

EL TROVADOR
Un mensajero se acerca...
¿Qué ocurre?

AZUCENA
(aparte)
¡Venganza!

Escena III

EL TROVADOR
¿Alguna noticia
de la contienda?

EL MENSAJERO
(dándole una carta)
Lee... lee, y lo sabrás.

EL TROVADOR
(leyendo)
"¡Acude de inmediato a Castellor!
¡Hemos liberado la villa!
Pero el rumor de tu muerte se ha extendido
tras nuestras hazañas
y Leonor, desolada, hoy mismo tomará
los hábitos en el Convento de Santa Cruz".
¡Oh, justo cielo!...

AZUCENA
¡Hijo mío!...

EL TROVADOR
(al mensajero)
¡Ve, rápido!...
No perdamos tiempo,
que ensillen mi caballo.

EL MENSAJERO
Muy bien.

AZUCENA
(reteniéndole)
Quédate...

EL TROVADOR
(al mensajero)
Vete... el tiempo apremia... ¡corre!
¡Espérame!... partiremos en seguida...

AZUCENA
¿Qué es lo que te agita así?

EL TROVADOR
(aparte)
¡El que quizá pueda perderla, y para siempre!

AZUCENA
¿Por qué irte?

EL TROVADOR
¡Adiós!...

AZUCENA
¡No! ¡Quédate!

EL TROVADOR
¡Funesto deseo!

AZUCENA
¡Así lo quiero! ¡Obedéceme!...
¡Oh, hijo mío!
Tú, a quien adoro,
y otra vez vas en pos del peligro.
Mira el miedo que me consume,
¿te irás a pesar de mis ruegos?
¡Es la muerte la que te amenaza!
Mi sangre se hiela de terror,
¡Pon freno a tu audacia!
¿no ves correr mis lágrimas?
¡Ten piedad de mi dolor!
¡Cede, cede a mis súplicas!

EL TROVADOR
Este día, crucial para mí,
va a arrebatarme a quien amo.
¡Ah, aunque venga del mismísimo Cielo,
que pueda alejar de mí esta maldición!
¡Deja que me vaya, madre!
Cede a mis súplicas,
¡ah, ya ves mi amargo dolor!
Ya no puedo con mi sufrimiento.

AZUCENA
¡Es la muerte la que te amenaza!
¡Pon freno a tu audacia!
De terror
se me hiela la sangre,
¡apiádate de mi amargura!
¡Quédate hijo mío! ¡Cede a mis ruegos!
¡Hijo mío, si te vas moriré, adiós!

EL TROVADOR
¡Deja que me vaya, por Dios!
La desgracia
que nos amenaza
refuerza mi valor...
¡Ah! Pero quizá mi debilidad...
¡Santo Dios!
¡Tengo que irme ya, madre, adiós!

(El Trovador se aleja a pesar de los
esfuerzos de Azucena por retenerlo)

Escena IV

(Un claustro; árboles al fondo; es de noche. El
Conde, Fernando y algunos de sus partidarios
avanzan cautelosamente envueltos en sus capas)

EL CONDE
Todo está desierto y aún no se escuchan
los cánticos de costumbre... ¡llego a tiempo!

FERNANDO
¿Qué os proponéis, señor?

EL CONDE
¡Valor! La mujer que amo
espero que será mía...
Sin un rival, mi corazón está lleno de esperanza,
y avanza firme.
¡Es inútil que busque refugio en el altar!
¡No! ¡No! ¡Serás mía, Leonor!
¡Ven, pues te adoro
con un amor eterno!
Tu mirada, tu dulce sonrisa...
todo contribuye a mi delirio,
e incluso en el aire que respiras
inhalo la felicidad.
¡No os imagináis lo que sufro por ella!
¡Qué cruel martirio!
La angustia que me atormenta
me llega a lo más profundo del corazón.

(Suenan las campanas)

¿Qué escucho? ¡Cielos!

FERNANDO
Es la hora de la ceremonia.

EL CONDE
¡Antes de que profese, nos la llevaremos!

FERNANDO
¡Sed prudente!

EL CONDE
¡Es el amor de mi vida!
Escondeos todos por estos apartados.
De aquí en adelante,
¡será mía para siempre!

FERNANDO, SECUACES
(alejándose)
¡Vamos amigos, ocultémonos!
¡Rehuyamos los ojos curiosos,
y ganémonos el premio que se nos ha prometido!
Señor, nuestro brazo y corazón están con vos.

EL CONDE
¡Cruel impaciencia!
Momento eterno, ¡disípate ya!
¡Alejaos, peligros y sufrimientos...
pues ya veo abrirse el Cielo!
En vano un Dios severo
la reclama hacia el altar,
Perder lo que más quiero
¡me sería un golpe fatal!

FERNANDO, SECUACES
(ocultos en la sombra)
¡Vamos, amigos, escondámonos!... etc.

EL CONDE
¡Desafiaré a ese riguroso Dios
y míos serán su corazón y sus dulces ojos!
Sí, deseo ser su esposo.
¡Vamos, camaradas!
¡La felicidad brillará para nosotros!

CORO DE RELIGIOSAS
(fuera de escena)
¡El verdadero exilio está aquí en la tierra!
Y por un divino misterio,
una beatífica voz
te ha reclamado entre nosotras.
En este lugar solitario
reluce un sol más dulce...

EL CONDE
Tengo que desafiar
a un Dios celoso,
y recibir sin tardar
el nombre de esposo.

FERNANDO, SECUACES
¡Vamos, amigos!
Sepamos escondernos
de los ojos curiosos...

CORO DE RELIGIOSAS
En esta morada agradable,
vedada para el mal,
Dios, que ve nuestros corazones,
prodiga su favor,
y con su infinita bondad
recompensa nuestro fervor.
Ven a rezar, ven con nosotras...

FERNANDO Y SUS SECUACES
¡Vamos, amigos!
¡Estad listos, preparados!
Que recibáis lo antes posible
el nombre de esposo.

(Las religiosas entran en escena,
precediendo a Leonor)

Escena V

LEONOR
¿Por qué lloras?

INÉS
¡Ay, porque vamos a perder a una amiga!...

LEONOR
¡Ah, no me compadezcas!
En esta vida,
para mí ya no hay esperanza...
¡Funesta condena!
¡Me consagro al Señor,
consolador de los males de este mundo!
Voy a gozar de la inmensa paz
que el cielo guarda
para sus elegidos en la tierra.
No llores más por mí.
Queridísima Inés,
ahora te digo, ¡adiós!

(El Conde aparece súbitamente)

Escena VI

EL CONDE
(avanzando)
¡No! ¡Jamás!

INÉS, CORO
¡El Conde!...

LEONOR
¡Santo cielo!...

EL CONDE
¡No! ¡Por mi vida
que romperé tus cadenas!

INÉS, CORO
¡Qué impío atrevimiento!...

LEONOR
¡Insensato! ¿Con qué derecho?...

EL CONDE
¡Tú me perteneces!

(El Conde sujeta a Leonor,
pero el Trovador aparece)

TODOS
¡Ah!...

Escena VII

LEONOR
¡Cielos! ¡Manrique! ¿Eres tú?...
¡Estás vivo! ¡Aún Vives!...
¿Qué Dios clemente te ha enviado hasta aquí?
A ti... ¡a ti a quien adoro!
¡Me ha iluminado un rayo divino!
Dios ha escuchado mis súplicas...
¿Es que has descendido a la tierra,
o soy yo la que está en el cielo contigo?

EL CONDE
¿Es que quizá los muertos pueden
despojarse del polvo de sus tumbas?

EL TROVADOR
Para castigarte, la justicia divina
me ha dejado en la tierra.

EL CONDE
Hasta el Infierno escupe a sus presas,
para mi desgracia y para la de mi víctima.

EL TROVADOR
Un caballero, con su valentía,
desbarata así tu delito.

EL CONDE
Si de los odiosos hilos de tu vida,
nada cortó la trama,
¡por mi alma que habrás
de abandonar estos lugares,
espectro misterioso!

EL TROVADOR
Dios ha deshecho los planes
de este encubierto criminal,
¡y ha sido Él, por mi alma,
quien me ha conducido hasta aquí!

LEONOR
¡Ah, el Cielo se entreabre para mí!...
¡Oh! ¿No será esto un sueño celestial
que se me ha ofrecido en este instante?
¡Gracias, Dios mío! ¡Haz que esto acabe,
y pon término a mi tormento!
¡Delirio de amor! ¡Éxtasis sublime!
¡Divino fulgor, en que mi corazón
cobra esperanza, tu fuego me envuelve
y sucumbo ante tu poder!

EL TROVADOR
No, no es una sombra ni un sueño
lo que se te ofrece en tan dulce instante...
Un suave fulgor se eleva a las alturas
hacia un Cielo misericordioso con nosotros.
¡Delirio de amor! ¡Éxtasis sublime!
Por él en mi corazón renace la esperanza.
Su fuego divino me envuelve...
¡Sucumbo a su poder!

EL CONDE, FERNANDO
¡Oh! ¡No es una sombra ni un sueño
del Infierno el que ha aparecido de repente!
¡Ah! ¿Qué tormenta es la que aquí se desata,
que es la causa ¡ay! de todos mis tormentos?

EL CONDE
¿Qué triste pesadilla es la
que me está sacudiendo?
Delirio de amor, éxtasis ferviente,
¿he de abandonar toda esperanza?
Cuando el frenesí ¡ay! me embargaba,
la intentan sustraer a mi poder...
¡Cuando el éxtasis del amor me abrasaba!...
¡Ay de mí! ¿No habré de verla más, nunca más?

FERNANDO
¡Ay! ¡Qué tormenta se desata!
Delirio de amor, éxtasis ferviente,
¿tendré que abandonar toda esperanza?
Ella ya no está en su poder,
¡ya no le queda esperanza!

INÉS, CORO FEMENINO
¡Sí, en este día el Cielo misericordioso
ha tenido piedad de sus tormentos!
Su corazón al fin cobra esperanzas,
y el Señor nos muestra su poder.

SECUACES DEL CONDE
El destino, en este instante,
traiciona los deseos de un dulce amante,
¡ay, ella ya no está en su poder!

Escena VIII

RUIZ Y LOS SUYOS
(acudiendo)
¡Viva, Manrique!

EL TROVADOR
¡Ah! ¡Mis camaradas!
¡Ruiz se acerca! ¡Viene!

(a Leonor)

¡Tienes que seguirme!

EL CONDE
(oponiéndose)
¡Temerario!

RUIZ Y LOS SUYOS
¡A las armas!

EL TROVADOR
(al Conde)
¡Atrás!...

EL CONDE
¿Quieres arrebatármela?... ¡No!

(Intenta blandir su espada pero es desarmado)

FERNANDO, SECUACES
¡Nos han traicionado!

EL CONDE
¡Ah! ¡La furia nubla mis sentidos!

LEONORA, INÉS
¡Tiemblo! ¡Me estremezco!

EL TROVADOR
(al Conde)
¡Miserable!
¡Maldita sea tu suerte!

RUIZ Y LOS SUYOS
Señor, sí, nuestros esfuerzos
cuentan con la bendición del Cielo.

EL CONDE
¡Oh! ¡Rabia! ¡Furor!
¡Ah! ¡Malditos seáis todos!

FERNANDO, SECUACES
¡Rendíos, ah!
¡Nuestras intenciones han sido desbaratadas!

LAS RELIGIOSAS
¡Ah! ¡El miedo turba todo nuestro espíritu!...

LEONOR, EL TROVADOR
(solos)
¡De esperanza, de amor y enajenamiento
este momento extático
sacude nuestros espíritus!
¡Estamos juntos!

RUIZ Y LOS SUYOS
¡Los dos estáis juntos!

EL CONDE, FERNANDO
¡Y que juntos seáis malditos!...

INÉS, RELIGIOSAS
¡Y que juntos seáis benditos!...

(El Trovador se lleva a Leonor. El Conde queda
impotente. Las mujeres, asustadas, huyen)



ACTO TERCERO


(Un campamento militar al pie de los muros de
Castellor; a la derecha, la tienda del Conde de
Luna, sobre la que ondea una bandera)

Escena I

(Centinelas por todas partes; algunos soldados
juegan, otros limpian sus armas, bastantes
pasean. Coro de soldados, luego, Fernando)

ALGUNOS SOLDADOS
(jugando)
Nos gusta jugar a los dados,
¡pero pronto jugaremos con las armas!

OTROS SOLDADOS
(limpiando sus armas)
Quitemos la sangre de nuestras espadas,
pero mañana,
¡ni paz ni descanso!

UNOS
¡Que este asedio termine por fin!

OTROS
¿Tendremos que esperar más?

TODOS
¡Que mañana sea el día
en que tomemos Castellor!

FERNANDO
(saliendo de la tienda del Conde)
¡Estimados camaradas! Vuestra valentía
no tendrá que esperar mucho más.
Esta impaciencia se verá recompensada
con un botín magnífico y con heroicas hazañas.
Por vuestros esfuerzos os procuraréis la gloria.

LOS SOLDADOS
¡Sí, y mañana lo celebraremos!

CORO
¡Que el bélico son de la trompeta
haga que estalle la fanfarria guerrera!
Nuestros enemigos nos verán con ella
descender armados a singular refriega.
Le señal del combate
nos reclama en el campo de batalla,
¡valor, soldados!
Dios, que guía nuestros pasos,
nos procurará una muerte honorable,
¡y ésta es la recompensa más bella!
Marchemos paso a paso,
¡adelante, bravos soldados!
Acudamos con júbilo a la llamada del honor,
orgullosos de morir bajo un estandarte triunfador.

Ballet

(Baile gitano, gitanilla, sevillana,
bohémienne, y Galop)

(Después del ballet, todos se van tras los gitanos,
quedando la escena vacía por un momento)

Escena III

(El Conde sale de su tienda y lanza sobre
Castellor una mirada llena de inquietud)

EL CONDE
¡En brazos de mi rival!
¡Oh, triste pensamiento
que persigue mi alma opresa!...
¡Loca desesperación!
¡En brazos de mi rival!
¡Que tiemble!
El clarear del día
le traerá el momento fatal… ¡Oh, Leonor!

Escena IV

EL CONDE
¿Qué es ese estrépito?

FERNANDO
(corriendo)
Por los alrededores del campamento,
a ojos de los centinelas,
rondaba misteriosamente una gitana...
un soldado corrió tras ella
y la llamó,
pero huyó...

EL CONDE
¿Y no la han cogido?

FERNANDO
Por supuesto,
la traen detrás de mía...

(el alboroto se aproxima)

Es ella...

Escena V

(Azucena, con las manos atadas y
custodiada por los soldados)

LOS SOLDADOS
(arrastrando a Azucena)
¡Vamos! ¡Anda! ¡Camina!

AZUCENA
¡Socorro, por piedad!
¡No me maltratéis!
¿Qué es lo que os he hecho?

EL CONDE
¡Acércate,
y guárdate de mentir!

AZUCENA
Habla.

EL CONDE
¿Adónde ibas?

AZUCENA
¡Sólo Dios lo sabe!

EL CONDE
¿Cómo dices?

AZUCENA
Una pobre gitana errante deambula sin rumbo fijo,
siempre atemorizada, perseguida, teniendo
como techo el cielo y por patria el mundo.

EL CONDE
¿Y de dónde vienes?

AZUCENA
De Vizcaya, cuya tierra estéril
a los pobres les niega la vida.

EL CONDE
¿De Vizcaya?

FERNANDO
(aparte)
¡Ah!... ¡Ese nombre!...
¡Dios! ¡Qué sospecha!

AZUCENA
Yo vivía pobre pero sin penas,
y como humilde gitana
llevaba una vida feliz...
Era afortunada gracias a mi hijo,
¡pero el ingrato, ay, se ha olvidado de mí!
Estoy sola y voy mendigando,
buscando en mi delirio,
a ese hijo
¡al que tanto quiero!
¡Ah, jamás hubo en esta tierra
amor de madre
comparable a este amor!

FERNANDO
(aparte)
Esta mujer...

EL CONDE
¿Y estuviste mucho tiempo en Vizcaya?

AZUCENA
¡Sí! ¡Sí!

EL CONDE
¿Y no recuerdas acaso que...
un día, hace unos veinte años,
el hijo de un conde fue raptado de su cuna
y llevado lejos de su castillo?

AZUCENA
Y tú... ¿quién eres?...

EL CONDE
El hermano
de aquél niño.

AZUCENA
¡Cielos!

FERNANDO
(aparte)
¡Pero si es ella!

AZUCENA
¡Tened piedad de mi amargo dolor!
¡Sed clementes y ceded a mis ruegos!
¡Dejad en libertad a esta pobre madre
para que siga buscando
al hijo que tanto quiere!

FERNANDO
¡Quieta!

AZUCENA
¡Oh, Dios mío!

FERNANDO
(aparte)
¡Es ella!

(en voz alta)

Sí, aquí ante nuestros ojos está la criminal.

EL CONDE
¡Termina!

FERNANDO
¡Es ella!

AZUCENA
¡Silencio!

FERNANDO
¡Es ella, la que quemó al niño!

EL CONDE
¡Ah, desgraciada!

AZUCENA
¡Está mintiendo!

CORO
¡Sí, es ella!

EL CONDE
¡Tiembla, pues aquí te espera
la muerte!

AZUCENA
¡Oh, Cielo!

EL CONDE
¡Aquí te espera tu castigo!

AZUCENA
¡Piedad!

CORO
¡La muerte te aguarda!

AZUCENA
¡Oh tú, hijo mío, defiende a tu madre!
¡Manrique! ¡Acude a mí!
¡Ah! ¡Ven, hijo mío! ¡Socórreme!

EL CONDE
¡Es la madre de Manrique!
¡Mías serán tu vida y tu sangre!

FERNANDO
¡Tiembla!

AZUCENA
¡Bárbaros! ¿No tenéis corazón?
¡Apiadaos de mi martirio!
Esta agonía me desgarra,
¡estoy muriendo de dolor!
¿Quién podrá librarme
de vuestra loca crueldad?

(al Conde)

¡Tiembla! ¡El Cielo me desagraviará!
¡Un día te enviará su castigo!

EL CONDE
¡Tu hijo, ese diablo del Infierno, es ese traidor!...
Los dos seréis abatidos
por una misma espada.
¡Oh, placer de la venganza,
te gozo con antelación!
¡Sí, hermano mío,
tu espíritu ultrajado por fin será vengado!

FERNANDO, LOS SOLDADOS
En pocos instantes
te arrastrarás
hacia la hoguera
y saciarás nuestra venganza.
¡Ya puedes estremecerte!
Castigaremos tu afrenta,
sin esperar ninguna defensa.
¡Ah, sobrecógete ante la venganza!
¡Vas a morir, demonio del Infierno!
Tu hijo y tú, caeréis abatidos por el mismo golpe.

AZUCENA
¡Bárbaros! ¿Es que no tenéis corazón? etc.

EL CONDE
¡Tu hijo, un diablo del Infierno... etc.

FERNANDO
¡Vas a morir, demonio infernal!
¡Te hundirás en los abismos del Averno!

CORO
¡Te hundirás en los abismos del Averno,
expirando entre insufribles tormentos!
¡Morirás, demonio infernal!

FERNANDO, CORO, EL CONDE
¡Seréis abatidos
por el mismo golpe,
tu hijo y tú, demonio infernal!
¡Sí, moriréis por esta espada,
que nos vengará cayendo sobre vosotros!

(A un gesto del Conde, los soldados se llevan a
Azucena, él regresa a su tienda con Fernando)

Escena VI

(Una sala del Castillo de Castellor;
al fondo una ventana con balcón)

LEONOR
(escuchando)
¿Qué es ese lejano ruido?
¿El fragor de la batalla?

EL TROVADOR
Todos estamos amenazados y llenos de agitación:
al amanecer nos atacarán.

LEONOR
¡No puedo creerlo!

EL TROVADOR
Pero saldremos victoriosos
frente a nuestros enemigos.
¡Tengo fe en mis camaradas
y en su gran valentía!

(a Ruiz)

¡Y tú, que los conduces,
durante mi ausencia
redobla la vigilancia!

(Ruiz sale)

LEONOR
¡Ah, qué triste albor clarea
el día de nuestra boda!

EL TROVADOR
¡No! Disipa, ídolo mío,
tan negros presagios.

LEONOR
¡Cómo podría!

EL TROVADOR
Ser tu esposo
es mi destino;
¡y mi amor eterno mi garantía!
¡Oh, tú, única esperanza mía,
no te dejes vencer por el miedo!
El poder de tus ojos
me hará invencible,
pero si el destino inextricable
dispone que en este combate
me sea prematuramente arrancada la vida
ante tu mirada...
Alma querida,
si han de quitármela,
si es preciso que caiga...
¡que la esperanza consuele nuestro adiós!
Y aunque sea la tumba lo que nos depare,
¡yo iré a esperarte al Cielo!

(Se escucha el órgano de una capilla cercana)

LEONOR
Escucha esos cantos sagrados...

EL TROVADOR
¡Extáticos ecos del propio Cielo!
¡Que Dios bendiga
nuestros votos en este hermoso día!
Y que el himeneo una nuestros corazones,
entrelazados ya por el amor.
¡Pues todo lo mío es sólo para ti!

(Ruiz entra corriendo)

RUIZ
¡Oh, señor!

EL TROVADOR
¿Qué sucede?

RUIZ
(indicando la ventana)
La gitana...
Mira... doblegada por cadenas...

EL TROVADOR
¡Pero qué es lo que veo!

RUIZ
Mientras los crueles verdugos
preparan el suplicio...

EL TROVADOR
¡Oh Dios, qué angustia mortal!
¡Ah, apenas puedo respirar!

LEONOR
¡Oh, Manrique!

EL TROVADOR
¡Escucha y tiembla!
Yo soy...

LEONOR
¿Quién?...

EL TROVADOR
¡Su hijo!

LEONOR
¡Ah!...

EL TROVADOR
¡Bárbaros! ¡Ah, horrendo frenesí!...
¡Ay de mí!... siento...
que muero...

(a Ruiz)

¡Venga, vamos, lidera a los nuestros!
¡Ve, ve! ¡Corre, vete!
¡Qué infame suplicio
la está esperando!
Las horribles llamas
van recreciendo,
prestas a alcanzarla.
¡Ah! ¡Sin temor alguno
las apagaré
con su sangre!
¡Mi pobre madre!...
¡Qué amargo dolor!...
Confío en Dios,
¡pero esto es insufrible!
Mi madre reclama
mi fiel brazo...
¡Junto a ella habré
de vencer o morir!
¡La salvaré
o moriré!

LEONOR
¡Qué extremo dolor!
¡Oh, día maldito!
¡Funesto destino!
Cuánto mejor sería morir.

EL TROVADOR
¡Infame hoguera!, etc., etc.

Escena VII

RUIZ, CORO
(corriendo)
¡A las armas!
¡Corramos! ¡A las armas, compañeros!
¡Te defenderemos
con valentía,
aunque tengamos que morir!

EL TROVADOR
¡Mi pobre madre,
habré de salvarte o morir!

TODOS
¡Corramos!... ¡A las armas!

(Ruiz y sus soldados siguen al Trovador
blandiendo sus espadas. Leonor parece
abrumada por el más profundo dolor)



ACTO CUARTO


(Un ala del Palacio de la Aljafería. En un ángulo,
una torre con ventanas enrejadas con barrotes de
hierro. Noche muy oscura)

Escena I

(Dos personas avanzan arrebujadas
en sus mantos. Son Leonor y Ruiz)

RUIZ
(en voz baja, señalando la torre)
¡Allí es!... Esa es la torre en la que,
encadenado y víctima del odio,
el prisionero cumple su condena.

LEONOR
¡Vete, déjame!
No temas nada por mí, quizás pueda salvarlo.

(Ruiz sale)

¡No, no tengas miedo!

(reparando en el anillo que lleva puesto)

¡Rápida y segura muerte aquí siempre me espera!
En esta noche oscura, estoy cerca de ti
¡oh, amado mío!
Sutil Céfiro, suave brisa, ¡id y susurradle
que estoy suspirando a su vera!
¡Aura de amor fiel,
hasta su celda cruel
lleva sobre tus alas
los suspiros de mi corazón!
Sueño, acaricia sus párpados
con tu mano apaciguadora,
y alivia su miseria
con tu flama encantadora,
pero... ¡oh, dulce dolor!
¡Señor, no quieras revelarle
el extremo de mi dolor!

(Se escucha el toque de difuntos)

CORO
(fuera)
¡Miserere!...
¡Señor, misericordia para nuestro hermano
que va a abandonar la tierra!
¡Miserere!...
¡Sublime piedad del Cielo,
salva a un mortal del tormento eterno!

LEONOR
Esas voces que rezan,
esos cantos fúnebres
llenan la tierra
de sombrío terror...
¡Qué hora maldita!
Mi alma se debilita...
¡y el terror que me suscita
me destroza el corazón!

EL TROVADOR
(desde la torre)
¡Dios que oyes mi voz,
déjame morir pronto!
Es demasiado sufrir...
¡Adiós, mi Leonor!

LEONOR
¡Dios, te lo suplico!

ECOS DEL CORO
¡Miserere!... etc.

LEONOR
¡La muerte me envuelve!
Ya suena la hora...
mi alma se estremece...
¡va a morir ante mis ojos!
Si él tiene que caer... ¡bien!
¡que yo muera también!
¡Durmamos en la tumba,
pero vivamos en los cielos!...
¡Un solo sepulcro para los dos!

EL TROVADOR
(desde la torre)
¡Pero muero feliz
pues tu corazón me pertenece!
¡No me olvides nunca!...
¡Adiós, mi Leonor!...

LEONOR
A ti, a quien adoro...
¡Ah, la angustia me devora!
¡Quiero verte una vez más,
pues tus llantos me devoran!

CORO
¡Miserere!...

(En ese momento el Conde aparece seguido por
algunos soldados. Leonor permanece aparte)

Escena II

EL CONDE
(a los soldados)
Estas son las órdenes:
que sobre el hijo caiga el hacha,
y luego, la madre, ¡a la hoguera!

(los soldados entran en la torre)

¡Que caiga la ignominia sobre el traidor!
¡Que muera como un cobarde!
¡Nada podrá frenar mi furor! ¡Leonor!... ¡Cruel!
Aunque he tomado Castellor,
¡no he podido saber nada de ti!
En vano te he buscado por todas partes...
¡Ah indomable!, ¿Dónde estás?

LEONOR
(avanzando)
¡Delante de ti!

EL CONDE
¡Cielos! ¡Cómo es posible! ¿Tú aquí?...

LEONOR
¡Yo misma!

EL CONDE
¿Qué es lo que quieres?

LEONOR
Él está al borde de la muerte...
¿Y me preguntas qué es lo que quiero?

EL CONDE
No serás capaz de pretender que...

LEONOR
¡Tengas piedad de él!
¡Soy yo quien
te lo suplica!

EL CONDE
¡Qué locura!

LEONOR
¡Piedad!

EL CONDE
¡No, no, jamás habrá
ni piedad ni misericordia!

LEONOR
¡Ah, ten clemencia!... ¡Que Dios te la inspire!

EL CONDE
¡No, la venganza es mi único Dios!

LEONOR
¡Ten piedad de mi dolor!

EL CONDE
¡No! ¡Tengo que cumplir mi promesa!
La venganza es mi único Dios,
¡es todo lo que deseo!

LEONOR
¡Piedad! ¡Piedad! Muero...

EL CONDE
¡No, jamás!

LEONOR
¡Piedad! ¡Contempla mi dolor!
¡Ten misericordia de mi sufrimiento!
A tus pies caigo llorando a mares,
¡estoy completamente en tu poder!
¡Ah, derrama mi sangre antes!
¡Que tu espada caiga sobre mí!
¡Que este día sea para mí el último,
pero libera al prisionero!

EL CONDE
¡Nada podrá salvarlo
de un suplicio atroz!
Eres tú quien te expones a mi implacable odio,
y cuanto mayor es tu compasión hacia él,
con más vehemente regocijo
sueño con la embriaguez
del tormento de su muerte.

LEONOR
¡Ah! ¡Que este día sea para mí el último,
pero salva al prisionero!

EL CONDE
Cuanto mayor es tu compasión,
más grande es mi regocijo... etc.

LEONOR
¡Ah! ¡Piedad, quítame la vida!
Te lo suplico con toda mi alma,
¡Ah! ¡Por piedad, salva a mi amado!

EL CONDE
¡Ah! ¡Estás duplicando mi cólera!
¡Lo adoras!... ¡Que muera!

LEONOR
¡Ah! ¡Que para mí sea este día el último,
pero salva al condenado!...

EL CONDE
Para él es para quien será éste el último día,
¡Que muera el condenado!

(el Conde hace por irse, pero Leonor lo retiene)

LEONOR
¡Conde!

EL CONDE
(rechazándola)
¡Atrás!

LEONOR
¡Piedad!

EL CONDE
¡Nada en este mundo podrá salvarlo!
¡Nada!...

LEONOR
Sí, sí hay un precio...
¡y yo te lo ofrezco!

EL CONDE
¿Cuál?

LEONOR
¡Yo misma!...

EL CONDE
¿Cómo dices?

LEONOR
¡Que él viva! Y yo... ¡seré tuya!

EL CONDE
¿Tú?... ¡A quien él ama!...

LEONOR
¡Pero te pido a cambio que él pueda escucharme,
aunque sea sólo unos instantes!
Cuando él pueda marchar, mi corazón se rendirá.
¡Te doy mi palabra!

EL CONDE
¿Lo juras?

LEONOR
¡Lo juro ante Dios,
que me está viendo y escuchando!

EL CONDE
(llamando)
¡Eh!...

(Aparece un guardia, a quien el Conde le susurra
algo. Mientras, Leonor se bebe el veneno que
contenía su anillo)

LEONOR
(aparte)
¡Pero no obtendrás mas que un cadáver!

EL CONDE
(volviendo cerca de Leonor)
¡Vivirá!

LEONOR
(aparte)
¡Salvado! ¡Salvado! ¡Piedad divina!
¡Gracias, misericordia celestial!
Mi corazón por fin respira...
¡Se acabó al fin este funesto terror!
¡Esperanza tan largamente soñada!
Al fin y al cabo moriré feliz...
pudiéndole decir:
¡soy yo quien te ha salvado!

EL CONDE
Dirígeme una sola mirada menos inhumana.
¡Oh, celestial rayo de mi amor!
¡Se acabó por fin tu funesta frialdad!
¡Al fin eres mía!
¡Ojalá que la mirada que me tiendas
encienda en mí un fuego más dulce!
¡Dame, con una sonrisa,
el cielo con que soñé!

(aparte)

¡Es mía!
¡Ardiente éxtasis de amor!

LEONOR
(aparte)
¡No, no más lágrimas ni más pavor!...

(en alto)

¡Vámonos! ¡Te he dado mi palabra!

(Entran en la torre)

Escena III

(Un calabozo con una ventana con barrotes; al
fondo, una puerta; un farol a medio extinguir
cuelga del techo. Azucena está recostada sobre
un jergón, y el Trovador sentado junto a ella)

EL TROVADOR
¡Madre! ¿Duermes?...

AZUCENA
Bajo estas bóvedas de piedra,
el sueño huye de mis ardorosos párpados...
Estoy rezando...

EL TROVADOR
Tus miembros entumecidos
languidecen por el frío...

AZUCENA
No, son estos malditos muros...
Esta tumba,
en la que siento que me ahogo...
¡Ah, quiero salir, aquí me estoy muriendo!...

EL TROVADOR
(con desesperación)
¿Y cómo huir?

AZUCENA
No estés triste...
Mi cuerpo resistirá el tormento que le infrinjan.

EL TROVADOR
(aparte)
¡Oh, dolor!

AZUCENA
Mira si la muerte ya ha estampado
su huella sobre mi frente.
¡Dímelo, dímelo sin miedo!

EL TROVADOR
¡Ah!

AZUCENA
Cuando vengan... no encontrarán más que
un cadáver helado y mudo en su mortaja…

EL TROVADOR
¡Oh, Dios mío!...

AZUCENA
Escucha... se acercan... ¡ah!
¡Son los verdugos!
¡Ya me llevan a la hoguera!...
¡Defiende, defiende a tu madre!...

EL TROVADOR
No viene nadie... pobre madre.
Todo yace en un misterioso silencio...

AZUCENA
(presa de terror)
¡La hoguera! ¡La hoguera!...
¡Allí está! ¡Qué horrenda¡ ¡Qué horrenda es!
¡Estos bárbaros llevaron a tu abuela a la hoguera!
¡Ah! Mira... el brillo del fuego es lo único
que reluce en este negro antro...
Mira... la víctima... ya la entregan a las llamas...
Todo su cuerpo se consume... deja de vivir...
¡Que se aleje de mí ese espectáculo terrible!...

EL TROVADOR
¡Ah! ¡Que las dulces palabras de un hijo
te lleguen al alma y te consuelen!
Aleja de ti todos los temores que te atormentan...
Duerme, madre,
descansa sobre mi pecho...

AZUCENA
El cansancio ya puede conmigo.
Aunque no quiera, me rindo al dulce sueño.
¡Pero que yo vaya al suplicio antes que tú!
Si ves brillar el fuego, ¡despiértame!

EL TROVADOR
¡Descansa en paz con un sueño tranquilo!
¡Que un dulce sopor
se apodere de ti!

AZUCENA
(casi dormida)
¡Oh patria mía! ¡Mi querida España!
Mi hijo me lleva a mis montañas...
y acompañándose con su lira
canta siempre
sus canciones de amor...

EL TROVADOR
¡Ven, madre mía!
¡Duérmete a mi lado!
En mis oraciones
ruego por ti.
¡Oh Señor, ten piedad
de mi madre en esta hora!...
Descansa, madre,
que tu hijo está rezando por ti...

(Azucena se duerme. El Trovador
permanece de rodillas a su lado)

Escena IV

EL TROVADOR
(viendo entrar a Leonor)
¿Qué? ¡Qué es lo que veo!...
¡Debo estar soñando!...

LEONOR
¡Soy yo! ¡Soy yo!

JUNTOS
¡Tú/Mi Leonor!

EL TROVADOR
Dios, misericordioso con nosotros,
te ha enviado aquí en mi última hora...

LEONOR
¡Yo te salvaré,
y vivirás!

EL TROVADOR
¿Yo? ¿Vivir?...

LEONOR
Sí, vengo a liberarte...
¡Vete, vete, date prisa, márchate!

EL TROVADOR
¿Y tú?...

LEONOR
Tengo que quedarme...

EL TROVADOR
¿Por qué?

LEONOR
¡Vete!

EL TROVADOR
¡No!

LEONOR
¡Yo rompo tus cadenas!

EL TROVADOR
¡No!

LEONOR
¡Es tu vida la que está en juego!...

EL TROVADOR
¡Yo la desprecio!...

LEONOR
¡Por el amor de Dios!...

EL TROVADOR
¡No!

LEONOR
¡Ah, es tu vida!...

EL TROVADOR
¡Yo la desprecio!
Pero mírame, escúchame un momento...
mi vida... ¿a qué precio la has comprado?
¡Dime! ¡Respóndeme, respóndeme!
¡Oh, qué idea funesta se me revela!...
¿A mi rival?... ¡Perjura!
¡Ah, esta infame ha vendido su cariño!

LEONOR
¡Oh, día funesto!

EL TROVADOR
¡Ha vendido su amor sin remordimientos!

LEONOR
¡Si supieras la amargura que me angustia!
¡Vete, aprovecha la esperanza que Dios te ofrece!
¡Vamos, que el tiempo apremia!...
La muerte te acecha...
¡Una hora más y todo se acabará!

EL TROVADOR
¡Infame!

(Mientras tanto, Azucena murmura
en sueños su cancioncilla)

AZUCENA
¡Oh, patria mía! ¡España querida!, etc.

EL TROVADOR
¡Ah, esta infame ha vendido su cariño!...

LEONOR
¡Si supieses de la amargura que me angustia!...

EL TROVADOR
¡Yo te maldigo por esa cobarde injuria!

LEONOR
Confía en la esperanza que te ha dado el Cielo...
¡Cede a mis súplicas, ah! ¡Cede a mi compasión!
¡Vete, el tiempo apremia!…
La muerte te acecha...
¡Una hora más y todo acabará!

EL TROVADOR
¡Ay, qué infame!...
Ni en el corazón tiene remordimientos…

(Leonor ha caído a los pies del Trovador)

¡Atrás!

LEONOR
¡Ah, qué tortura! ¡Piedad!
No me encuentro bien... ¡ah!.... ¡me muero!

EL TROVADOR
¡Vete, pérfida!
Te detesto.

LEONOR
¡Palabras funestas esas que has dicho!...
Lo que hace falta es rezar por mí...
mi hora ha llegado...

EL TROVADOR
Mi alma se estremece...
¡Me acabas de helar la sangre!...

LEONOR
¡Manrique!...

EL TROVADOR
¡Explícate!

LEONOR
Llevo la muerte en el pecho...

EL TROVADOR
¿La muerte?

LEONOR
Yo misma me la he procurado...
El efecto del veneno debía haber sido más lento...

EL TROVADOR
¡Leonor!...

LEONOR
Toca, mi mano está helada... pero aquí...
un fuego me devora...

EL TROVADOR
¡Ah, Dios Todopoderoso!

LEONOR
Antes que vivir y traicionarte,
¡preferí morir!

EL TROVADOR
¿Pero qué es lo que oigo?...
¡Mueres por mí, ángel de mi vida,
y yo te maldecía!
¡Insensato!

LEONOR
¡Este ardor me está abrasando, ah, qué tortura!

EL TROVADOR
¡Ay, qué desgracia!

LEONOR
¡Manrique, Manrique, ah!
Perdóname Dios mío, si con mi amor te ofendí...
Antes que vivir y traicionarle...
¡Ah, preferí morir!...
¡Cómo traicionar a quien adoraba!
¡Antes perderlo para siempre!
¡Manrique, adiós! ¡A ti, a quien amaba!
¡Cómo traicionarte! ¡Jamás!
¡Adiós, amor de mi vida!

Escena VI

EL CONDE
¡Ah, la ingrata perjura ha preferido morir por él!
¡Ah, esa pérfida a la que amé,
la he perdido para siempre!
¡Para toda la eternidad!
¡Ya no hay vuelta atrás, ay de mí!

EL TROVADOR
¡Oh, noble corazón!
¡Te maldije, y tú morías por mí!
¡Ángel de mi vida, sólo por mí, ah!
¡Y te he perdido para siempre!
¡Leonor, adiós, adiós eternamente!

EL CONDE
(viendo que Leonor expira)
¡Que se cumpla la sentencia!

EL TROVADOR
(arrastrado por los soldados)
¡Madre, adiós madre mía!

CORO
Miserere, rogad por nuestro hermano
que va a dejar este mundo...
¡Miserere! Sublime piedad del Cielo,
salva a un mortal del tormento eterno...

AZUCENA
(despertándose poco a poco)
¡Oh, cielos! ¡Ese canto de muerte!...
Mi hijo, ¿dónde está?...
¡Mi hijo, mi hijo!

EL TROVADOR
¡Madre, bendita seas!

AZUCENA
¡Ah, van a matar a mi hijo!

EL TROVADOR
¡Me ha llegado la hora!

AZUCENA
¡Dios mío, ten piedad de él!

CORO
Va a morir.

EL TROVADOR
¡Ah, Leonor, ay de mí, voy a morir!
¡Te seguiré al Cielo!

EL CONDE
El hacha está lista,
y cumplida mi venganza.

CORO
(fuera)
Miserere... etc.

(Redoble de tambor)

AZUCENA
(desesperada)
¡Ah!

EL CONDE
¡Mira!...

(Se abre el fondo de la escena y aparece el
cadalso rodeado de monjes. El verdugo está
apoyado en su hacha y a su lado un manto
rojo cubre el cuerpo sin vida de la víctima)

AZUCENA
¡Muerto! ¡Está muerto!...

(con un sarcasmo estremecedor)

Está bien... ¡Era tu hermano!

EL CONDE
¡Día de horror!

AZUCENA
¡El Cielo a mi madre ha vengado!...

(Cae extenuada)

EL CONDE
(aterrorizado)
¡Oh, terror!..



Digitalizado y traducido por:
Luis Maldonado Cortés 2012