CHERUBIN

 

Personajes

 

QUERUBÍN

ENSOLEILLAD

NINA

CONDESA

BARONESA

FILÓSOFO

CONDE

DUQUE

BARÓN

RICARDO

POSADERO

Joven noble

 Cantante

Enamorada de Querubín

Noble

Noble

Preceptor de Querubín

Noble

Noble

Noble

Oficial

Posadero

Mezzosoprano

Soprano

Soprano

Soprano

Mezzosoprano

Bajo

Barítono

Tenor

Barítono

Tenor

Barítono

 

 

La acción se desarrolla en Madrid, en época indeterminada.

 

PREMIER  ACTE


(Un salon (sorte de "temple d'amour". Le fond
complètement ouvert sur la terrasse du château,
où aboutit le haut d'un escalier qui monte du parc.
Tous les serviteurs du château, hommes, femmes
et la valetaille, entourent Jacoppo, le précepteur
de Chérubin (surnommé le Philosophe) qui les
harangue)

LE PHILOSOPHE
(à haute voix)
Servantes.

3 SERVANTES
(3 sopranos)
Voilà!

LE PHILOSOPHE
... bonnes et lingères,

3 AUTRE SERVANTES
(3 mezzo-sopranos)
Voilà!

LE PHILOSOPHE
Serviteurs, valets, marmitons,

3 SERVITEURS
(3 basses, en gross voix)
Voilà!

LE PHILOSOPHE
Boulangères et fromagères,

6 SERVANTES
Voici! Voici! Voici! Voici!

LE PHILOSOPHE
Cuisiniers à triple menton,
Qu'avez-vous préparé pour fêter votre maître,
Car Chérubin n'est plus un page
aux cheveux blonds.

(fièrement)


Il porte depuis hier,
plus déluré qu'un reître,
L'épée en bon acier qui sonne à ses talons.

SERVANTES, SERVITEURS
Vivat! Vivat! Vivat! Vivat!

LE PHILOSOPHE
(galamment)
Dans un instant Chérubin va paraître.

SERVANTES, SERVITEURS
(entre eux joyeusement)
Vivat! Dans un instant Chérubin va paraître!
vivat! vivat! vivat! vivat!

LE PHILOSOPHE
Entendons-nous
Entendons-nous avant que de tous les côtés
Nous arrivent ses invités.
Entendons-nous!

SERVANTES, SERVITEURS
(très affaires)
Avant que de tous les côtés
Nous arrivent ses invités.
Voilà! voilà Voilà! voilà! Voilà! voilà!

(3 basses, avec volubilité)


Dindes, dindons et dindonne aux
Gravitent autour de nos broches.

(3 ténors, avec volubilité)


Et la fournaise des fourneaux
Les dore comme des brioches.

(6 servantes, répétant avec volubilité)


Les dore, dore comme des brioches.

LES SERVITEURS
Les dore, dore comme des brioches! des brioches!
Nous avons fait ratisser
Sarcler, émonder, tailler
De long en large, de large en long!

LES SERVANTES
Dans nos cuisines nous glaçâmes
Deux cents sorbets...
Mille pralines!
Deux cents sorbets...
Mille pralines!
Deux cents sorbets,
Mille pralines!

LE PHILOSOPHE
(qui, depuis un instant,

s'est bouché les oreilles)
Chut! vous m'assourdissez!
Vous m'assourdissez!!

SERVANTES, SERVITEURS
(renchérissant encore)
Et le parc est comme un salon!
Oui! le parc est comme un salon!
Nous avons râtissé,

LE PHILOSOPHE
Chut! Aie!

SERVANTES, SERVITEURS
Nous avons tout taillé,
Dindons et dindonneaux sont
comme des brioches! des brioches! des brioches!
Voilà! voilà! voilà!

LE PHILOSOPHE
Vous m'assourdissez! Vous m'assourdissez!

(essayant de crier plus fort

que tous afin d'être écouté)

Mes camarades, mes braves camarades.
Sachez l'autre motif qui vous rassemble ici.
Pour qu'en ce jour vous fêtiez Chérubin,
fier de ses premiers grades,
Votre jeune seigneur, à tous ici présents,
Veut rendre un bienfaisant hommage:
Aux serviteurs il fait doubler les gages.

SERVANTES, SERVITEURS
(avec ravissement)
Ah!

LE PHILOSOPHE
Et fait remise aux paysans
D'un an de dîme et de fermages!

SERVANTES, SERVITEURS
(avec une folie joie)
Vivat! vivat! vivat! Chérubin! Chérubin!

(la ronde folle s'éloigne en criant)


Vive Chérubin!

(cris prolongés; au loin, encore fort)


Vive Chérubin!

(Pendant que les cris s'atténuent et que le

Philosophe, sur la terrasse, écoute avec
ravissement le nom de Chérubin que ces
braves gens acclament, le Comte, le Duc
et le Baron sont entrés)

Vive Chérubin!
 
(Ne pas suivre la déclamation qui
se terminera avec le musique)


LE DUC
(d'un air vexé)
Vive Chérubin!
Ma parole on n'entend plus que ce cri là!

LE COMTE
(froidement)
Toute la canaille raffole
de ce maudit garnement là!

LE BARON
(ironique, au Philosophe,

qui vient et qui salue)
Mes compliments, monsieur le Philosophe,

LE COMTE
Votre élève est un fier vaurien!

LE DUC
(les bras au ciel)
Dilapider ainsi son bien!

LE COMTE
C'est la ruine!
la catastrophe!

LE PHILOSOPHE
Il est généreux, voilà tout!

LE COMTE
(sèchement)
Il est fou, monsieur, il est fou!
 
(Le Comte hausse les épaules et sort.
Le Philosophe reste bouche bée)


LE BARON
(au Duc, avec mauvaise humeur)
Dire que j'ai quitté Grenade
Pour faire honneur au nouveau grade...
De ce petit hurluberlu.

LE DUC
(se moquant de lui)
C'est ta femme qui l'a voulu.

LE BARON
(d'un air contrit)
C'est ma femme qui l'a voulu!

LE DUC
(à lui-même, d'un air vexé)
Et moi... c'est ma pupille!

(à part)


Pour ce galopin...

LE BARON
(à part)
Chacune s'enflamme...
mais qu'il prenne garde...

LE DUC
... ce vrai galopin!

LE BARON
(accentué)
Le mari regarde,
le mari regarde...

LE DUC
(avec exagération)
... mais qu'il prenne garde...

LE BARON
(de même)
... et s'il se hasarde...

LE DUC
(légèrement et faisant le geste
de pourfendre)

... à toi, Chérubin!

LE BARON
(même geste que le Duc)
... à toi, Chérubin!

LE DUC
... à toi, Chérubin!

LE BARON
... à toi, Chérubin!

LE DUC et LE BARON
... à toi, Chérubin!

LE PHILOSOPHE
(à part)
Pauvre Chérubin! Pauvre Chérubin!

LE DUC
(imitant le ton du Philosophe en le
parodiant)

Pauvre Chérubin!

LE BARON
(au Philosophe sournoisement)
Mais qu'il prenne garde...

LE DUC
Ce vrai galopin...
Mais qu'il prenne garde!
à toi, Chérubin!

LE BARON
Le mari regarde... le mari regarde...
Et s'il se hasarde... à toi, Chérubin!

LE PHILOSOPHE
Pauvre Chérubin!

(avec émotion)

Chérubin,
quelle sera ta destinée en cette vie...

(Le Duc et Le Baron, en sortant: au
Philosophe, en le lardant de coups
d'épée imaginaires)


LE DUC, LE BARON
... à toi, Chérubin! à toi,
Chérubin! à toi, Chérubin!

(Ils disparaissent)

LE PHILOSOPHE
Lorsque la gloire te viendra?
Obscur, si déjà l'on t'envie,
Hélas! qui plus tard t'aimera?

NINA
(survenant, joyeuse, et
s'annonçant, vivement)
C'est moi, Philosophe!

LE PHILOSOPHE
(ravi, joignant les mains)
O destin!

(souriant)

Eh bien!

(avec une joie intime)

... la voilà ta réponse.

(changeant de ton, à Nina)

Où donc allez-vous?

NINA
(contrite)
Je renonce à le retrouver ce matin.

LE PHILOSOPHE
(malicieusement)
Nina, vous cherchez, je parie,
Ce Chérubin!

(au nom Chérubin, Nina sourit)

Ce polisson!

(au mot de polisson, Nina
a un cri de surprise indigné)

Ce garnement!

NINA
(révoltée)
Ah! c'est trop fort!

LE PHILOSOPHE
(faisant l'étonné)
Oh!

NINA
(furieuse, tenant tête au Philosophe)
Il est charmant, oui, monsieur!
Charmant et très brave.
Il n'a pas un front soucieux,
Mais faut-il déjà qu'il soit grave,
Quand la gaîté rit dans ses yeux!
Vous dites: c'est un polisson!
Mais je sais qu'il n'est que volage.
Et d'ailleurs, il aurait raison
D'avoir les défauts de son âge.
On le hait... insinuez-vous,
Prenez garde, c'est par rancune,
Car si plus d'un en est jaloux,

(avec un peu d'émotion)

C'est qu'il plaît sans doute à plus d'une.

(très chanté)

Il plaît, on ne sait pas pourquoi,
Il plaît dès qu'il dit quelque chose,
Et quand... timide... il devient coi...
Il plaît parce qu'il devient rose.

(plus chaleureux)

Puis, c'est l'ami que je défends

(plus accentué)

Et défendrai

(plus vibrant)

... plus que moi-même...

(Elle voit ce brave Philosophe
qui, ravi, lui sourit, radieuse)

Mais je me fâchais... suis-je enfant!

(Nina tombe toute émue dans les
bras du Philosophe qui l'embrasse)

Vous l'aimez!

LE PHILOSOPHE
(avec élan et affection)
Oui, je l'aime!

NINA
Vous l'aimez... autant que je l'aime!... autant!

(Les deux amis de Chérubin restant
ainsi un instant. Bruyants éclats de rire
se rapprochant peu à peu; apeurée)


Mon tuteur!

(gentil et suppliant)

Monsieur, devant lui
oubliez ce que j'ai pu dire!
 
(Elle s'enfuit. Nouveau éclats de rire
de Duc et du Baron qui arrivent tous
deux par l'escalier du parc)


LE DUC
(au fond)
C'est merveilleux!

LE BARON
C'est inouï!

LE DUC
(montrant le côté du parc
en éclatant toujours de rire)
Vraiment, c'est à mourir de rire!

 (Les voix, les rires se rapprochent
encore, puis tout à fait)


LE DUC
Non. C'est trop drôle en vérité!

LE BARON
(s'avance en riant
bruyamment; se pâmant)
Je pleure, Duc.

LE DUC
(de même)
Baron, j'en crève!

(rires)

LE PHILOSOPHE
(légèrement stupéfié)
Pourquoi donc cette hilarité?
 
(Nouveau éclats de rire)


LE DUC
(au Philosophe)
Chérubin, ce fou,...

(avec intention)

Votre élève...

(éclats de rire)

Je ris tant que j'en dois m'asseoir...

(reprenant son récit)

A fait dépêcher hier au soir
Vers Madrid, à vitesse extrême, un courrier...

(secoué par le rire)

pour que ce soir même...
Vienne mimer, danser ici, devinez qui?

LE DUC et LE BARON
(insistant)
Devinez qui?

LE PHILOSOPHE
(tremblant un peu)
Mais... j'imagine... Quelque histrion...

LE DUC et LE BARON
Non.

LE DUC
La première ballerine
Que toute l'Europe admira,

LE DUC et LE BARON
L'Ensoleillad de l'Opéra!

LE PHILOSOPHE
(ignorant)
L'Ensoleillad?

LE DUC et LE BARON
Oui!

LE BARON
(imitant l'Ensoleillad)
Celle qui danse comme on vole.

LE DUC
(de même)
Elle, Thaïs, Phyrné, Cypris,
venir ici!

(bien chanté)

Sur ma parole, Chérubin est gris.

LE BARON
Il est gris.

LE DUC
Il est gris.

CHÉRUBIN
(entre et continue joyeusement la
phrase du Duc et de Baron, épanoui)

Je suis gris.

LE DUC et LE BARON
(un peu gênés)
Lui!

LE PHILOSOPHE
(ravi)
Lui!

CHÉRUBIN
Je suis gris!

(fou de jeunesse)

Je suis ivre!
C'est le soleil qui m'a grisé,
C'est le soleil, je suis ivre!
Duc, je suis si content de vivre
Que je pourrais... vous embrasser.
J'ai dix-sept ans, cela me grise,
J'ai dix-sept ans!
Plus de tuteur! la liberté!

(avec volubilité)

Je veux faire tant de bêtises
Que vous serez épouvantés!
C'est le soleil qui m'a grisé...

(avec ravissement)

Je suis ivre!

(Il éclat de rire; avec aplomb)

Enfin, je vous le dis... en toute confidence,
Regardez ce billet! Baron! Duc! venez voir...
L'Etoile de Madrid, la reine de la Danse,
L'Ensoleillad, enfin,

(triomphant)

nous arrive ce soir!

LE DUC
(suffoquant de surprise,
de dépit et de colère)
Non! ce n'est pas vrai! c'est impossible!

LE BARON
(donnant son avis avec gravité)
Et d'abord, c'est inadmissible! grotesque!

LE DUC
(apoplectique)
C'est fou!

CHÉRUBIN
(affirmant)
C'est ainsi.
 
(Il relit avec délices le billet de l'Ensoleillad)


LE DUC
(D'une voix étouffée par la colère,
n'osant s'attaquer directement à
Chérubin, et s'adressant au
Philosophe qui ne sait que répondre)

L'Ensoleillad... danser ici...
Mais c'est inouï de bêtise!
Montrez-moi, monsieur s'il vous plaît,
Le rideau...

LE BARON
(persifleur)
La rampe...

LE DUC
(s'épongeant)
La frise...

LE BARON
Les accessoires du Ballet?

LE DUC
(Haletant, tirant à lui le Philosophe ahuri)
Pour danser le grand pas des Alcyons rebelles,
Où donc sont les portants,
où donc sont les chandelles?

LE BARON
(sceptique, retournant
le Philosophe de son côté)
Et la trappe, monsieur,
pour danser Belphégor,
Car il faut une trappe
à défaut d'un décor.

LE DUC
(congestionné, rouge, hors de lui.
Même jeu pour le Philosophe qui
virevolte et ne sait plus à quel saint
se vouer)

Et pour mimer l'étoile
éclairant les Rois Mages...

LE BARON
(à Chérubin)
Où comptez-vous, monsieur,
accrocher vos nuages?

CHÉRUBIN
(de la meilleure grâce du monde)
Oh! rassurez-vous, s'il vous plaît,
Nous n'aurons pas d'apothéose,
Point de grands pas, point de ballet,

(galamment)

Nous danserons tout autre chose.

(très rythmé; dans le vieux style)

Nous danserons, c'est bien mieux,
En dépit des modes nouvelles,
Les vieilles danses des aïeux.

(sans respirer)

Je n'en connais pas de plus belles!
Nous aurons pour décor mouvant
Le feuillage où Phœbé s'égare
Et, parmi la plainte du vent,
L'alerte chanson des guitares.
Point n'est besoin pour ces ballets
De portants, de frise ou de toiles.
Nous aurons le bois pour palais
Et pour chandelles les étoiles!
 
(Les invités de Chérubin arrivent sur la
terrasse; on les voit se saluer, se pencher

sur la balustrade pour mieux voir venir
filles et garçons du village; on entend au
loin le rythme des danses. Chérubin passe
dans les groupes, salué par les hommes,
regardé par les femmes, baisant la main
aux plus jolies)

LE DUC
(le plaignant)
Il est fou!

LE BARON
(avec compassion)
Le pauvre garçon!

LE PHILOSOPHE
(doucement)
Comme sa folie a raison!

(joyeux, à deux invités,
désignant le lointain)


Accourez voir, don Sanche! les paysans!
Ils ont leurs habits du dimanche!
Ils dansent! écoutez!

CHÉRUBIN
(allant à la Comtesse
qui vient de paraître)
Comtesse! Enfin!

LA COMTESSE
Tout doux!

CHÉRUBIN
(lui baissant les mains)
Ma marraine! je vous adore!

LA COMTESSE
(troublée)
Le Comte arrive! Taisez-vous!

CHÉRUBIN
(bas et vivement)
Non, il ne peut nous voir encore.
Tout au fond du jardin, dans le vieux saule creux
que la mousse décore j'ai glissé ce matin
une lettre où je dis combien je vous adore.

LA COMTESSE
(émue)
Une lettre!

(vivement)

Mon époux! Taisez-vous!

 (Le Comte arrive, toise Chérubin qui
lui fait un beau salut. La Comtesse

s'éloigne avec son mari)

LA BARONNE
(barrant la route à Chérubin; elle
respire des sels pour cacher son émoi)

Ca, venez!

CHÉRUBIN
(s'inclinant très bas)
Quoi, Baronne?

LA BARONNE
(avec une compassion excessive)
O petit imprudent!
Vous parlez bas à la Comtesse...
Le Comte est fort jaloux pourtant,
Je tremble pour votre jeunesse...

CHÉRUBIN
Trop bonne!
 
(La Baronne s'éloigne en poussant un petit

soupir attendri et laissant Chérubin un peu
étonné; puis, Chérubin se met à rire et court
à Nina qui paraît)

NINA
(très petite fille; à Chérubin)
Ah! Chérubin, c'est mal,
C'est mal... vous m'avez fait hier la promesse
De m'accompagner à la messe
Et l'on vous a vu à cheval!

CHÉRUBIN
(très gentil)
Hélas! c'est vrai. Je ne puis feindre.
Mais puisque j'étais loin de vous
J'ai manqué un moment très doux,
Je suis par conséquent à plaindre.
 
(Chérubin regarde si on le voit.
Comme tous les invités observent
l'arrivée des paysans, il en profite
pour essayer de prendre un baiser à la
fillette, qui l'esquive en riant et se
sauve en le menaçant gentiment
du doigt)


NINA, LA COMTESSE
LA BARONNE, LES INVITÉS
(avec plaisir)
Les paysans!

LE PHILOSOPHE, INVITÉS
(avec plaisir)
Ils vont danser!

LE DUC
(à part, désignant les paysans
qui vont paraître)

Des paysans!

LE BARON
(avec dégoût)
Des paysans!

LE PHILOSOPHE
(avec satisfaction)
Les paysans! Ils vont danser!

LE DUC et LE BARON
(vexés)
Ils vont danser!

TOUTES sauve CHÉRUBIN
Ils vont danser!
C'est amusant!

(Le Duc et le Baron, ironiques)

C'est amusant!

CHÉRUBIN
(allant vers l'escalier du parc et
s'adressant à ses vassaux; alerte,
vivant)

Venez ici, les belles filles,
Venez ici avec les gas,
Car de si loin on ne voit pas
Briller vos yeux sous vos mantilles.

 (Les gas et les filles
envahissent la terrasse)

LE PHILOSOPHE
(à part, radieux)
O mon Chérubin! O mon Chérubin!

LE DUC et LE BARON
(à part, même intention)
Des paysans! Ils vont danser!

NINA, LA COMTESSE
LA BARONNE, INVITÉS
Vive Chérubin! Vive Chérubin!

LE DUC et LE BARON
(à part, levant les épaules)
Il est notre hôte, il le faut bien!

(lugubres)


Vive Chérubin!

Fête Pastorale

NINA, LA COMTESSE
LA BARONNE, INVITÉS
(en admiration, à Chérubin)
Bravo! Bravo! Bravo! Bravo!
Bravo! Bravo! Bravo! Bravo!
C'est ravissant!
C'est ravissant!

NINA, LA COMTESSE
LA BARONNE, INVITÉS
C'est exquis!

LES INVITÉS
Adorable, cher Marquis!
C'est ravissant! Adorable! Ravissant!
 
(Les gas et les filles sortent

en menant grand bruit)

CHÉRUBIN
(à des Dames; galamment)
Pour vous
on a dressé les tables.

 (Les femmes remercient)

LE DUC et LE BARON
(à eux-mêmes, réciproquement,
très grognons)

Ce jeune homme est insupportable!

(Les Invités sortent sur un bruit joyeux
de rires et de compliments.
Musique au loin)


VOIX
(sopranos et mezzo-sopranos; au loin)
Ah! ah! ah! ah!

(De douces musiques jouent dans le
parc à l'apparition des Invités sur la
terrasse. Chérubin va s'asseoir et
s'évente de son mouchoir de dentelle)


LE PHILOSOPHE
(radieux, à lui-même)
On chante, on rit. Tous sont contents.
A cette joie, à ce printemps,
Il n'est pas d'ennui qui résiste.

(Chérubin pousse un gros soupir)

Quoi! Chérubin! Te voilà triste.

(nouveau soupir)

Tout à l'heure encor si joyeux,

(affectueux)

Pourquoi des larmes dans tes yeux...
Et pourquoi, toi, si gai, fais-tu cette grimace?

CHÉRUBIN
(avec gravité)
Ma gaîté, Philosophe. est toute à la surface.

LE PHILOSOPHE
(stupéfié)
Pourquoi, juste ciel!

CHÉRUBIN
Je ne sais!

LE PHILOSOPHE
Quoi! l'on fête ton nouveau grade,
Tu vas de succès en succès...
D'où te vient donc ce sombre accès?

CHÉRUBIN
Ah! je sens que je suis malade!

LE PHILOSOPHE
Malade? Je suis interdit!

CHÉRUBIN
Oui, j'ai peur d'une catastrophe.

LE PHILOSOPHE
D'où souffres-tu, mon cher petit?

CHÉRUBIN
(gentiment triste)
Du coeur, mon pauvre Philosophe!

(câlin, enfantin et tendre)

Philosophe, dis-moi pourquoi
Mon coeur se dérobe
Quand j'entends à côté de moi
Le bruit d'une robe.
Dis-moi pourquoi je suis troublé
Et deviens tout pâle
Quand je vois le vent soulever
Les franges d'un châle.
Dis-moi pourquoi mon pauvre coeur
Sans raison qui vaille
Pour un ruban, une faveur,
S'étonne ou défaille...
Comment peut-on pour un chiffon,
Pour un bout d'étoffe
Etre ému d'un mal si profond...

(simplement)

Mon cher Philosophe?

LE PHILOSOPHE
(avec affection et une douce tristesse)
Petit, le mal qui te dévore
Je l'ai connu, voici longtemps.
Je voudrais en souffrir encore,
Car on n'en souffre qu'à vingt ans.

(avec une infinie tendresse)

Aime ton mal, petit.
Aime ton mal, petit.
Personne ne l'éprouva sans le bénir.

(avec une exaltation progressive)

Aime ton mal!
C'est ta jeunesse qui frissonne,
C'est l'amour et c'est l'avenir!

CHÉRUBIN
(très ému, palpitant et ravi)
Ah! Philosophe! quelle chance... quelle chance...

LE PHILOSOPHE
Aime ton mal, petit,

CHÉRUBIN
L'amour! c'était là mon tourment
C'était là ma démence?

LE PHILOSOPHE
Aime ton mal, petit.
C'est ta jeunesse qui frissonne...
C'est l'amour

CHÉRUBIN
Quelle lumière brusquement!
Au diable la mélancolie!
Ah! les bonheurs que j'entrevois!

(en mêlant un peu de gaminerie
à ces élans, à cette fièvre)

... et c'est l'avenir... c'est l'avenir!!
Je veux aimer, aimer à la folie,
Je veux aimer toutes les femmes à la fois!!

LE PHILOSOPHE
(à Chérubin, essayant de le retenir;
avec une sage philosophie)
Contente-toi d'en aimer une...
C'est déjà d'un choix hasardeux.

CHÉRUBIN
(se sauvant; gaîment)
Mais déjà j'en aime au moins deux!

LE PHILOSOPHE
(Il lui lance de loin ces dernières
paroles et regarde partir Chérubin par
la terrasse, en hochant la tête)

C'est que tu n'en aimes aucune!
 
(Le Comte entre, furieux, et s'adresse
au Philosophe qui vient d'accourir au
devant de lui)


LE COMTE
(d'un ton sec et violent)
Où Chérubin se cache-t-il, le savez-vous?

LE PHILOSOPHE
(interdit et prudent)
Quoi?

LE COMTE
Si vous le savez, parlez.

LE PHILOSOPHE
Que de courroux!

LE COMTE
Parlez-vous?

LE PHILOSOPHE
Calmez, monsieur, votre colère...
Qu'a donc fait Chérubin qui puisse vous déplaire?

LE COMTE
Je veux le voir.

LE PHILOSOPHE
(hésitant)
Le voir? Puis-je à lui me substituer?

LE COMTE
Impossible, monsieur, je viens pour le tuer!

LE PHILOSOPHE
(bondissant)
Le tuer!

LE COMTE
Le gredin! Il ose se permettre
D'envoyer cette lettre...
A la Comtesse!

(vivement: apercevant la
Comtesse qui paraît avec Nina)

Pas un mot!
 
(Le Philosophe va au-devant de Nina
et reste près d'elle un peu à l'écart)


LA COMTESSE
(au Comte)
Je vous cherchais depuis tantôt...
Nous avons, nous tenant chacune par l'épaule,
Longé le bois le long des chênes...

LE COMTE
(rageur, bas à la Comtesse)
Et des saules...

LA COMTESSE
(à part)
O mon Dieu!

LE COMTE
(à la Comtesse, brusquement lui
montrant les vers de Chérubin)

Connaissez-vous ces vers?

LA COMTESSE
(très troublée)
Mais non!

(Le Philosophe et Nina
se rapprochent et écoutent)

LE COMTE
(furieux)
Mais si!

(ironique)

Le madrigal commence ainsi
«Pour celle qu'en secret j'adore!»

NINA
(à part, très émue; vivement)
Mes vers!

LE COMTE
(à la Comtesse)
Eh bien?

LA COMTESSE
Je les ignore.

LE COMTE
(violemment, bas)
Perfide, ils sont pour toi!

NINA
(très simplement)
Eh bien! non!
ces vers sont pour moi!

LE COMTE
Pour vous?

LA COMTESSE
(bas à Nina qui ne comprend pas et la
regarde avec de grands yeux étonnes)

Vous me sauvez!

LE PHILOSOPHE
(à part)
Cher ange!

LE COMTE
(à Nina)
Vous voulez me donner le change?

NINA
Mais!

LE COMTE
Comment me prouver que ces vers
sont pour vous?

NINA
(simple)
Pourquoi donc vous mettre en courroux?

LA COMTESSE
(à part, défaillante)
Je suis perdue!

LE PHILOSOPHE
(à part)
Seigneur, ayez pitié de nous!

LE COMTE
(impératif, à Nina)
Eh bien?

LE PHILOSOPHE
(au Comte, essayant de détourner
la colère du Comte)

C'est une enfant encore...

LE COMTE
(furieux)
Qui m'abusait...

NINA
(Ingénument, disant
les vers de Chérubin)
«Pour celle qu'en secret j'adore!»

(affectueusement)

Ces vers sont faits pour moi,
m'a juré Chérubin.

LA COMTESSE
(à part)
Ah! le traître, l'infâme!

LE PHILOSOPHE
(à part, les yeux au ciel)
O satané gredin!

NINA
(change doucement
la chanson de Chérubin)
«Lorsque vous n'aurez rien à faire
Mandez-moi vite auprès de vous,
Le paradis que je préfère,
C'est un coussin à vos genoux.
Vous me remarquerez à peine,
Je me garderai de parler...
Et je retiendrai mon haleine
Si mon souffle peut vous troubler.
Afin que dans mon coeur morose
L'hiver fasse place au printemps,
Je demande bien peu de chose:
Un sourire de temps en temps...
Et si c'est trop... un regard même
Suffira pour me transformer.
Car sans rien dire je vous aime
Autant qu'un être peut aimer.»

(franchement)

Vous voyez!
je connais par coeur tout le poème!

LE COMTE
(à Nina, lui remettant le billet)
Aussi je vous le rends, Nina,
Il est à vous.

(à la Comtesse)

Et vous, pardonnez-moi!
 
(Nina confuse prend le billet et sort

en causant avec le Philosophe qui
l'accompagne jusqu'à la terrasse)


LA COMTESSE
(dépitée, pendant que le Comte
s'incline en lui baisant la main; à part)

C'est la Nina qu'il aime!

LE COMTE
Mes soupçons, madame, étaient fous!
Je me repens!

LA COMTESSE
(s'éloigne, le Comte se rapproche)
Mais...

LE COMTE
Soyez bonne!

LA COMTESSE
(prenant après hésitation le bras du
Comte qui sort avec elle)

Pour cette fois, je vous pardonne!

(en sortant, à la dérobée, avec dépit)

C'est la Nina qu'il aime!

LE PHILOSOPHE
(seul, avec un tendre émoi)
C'est la Nina que tu choisis!
Ah! Chérubin! j'en suis saisi!
Moi qui craignais pour ta jeune âme,
Qui tremblais pour ton avenir,
Tu rêves d'épouser la femme
A qui je rêvais de t'unir!

 (Entre Chérubin. Il est tout animé)

CHÉRUBIN
Philosophe!

LE PHILOSOPHE
Ah! petit, viens vite!
Il faut que je te félicite;
Viens dans mes bras, je suis heureux!

CHÉRUBIN
Et moi, Philosophe...
amoureux!

LE PHILOSOPHE
Oui, je sais.

CHÉRUBIN
(étonné)
Tu sais que je l'aime?

LE PHILOSOPHE
Oui.

CHÉRUBIN
Tu l'as vue, elle?

LE PHILOSOPHE
Elle même.

CHÉRUBIN
Ah!
N'est-ce pas que c'est un être merveilleux?

LE PHILOSOPHE
Son coeur pur apparaît
au cristal de ses yeux.

CHÉRUBIN
(légèrement goguenard)
Est-il très pur?

LE PHILOSOPHE
(croyant avoir mal entendu)
Hein, quoi?

CHÉRUBIN
(ravi)
Entends ces airs allègres!
Vois, elle fait porter sa chaise
par deux nègres.

LE PHILOSOPHE
Qui de nous deux est fou?

CHÉRUBIN
Regarde, la voilà!

LE PHILOSOPHE
Comment, tu n'es donc pas amoureux de Nina?

CHÉRUBIN
(surpris)
Moi?

LE PHILOSOPHE
De qui donc alors?

(Montrant le cortège de l'Ensoleillad,
que l'on aperçoit à présent)


CHÉRUBIN
(fier, enthousiaste)
Vois! Cela se devine!
J'aime l'Ensoleillad!

LE PHILOSOPHE
(épouvanté)
Non!

CHÉRUBIN
(triomphant)
Si!

(Il envoie un baiser à l'Ensoleillad qui
passe dans sa chaise à porteurs et qui
lui sourit)


LE PHILOSOPHE
(accablé)
Bonté divine!
 

 
 
DUEXIÈME  ACTE 



(La grade cour-jardin d'une vieille et
importante posada à l'enseigne: "Bon

gîte contre bon argent." Des voyageurs,
des voyageuses crient, tempêtent contre
l'Aubergiste, contre les valets et les
servantes de l'auberge)

TOUS LES VOYAGEURS
(à tue-tête)
Une chambre!

LES SERVANTES
(à tue-tête)
Rien!

TOUS LES VOYAGEURS
Une chambre!

LES SERVANTES
Rien!

L'AUBERGISTE
(à tue-tête)
Je vous dis que tout est pris.

TOUS LES VOYAGEURS
Une chambre! Une chambre!
à n'importe quel prix!

L'AUBERGISTE
Rien! Je vous dis que tout est pris. Rien!

LES SERVANTES
On vous dit que tout est pris.

TOUS LES VOYAGEURS
... à n'importe quel prix!
Une chambre! une chambre!
une chambre!
à n'importe quel prix!

L'AUBERGISTE
Toute est pris! tout est
pris! toute est pris!
Puis qu'on vous dit que tout es pris!

LE SERVANTES
Tout est pris! tout est pris!
tout est pris!
Puis qu'on vous dit que tout est pris!

TOUS LES VOYAGEUSES
(à l'Aubergiste, d'un air menaçant)
Sur son enseigne on n'inscrit pas
«Bon gîte contre bon argent!»
Quand on ne peut loger les gens!

LES VOYAGEURS
(de même)
Sur son enseigne on n'inscrit pas
«Bon gîte contre bon argent!»
Quand on ne peut loger les gens!

L'AUBERGISTE
(apoplectique)
Ah! pas tant de désinvolture!
Vous n'êtes pas nobles , ma foi!
C'est demain grand bal chez le Roi!
Allez coucher dans vos voitures.

TOUS LES VOYAGEURS
(rageuses exclamations
des voyageurs)

Ah!

L'AUBERGISTE
Et n'abîmez pas mon jardin!

TOUS LES VOYAGEURS
(tous, exaspérés)
Butor! gredin!

Qu'on le bâtonne, qu'on le tue!
Misérable!

L'AUBERGISTE
(très bousculé par les voyageurs)
A moi, mes gens! dehors, plébéienne cohue!

LES SERVANTES
Dehors! Dehors! Dehors! Dehors!

TOUS LES VOYAGEURS
Butor! Butor!

Gredin! Gredin! Misérable!

LES SERVANTES
Dehors! Dehors!

TOUS LES VOYAGEURS
(tout, en hurlant)
Non! Non!

(Les Valets et les Servantes, à coups de

broches, de balais etc... chassent ces
forcenés dehors. - Cris, tumulte. La
Comtesse et La Baronne paraissent)

LA COMTESSE
Ah! Baronne! Enfin, c'est ici.

LA BARONNE
Je n'en puis plus, chère Comtesse.

L'AUBERGISTE
(à part)
Comtesse, Baronne!!

(avec suffisance)


... ah! voici les gens que j'aime, la Noblesse!!

(s'avançant et saluant)


Mesdames, mon respect
me prosterne à vos pieds.

LA BARONNE
(à l'Aubergiste lui coupant la parole)
Où sont nos chambres?

LA COMTESSE
Nos époux ont dû, je suppose,
Retenir nos appartements?

L'AUBERGISTE
(empressé)
Oui, deux appartements charmants;
L'un est tout bleu,
l'autre est tout rose,
Que vos grâces lèvent les yeux... C'est là.

LA COMTESSE
(regardant avec son face à main)
Ce balcon du milieu?

LA BARONNE
(prétentieuse, sentimentale)
Où s'enchevêtrent des glycines...

L'AUBERGISTE
Non... les deux fenêtres voisines...

Là...

LA COMTESSE
(sursautant)
Une lucarne!

LA BARONNE
(horrifiée)
Un oeil de boeuf!

L'AUBERGISTE
Le mobilier en est tout neuf.

LA BARONNE
C'est affreux!

LA COMTESSE
Horrible!

LA BARONNE
Lugubre!

L'AUBERGISTE
(faisant l'article)
C'est au Midi, c'est très salubre.

LA COMTESSE
(ultra nerveuse)
Nous choisir ces taudis!
nos maris étaient gris!

(d'un air décidé)


J'arrête l'autre chambre à n'importe quel prix!

L'AUBERGISTE
C'est impossible.

LA COMTESSE
Ah! ça, bélître.

ignores-tu mon rang?

LA BARONNE
Mon titre?

L'AUBERGISTE
(tout en s'inclinant)
Ah! fussiez-vous princesses de Bagdad,
Je vous refuserais.

LA COMTESSE
La colère me gagne.
Manant!

Loges-tu donc ce soir le roi d'Espagne?

L'AUBERGISTE
(avec mystère)
Le roi, non...

Mais qui sait... la Reine?
L’Ensoleillad!!

LA COMTESSE
La danseuse!

LA BARONNE
Une fille!

LA COMTESSE
Ah! j'étouffe!

LA BARONNE
J'enrage!

LA COMTESSE
J'étouffe!

LA BARONNE
J'enrage!

L'AUBERGISTE
(survenant)
Quel est ce bruit?

LE COMTESSE
(au Comte avec agitation)
Monsieur, c'est un indigne outrage!

LA BARONNE
(renchérissant)
A quoi donc sert notre vertu?

LA COMTESSE
(de même)
A quoi donc sert notre noblesse?
Si par l'aplomb d'une drôlesse

LA BARONNE
Si par l'aplomb d'un drôlesse

LE COMTE
(effrayé)
Chut!

LE BARON
(qui est entré avec

le Comte, de même)
Chut!

LA BARONNE, LA COMTESSE
Notre prestige est abattu!
A quoi donc sert notre vertu!!

LE COMTE, LE BARON, L'AUBERGISTE
(tous trois avec mystère et frayeur)
Chut! Chut! parlez tout bas!

LA COMTESSE, LA BARONNE
... notre vertu!

LE COMTE, LE BARON, L'AUBERGISTE
Chut!
parlez tout bas!

LE COMTE
La prudence vous le commande.

LA COMTESSE, LA BARONNE
Pourquoi?

LE BARON
(en confidence)
Vous ne savez donc pas qu'ici

LE COMTE, LE BARON, L'AUBERGISTE
C'est le Roi qui la commande.

LE DUC
(survenant)
Holà!
quelqu'un!

LA COMTESSE, LA BARONNE
Le Duc!

LE DUC
(à la Comtesse, à la Baronne)
Mesdames!

(Il leur baise la main;

au Comte, au Baron)

Messieurs, le devoir vous réclame;
Le Roi reçoit dans un moment.

LE COMTE, LE BARON
Nous partons.

(Le Comte et le Baron s'inclinent les
domestiques les aident à s'apprêter)


LE DUC
(mystérieusement à l'Aubergiste)
Cet appartement?

L'AUBERGISTE
(montrant la fenêtre du balcon)
Le voilà!

LE DUC
(à l'Aubergiste)
C'est bien...

La personne vous arrivera d'ici peu...
 
(Il remet des pièces d'or à l'Aubergiste)


L'AUBERGISTE
(saluant très bas)
Que votre Seigneurerie est bonne...

LE DUC
Adieu, Mesdames!

LE COMTESSE, LE BARONNE
(font leur plus belle révérence)
Duc, adieu!
 
(Le Duc, le Comte et le Baron sortent)


LE CAPITAINE RICARDO

6 MANOLAS et 6 OFFICIERS
(Au loin, et se rapprochant peu à peu, la
voix des officiers et de leurs petites amies)
Le vin rend gai, l'amour rend fou,

L'AUBERGISTE
(allant aussitôt regarder au dehors)
Voici les officiers.
 
(Il frappe dans ses mains; servantes et
valets arrivent apportant des tables, etc)


RICARDO
Vive Bacchus!

RICARDO, MANOLAS, OFFICIERS
Vive Cythère!
Sur terre on vit très peu de temps.

RICARDO
Il faut donc s'amuser,

RICARDO, MANOLAS et OFFICIERS
Il faut donc s'amuser beaucoup!
 
(La troupe joyeuse envahit

le jardin de la posada)

MANOLAS
(sopranos, en criant)
Des gâteaux! Des gâteaux!
 
(Officiers et Manolas s'installent
s'embrassent; rires et cris)


OFFICIERS
(ténors, s'exclamant)
Pas ce vin là! non!

LA COMTESSE
(à l'Aubergiste)
Quelles sont ces femmes?

L'AUBERGISTE
Des filles de plaisir.

LA BARONNE
(entraînant la Comtesse
vers la posada)
Cette auberge est infâme.

RICARDO, MANOLAS et OFFICIERS
Le vin rend gai,
l'amour rend fou.

RICARDO
C'est moi, Ricardo, qui régale!

L'AUBERGISTE
Holà!
à ces seigneurs versez
de mon vieux vin Manzanille.
 
(Nouvelles exclamations joyeuses)


MANOLAS
(réclamant, à tue-tête)
Des gâteaux!

RICARDO
(à l'Aubergiste; avant de boire

et montrant son verre plein)
Est-il très bon?

L'AUBERGISTE
(n'osant pas trop s'avancer)
Il est meilleur.

MANOLAS, OFFICIERS
(en joie)
Sur terre on vit très peu de temps!

RICARDO
(très cavalièrement à l'Aubergiste)
Si tout n'est pas très fin, hôtelier,
on t'étrille.
Apprends donc que dans un moment
Nous allons tous fêter,

Avec ces belles filles,
Un nouveau compagnon, cornette au régiment!

L'AUBERGISTE
(s'éloignant)
Vous serez satisfait.
 
(Les Manolas arrangent leurs coiffures;

tapotent leurs robes tout en causant)

UNE FILLE
Quel âge a ce cornette?

RICARDO
(négligemment)
Je ne sais pas!

UNE AUTRE FILLE
Vingt ans?

UN AUTRE
Trente ans?

UN AUTRE
Blond?

UNE AUTRE
Beau garçon?

UNE AUTRE
Ses titres?

LA 1re
... son pays?

LA 2de
... son rang?

RICARDO
Que de sornettes!
 
(Enlaçant la taille d'une belle fille: Pepa)


Pensez à nous,

Qu'il aille au diable!

DEUX OFFICIERS
Il a raison!

QUATRE AUTRES OFFICIERS
Il a raison!

TOUTES MANOLAS
(se récriant)
Mais nous sommes ici pour fêter sa venue!

CHÉRUBIN
(apparaissant sur

le seuil de la posada)
Camarades, et vous, beautés, je vous salue!

RICARDO, OFFICIERS
(stupéfiés)
C'est lui! c'est lui! qu'il est petit! qu'il est petit!

TOUTES LES MANOLAS
(surprises)
C'est lui! c'est lui!

Qu'il est gentil! qu'il est mignon!

RICARDO
Mon sabre est plus haut que son corps!

UN TRÈS GRAND OFFICIER
(basse ou baryton - grosse voix)
Il nous arrive à la ceinture!

RICARDO, MANOLAS, OFFICIERS
... qu'il est petit!

CHÉRUBIN
(se mordant les lèvres, arrive
crânement sur eux)

Je ne suis pas grand, mais... tout doux...
Vous verrez que sous la mitraille
Je saurai redresser la taille,
Et qu'à la première bataille
Je paraîtrai plus grand que vous!

LES MANOLAS
(applaudissant Chérubin)
Bravo! Bravo! Bravo! Bravo!
 
(Chérubin embrasse et

lutine une des filles, Pepa)

LES OFFICIERS
(furieux)
Comment, il embrasse... il caresse...

RICARDO
(furieux)
Ma maîtresse! Il a besoin d'une leçon!

(s'avançant)


Çà, deux mots, mon jeune garçon!

CHÉRUBIN
(a frémi sous cette interpellation)
Je suis à vos ordres, brave homme!

RICARDO
(suffoqué)
Brave homme!

Il veut que je l'assomme!

CHÉRUBIN
(il met la main à son épée)
Assommez-moi, si vous l'osez!

LES MANOLAS
(avec transport)
Bravo!
Bravo!

RICARDO

(hors de lui)
L'audace est sans pareille!

(à Chérubin)


Si je vous vois encor donner un seul baiser
Je vais vous couper les oreilles!
 
(Il met la main à son épée;

Chérubin l'arrête du geste)

CHÉRUBIN
(à Ricardo, gentiment)
Ne mettez pas flamberge au vent
Pour chaque baiser que je donne,
Vous vous battriez trop souvent!

RICARDO
(à ses amis, montrant Chérubin)
Il raille encor!

CHÉRUBIN
(reprenant)
Mais si vous tentez ce destin
Vous vous battrez comme respire.
Vous vous battrez soir et matin

(sans respirer)


Et la nuit! Car la nuit m'inspire!

(d'un petit air rageur)


Vous vous battrez à l'infini,
Vous en aurez crampes et fièvres!

(très souriant et moqueur)


On voit moins d'abeilles au nid
Que je n'ai de baisers aux lèvres!

RICARDO
(dégaînant)
Battons-nous donc!

CHÉRUBIN
(avec son plus fin sourire)
C'est entendu!
 
(Les Valets accourent et ouvrent la
grande porte de fond. On aperçoit une
jeune femme très élégante descendre
d'un carrosse. Elle a un loup)


LES MANOLAS
(à Ricardo, à Chérubin, aux Officiers)
L'arme au fourreau.

Le duel est défendu!

CHÉRUBIN
(observant les mouvements

de la jeune femme)
Quelle taille! et quel fin visage!

(aux Manolas)

Mesdames, livrez-moi passage,
Je vais l'embrasser sous son loup.
 
(L'Ensoleillad masquée, entre,
suivie de ses femmes)


LES MANOLAS
(à Chérubin)
Vous la connaissez?

CHÉRUBIN
(lestement)
Pas du tout!
 
(Chérubin embrasse L'Ensoleillad sur
le cou; surprise, elle retire son masque.

Chérubin stupéfié reconnait L'Ensoleillad)

L'ENSOLEILLAD
(à Chérubin)
C'est vous?

CHÉRUBIN
C'est vous!

(pliant le genou et lui baissant la main)


Ah! j'ai l'âme marrie,
Me pardonnerez vous jamais ma brusquerie!

L'ENSOLEILLAD
(lui faisant signe de se relever)
En effet, le baiser fut brusque et mal donné!

(tendant la joue)


Faites mieux, cette fois, vous serez pardonné!
 
(Au milieu des acclamations et des
rires des Manolas, Chérubin embrasse
du bout des lèvres Ensoleillad)


RICARDO
(à Chérubin, s'impatientant)
Monsieur, je vous attends.

CHÉRUBIN
(dégaînant)
En garde!

L'ENSOLEILLAD
(voulant l'arrêter)
Comment! Un duel! vous êtes fou!

CHÉRUBIN
Un bon ange me garde
Puisque je me bats devant vous.

(aux Manolas; simple et galant)

Daignez ici prendre vos aises.

(aux Serviteurs)


Servantes, valets, quelques chaises...
 
(Les Officiers installent les dames afin
qu'elles soient bien placées pour
assister au duel; pendant ce temps les
violons arrivent)


LE TRÈS GRAND OFFICIER
Voici les violons mandés pour le festin.

RICARDO
(nerveux)
Renvoyez-les.

CHÉRUBIN
(très gai)
Du tout,
battons-nous en musique!

RICARDO
Renvoyez-les,
c'est enfantin!

CHÉRUBIN
Non, qu'ils entrent!

L'ENSOLEILLAD
(lui envoyant un baiser et une rose)
C'est héroïque!

RICARDO
(à Chérubin)
Etes-vous bientôt prêt
Car la main me picote.

CHÉRUBIN
(à L'Ensoleillad, ayant

ramassé la rose)
Vos pieds n'ont pas de tabouret.

(à Ricardo)

J'y suis!

(aux violons)


Messieurs!

(Il lance aux musiciens une bourse
pleine; puis il met la rose de
l'Ensoleillad à sa bouche et tombe en
garde. Les violons se hâtent de s'accorder)


Une gavotte!
 
(Le duel commence)


L'ENSOLEILLAD
J'ai peur!

RICARDO
A toi!

CHÉRUBIN
(parlé)
Manqué!

L'ENSOLEILLAD
(se cachant la tête
derrière son éventail)
Mon Dieu!

LES MANOLAS
(à deux)
J'ai chaud!

D'AUTRES
J'ai froid!

L'ENSOLEILLAD
Seigneur! Je tremble!

LES MANOLAS
(petit cri d'effroi)
Ah!

CHÉRUBIN
(aux musiciens, tout en se battant)
…ça, messieurs de l'archet, voyons...
un peu d'ensemble!!
 
(L'Aubergiste accourt avec Le
Philosophe. Cri des filles; à cette reprise

Chérubin est près d'être touché.
L'Ensoleillad s'évanouit on l'entoure)

LE PHILOSOPHE
(éploré)
Un duel!

L'AUBERGISTE
Un duel! chez moi!

(criant)

Alguazils!

(à ce mot, grand tohu-bohu)

alguazils!!

CHÉRUBIN
(tenant l'Aubergiste par le cou)
Tais-toi! tais-toi!
 
(Chérubin lâche l'Aubergiste pour
courir aux pieds de l'Ensoleillad
évanouie)


LES MANOLAS et LES OFFICIERS
Quelle algarade!

RICARDO
(apercevant Chérubin aux pieds
de l'Ensoleillad)

Mais... que fait-il encor?

LES OFFICIERS
(calmant Ricardo)
Du calme, camarade!

LE PHILOSOPHE
(affolé; au capitaine Ricardo)
Quoi! vous vouliez j'en suis tremblant,
Tuer cet enfant là...

RICARDO
(furieux)
Dites: cet insolent!

(tremblant de colère)

Embrasser Pepa, ma maîtresse;
C'est un outrage.

LE PHILOSOPHE
(indulgent)
Une caresse!

RICARDO
Il l'offensa!

LE PHILOSOPHE
(rectifiant)
Il l'embrassa.

RICARDO
C'est une insulte, sur mon âme!

LE PHILOSOPHE
Ah!

(avec vivacité)

comme l'on voit bien que vous n'êtes pas femme!

(Tout cette scène avec agitation,
émotion tendre, et chaleur sans cesse
grandissante, très larmoyant)


Songez, monsieur, que l'on est au printemps...
Que la fille est jolie
et qu'il a dix-sept ans!

(avec émotion et agitation)

Dix-sept ans!
c'est un coeur que l'amour illumine.
On rêve... on chante... on rit... on veut mourir,...
Et l'on est malheureux de ne pouvoir souffrir...

(chaleureux)

Et l'âme se fleurit comme l'herbe au printemps!
Songez donc! dix-sept ans!
Songez donc! dix-sept ans!
Dix-sept ans!

(avec des larmes)

dix-sept ans!!

RICARDO
(ému, prenant les mains du
Philosophe)

Ah! vous avez raison!

L'AUBERGISTE
(accourant, s'épongeant le front tout
en regardant l'Ensoleillad qui sourit à
Chérubin)

Quel discrédit pour ma maison!

CHÉRUBIN
(allant vers Ricardo)
A nous!

RICARDO
(bon enfant, tendant la main
à Chérubin)

Ta main!

L'AUBERGISTE
(désespéré de ce qui arrive)
L'Ensoleillad évanouie!

LES MANOLAS, OFFICIERS
C'était l'Ensoleillad!

L'AUBERGISTE
(avec la voix brisée par l'émotion)
Messieurs! j'avais l'honneur...
de recevoir chez moi... L'Ensoleillad...
mandée au Palais... par le Roi!

RICARDO, MANOLAS, OFFICIERS
Par le Roi!
 
(Le temps que Chérubin est de
nouveau avec l'Ensoleillad, Le
Philosophe en profite pour jeter le
trouble en l'âme des assistants)


LE PHILOSOPHE
Si le Roi connaît cette affaire
Nous sommes tous perdus...

RICARDO, L'AUBERGISTE
MANOLAS, OFFICIERS
(Tous, effrayés et entre eux)
Si le Roi connaît cette affaire
Nous sommes tous perdus!
Que faire?

L'ENSOLEILLAD
(arrivant en s'éventant, toute

gracieuse et provocante)
Bah! messieurs, c'est tout arrangé.
Vous parlez de péril de crime,
Mais on ne s'est pas égorgé;
Ce duel n'était qu'un jeu d'escrime.

(Le Philosophe ravi, rentre dans la

posada en soufflant et en s'épongeant.
Une coupe de champagne à la main,
avec crânerie et désinvolture)


Plus de soucis, de la gaîté!
Ah! buvons
pour que la joie en nos âmes renaisse!
Filles, buvez à la jeunesse!

(éclatant de rire et d'ivresse)


Ah! Garçons, buvez, buvez à la beauté! à la

(caressant)


beauté!

(tendre et amoureux)

Je bois à vox amants, je bois à vos maîtresses,
Je bois aux coeurs heureux,
aux coeurs brisé...
amis!: Je bois à toutes les caresses,
Et je bois à tous les baisers!
Oui! je bois à tous les baisers!
Je bois aux baisers, aux caresses...
à tous les baisers!

CHÉRUBIN, RICARDO,
MANOLAS, OFFICIERS

(Les Manolas et les Officiers,
avec une joie enthousiaste)
A l'Ensoleillad! à l'Ensoleillad!
à la Reine de l'amour et de la beauté!!

L'ENSOLEILLAD
Je bois à la beauté!!

(entourée de tous ces jeunes
gens et des belles filles)

Soit, j'accepte la Royauté,
Mais puisque je suis souveraine,
A l'endroit du duel, ici même,
J'ouvre le bal!
Me suit qui m'aime!

(très marqué et saccadé)

La! La! La!

(l'Ensoleillad danse la manila)" 

TOUS
(dans un grand élan)
Brava!

(cri prolongé) 

L'AUBERGISTE
(accourant)
Madame, en votre appartement
votre poudreuse est préparée.

CHÉRUBIN
(avec chagrin)
Vous partez?

RICARDO, MANOLAS, OFFICIERS
(désolés)
Vous partez?

L'ENSOLEILLAD
(avec mélancolie)
Les meilleurs moments ont, hélas,
le moins de durée!

CHÉRUBIN, RICARDO,
MANOLAS, OFFICIERS

Vous partez?

L'ENSOLEILLAD
Adieu, adieu, ma petite cour,
Un destin plus grand loin de vous m'entraîne,
Mais dans un palais quand je serai Reine
Je regretterai ce règne d'un jour!
Adieu! ma petite cour! adieu!

CHÉRUBIN, RICARDO,
MANOLAS, OFFICIERS

Adieu, notre Reine d'un jour! adieu!

L'ENSOLEILLAD
(à Chérubin avant de disparaître)
J'espère vous revoir.

CHÉRUBIN
(très amoureux)
Ah! combien je vous aime!
 
(L'Ensoleillad disparaît)


LES OFFICIERS
(à Chérubin, avant de partir)
Au revoir, camarade, à demain!

RICARDO
(à Chérubin)
Mon estime est pour vous extrême,
Serrons-nous à nouveau la main.

LES OFFICIERS
(cordial)
Au revoir, camarade, à demain!

CHÉRUBIN
(aux amis qui s'éloignent)
Le vin rend gai, l'amour rend fou!
Vive Bacchus!

MANOLAS, OFFICIERS
(en disparaissent)
Vive Cythère!

CHÉRUBIN
Sur terre on vit très peu de temps!

MANOLAS, OFFICIERS
(assez loin)
Il faut donc s'amuser...

CHÉRUBIN
Il faut donc s'amuser beaucoup!
 
(Le crépuscule commence à tomber)


OFFICIERS
(très loin)
Le vin rend gai, l'amour rend fou!
Vive Bacchus!

LE PHILOSOPHE
(qui vient d'entrer et écoute les
voix qui s'atténuent; à chérubin)
Médite sur ceci, Chérubin, et prends garde...

CHÉRUBIN
(nerveux, lui coupant la parole)
Laisse-moi, tu bavardes!

LE PHILOSOPHE
(saisi)
Qu'as-tu donc?

CHÉRUBIN
Je me tiens à quatre
Pour ne pas, toi, te provoquer!

LE PHILOSOPHE
Comment, moi?

CHÉRUBIN
J'ai failli me battre
Et mon premier duel est manqué.

LE PHILOSOPHE
(anéanti)
Quoi! c'est cela qui te tracasse;
Vraiment, c'est à désespérer.

CHÉRUBIN
(regardant la fenêtre de
l'Ensoleillad qui s'est éclairée)
L'Ensoleillad devant sa glace
Doit en ce moment se parer

LE PHILOSOPHE
(inquiet)
Viens donc!

CHÉRUBIN
Non!
 
(Durant que Chérubin va et vient
cherchant à apercevoir l'Ensoleillad, le
Philosophe le suit tout en parlant; et
Chérubin lui répond de façon très
distraite)


LE PHILOSOPHE
Le Duc te déteste,
Et le Comte demeure ici.

CHÉRUBIN
(sur la point des pieds)
Raison de plus pour que je reste;
Je verrai ma marraine aussi.

LE PHILOSOPHE
Songe au péril qui t'environne.

CHÉRUBIN
Me prends-tu donc pour un poltron?

LE PHILOSOPHE
(de plus en plus agité)
Cette fenêtre est au baron.

CHÉRUBIN
Bravo! je verrai la baronne!

LE PHILOSOPHE
Mais choisis-en une à la fois.

CHÉRUBIN
(le plus gravement de monde)
Je voudrais bien, je ne peux pas.

LE PHILOSOPHE
Il les aime par ribambelles!

CHÉRUBIN
(s'arrêtant enfin pour éclairer une
bonne fois l'esprit de son vieux maître)

Je ne peux me fixer,
les femmes sont trop belles!
Une femme! Une Femme!

(très caressant et animé)

Ce mot me rend tout attendri...
Il me parfume l'âme!

(sans respirer)

Une femme!
Ce mot, c'est mon mot favori,
quel doux mot: une femme!
De soupirer ce nom,
je ne puis me lasser... ce nom,
ce nom est une ivresse!
Une femme!
Quel mot charmant à prononcer...
Quelle caresse...
Et je ne puis choisir.
Chacune tour à tour
Me met le coeur en flamme!

(caressant)

Et je tombe à l'instant amoureux de l'amour...
Dès que passe une femme!

LE PHILOSOPHE
Pour élève,
un tel garnement!

CHÉRUBIN
(au Philosophe,
lestement en s'éloignant)
Voilà ton châtiment!

(se dressant sur la pointe des pieds
vers la fenêtre de l'Ensoleillad)


Ah! lui parler!

LE PHILOSOPHE
(l'adjurant affectueusement)
Petit, recule...
l'Ensoleillad voit chaque jour
Les plus fins roués de la Cour
Et tu vas être ridicule!

CHÉRUBIN
Je reste.

LE PHILOSOPHE
Pourquoi t'obstiner?

CHÉRUBIN
(d'un air frondeur et décidé)
Parce que... toi,

(vivement)

tu m'as donné des conseils que je tiens à suivre.

LE PHILOSOPHE
Moi! Dieu puissant!
J'étais donc gris.

CHÉRUBIN
(avec un grand sérieux)
Philosophe, vous étiez ivre!

LE PHILOSOPHE
(consterné)
Juste ciel! Et que t'ai-je appris?

CHÉRUBIN
(doctoral)
Tu m'as dit:

(léger, vif, avec volubilité)

Si tu veux séduire
Beaucoup de femmes ici-bas voici
comme il faut te conduire...

LE PHILOSOPHE
(qui vient de sursauter, l'interrompant)
Doux Jésus!

CHÉRUBIN
(avec un sentiment de
prière dans la voix)
Ah!

(subitement, observant que la
fenêtre de l'Ensoleillad va s'ouvrir)

Va-t'en!

LE PHILOSOPHE
Mais non, il ne faut pas.

CHÉRUBIN
(vivement cette fois)
Mais va-t'en donc?

LE PHILOSOPHE
(sortant accablé)
Mea culpa!!
 
(L'Ensoleillad paraît derrière

son balcon en fer forgé)

L'ENSOLEILLAD
Qui parle dans la nuit confuse?
Quelle est l'ombre sur le gazon?

CHÉRUBIN
(bas)
Soyons naïf et vous, ma muse,
Inspirez-moi quelque chanson.

L'ENSOLEILLAD
(éclairée par la
lumière de sa chambre)
La lune en nappe d'or s'étale
La brise est tiède comme un bain...
La nuit me rend sentimentale.

CHÉRUBIN
(à part)
Sois poitrinaire, Chérubin.

(Il chante en s'accompagnant sur

son épée en guise de guitare)

Madame! J'ai vingt ans à peine
Et je suis un adolescent;

(sans respirer)


Mais j'ai tant d'amour et de peine
Que déjà je suis languissant...
Le baiser, ma lèvre l'ignore,
Tous mes rêves sont orphelins,
Et je suis très naïf encore.

L'ENSOLEILLAD
(avec un intérêt légèrement railleur)
Vous vous en vantez?

CHÉRUBIN
Je m'en plains!

L'ENSOLEILLAD
Pauvre enfant! Il a l'air sincère!

(Elle réfléchit une seConde et recule

doucement vers la chambre où elle
disparaîtra en disant)

Il ne faut pas vous désoler...
Je descends pour vous consoler!
 
(La lune éclaire tout le jardin)


CHÉRUBIN
(subitement ému et tremblant)
Ici l'Ensoleillad!
Nous serons seuls ensemble!!
Mon Dieu!
c'est pour de vrai que cette fois je tremble...

(Paraît l'Ensoleillad; un moment
d'émotion, puis d'une voix tremblante)


Ensoleillad!

(Il conduit l'Ensoleillad vers le

banc et la regarde avec extase)

Là! près de moi?

L'ENSOLEILLAD
Enfant!

CHÉRUBIN
..que vous êtes jolie!!

(sincèrement ému)


Hélas! Ensoleillad!
 
(un silence)


L'ENSOLEILLAD

(lié et caressant)
Pourquoi ces grands yeux de
mélancolie?

CHÉRUBIN
(des larmes dans la voix)
Vous partez demain...
 
(Souriante, essuyant avec son fin mouchoir

de dentelles les larmes de Chérubin)

L'ENSOLEILLAD
Pas ce soir.

CHÉRUBIN
(très malheureux)
Mais je ne dois plus vous revoir...
Et bientôt qui sait, demain même...
Vous m'oublierez...

(très ému)

Le Roi vous aime.

L'ENSOLEILLAD
(amoureuse et avec élan)
Qu'importe demain et tout l'avenir!

(avec une infinie tendresse)

Mon âme te parle

(plus bas)

et ton coeur m'écoute.
Rêve que ce soir ne doit plus finir...

(avec abandon)

Puisque pour un soir
je t'appartiens toute.
Admire la nuit.
La lune ce soir a tant de clarté
Qu'un oiseau surpris
croyant voir l'aurore
Au bord de son nid s'est mis à chanter.
Ecoute, le bois tout entier s'éveille...
Ecoute...
Le vent tout bas, nous souffle à l'oreille:
Amants trop bavards,
hâtez-vous d'aimer!

CHÉRUBIN
Ton âme me parle...

L'ENSOLEILLAD et CHÉRUBIN
...et mon coeur l'écoute...
Rêvons que ce soir ne doit plus finir.
Ah! qu'importe demain! et tout l'avenir!
Puisque tu [je] t'[m]) appartiens toute,
toute!

L'ENSOLEILLAD
(très amoureusement)
Je t'appartiens toute...
Je t'appartiens toute...
 
(La lune se voile)


CHÉRUBIN
Toute!

L'ENSOLEILLAD et CHÉRUBIN
(dans le bois)
Toute!
 
(Enlacés, les deux amoureux

s'éloignent dans le bois..)

LE COMTE
(paraissant à la petite porte charretière
qu'il referme soigneusement derrière lui)

Eh bien?

LE DUC
(à la porte de l'auberge)
Personne?

LE BARON
(à la porte des appartements)
Non, personne!

LE DUC
(pendant que le Comte

et le Baron inspectent)
Le Comtesse, ni la Baronne
Ce soir ne me donnent d'effroi.
Si je tremble c'est pour le Roi! pour le Roi!

LE COMTE
Plaçons-nous.

LE DUC
Plaçons-nous.

LE BARON
Plaçons-nous.

LE DUC
Je veille à la porte.

LE BARON
Moi, je surveille le verger.

LE COMTE
Je surveilles les couloirs.

LE DUC
De la sorte nous conjurerons le danger.
Soyons adroits!

LE COMTE
Soyons prudents!

LE BARON
Soyons adroits!

LE DUC, LE COMTE et LE BARON
... tandis que tout repose...
Veillons! Veillons!

LE DUC
Et bien que vous soyez en cause,
Mes amis, ne pensez qu'au Roi!

LE COMTE
... et soyons adroits!

LE BARON
... et soyons prudents!
 
(Pendant que le Duc, le Comte et le
Baron vont au fond se consulter,
l'Ensoleillad et Chérubin paraissent à
l'orée du bois)


CHÉRUBIN
(amoureusement)
Ensoleillad!

L'ENSOLEILLAD
(très effrayée, apercevant

les trois hommes)
J'ai peur! Ils sont là!

CHÉRUBIN
(regardant, puis en

prenant vite son parti)
Ma Mésange!
Je vais les dépister
en leur donnant le change.
Fais un détour... par le sentier. Là!

(Il l'embrasse, goguenard)


A fin chasseur plus fin gibier!!!

(Elle s'esquive et rentre furtivement
dans la posada. Chérubin disparaît au
moment où les trois hommes se
séparent. On entend la voix de
Chérubin)


Lorsque vous n'aurez rien à faire
 
(les trois hommes revenant

vite les uns près des autres)

LE DUC, LE COMTE, BARON
Chérubin! c'est lui!

CHÉRUBIN
Mandez-moi vite auprès de vous...

LE BARON
D'ici, la voix sort...

LE DUC
Il se tait...

LE VOIX DE CHÉRUBIN
Ah!

LE COMTE
Non!

LE DUC
Il chante encor!

LE BARON
Il chant encor!

LE VOIX DE CHÉRUBIN
(comme plus loin)
Le paradis que je préfère
c'est un coussin à vos genoux!

LE DUC, LE COMTE et LE BARON
Le scélérat est dans le bois...
Nous le tenons bien cette fois.
 
(L'Ensoleillad inquiète paraît à son
balcon; on entend la voix des trois
hommes criant: Taïaut)


L'ENSOLEILLAD
Taïaut

(émue)


Je les entends à sa poursuite...
Mais Chérubin se moque deux.
Hélas, le bonheur passe vite,

(lié et caressant)


Nous étions si bien
seuls tous les deux!
Ses lèvres cherchaient mes lèvres
dans l'ombre...

(chaleureux)

Chérubin! reviens! ah! reviens!

LE VOIX DE CHÉRUBIN
Je suis là!

L'ENSOLEILLAD
(regardant en vain)
Chérubin!

CHÉRUBIN
(toujours invisible)
J'ai dépisté la meute.

(en riant)

Le Duc jure si fort
Que la forêt s'ameute.

L'ENSOLEILLAD
Mais... je ne te vois pas...
Où donc te caches-tu?

CHÉRUBIN
(apparaissant à califourchon
sur le mur)
J'y suis!

L'ENSOLEILLAD
Ciel!
sur le mur!

CHÉRUBIN
(en se préparant à descendre)
Aïe!

L'ENSOLEILLAD
Qu'as-tu?

CHÉRUBIN
(il descend par le treillage)
Non! j'ai mal!

L'ENSOLEILLAD
Où donc?

CHÉRUBIN
(continuant sa dégringolade)
Pas à l'oreille.
Car je m'étais assis
sur un fond de bouteille.

L'ENSOLEILLAD
(amusée et joyeuse)
Prends garde!

CHÉRUBIN
(sautant à terre)
Je descends!

(Il prend une échelle et l'applique
contre le balcon de l'Ensoleillad.
Chérubin grimpe et se trouve aussitôt
en haut de l'échelle; s'il ne peut
pénétrer chez l'Ensoleillad. Gaîment)


Mais c'est pour mieux monter!

L'ENSOLEILLAD
Ah! mon Dieu!

CHÉRUBIN
(il parvient, à travers les barreaux du
balcon fermé, à enlacer son amie;

triomphant)
Me voilà!

L'ENSOLEILLAD
Chérubin!!

CHÉRUBIN
Ma beauté!
 
(Ils s'étreignent. La lune

les caresse d'un grand rayon)

L'ENSOLEILLAD
(avec élan)
Amour! amour!

(sempre appassionate)

quand tu t'en mêles,
Les jaloux peuvent sur venir;
Les amants qu'on veut désunir...

CHÉRUBIN
Tu les rapproches d'un coup d'aile.

(avec élan)

Amour! amour!

(sempre appassionate)

entends ma voix;

L'ENSOLEILLAD
Phoebé luit trop sur nos visages,

CHÉRUBIN
Les jaloux vont nous voir du bois...

L'ENSOLEILLAD
Cache la lune...
Cache la lune d'un nuage.
 
(La lune s'obscurcit)


CHÉRUBIN
(joyeux)
Miracle! Eros répond...
Et Phoebé s'obscurcit!!

L'ENSOLEILLAD et CHÉRUBIN
Eros, Dieu d'allégresse, Eros!
O toi qui fais mourir
d'une main qui caresse...
Divin Eros, Eros merci!
 
(Tout à coup les jalousies des fenêtres
de la Baronne et de la Comtesse se
soulèvent)


L'ENSOLEILLAD
(effrayée)
Du bruit, descends.
 
(Ils se laisse glisser en bas de
l'échelle... L'Ensoleillad s'est sauvée
un instant dans sa chambre)


LA COMTESSE
(de la fenêtre)
Qui va là?

CHÉRUBIN
(à part)
Ma marraine!

LA BARONNE
(apparaissant de même)
Qui parle?

CHÉRUBIN
(à part)
Seigneur, l'autre aussi!

(vivement à la Baronne)

C'est moi!

LA COMTESSE
Quoi?

CHÉRUBIN
(à la Comtesse)
C'est moi!

LA COMTESSE
(très bas)
Vous ici!

L'ENSOLEILLAD
(revenant)
Parlez plus haut, j'entends à peine!

LE COMTESSE et LA BARONNE
Imprudent!

L'ENSOLEILLAD
Quoi?

(surprise d'entendre plusieurs voix)

qui chuchotte ainsi?

LA COMTESSE et LA BARONNE
(surprises d'entendre plusieurs voix)
... qui chuchotte ainsi?

CHÉRUBIN
(cherchant une défaite)
C'est le vent!!

L'ENSOLEILLAD, COMTESSE
LA BARONNE
Quoi?

CHÉRUBIN
Chut! Puisque de si loin
on ne peut s'embrasser,
Puisqu'on ne peut parler,

(tendre)

lancez-moi quelque gage...
J'implore un souvenir
à défaut d'un baiser.

L'ENSOLEILLAD, LA COMTESSE
et LA BARONNE
Ah! comment vous résister, beau page!

LA BARONNE
(lui lançant un bouquet)
Tiens!

L'ENSOLEILLAD
(lui lançant sa jarretière)
Tiens!

LA COMTESSE
(lui lançant un ruban de son cou)
Tiens!

CHÉRUBIN
(ravi, attrapant les trois gages,
puis les pressant contre son coeur)
Ah! le bon tour!
Je suis tout mitraillé d'amour!

L'ENSOLEILLAD
(effrayée)
Le Duc!
 
(Chaque fenêtre se ferme brusquement

après chaque exclamation)

LA BARONNE
(effarée)
Le Baron!

LA COMTESSE
(craintive)
Le Comte!
 
(Chérubin, pour apercevoir

l'ennemi, grimpe sur l'échelle)

LE BARON
(arrivant, une lanterne à la main)
Il est pris!

LE DUC
Cernons le jardin!

LE COMTE
C'est un scandale!

LE DUC
Une honte!
 
(Chérubin dégringole au milieu d'eux trois.

Il jette devant lui l'échelle, et, goguenard,
provocant, les attend les bras croisés)

LE BARON
Bandit!

LE DUC
Gredin!
 
(Les trois hommes sont exaspérés)


LE COMTE
(dans une colère froide)
D'où venez-vous?

LE DUC
(avec explosion)
De quelle chambre?

LE COMTE
(désignant la chambre de la
Comtesse, à part)

Vient-il d'ici?

LE BARON
(montrant la chambre de la Baronne;
à part)

Vient-il de là?

LE DUC, LE COMTE et LE BARON
Réponds! Réponds!

CHÉRUBIN
(leur éclatant de rire au nez)
Tra la la la la la la!!

LE DUC, LE COMTE, LE BARON
Réponds! Réponds!

CHÉRUBIN
Je m'amuse!

Je m'amuse!

LE BARON
(en levant sa lanterne vers Chérubin)
Ce bouquet est à ma femme!

LE COMTE
(trépidant de rage concentrée)
Ce ruban à la Comtesse!

LE DUC
(avec explosion)
Sa jarretière!!

CHÉRUBIN
Je m'amuse!

Je m'amuse!

LE DUC
(se découvrant)
Pauvre Roi!

LE COMTE
Ce ruban!

LE BARON
Ce bouquet!

LE DUC
Rendez la jarretière!

LE BARON
(dégaînant)
Rendez!

LE DUC
(dégaînant)
Rendez!

LE COMTE
(dégaînant)
…ou c'est la mort! la mort! la mort!

LE DUC
(roulant des yeux terribles)
…avec le cimetière!

LE BARON
...avec le cimetière!
 
(Tous les trois chargeant Chérubin
avec des cris féroces)


CHÉRUBIN
Jamais! Jamais! Jamais!

LE DUC, LE COMTE, LE BARON
Tiens! Tiens! Tiens!
Tiens! Tiens! Tiens! Tiens!
 
(Chérubin tient tête aux trois
énergumènes, mais, aux cris arrivent
aussitôt l'Aubergiste affolé et Le
Philosophe éploré)


L'AUBERGISTE
(accourant affolé)
Alguazils!! alguazils!!

LE DUC, LE COMTE et LE BARON
Tiens! Tiens!

LE PHILOSOPHE
(éploré)
Trois duels! ah! mon pauvre garçon!
Trois duels! Trois duels!


(On sonne la cloche. Le duel s'est
arrêté - la porte charretière est ouverte la
cour de la posada est envahie par une
foule de serviteurs - avec torches et
lanternes - de servantes, de passants, de
voyageurs et voyageuses réveillés en
sursaut, qui paraissent dans leurs
costume de nuit)

L'AUBERGISTE, LES SERVANTES

LES VALET, LES VOYAGEUSES
et LES VOYAGEURS
Quel scandale! Quel scandale!
Quel scandale!

LE DUC
Je tuerai demain ce garçon!
Le Roi me donnera raison!
Le Roi me donnera raison!

LE COMTE et LE BARON
Ma femme aimer ce polisson!
Ah! quelle indigne trahison!
Ah! quelle indigne trahison!


CHÉRUBIN
Tra la la! Tra la la!
Je m'amuse!

Je m'amuse!
 
(paraît le Corrégidor suive d'Alguazils)


LES SERVITEURS
(annonçant à tue-tête)
Le Corrégidor!!

LE BARON
(se jette sur le Corrégidor;
à part, avec effarement)

Gardez-vous qu'on le soupçonne;
Mais avec la Comtesse il est bien!

LE COMTE
(même, jeu)
Ah! monsieur, n'en parlez a personne
Il vient de chez l'Ensoleillad!

(de l'autre côté)


Chut! n'en dites rien!

LE BARON
(de l'autre côté)
Chut! n'en dites rien!
n'en dites rien! rien!

LE DUC
(même, jeu)
Il vient de chez la Baronne, chut!
mais au Baronne n'en dites rien!

L'AUBERGISTE, SERVANTES
, VALETS
Pour la maison quel scandale!
Le patron en perdra la raison!
 
(Les trois fenêtres se sont ouvertes,
les trois femmes sont apparues)


LE DUC, LE COMTE et LE BARON
Chut! n'en dites rien!
 
(Les trois femmes à leurs fenêtres)


L'ENSOLEILLAD
(éplorée, à part)
Trois duels à la fois!
Ils le tueront!

LA COMTESSE, LA BARONNE
(à part)
Ils le tueront!

LE PHILOSOPHE
Trois duels à la fois!
Ils le tueront! mon Dieu! O mon Dieu!
O mon Dieu! O mon Dieu!

CHÉRUBIN
Tra la la la la la la la la la!
Je suis gai comme un pinson!
Zon! zon! zon!
Ah! que je m'amuse! la la!
Quelle nuit! Je m'amuse! la! la!

L'AUBERGISTE, SERVANTES
LES VALETS et LA FOULE
Quel scandale! Quel scandale!

L'ENSOLEILLAD, LA COMTESSE
LA BARONNE
Pauvre garçon! Ils le tueront!

LE DUC, LE COMTE et LE BARON
Voyez, il rit! voyez, il rit!
Je tuerai demain ce garçon!

L'ENSOLEILLAD
Hélas! Hélas!

LA COMTESSE et LA BARONNE
C'en est fait! Ils le tueront!
C'en est fait! Ils le tueront!

L'AUBERGISTE, SERVANTES
LES VALETS,  LA FOULE
Quel scandale! Pour la maison!

LE PHILOSOPHE
Mon Dieu!
Il a trois duels!

DUC, COMTE, BARON
Le Roi me donnera raison!

LE DUC
Oui, je tuerai ce garçon!

LE COMTE et LE BARON
Quelle indigne trahison!

LE COMTE
(à Chérubin; très catégorique)
Demain, je vous tuerai!

L'AUBERGISTE, LES SERVANTES,
LES VALETS et LA FOULE

Quel scandale pour la maison!
Quel scandale pour la maison! Ah!

L'ENSOLEILLAD, LA COMTESSE
LA BARONNE
Ah! Ah! mon Dieu!

LE PHILOSOPHE
Mon Dieu! Mon Dieu! Ah!

LE DUC, LE COMTE, LE BARON
A mort! A mort! Ah!
 

CHÉRUBIN
Tra la la!
Tra la la!
Tra la la!
 
(Sur un signe du Corrégidor les
alguazils entourent et arrêtent le Duc,
le Comte et le Baron qui protestent et
se démènent comme des fous furieux.
Les trois femmes s'évanouissent,
chacune à son balcon. cris tumulte

indescriptible) 

 
 
ACTE  TROISIÈME


(
Le patio pittoresque de la même posada
espagnole. Un escalier de bois conduit à
la galerie du premier étage; à droite, des
lauriers roses et des grenadiers dans des
jarres forment un coin printanier au
milieu Duquel Chérubin, accoudé sur une
table, écrit silencieusement. Le Philosophe
paraît: il s'avance discrètement du côté de
Chérubin et l'observe sans en être aperçu)

LE PHILOSOPHE
(doucement)
Chérubin!

CHÉRUBIN
(continuant à écrire et

presque sans lever la tête)
Un moment!

LE PHILOSOPHE
(doucement)
Chérubin!

(intrigué)


Qu'écris-tu là?

CHÉRUBIN
(de belle humeur)
Mon testament!

J'ai trois duels!

LE PHILOSOPHE
(estomaqué)
Malheureux!

CHÉRUBIN
(un peu songeur, mais

cependant frivole)
Ah! je soupire un peu...

(assez légèrement)


Mais je n'ai pas l'âme morose...
J'ai toujours vu la vie en bleu;

(au mot de «mort» le pauvre
Philosophe devient tout pâle)


La mort... je veux la voir en rose.

(Il lit son testament)


Si je reçois un coup de dague,
Si ce soir je dois trépasser,
A Nina je donne ma bague...
Pour être un peu son fiancé.
A l'Ensoleillad rose et brune,
Dont l'amour un soir m'a grisé,
Je donne toute ma fortune,
Et c'est bien peu pour son baiser.

(avec émotion)


A mon seul ami...

(le Philosophe désespéré lui fait signe
qu'il ne voudrait rien entendre)


... j'abandonne
Mes bois et mon manoir.
Je lui fis du chagrin par fois...
Mais je sais bien qu'il me pardonne!
 
(à ces mots, le Philosophe, qui
sanglote, se jette dans les bras de
Chérubin)


LE PHILOSOPHE
(très ému)
Mourir!

Quand on a cet air radieux!
Quand l'amour rayonne en ses yeux!

(hors de lui)


Mourir quand l'amour rayonne en ses yeux,
Mourir quand la vie en son coeur s'éveille,
Mourir quand on a cet air radieux,

CHÉRUBIN
Que dis-tu?

LE PHILOSOPHE
Mourir quand on a des couleurs pareilles!
Mourir! Mourir!

(violemment ému)


Mourir!

CHÉRUBIN
Que dis-tu?

LE PHILOSOPHE
(enragé)
Que ta mort serait abominable!
Non! tu ne mourras point, par le diable!

CHÉRUBIN
(amusé)
Il jure!

LE PHILOSOPHE
(transfiguré)
En garde!

CHÉRUBIN
Pourquoi donc?

LE PHILOSOPHE
(confidentiel)
Je veux t'apprendre un coup de maître.

CHÉRUBIN
(s'amusant beaucoup)
Tu t'es donc battu?

LE PHILOSOPHE
(se confessant)
Comme un reître.

CHÉRUBIN
Toi si sage!
 
(Le Philosophe s'armant d'une lardoire
lui donne une leçon d'escrime)


LE PHILOSOPHE
A ton espadon!
Je simule un contre de quarte,
En sixte, en quarte,
En sixte, encor,
Ton fer veut passer, je l'écarte,
Battez, dégagez.

(Il se fend)

Tu es mort!

CHÉRUBIN
(enthousiasmé)
Bravo! Superbe!

L'AUBERGISTE
(revenant du dehors)
Un duel encor! Alguazils! Alguazils! 

CHÉRUBIN
Tais-toi butor!
Ce n'était qu'un jeu!
 
(l'Aubergiste sort)


LE PHILOSOPHE
(apparaissent la Comtesse et
La Baronne)

La Comtesse!

CHÉRUBIN
Et la Baronne.

LA BARONNE
(à la Comtesse)
De l'adresse.

LA COMTESSE
(à la Baronne)
Du calme!

CHÉRUBIN
(au Philosophe, à part)
Quel air courroucé!

LE PHILOSOPHE
(à Chérubin, à part)
Qui fait des fautes les supporte.

CHÉRUBIN
Va faire le guet à la porte!

(Le Philosophe sort. Très ennuyé,
voyant venir à lui les deux femmes,
à lui-même)

Ah! quel moment je vais passer!

(aux deux femmes)

Je tombe aux pieds de tant de grâce!
 
(Les deux femmes très

irritées, très nerveuses)

LA COMTESSE, LA BARONNE
Pas de grands mots!
Et pas de phrases!

CHÉRUBIN
Mais...

LA COMTESSE, LA BARONNE
(sèchement et impératif)
Répondez-nous... la vérité!
la vérité! la vérité!
Pour qui chantez-vous donc, beau page,
cette nuit?

CHÉRUBIN
(embarrassé)
Cette nuit?

LA COMTESSE, LA BARONNE
(après s'être consultées en confidence)
Pourquoi demandez-vous des gages?
Cette nuit?

CHÉRUBIN
Cette nuit?

LA COMTESSE, LA BARONNE
(toutes les deux avec irritation et fermeté)
Le vérité, voyons, Monsieur, la vérité!

CHÉRUBIN
(commençant à en avoir assez)
Eh bien, tant pis!
Hier j'ai chanté...

LA COMTESSE
(soupirant)
Pour moi?

LA BARONNE
(de même)
Pour moi?

CHÉRUBIN
(un peu confus)
Non... pour une autre!

LA COMTESSE, LA BARONNE
(ayant tout deviné, furieuses,
exaspérées)

L'Ensoleillad!

LE PHILOSOPHE
(arrivant vivement)
Vos maris!
 
(Il s'esquive aussitôt)


LE COMTESSE
(à part)
Bien!
 
(Le Comte et le Baron s'arrêtent en
voyant leurs femmes causer avec
Chérubin. Celles-ci feignent d'ignorer
la présence de messieurs leurs maris
et accablent Chérubin qui souffre mille
morts)


LA COMTESSE
(haut, en redoublant de colère vis à vis
de Chérubin et paraissant très

amoureuse quand il s'agit de son mari)
Vous me compromettiez aux yeux
d'un époux que j'adore!

LA BARONNE
(même jeu, plus outrée encore)
Vous chantiez pour l'Ensoleillad
Et mon pauvre mari, oui,
Mon mari l'ignore!

LE BARON
(pris au jeu, au Comte)
Les entendez-vous?

CHÉRUBIN
(à part, exaspéré)
Les pécores!

LA BARONNE
Enfin, répondez...

LA COMTESSE
Est-ce vrai, répondez?

(bas à Chérubin)

Répondez ou vous me perdez...

CHÉRUBIN
(tremblant de rage, mais voulant
malgré tout disculper les deux
femmes)

C'est vrai! c'est vrai!

LE BARON
(accourant vers sa femme qui
semble stupéfiée de le trouver là;
avec expansion)
Chère femme adorée!

LA BARONNE
(jouant l'étonnement)
Vous!

LE COMTE
(même jeu que le Baron)
Femme aimée!

LA COMTESSE
(même jeu que la Baronne,
mais avec plus de hauteur)
Ah! c'est vous!

CHÉRUBIN
(trépignant de rage devant
cette double comédie)
Les perfides! les perfides!

LE COMTE
(bas à sa femme)
Pardonnez-moi!

LE BARON
(doucement à la sienne)
Pardonnez-nous!

CHÉRUBIN
(n'en pouvant plus, se tournant vers
les deux hommes; très décidé)

Nos duels tiennent toujours,
j'espère?

LA BARONNE
(insolente)
Vous dites?

LA COMTESSE
(persiflante et méprisante)
Un duel?
Pourquoi faire?

LA BARONNE
(de même)
Il perd la tête ce garçon!

LA COMTESSE
(railleuse)
Il devient fou!

CHÉRUBIN
(anxieux)
Que signifie?

LA COMTESSE
(même ton)
Il faut une raison
Pour exposer sa vie!

LA COMTESSE, LA BARONNE
Pour un duel
il faut un outrage,
Or l'outrage n'existe plus!

CHÉRUBIN
(avec colère)
Que signifie!

LA COMTESSE, LA BARONNE
Quittez ces grands airs superflus,
Ils conviennent mal votre âge!

LE COMTE, LE BARON
(railleurs)
Tous mes regrets, mon jeune enfant!

LE COMTE
Tous mes regrets...

LE BARON
Adieu, petit.

CHÉRUBIN
(bondissant sous l'insulte)
Je vous défends!

LA COMTESSE et LA BARONNE
(éclatant de rire se moquant de lui)
Il vous défend!

(en manière de raillerie,
à leurs cher maris)


Oh! prenez garde!
 
(Tous remontent pour s'éloigner)


CHÉRUBIN
(outré, hors de lui)
Ah! les coquines! les pendardes!
Me font-elles assez souffrir!

LE COMTE
(en se retournant)
Tous mes regrets...

LE BARON
(de même)
Adieu, petit.

LA COMTESSE, LA BARONNE
(de même)
Adieu, petit.

CHÉRUBIN
(très nerveux - éclatant - emporté)
Ah! ne pas même pouvoir mourir!

(On voit arriver le Duc, envoyé
de Roi, entouré d'officiers, de
seigneurs et de pages)

Ah! le Duc! au moins lui!
 
(Il se précipite vers le Duc)


LE DUC
(très important; à haute
voix à la foule qui accourt)
Arrière! au nom du Roi!

(à l'Aubergiste, haletant)

A l'Ensoleillad hâte-toi
De porter ce royal message.

CHÉRUBIN
(frappé, à part)
L'Ensoleillad!

L'AUBERGISTE
(à la foule qui envahit l
e patio, à tue-tête)
Rangez-vous tous! livrez passage
A la chaise à porteurs du Roi!
 
(Il se hâte de gravir l'escalier qui
même chez l'Ensoleillad. Des

musiciens (guitaristes, mandolinistes)
ont aussitôt grimpé l'escalier et
donnent une aubade à l'Ensoleillad,
devant sa porte, au 1er étage.
La
foule écoute avec ravissement.
Chérubin est seul, à part, très ému)

L'ENSOLEILLAD
(On entend la voix de l'Ensoleillad

qui se marie avec les instruments)
Vive amour qui rêve, embrase et fuit!
Vive amour qui meurt en une nuit!
Pleurez donc damoiselles,
Mais des larmes frivoles!
Pleurez donc damoiselles,
Mais des larmes frivoles!

CHÉRUBIN
(à part, très ému)
Vers elle tout mon coeur m'entraîne!
Pendant un soir, l'éternité,
Je fus le roi de cette reine!
Ce fut à moi tant de beauté!
 
(L'Ensoleillad apparaît éclairée par un
coup de soleil radieux; elle reprend le
chant de l'aubade, tout en restant
immobile près de la porte ouverte)


L'ENSOLEILLAD
(à pleine voix)
Vive amour qui rêve, embrase et fuit!
Vive amour qui meurt en une nuit!
Si l'amour a des ailes,
C'est afin qu'il s'envole!
Si l'amour a des ailes,
C'est afin qu'il s'envole!
Si l'amour a des ailes
C'est afin qu'ils s'envole!

LA FOULE
(extasiée)
L'Ensoleillad est reine par la beauté!

L'ENSOLEILLAD
Ah!
 
(L'Ensoleillad va s'avancer, mais,
devant l'attitude de Chérubin elle
s'arrête... interdite)


CHÉRUBIN
(à l'Ensoleillad, fou

de désespoir et d'amour)
Par pitié! Ne pars pas!
Ah! que ton coeur m'écoute!
Tu m'as dit: Je t'appartiens toute!
Tu m'as dit: Ce soir ne doit plus finir!

(déchirant)


Qu'importe
demain et tout l'avenir!
Ah!
 
(L'Ensoleillad descend lentement, les
yeux fixés sur Chérubin tout palpitant;
parvenue au bas de l'escalier, faisant
effort pour dissimuler son émotion et,
ne pouvant reconnaître Chérubin en
un pareil moment, elle s'adresse à la
foule en le désignant)


L'ENSOLEILLAD
Quel est-il?

CHÉRUBIN
(brisé)
O mon Dieu!

LE DUC et LA FOULE
(Tous à Chérubin)
Impudent! qu'il recule!
Place aux gens de Sa Majesté!
 
(L'Ensoleiilade est montée dans sa
chaise; la foule l'acclame pendant
qu'elle s'éloigne, laissant Chérubin
éperdue et pleurant dans les bras du
Philosophe qui vient d'entrer tout
ému)


LA FOULE
(unies)
L'Ensoleillad est deux fois reine
Par la faveur et la beauté!
Par la beauté!
Adieu!
 
(Tous s'inclinent. Sortie générale)
 

(pause) 

CHÉRUBIN
(abattu, au Philosophe qui le
berce dans comme un enfant)
Ton amitié me reste seule...
Et je n'ai plus que toi...
L'amour même, je le déteste,
On a flétri ce que j'aimais.

LE PHILOSOPHE
(affectueux)
C'est ton premier chagrin, en somme,
Bénis-Ie s'il t'a transformé;

(très ému)

Tu viens de souffrir comme un homme,
Te voilà digne enfin d'aimer.

CHÉRUBIN
(avec amertume)
Je ne veux plus aimer jamais...
Mon âme désormais a trop de dégoût...
Je ne veux plus aimer jamais...

(violent)

La femme est vile, elle est infâme!

LE PHILOSOPHE
(avec une philosophie
douce et consolante)
Ne plus aimer jamais!
Pourquoi, petit, tant de rancoeur?
Ne plus aimer jamais!
C'est bien à tort que tu t'irrites...
A coeur léger fille sans coeur...
On a les femmes qu'on mérite!
Petit! Attends la femme pleine de douceur
Qui console dans l'infortune,
Chacun de nous en connaît une...
Attends de l'avoir rencontrée...
Tu verras, petit, tu verras!

CHÉRUBIN
(sincère, résolu)
Ah! jamais je n'ai tant désiré

(palpitant et nerveux)

Une épaule pour y pleurer,
Un bras qui me soutienne!

LE PHILOSOPHE
Tu verras, petit, tu verras!

CHÉRUBIN
Qu'elle vienne!

LE PHILOSOPHE
...attends!!

CHÉRUBIN
(avec un tendre élan)
J'attends!!
 
(On a entendu le roulement

d'une voiture puis quelques
doux tintements de sonnailles)

LE PHILOSOPHE
(apercevant la Nina encore
invisible; lentement)
Et quand Eliézer vit Rebecca paraître,
Il dit: Mon Dieu,
Voici la femme de mon maître.
 
(Il sort doucement au moment où Nina
apparaît au seuil de la posada. Elle
est dans ses vêtements de deuil)


CHÉRUBIN
(ému, troublé, courant à Nina)
Nina!

NINA
(tremblante et s'arrêtant interdite)
Chérubin!

CHÉRUBIN
En voiles de deuil!
Pourquoi si pâle et si changée...
Et pourquoi dans tout votre accueil
Cette douceur découragée?

NINA
(doucement, sans
méchanceté, ni rancoeur)
Las! est-ce à vous de l'ignorer?

CHÉRUBIN
(l'attirant dans le coin fleuri
du patio de la posada)
Nina! mon coeur tremble et s'étonne...
C'est moi qui vous fis tant pleurer?
 

NINA
(très simple)
Je ne pleure plus...
Demain j'abandonne
Le monde et les miens,

Car j'entre au couvent.
Voici vos vers... Je vous pardonne...
J'y croyais... J'étais une enfant...
J'ai dû vous paraître un peu bête.
J'ai cru, vous voyant plein d'émoi,
Que j'avais fait votre conquête
Et que ces vers étaient pour moi...
J'ai dû vous paraître un peu bête.
Quand vous veniez auprès de moi...
Mon coeur me montait à la tête...
Je tremblais... je ne sais pourquoi,
Mais je perdais un peu la tête...
Quand vous veniez auprès de moi.

(à mi-voix)


Et maintenant... que je m'apprête
A vous quitter,

(émue)


j'ai tant d'émoi...
Que mon courage est en défaite...

(simple)

Adieu, adieu... demain j'entre en retraite.
Je vous aimais! oubliez-moi! oubliez-moi!

(regardant Chérubin)

Vous pleurez?

CHÉRUBIN
(des larmes plein les yeux)
Nina!

NINA
(très émue)
Quoi, tu pleures?

CHÉRUBIN
Ces larmes là sont meilleures
Que tout les vains plaisirs
Qu'autrefois j'ai connus.

NINA
(palpitante)
Tu n'as plus ton rire moqueur!

CHÉRUBIN
(ravi)
Un sourire plus beau s'éveille
Dans mon coeur.

NINA
(dans une progression d'émotion)
Quoi, tu ne railles pas?
Ta tendresse est profonde?

CHÉRUBIN
Avec des yeux nouveaux
Je regarde le monde!
Viens! ma Nina! viens!
ma Nina! viens!
tout contre moi.

NINA
(vaincue, confiante, amoureuse)
Mon Chérubin, je crois en toi!

CHÉRUBIN
Je n'avais de l'amour compris
Que la caresse...

NINA et CHÉRUBIN
Aimer, sentir, souffrir,
ces mots sont une ivresse!
Aimer, sentir, souffrir,
ces mots sont une ivresse!
 

NINA
Mon Chérubin, je crois en toi!
Je crois en toi!
Mon Chérubin, je crois en toi!
Toujours à toi!

CHÉRUBIN
Viens contre moi, tout contre moi!
Tout contre moi!
O Nina! viens tout contre moi?
Je crois en toi!
 
(Au moment où Chérubin et Nina sont
encore enlacés, revient le Duc avec le
Philosophe et les officiers qui devaient
être témoins dans le duel. Ils portent des

épées de combat sous le bras)

LE DUC
(Suffoqué, en apercevant sa
pupille dans les bras de ce
petit gredin de Chérubin)
Dans ses bras, ma pupille!
O rage!
ô triple rage! 

RICARDO
(se tordant de rire)
Quel gaillard!

LE DUC
(hors de lui)
A qui s'en prendra-t'il demain!

CHÉRUBIN
(s'inclinant devant le Duc, ébahi)
Ce n'est pas un nouvel outrage,
La Nina m'accorde sa main.
 
(La Nina va supplier son tuteur qui
semble lui dire: «Pauvre fille»!)


RICARDO
(goguenard, à Chérubin)
Tu parles mariage...
Quoi, tu sonnes déjà la retraite à ton âge?

CHÉRUBIN
(radieux, frappant sur
l'épaule de Ricardo)
La retraite! Allons donc.

(Cloches lointaines. Souriant et doux)

Dans ce lever du jour
Ecoute le clocher qui s'éveille et résonne...
Ecoute, ce n'est pas la retraite qui sonne...
C'est la diane pour l'éveil de notre amour!

LE PHILOSOPHE
(bas à Chérubin en apercevant le ruban
de la Comtesse qui sort de son habit)
Ces gages, jette-les.
Nina doit te suffire!

CHÉRUBIN
(après un mouvement d'hésitation, ne
pouvant se décider à se dessaisir des
gages d'amour, avec en sourire
indéfinissable, il renfonce le ruban; parlé)

Bah!!

(courant à Nina qui a conquis son tuteur
et le plus ingénument du monde; parlé)

Nina, je t'aime!

RICARDO
(regardant Chérubin et joyeusement)
C'est Don Juan!

LE PHILOSOPHE
(pensif, regardant Nina)
C'est Elvire!
 

ACTO  PRIMERO


(Una sala  que se abre al fondo sobre la
terraza del castillo. Terminación de una
escalera que sube desde el parque. Todos
los sirvientes del castillo, hombres y mujeres,

rodean a Jacobo, el preceptor de Querubín,
apodado el Filósofo, que este momento los
está
arengando)

EL FILÓSOFO
(en voz alta)
¡Sirvientes!

3 SERVIDORES
(3 sopranos)
¡Aquí estamos!

EL FILÓSOFO
¡Criadas y lavanderas!

3 OTROS SERVIDORES
(3 mezzo-sopranos)
¡Aquí estamos!

EL FILÓSOFO
¡Camareros, mozos, cocineros!

3 SERVIDORES
(3 bajos, con voz gruesa)
¡Aquí estamos!

EL FILÓSOFO
¡Panaderas y queseras!

6 SERVIDORES
¡Aquí! ¡Aquí! ¡Aquí! ¡Aquí!

EL FILÓSOFO
¡Cocineros con triple barba!
¿Qué habéis preparado para celebrar al señor?
Porque Querubín ya no es un paje
de cabellos rubios.


(altivo)

Lleva ceñida desde ayer,
con más habilidad que un veterano,
la espada de cero que golpea en sus talones.
 
SERVIDORES
¡Viva! ¡Viva! ¡Viva! ¡Viva!

EL FILÓSOFO
(galantemente)
En un momento llegará Querubín.

SERVIDORES
(alegres)
¡En un momento aparecerá Querubín!
¡Viva! ¡Viva! ¡Viva! ¡Viva!

EL FILÓSOFO
¡Pongámonos de acuerdo!
Organicémonos antes
que lleguen los invitados.
¡Organicémonos!

SERVIDORES
(muy atareados)
Antes de que lleguen
todos sus invitados.
¡Ya está! ¡Ya está! ¡Listo! ¡Listo!

(3 bajos, con locuacidad)

Pavas, pavos y pavitas
dan vueltas en nuestros asadores.

(3 tenores, con locuacidad)

Y el fuego de los hornos
los doran como los bollos.

(6 criadas, repitiendo con locuacidad)

¡Los doran como los bollos!

SIRVIENTES
¡Los doran como los bollos! ¡Como bollos!
Los hemos rayado, colado,
deshuesado, enharinado y despiezado
a lo largo y a lo ancho.
 
SIRVIENTAS
En nuestras cocinas
enfriamos doscientos sorbetes...
¡Y mil garrapiñadas!
Doscientos sorbetes...
¡Mil garrapiñadas!
¡Doscientos sorbetes,
y mil garrapiñadas!

EL FILÓSOFO
(quien, por un momento,
se ha tapado los oídos)
¡Silencio! ¡Me estáis dejando sordo!
¡Me estáis sofocando!

CORO
(cada vez más excitados)
¡Y el parque está como un salón!
¡Sí! ¡El parque está como un salón!
Nos hemos esforzado mucho,

EL FILÓSOFO
¡Silencio! ¡Ay de mí!

SERVIDORES
Preparamos todo,
pavos y pavitas.
¡Como bollos!¡Bollos! ¡Bollos!
¡Todo está listo!¡Listo! ¡Listo!

EL FILÓSOFO
¡Me estáis sofocando! ¡Me estáis sofocando!

(Tratando de gritar más fuerte

para ser escuchado por todos)

¡Compañeros, mis buenos compañeros!
¿Conocéis la otra razón por la que estamos aquí?
Para festejar que Querubín
hoy ha recibido sus primeros galones.
Nuestro joven señor, a todos los presentes,
quiere rendir un generoso homenaje:
¡a los sirvientes se les duplicará su salario!

SERVIDORES
(con deleite)
¡Ah!

EL FILÓSOFO
¡Y dejará de cobrar a los campesinos
un año de diezmos y rentas!

SERVIDORES
(Con alegría delirante)
¡Viva! ¡Viva! ¡Querubín! ¡Querubín!

(se alejan gritando)


¡Viva Querubín!

(Los gritos se atenúan en la distancia)

¡Viva Querubín!

(Los gritos disminuyen y el Filósofo,

en la terraza, escucha con placer
el nombre de Querubín, a quien
todos aclaman. Mientras, el Conde,
el Duque y el Barón han entrado)

¡Viva Querubín!

(Las aclamaciones se apagan
juntamente con la música)


DUQUE
(exasperado)
¡Viva Querubín!
¡Diablos, no se escucha más que eso!

CONDE
(fríamente)
¡Toda la chusma está enloquecida
por ese maldito tunante!

EL BARON
(Irónico, al Filósofo, que
viene y los saluda)
Mis felicitaciones, señor Filósofo.

CONDE
¡Su alumno es un granuja vanidoso!

DUQUE
(elevando los brazos al cielo)
¡Dilapidar su fortuna de ese modo!

CONDE
¡Es la ruina!
¡Un desastre!

EL FILÓSOFO
¡Es generoso, eso es todo!

CONDE
(exaltándose)
¡Está loco, señor, está loco!
 
(el Conde se encoge de hombros y se va,
el Filósofo permanece callado)


BARÓN
(al Duque, con mal humor)
Pensar que he dejado Granada
para venir a celebrar el nuevo rango...
de ese pequeño demente.

DUQUE
(burlándose de él)
Fue tu esposa quien lo quiso.

BARÓN
(con un aire contrito)
¡Es mi esposa quien lo ha querido!

DUQUE
(para sí, irritado)
Y yo... ¡es mi pupilo!

(aparte)

Por ese sinvergüenza...

BARÓN
(aparte)
Cualquiera se enardece...
pero que tenga cuidado...

DUQUE
... ese verdadero sinvergüenza!

BARÓN
(enfatizando)
El marido observa,
el marido observa...

DUQUE
(con exageración)
... pero que tenga cuidado...

BARÓN
(igualmente)
... y si se pasa de la raya...

DUQUE
(en voz baja y haciendo
el gesto de matarlo)
¡A ti, Querubín!

BARÓN
(haciendo el mismo gesto que el Duque)
¡A ti, Querubín!

DUQUE
¡A ti, Querubín!

BARÓN
¡A ti, Querubín!

DUQUE, BARÓN
¡A ti, Querubín!

EL FILÓSOFO
(aparte)
¡Pobre Querubín! ¡Pobre Querubín!

DUQUE
(imitando el tono del
Filósofo y parodiándolo)
¡Pobre Querubín!

BARÓN
(al Filósofo con sorna)
Pero que tenga cuidado...

DUQUE
Ese verdadero sinvergüenza...
¡Pero que tenga cuidado!
¡A ti, Querubín!

BARÓN
El marido observa... observa...
y si se extralimita... ¡A ti, Querubín!

EL FILÓSOFO
¡Pobre Querubín!

(con emoción)

Querubín,
¿cuál será tu destino en esta vida?...

(el Duque y el Barón, saliendo,
amenazan al Filósofo, con imaginarios
golpes de espada)
 

DUQUE, BARÓN
¡A ti, Querubín! ¡A ti, Querubín!
¡A ti, Querubín!
 
(desaparecen)

EL FILÓSOFO
¿Y cuando alcances la gloria?
Oscuro será, si ya te tienen envidia.
¡Ay! ¿Quién te amará?

NINA
(precipitándose, feliz, y
expresándose, vivamente)

¡Seré yo, Filósofo!

EL FILÓSOFO
(feliz, juntando las manos)
¡Oh destino!

(sonriendo)

¿Y bien?

(con alegría íntima)

¡Aquí está tu respuesta!

(cambiando de tono, a Nina)

¿Dónde vas?

NINA
(contrita)
Renuncio a encontrarlo esta mañana.

EL FILÓSOFO
(maliciosamente)
¡Nina, apuesto, a que
estás buscando a Querubín!

(al oír el nombre de Querubín, Nina sonríe)

¡Ese pícaro!

(ante la palabra pícaro, Nina lanza
un grito de sorpresa indignada)


¡Ese bribón!

NINA
(rebelándose)
¡Ah, eso es demasiado ofensivo!

EL FILÓSOFO
(haciéndose el asombrado)
¡Oh!

NINA
(furiosa, enfrentándose al Filósofo)
¡Él es encantador, sí, señor!
Encantador y muy valiente.
Él no tiene un semblante adusto.
¡Y cuánta alegría tiene en sus ojos!
Usted dice: ¡es un pícaro!
Pero yo sé que sólo es voluble.
Y, además, es lógico que tenga
los defectos de su edad.
Lo odian... dicen que
hay que tener cuidado con él,
eso es por despecho,
pues más de uno está celoso de él,

(con un poco de emoción)

Y es que él le gusta a más de una...

(muy cantado)

Nos agrada, no sabemos por qué.
Nos agrada nada más abrir la boca,
y cuando... tímido... se queda callado...
nos agrada porque parece una rosa.

(más cálida)

Además, es al amigo al que estoy defendiendo.

(más acentuado)

Y lo defenderé...

(más vibrante)

... más que a mí misma...

(Ella observa al Filósofo que,
encantado, le sonríe, radiante)

Pero me estaba enfadando... ¡Si seré niña!

(Nina cae emocionada en los
brazos del Filósofo que la besa)

¡Usted lo ama!

EL FILÓSOFO
(con entusiasmo y cariño)
¡Sí, lo amo!

NINA
Lo ama... ¿Tanto como yo?... ¿Tanto?

(los dos permanecen así por un
momento.
Oleadas ruidosas de
risa se acercan poco a poco. Asustada)

¡Mi tutor!

(amable y suplicante)

Señor, delante de él,
¡olvide lo que acabo de decir!
 
(Ella huye. Nuevas carcajadas del Duque
y el Barón, que llegan por las escaleras
del parque)
 

DUQUE
(desde el fondo de la escena)
¡Es maravilloso!

BARÓN
¡Es inaudito!

DUQUE
(señalando a un costado
del parque, siempre riendo)
¡Realmente, es para morirse de risa!
 
(Las voces y las risas se acercan,
y luego se oyen plenamente)


DUQUE
¡Es muy tan divertido!

BARÓN
(avanza riendo a carcajadas,
se desternilla de risa)

¡Estoy llorando, Duque!

DUQUE
(igualmente)
¡Barón, me muero!
 
(risas)

EL FILÓSOFO
(ligeramente estupefacto)
¿A qué se debe esta hilaridad?
 
(nuevos estallidos de risa)

DUQUE
(al Filósofo)
Querubín, ese loco...

(con intención)

Su alumno...

(estallidos de risa)

Me río tanto que tengo que sentarme...

(repitiendo su actuación)

Ayer envió a Madrid,
a toda velocidad, un mensajero...

(sacudido por la risa)

Para que esta misma noche...
viniera a actuar y a bailar aquí, ¿adivine quién?

DUQUE, BARÓN
(insistiendo)
¿Adivine quién?

EL FILÓSOFO
(temblando un poco)
Pero... supongo... que algún histrión...

DUQUE, BARÓN
¡No!

DUQUE
A la máxima bailarina
que toda Europa admira,

DUQUE, BARÓN
¡Ensoleillad!... La de la ópera.

EL FILÓSOFO
(como desconociendo de quien se trata)
¿Ensoleillad?

DUQUE, BARÓN
¡Sí!

BARÓN
(imitando a Ensoleillad)
Esa que baila como si volara.

DUQUE
(igualmente)
Ella, Thais, Phyrne, Cypris...
¿va a venir aquí?

(bien cantado)

Sin duda, Querubín está bebido.

BARÓN
Él esta alegre.

DUQUE
Él esta alegre.

QUERUBÍN
(entra y continúa jocosamente
la frase del Duque y el Barón)
Estoy alegre.

DUQUE, BARÓN
(un poco avergonzados)
¡Él!

EL FILÓSOFO
(feliz)
¡Él!

QUERUBÍN
¡Estoy alegre!

(con locura juvenil)

¡Estoy borracho!
Es el sol el que me puso alegre.
¡Es el sol, quien me emborrachó!
Duque, estoy tan contento de vivir,
que podría... abrazarlo.
¡Tengo diecisiete años, eso me marea,
tengo diecisiete años!
¡No más tutor! ¡La libertad!

(con volubilidad)

¡Quiero hacer tantas tonterías
que ustedes se horrorizarían!
Es el sol el que me emborrachó...

(con deleite)

¡Estoy ebrio!

(Se echa a reír, luego recobra el aplomo)

En definitiva, les digo... en confianza.
¡Miren esta nota! ¡Barón! ¡Duque! ¡Vean!...
¡La estrella de Madrid, la reina de la danza,
La Ensoleillad, por fin...

(triunfante)

llega esta noche!

DUQUE
(sofocado por la sorpresa,
con enojo y cólera)
¡No! ¡Eso no es cierto! ¡Es imposible!

BARÓN
(dando su opinión con gravedad)
¡Es inadmisible! ¡Grotesco!

DUQUE
(apopléjico)
¡Esto es una locura!

QUERUBÍN
(afirmando)
Así es.
 
(él lee la nota de La Ensoleillad con deleite)

DUQUE
(con voz sofocada por la ira, sin atreverse
a enfrentarse con Querubín directamente,
y dirigiéndose al Filósofo que no sabe
como responder)

La Ensoleillad... bailando aquí...
¡Pero eso es una estupidez inaudita!
Muéstreme, señor, por favor,
¿dónde está el telón?...

BARÓN
(socarronamente)
El escenario...

DUQUE
(se enjuga el sudor)
Las bambalinas...

BARÓN
¿Los accesorios del ballet?

DUQUE
(Jadeando)
Para bailar la escena 
de los rebeldes Alciones,
¿Dónde están los portadores? ¿Y las velas?

BARÓN
(escéptico, volviendo
a encarar al Filósofo)
Señor, ¿y la trampilla?
Para la escena de Belfegor,
porque se necesita una trampilla 
en ausencia de decorado.

DUQUE
(acalorado, rojo, fuera de sí,
encara al Filósofo que gira
y no sabe a qué santo pedir

ayuda)
¿Y para imitar la estrella
que deben iluminar a los Reyes Magos?

BARÓN
(a Querubín)
¿Dónde, señor,
van a colgar las nubes?

QUERUBÍN
(con la mayor gracia del mundo)
¡Oh, cálmense, por favor!
No tendremos apoteosis,
ni grandes pasos de ballet.

(galantemente)

Bailaremos algo muy distinto.

(muy rítmico, al estilo antiguo)

Bailaremos, es mucho mejor,
a pesar de las nuevas modas,
los viejos bailes de antaño.

(sin respirar)

¡No conozco otros más hermosos!
Tendremos por decorado móvil,
el follaje donde Febea se extravía.
Y, entre el lamento del viento,
el bello sonido de las guitarras.
No hay necesidad, para estos ballets,
de bastidores, frisos o telones.
Tendremos al bosque como recinto
y por velas... ¡las estrellas!
 
(Los invitados de Querubín llegan a
la terraza, se saludan y se asoman
sobre la balaustrada para ver a los
jóvenes que vienen del pueblo. A lo

lejos se oye el ritmo de la danza.
Querubín pasa entre los invitados,
saludado a los hombres y besando

la mano de las más hermosas)

DUQUE
(criticándolo)
¡Está loco!

BARÓN
(con compasión)
¡El pobre muchacho!

EL FILÓSOFO
(dulcemente)
¡Qué locura tan razonable!

(Feliz, a dos invitados,
señalando a lo lejos)


¡Venga a ver, don Sancho! ¡Los aldeanos!
¡Tienen puesta su ropa de domingo!
¡Bailan! ¡Escuche usted!

QUERUBÍN
(dirigiéndose a la Condesa
que acaba de llegar)
¡Condesa! ¡Por fin!

CONDESA
¡Habla bajo!

QUERUBÍN
(besando sus manos)
Madrina... ¡Te adoro!

CONDESA
(turbada)
¡El Conde se acerca! ¡Cállate!

QUERUBÍN
(por lo bajo y vivamente)
No, aún no puede vernos...
Al fondo del jardín, en el viejo sauce hueco,
cubierto de musgo, he ocultado esta mañana
una carta donde te digo cuánto te adoro.

CONDESA
(emocionada)
¡Una carta!

(alerta)

¡Mi esposo! ¡Cállate!
 
(Llega el Conde. Querubín hace
una graciosa reverencia. La
Condesa se va con su marido)


BARONESA
(Saliendo al encuentro de Querubín,
aspira sales para ocultar su emoción)

¡Ven aquí!

QUERUBÍN
(inclinándose profundamente)
¡Baronesa!

BARONESA
(con excesiva compasión)
¡Oh, pequeño imprudente!
Hablas en voz baja a la Condesa...
El Conde es muy celoso, por lo tanto,
tiemblo por tu juventud...

QUERUBÍN
¡Eres demasiado buena!
 
(La Baronesa se va con un tierno
suspiro, dejando a Querubín un

poco sorprendido. Luego,
Querubín corre hacia Nina, que llega)

NINA
(como una niñita, a querubín)
¡Ah, Querubín, es malo, es malo!...
Ayer me hiciste la promesa
de acompañarme a misa
¡y hoy te han visto montando a caballo!

QUERUBÍN
(muy gentil)
¡Ay, es verdad! No puedo fingir.
Pero por estar lejos de ti,
me perdí un momento muy dulce,
y por eso soy digno de compasión.
 
(Querubín mira si es observado.
Mientras los invitados observan la
llegada de los campesinos, él
aprovecha la oportunidad 
para
intentar besar a la muchacha, que lo
elude con una carcajada y huye,
amenazándolo con el dedo)

NINA, CONDESA
BARONESA, NVITADOS
(felices)
¡Los campesinos!

EL FILÓSOFO, INVITADOS
(dichosos)
¡Van a  bailar!

DUQUE
(aparte, señalando a
los campesinos que llegan)
¡Los campesinos!

BARÓN
(con disgusto)
¡Los campesinos!

EL FILÓSOFO
(con satisfacción)
¡Los campesinos! ¡Van a bailar!

DUQUE, BARÓN
(molestos)
¡Van a bailar!

TODOS, EXCEPTO QUERUBÍN
¡Ellos bailarán!
¡Será divertido!

(El Duque y el Barón, irónicos)


¡Es divertido!

QUERUBÍN
(Subiendo a la escalera del parque
se dirige a sus vasallos, con
energía)

¡Venid aquí, hermosas muchachas!
¡Venid, con vuestros muchachos!
Desde tan lejos, no vemos brillar
vuestros bonitos ojos.
 
(Muchachos y muchachas
invaden la terraza)


EL FILÓSOFO
(aparte, radiante)
¡Oh, mi Querubín! ¡Oh, mi Querubín!

DUQUE, BARÓN
(aparte, siempre molestos)
¡Campesinos! ¡Van a bailar!

NINA, CONDESA
BARONESA, INVITADOS
¡Viva Querubín! ¡Viva Querubín!

DUQUE, BARÓN
(a un lado, levantando los hombros)
Él es nuestro anfitrión, ¡Así debe ser!

(lúgubremente)

¡Viva Querubín!
 
Fiesta pastoral
 
NINA, CONDESA
BARONESA, INVITADOS
(con admiración, a Querubín)
¡Bravo! ¡Bravo! ¡Bravo! ¡Bravo!
¡Bravo! ¡Bravo! ¡Bravo! ¡Bravo!
¡Es precioso!
¡Es precioso!

NINA, CONDESA
BARONESA, INVITADOS
¡Es exquisito!

LOS INVITADOS
¡Es adorable, querido marqués!
¡Es precioso! ¡Adorable! ¡Precioso!
 
(Los muchachos y las muchachas
salen bulliciosamente)


QUERUBÍN
(a las damas, galantemente)
Para ustedes es que
se han decorado las mesas.
 
(Las mujeres le agradecen)

DUQUE, BARÓN
(para sí y recíprocamente,
gruñendo mucho)

¡Este joven es insoportable!
 
(Los invitados salen entre
alegres sonidos de risas y
cumplidos. Música a lo lejos)


VOCES
(sopranos y mezzos, a lo lejos)
¡Ah! ¡ah! ¡ah! ¡ah!
 
(una música dulce suena en el parque a
la llegada de los invitados a la terraza.
Querubín se sienta y se abanica con
su pañuelo de encaje)


EL FILÓSOFO
(radiante, para sí)
Cantan, ríen. Todos están contentos.
A esta alegría, a esta primavera,
no hay aburrimiento que se le resista.

(Querubín lanza un gran suspiro)

¡Qué! ¡Querubín! ¿Estás triste?

(nuevo suspiro)


Hace un momento estabas muy alegre,

(afectuosamente)


¿por qué ahora hay lágrimas en tus ojos?...
¿Y por qué, tú, tan alegre, tienes esa cara?

QUERUBÍN
(con gravedad)
Mi alegría, Filósofo, es sólo aparente.

EL FILÓSOFO
(sorprendido)
¿Por qué? ¡Justo cielo!

QUERUBÍN
¡No lo sé!

EL FILÓSOFO
Pero, ¿por qué! Celebramos tu ascenso,
vas de éxito en éxito...
¿De dónde viene tanta tristeza?

QUERUBÍN
¡Ah, siento que estoy enfermo!

EL FILÓSOFO
¿Enfermo? ¡Estoy desconcertado!

QUERUBÍN
¡Sí, tengo miedo de una catástrofe!

EL FILÓSOFO
¿De qué sufres, querido muchacho?

QUERUBÍN
(amablemente triste)
¡Del corazón, mi pobre Filósofo!

(lo abraza, infantil y tiernamente)

Filósofo, dime por qué
mi corazón flaquea
cuando escucho a mi lado
el sonido de una falda.
Dime por qué me turbo
y me pongo pálido,
cuando veo que el viento levanta
los flecos de un chal.
Dime por qué mi pobre corazón,
sin una buena razón,
por una cinta, un lacillo,
se emociona o desfallece...
¿Cómo puede uno, por una tela,
por un pedazo de tela,
ser afectado tan profundamente...

(sencillamente)

mi querido Filósofo?

EL FILÓSOFO
(con cariño y con una dulce tristeza)
Pequeño, el mal que te devora
lo conocí hace mucho tiempo.
Me gustaría sufrirlo de nuevo,
porque sólo se sufre a los veinte años.

(con infinita ternura)


Ama tu dolor, pequeño.
Ama tu dolor, pequeño.
Nadie lo ha experimentado sin bendecirlo.

(con exaltación progresiva)

¡Ama tu dolor!
¡Es tu juventud la que te estremece,
es el amor y es el futuro!

QUERUBÍN
(muy emotivo, emocionado y feliz)
¡Ah! ¡Filósofo! ¡Qué destino... qué destino!...

EL FILÓSOFO
Ama tu dolor, pequeño.

QUERUBÍN
¡El amor! ¿Ese es mi tormento?
¿Él era mi delirio?

EL FILÓSOFO
Ama tu dolor, pequeño.
Es tu juventud la que te estremece...
es el amor.
 
QUERUBÍN
¡Qué repentina luz!
¡Al infierno con la melancolía!
¡Ah,  vislumbro la felicidad!

(Siempre un poco infantil,
con emoción y ardor)


Y ese futuro... ¡es el futuro!
¡Quiero amar, amar con locura,
quiero amar a todas las mujeres a la vez!

EL FILÓSOFO
(a Querubín, tratando de contenerlo,
con una sabia filosofía)

Sólo con amar a una...
ya es una opción peligrosa.

QUERUBÍN
(huyendo alegremente)
¡Pues amo al menos a dos!

EL FILÓSOFO
(mientras escucha estas últimas
palabras, observa como se aleja Querubín

por la terraza, sacudiendo la cabeza)
¡Eso significa que no amas a ninguna!
 
(El Conde entra, furioso, y le habla
al Filósofo que acude corriendo
a su encuentro)


CONDE
(con tono seco y violento)
¿Dónde se esconde Querubín, lo sabes?

EL FILÓSOFO
(sorprendido y prudente)
¿Qué?

CONDE
¡Si lo sabes, habla!

EL FILÓSOFO
¡Qué indignado estáis!

CONDE
¿Hablarás?

EL FILÓSOFO
Calmaos señor, vuestra cólera...
¿Qué hizo Querubín que tanto os disgusta?

CONDE
¡Quiero verlo!

EL FILÓSOFO
(dubitativo)
¿Verlo? ¿Puedo sustituiros yo?

CONDE
¡Imposible, señor! ¡Voy a matarlo!

EL FILÓSOFO
(estremeciéndose)
¡Matarlo!

CONDE
¡Ese sinvergüenza!
Se ha atrevido a enviarle esta carta...
¡a la Condesa!

(autoritario, viendo aparecer
a la Condesa con Nina)


¡Ni una palabra!
 
(El Filósofo, junto con Nina,

se mantiene un poco aparte)

CONDESA
(al Conde)
Te estoy buscando desde hace rato...
Hemos preguntado por ti
en el bosque, entre los robles...

CONDE
(enojado, en voz baja a la Condesa)
¡Y entre los sauces!...

CONDESA
(aparte)
¡Oh, Dios mío!

CONDE
(a la Condesa, mostrándole
abruptamente los versos de Querubín)
¿Conoces estos versos?

CONDESA
(muy turbada)
Pues... no.
 
(El Filósofo y Nina

se acercan y escuchan)
 

CONDE
(furioso)
¡Puses sí!

(irónico)

El madrigal comienza así:
"¡Para aquella a quien amo en secreto!"

NINA
(aparte, muy conmovida, vehemente)
¡Mis versos!

CONDE
(a la Condesa)
¿Y bien?

CONDESA
Los desconozco...

CONDE
(violentamente, por lo bajo)
¡Pérfida, son para ti!

NINA
(muy sencillamente)
¡No, no son para ella!
¡Esos versos son para mí!

CONDE
¿Para ti?

CONDESA
(en voz baja a Nina, que no entiende y
la mira con grandes ojos de asombro)

¡Me salvaste!

EL FILÓSOFO
(aparte)
¡Ángel querido!

CONDE
(a Nina)
¿Quieres engañarme?

NINA
¿Yo?

CONDE
¿Cómo puedes probar
que estos versos son para ti?

NINA
(sencillamente)
¿Por qué estáis tan enojado?

CONDESA
(aparte, desolada)
¡Estoy perdida!

EL FILÓSOFO
(aparte)
¡Señor, ten piedad de nosotros!

CONDE
(imperativo, a Nina)
¿Y bien?

EL FILÓSOFO
(al Conde, tratando
de desviar su cólera)
Ella es todavía una niña...

CONDE
(furioso)
Que me engaña...

NINA
(Ingeniosamente, recitando
los versos de Querubín)
"Para aquella a quien secretamente amo!"

(afectuosamente)

Estos versos fueron hechos para mí,
me lo ha jurado Querubín.

CONDESA
(aparte)
¡Ah! ¡El traidor, el infame!

EL FILÓSOFO
(aparte, mirando al cielo)
¡Oh, maldito bribón!

NINA
(repite lentamente
la canción de Querubín)
"Como no tienes nada que hacer,
llévame pronto a tu lado.
Mi paraíso preferido,
es un cojín sobre tus rodillas.
Apenas notarás mi presencia,
me abstendré de hablar
y contendré el aliento,
si mi aliento puede perturbarte.
Así, en mi corazón doliente,
el invierno dará paso a la primavera.
Te pido muy poco:
una sonrisa de vez en cuando...
Y si es demasiado... incluso una mirada
será suficiente para transformarme.
Porque sin decir nada,
te amo tanto como un ser puede amar ".

(sinceramente)

¡Ya lo ve!
¡Conozco todo el poema de memoria!

CONDE
(a Nina, entregándole el papel)
Entonces te lo devuelvo,
Nina, es tuyo.

(a la Condesa)

¡Y tú, perdóname!
 
(Nina, confundida, toma el escrito y sale
con el Filósofo que la acompaña a la

terraza)

CONDESA
(Para sí, decepcionada, mientras
el Conde se inclina besando su mano)
¡Es a Nina a quien él ama!

CONDE
¡Mis sospechas, señora, eran un delirio!
¡Me arrepiento de ellas!

CONDESA
(se aleja, el Conde la sigue)
Pero...

CONDE
Se buena.

CONDESA
(tomando, tras una vacilación,
el brazo que le ofrece el Conde)
¡Por esta vez, te perdono!

(Sale, diciendo en voz baja, con rencor)


¡Es a Nina a quien él ama!

EL FILÓSOFO
(solo, con una tierna emoción)
¡Es a Nina a quien ha elegido!
¡Ah! ¡Querubín! ¡Estoy sorprendido!
Yo que temí por tu joven alma,
que temblaba por tu futuro,
¡sueñas con casarte con la mujer
a la que soñé unirte!
 
(Entra Querubín, alegre)

QUERUBÍN
¡Filósofo!

EL FILÓSOFO
¡Ah! pequeño! ¡Ven rápido!
Debo felicitarte.
¡Ven en mis brazos, estoy feliz!

QUERUBÍN
También yo, Filósofo...
¡Estoy enamorado!

EL FILÓSOFO
Sí, lo sé.

QUERUBÍN
(sorprendido)
¿Sabes que la amo?

EL FILÓSOFO
Sí.

QUERUBÍN
¿La viste?

EL FILÓSOFO
A ella misma

QUERUBÍN
¡Ah!
¿No es verdad que es maravillosa?

EL FILÓSOFO
Su corazón puro se refleja
en el cristal de sus ojos.

QUERUBÍN
(ligeramente burlón)
¿Es muy pura?

EL FILÓSOFO
(pensando que había oído mal)
¿Qué, cómo?

QUERUBÍN
(feliz)
¡Escucha esa alegre melodía!
¡Mira, allí, va en su silla!
¡Y la llevan dos negros a hombros!

EL FILÓSOFO
¿Quién de nosotros está loco?

QUERUBÍN
¡Mira, allí, allí está!

EL FILÓSOFO
Pero, ¿no estás enamorado de Nina?

QUERUBÍN
(sorprendido)
¿Yo?

EL FILÓSOFO
¿De quién, entonces?
 
(señalando el cortejo de Ensoleillad,
que aparece en escena)


QUERUBÍN
(orgulloso y entusiasta)
¡Mira! ¡Eso se puede adivinar!
¡Amo a Ensoleillad!

EL FILÓSOFO
(espantado)
¡No!

QUERUBÍN
(triunfante)
¡Si!
 
(Envía un beso a Ensoleillad,
que pasa en su silla de manos
y le sonríe)
 

EL FILÓSOFO
(desolado)
¡Bondad divina!
 
 

ACTO  SEGUNDO


(Patio y jardín de una antigua e
importante posada con un letrero
que dice: "Buen alojamiento a buen
precio". Los viajeros gritan y
despotrican contra el dueño, contra
los mozos y mucamas de la posada)


VIAJEROS
(a gritos)
¡Una habitación!

MUCAMAS
(en voz alta)
¡Nada!

VIAJEROS
¡Una habitación!

MUCAMAS
¡Nada!

POSADERO
(gritando)
¡Les digo que está todo ocupado!

VIAJEROS
¡Una habitación! ¡Una habitación!
¡A cualquier precio!

POSADERO
¡Nada! Les digo que todo está ocupado.

MUCAMAS
¡Les digo que todo está ocupado!

VIAJEROS
¡A cualquier precio!
¡Una habitación! ¡Una habitación!
¡Una habitación!
¡A cualquier precio!

POSADERO
¡Todo está ocupado! ¡Todo está ocupado!
¡Todo está ocupado!
¡Les aseguro que todo está ocupado!

MUCAMAS
¡Todo está ocupado! ¡Todo está reservado!
¡Todo está ocupado!
¡Ya les digo que todo está ocupado!

VIAJEROS (Mujeres)
(al posadero, amenazantes)
¡No debería poner un cartel que diga:
"Buen alojamiento a buen precio!"
¡Si no puede alojar a la gente!
 
LOS VIAJEROS (Hombres)
(igualmente)
¡No debería poner un cartel que diga :
"Buen alojamiento a buen precio!"
¡Cuando no puede alojar a la gente!

POSADERO
(apoplético)
¡Ah! ¡No tanto desenfado!
¡A fe mía, que ustedes no son nobles!
¡El rey da mañana un gran baile!
¡Vayan a dormir a sus carruajes!

VIAJEROS
(lanzan exclamaciones
de enojo e impaciencia)

¡Ah!

POSADERO
¡Y no estropeen mi jardín!

VIAJEROS
(todos, exasperados)
¡Majadero! ¡Bribón!
¡Que lo azoten, ¡Que lo maten!
¡Miserable!

POSADERO
(acosado por los viajeros)
¡Criados, a mí! ¡Fuera, turba plebeya!

MUCAMAS
¡Fuera! ¡Fuera! ¡Fuera! ¡Fuera!

VIAJEROS
¡Majadero! ¡Majadero!
¡Bribón! ¡Bribón! ¡Miserable!

MUCAMAS
¡Fuera! ¡Fuera!

VIAJEROS
(todos, gritando)
¡No! ¡No!
 
(Los mozos  y las criadas, expulsan a los
viajeros a golpes de cepillos, rastrillos,
escobas, etc... Entre gritos y tumultos,
llegan la Condesa y la Baronesa)


CONDESA
¡Ah, Baronesa, por fin estamos aquí!

BARONESA
¡No puedo más, mi querida Condesa!

POSADERO
(para sí)
¡Condesa! ¡Baronesa!

(con suficiencia)


¡Ah, estas sí que son auténticas nobles!

(adelantándose e inclinándose)

Señoras, mis respetos,
me postro a sus pies.

BARONESA
(al dueño, interrumpiéndolo)
¿Dónde están nuestras habitaciones?

CONDESA
¿Supongo que nuestros esposos
ya reservaron nuestros apartamentos?

POSADERO
(precipitadamente)
Sí, dos encantadores apartamentos.
Uno de ellos es totalmente azul;
el otro es de color rosa,
Sus señorías pueden comprobarlo... Es allí.

CONDESA
(mirando con gestualidad)
¿Ese balcón de en medio?

BARONESA
(pretenciosa, sentimental)
¿Donde las glicinas se enredan?...

POSADERO
No... las dos ventanas vecinas...
Allí...

CONDESA
(sobresaltándose)
¡Un tragaluz!

BARONESA
(horrorizada)
¡Un ojo de buey!

POSADERO
Los muebles son totalmente nuevos.

BARONESA
¡Es espantoso!

CONDESA
¡Horrible!

BARONESA
¡Lúgubre!

POSADERO
(alabando el lugar)
Da al sur... ¡y eso es muy saludable!

CONDESA
(ultra nerviosa)
¡Elegirnos estos tugurios!
¡Nuestros esposos estaban ebrios!

(decididamente)

¡Arrendaré la otra habitación a cualquier precio!

POSADERO
Es imposible.

CONDESA
¡Ah! ¡Qué, bellaco!
¿Ignora usted mi rango?

BARONESA
¿Mi título?

POSADERO
(inclinándose profundamente)
Aunque fueran princesas de Bagdad,
¡lo mismo las rechazaría!

CONDESA
La ira me domina.
¡Villano!
¿Alojas esta noche al Rey de España?

POSADERO
(misteriosamente
)
El rey, no... pero
¿quién sabe... la Reina?
¡La Ensoleillad!

CONDESA
¡La bailarina!

BARONESA
¡Una cualquiera!

CONDESA
¡Ah, qué sofoco!

BARONESA
¡Estoy furiosa!

CONDESA
¡Me sofoco!

BARONESA
¡Estoy furiosa!

POSADERO
(de improviso)
¿Qué es ese ruido?

CONDESA
(al Conde, con agitación)
Señor, ¡es un ultraje indignante!

BARONESA
(encumbrándose)
¿De qué sirve nuestra virtud?

CONDESA
(de igual modo)
¿De qué vale nuestra nobleza?
Si para alojar a una desvergonzada...

BARONESA
Si para alojar a una desvergonzada...

CONDE
(amilanado)
¡Silencio!

EL BARON
(que entró con el
Conde, de igual modo)
¡Silencio!

CONDESA, BARONESA
¡Nuestro prestigio decae!
¡De qué sirve nuestra virtud!

CONDE, BARÓN, POSADERO
.
(Los tres con misterio)
¡Silencio! ¡Silencio! ¡Hablad quedamente!

CONDESA,
BARONESA
¡Nuestra virtud!

CONDE, BARÓN, POSADERO.
¡Silencio!
¡Hablad en voz baja!

CONDE
Lo aconseja la prudencia.

CONDESA,
BARONESA
¿Por qué?

BARÓN
(confidencialmente)
Parece ser que...

CONDE, BARÓN, POSADERO
.
... es el Rey quien la envía.

DUQUE
(Entrando)
¡Hola!
¡Hay alguien aquí!

CONDESA,
BARONESA
¡El Duque!

DUQUE
(a la Condesa y a la Baronesa)
¡Señoras!

(Lea besa las manos y
saluda  al Conde y al Barón)

Caballeros, el deber los reclama.
¡El Rey recibe dentro de un momento!

CONDE, BARÓN
¡Vamos!
 
(El Conde y el Barón se inclinan,
los sirvientes los ayudan)


DUQUE
(misteriosamente, al posadero)
¿El apartamento?

POSADERO
(mostrando la ventana del balcón)
¡Aquel es!

DUQUE
(al posadero)
Bien...
El huésped llegará pronto...
 
(le da unas monedas al posadero)

POSADERO
(inclinándose profundamente)
Que bondadoso es su señoría...

DUQUE
¡Adiós, señoras!

CONDESA,
BARONESA
(haciendo una reverencia)
¡Duque, adiós!
 
(Salen el Duque, el Conde y el Barón)

CAPITAN RICARDO,

6 MANOLAS y 6 OFICIALES
(Acercándose, se oyen las voces de
los oficiales y sus acompañantes)
¡El vino te pone alegre y el amor te vuelve loco!

POSADERO
(yendo a mirar afuera)
¡Ahí llegan los oficiales!
 
(Da una palmadas y los sirvientes
llegan trayendo mesas, sillas, etc)


RICARDO
¡Viva Baco!

RICARDO, MANOLAS, OFICIALES
¡Viva Afrodita!
¡La vida es muy corta!

RICARDO
¡Hay que divertirse!

RICARDO, MANOLAS, OFICIALES
¡Por eso hay que divertirse!
 
(El alegre grupo invade

el jardín de la posada)

MANOLAS
(sopranos, gritando)
¡Pasteles! ¡Pasteles!
 
(Oficiales y Manolas se sientan,

se abrazan, ríen y gritan)

OFICIALES
(tenores, exclamando)
¡No ese vino! ¡No!

CONDESA
(al posadero)
¿Quiénes son esas mujeres?

POSADERO
Hijas del placer.

BARONESA
(entrando con la Condesa
a la posada)

¡Este albergue es infame!

RICARDO, MANOLAS, OFICIALES
¡El vino te alegra
y el amor te vuelve loco!

RICARDO
¡Soy yo, Ricardo, el que invita!

POSADERO
¡Hola!
A estos señores servidles
mi viejo vino de Manzanilla.
 
(Nuevas exclamaciones de felicidad)

MANOLAS
(Gritando)
¡Pasteles!

RICARDO
(al posadero, antes de beber
y mostrando su vaso lleno)
¿Es bueno?

POSADERO
(sin atreverse a avanzar demasiado)
¡El mejor!

MANOLAS, OFICIALES
(con alegría)
¡La vida es muy corta!

RICARDO
(Arrogante, al posadero)
Si todo no está perfecto,
posadero, te ahorcaremos.
Dentro de un momento celebraremos,
con estas hermosas chicas,
la llegada de un nuevo compañero...
¡El corneta del regimiento!

POSADERO
(alejándose)
Quedarán satisfechos.
 
(las Manolas arreglan sus

peinados, y sacuden sus mantillas)

UNA MUCHACHA
¿Qué edad tiene ese corneta?

RICARDO
(sin darle importancia)
¡No sé!

OTRA NIÑA
¿Veinte años?

OTRA
¿Treinta años?

OTRA
¿Es rubio?

OTRA
¿Es guapo?

OTRA
¿Sus títulos?

LA 1ª
¿Su país?

LA 2ª
¿Su rango?

RICARDO
¡Basta de tonterías!

(Agarrando por el talle a una tal Pepa)

¡Piensa en nosotros!
¡Que él se vaya al diablo!

DOS OFICIALES
¡Tiene razón!

OTROS CUATRO OFICIALES
¡Tiene razón!

TODAS LAS MANOLAS
(gritando)
¡Pero estamos aquí para recibirlo!

QUERUBÍN
(apareciendo en el
umbral de la posada)
¡Camaradas! ¡Guapas! ¡Os saludo!

RICARDO, OFICIALES
(sorprendidos)
¡Es él! ¡Es él! ¡Qué pequeño es!

MANOLAS
(sorprendidas)
¡Es él! ¡es él!
¡Qué amable! ¡Qué gracioso!

RICARDO
¡Mi sable es más alto que él!

UN OFICIAL MUY GRANDE
(bajo o barítono, con gran voz)
¡Nos llega a la cintura!

RICARDO, MANOLAS, OFICIALES
¡Qué bajito es!

QUERUBÍN
(mordiéndose los labios, llega
con gallardía junto a ellos)
No soy alto, pero... soy muy dulce.
Veréis que bajo la metralla
podré mantenerme erguido.
¡Y en la primera batalla
pareceré más alto que todos vosotros!

MANOLAS
(aplaudiendo a Querubín)
¡Bravo! ¡Bravo! ¡Bravo! ¡Bravo!
 
(Querubín abraza y galantea a una

de las chicas, justamente a Pepa)

OFICIALES
(furiosos)
¡Cómo, la abraza!... ¡La acaricia!...

RICARDO
(furioso)
¿A mi chica? ¡Le daré una lección!

(avanzando)

¡Eh, dos palabras, muchachito!

QUERUBÍN
(Se estremece ante esta interpelación)
¡Estoy a su servicio, buen hombre!

RICARDO
(sin respiración)
¡Buen hombre!
¿Quieres que te aporree?

QUERUBÍN
(pone la mano sobre su espada)
¡Hazlo, si te atreves!

LAS MANOLAS
(con arrebato)
¡Bravo! ¡Bravo!

RICARDO
(fuera de sí)
¡Su audacia es insuperable!

(a Querubín)


¡Si le das un beso más,
te cortaré las orejas!
 
(Él pone la mano sobre su espada,
Querubín lo detiene con un gesto)


QUERUBÍN
(a Ricardo, gentilmente)
Si sacas a ventilar tu espada
por cada beso que doy,
¡te batirías demasiado a menudo!

RICARDO
(a sus amigos, señalando a Querubín)
¡Se está riendo de nuevo!

QUERUBÍN
(continuando)
Pero si tientas a tu destino,
te batirás hasta quedar sin aliento.
¡Te batirás de la tarde, a la mañana

(sin respirar)
 
y por la noche! ¡La noche me inspira!

(con un pequeño ataque de rabia)

¡Te batirás hasta el infinito,
tendrás calambres y fiebres!

(muy sonriente y burlón)
 
¡Hay menos abejas en una colmena
que besos en mis labios!

RICARDO
(desenvainando)
¡Batámonos entonces!

QUERUBÍN
(con su mejor sonrisa)
¡De acuerdo!
 
(Los mozos corren y abren la gran
puerta del fondo. Una joven, muy
elegante, baja de un carruaje,
lleva un antifaz)


LAS MANOLAS
(a Ricardo, a Querubín y a los oficiales)
Envainad las espadas.
¡El duelo está prohibido!

QUERUBÍN
(Observando los movimientos
de la joven mujer)

¡Qué figura! ¡Y qué rostro tan bonito!

(a las Manolas)
 
Señoras, déjenme pasar,
voy a abrazar a esa enmascarada.
 
(Entra Ensoleillad enmascarada,
seguida por su séquito de damas)


LAS MANOLAS
(a Querubín)
¿La conocéis?

QUERUBÍN
(sin cuidado)
¡Para nada!
 
(Querubín besa a Ensoleillad en el
cuello y ella se quita la máscara.

Querubín, sorprendido, la reconoce)

ENSOLEILLAD
(a Querubín)
¿Eres tú?

QUERUBÍN
¡Eres tú!

(doblando la rodilla y besando su mano)

¡Ah, tengo el alma pesarosa!
¿Me perdonarás mi brusquedad?

ENSOLEILLAD
(haciéndole señas para que se levante)
Pues sí, ¡el beso fue brusco y mal dado!

(ofreciendo su mejilla)

¡Hazlo mejor esta vez, y serás perdonado!
 
(En medio de los vítores y las risas de las
Manolas, Querubín besa a Ensoleillad
en los labios)


RICARDO
(a Querubín, impaciente)
¡Señor, estoy esperando!

QUERUBÍN
(desenvaina)
¡En guardia!

ENSOLEILLAD
(queriendo detenerlo)
¿Qué? ¡Un duelo! ¡Están locos!

QUERUBÍN
Un buen ángel me cuida
porque me bato delante de ti.

(a las Manolas, simple y galante)

Les pido que se acomoden.

(a los Servidores)

Doncellas, criados, traigan sillas...
 
(Los oficiales ayudan a las damas para
que se ubiquen cómodamente para asistir
al duelo, tiempo durante el cual llegan
los violines)


GRAN OFICIAL
¡Aquí están los violines para la fiesta!

RICARDO
(nervioso)
¡Que se vayan!

QUERUBÍN
(muy alegre)
De ningún modo,
¡batámonos con música!

RICARDO
¡Que se vayan!
¡Esto es pueril!

QUERUBÍN
¡No! ¡Dejadlos entrar!

ENSOLEILLAD
(enviándole un beso y una rosa)
¡Es heroico!

RICARDO
(a Querubín)
¿Estás preparado?
Porque la mano me está picando.

QUERUBÍN
(a Ensoleillad, habiendo
recogido la rosa)
Tus pies no tienen taburete.

(a Ricardo)

¡Estoy listo!

(a los violines)

¡Señores!

(Les arroja una bolsa de monedas a
los músicos, luego se pone en la boca
la rosa de Ensoleillad y se pone en
guardia. Los violines afinan)

¡Una gavota!
 
(El duelo comienza al ritmo de la música)

ENSOLEILLAD
¡Tengo miedo!

RICARDO
¡En guardia!

QUERUBÍN
(hablando)
¡Fallaste!

ENSOLEILLAD
(escondiendo la cara 
con su abanico)
¡Dios mío!

DOS MANOLAS
(a dúo)
¡Tengo calor!

OTRAS
¡Tengo frío!

ENSOLEILLAD
¡Señor! ¡Tiemblo!

LAS MANOLAS
(pequeño grito de miedo)
¡Ah!

QUERUBÍN
(a los músicos, mientras se bate)
Eso, señores del arco, oigamos...
¡un pequeño ensamble!
 
(el posadero entra con El Filósofo.
Las chicas gritan. Querubín está
a punto de ser herido. Ensoleillad

se desmaya y todos la rodean)

EL FILÓSOFO
(desconsolado)
¡Un duelo!

POSADERO
¡Un duelo, en mi casa!

(gritando)

¡Alguaciles!

(ante esta palabra, gran bullicio)


¡Alguaciles!!

QUERUBÍN
(agarrando al posadero por el cuello)
¡Cállate! ¡Cállate!
 
(Querubín suelta al posadero

para correr a los pies de la
desmayada Ensoleillad)

MANOLAS, OFICIALES
¡Qué algarada!

RICARDO
(Al ver a Querubín a
los pies de La Ensoleillad)
Pero... ¿qué estás haciendo ahora?

OFICIALES
(calmando a Ricardo)
¡Calma, camarada!

EL FILÓSOFO
(con pánico, al capitán Ricardo)
¡Qué! ¡Estoy temblando!
¡Quería usted matar a ese niño?...

RICARDO
(furioso)
Di más bien: ¡a este insolente!

(temblando de ira)

¡Abrazó a Pepa, mi chica!
Es un ultraje.
 
EL FILÓSOFO
(indulgentemente)
¡Una caricia!

RICARDO
¡La ofendió!

EL FILÓSOFO
(corrigiéndolo)
La abrazó.

RICARDO
¡Es un insulto, no me cabe duda!

EL FILÓSOFO
¡Ah!

(con vivacidad)

¡Como se ve que usted no es mujer!

(Toda esta escena se desarrolla con
agitación, tierna emoción y calor

creciente)

Recuerde, señor, que estamos en primavera...
Que la niña es bonita
¡y que él tiene diecisiete años!

(Con emoción y agitación)

¡Diecisiete años!
Es un corazón al que el amor ilumina.
Uno sueña... canta... ríe... se quiere morir,...
Y se siente desdichado por no poder sufrir...

(apasionado)

¡Y el alma florece como hierba en primavera!
Así que piense usted... ¡diecisiete años!
Así que piense... ¡diecisiete años!
¡Diecisiete años!

(con lágrimas)

¡Diecisiete años!

RICARDO
(emocionado, tomando
las manos del Filósofo)
¡Ah, tiene usted razón!

POSADERO
(entra corriendo, limpiándose la frente
mientras mira a Ensoleillad que le
sonríe a Querubín)

¡Qué descrédito para mi casa!

QUERUBÍN
(yendo hacia Ricardo)
¡Vamos!
 
RICARDO
(bondadosamente, tendiéndole
la mano a Querubín)
¡Lu mano!

POSADERO
(desesperado de lo que está pasando)
¡Ensoleillad se desmayó!

MANOLAS, OFICIALES
¡Era Ensoleillad!

POSADERO
(con la voz quebrada por la emoción)
¡Señores! Tengo el honor... de recibir en casa...
a Ensoleillad... convocada a Palacio...
¡por el Rey!

RICARDO, MANOLAS, OFICIALES
¡Por el Rey!
 

(Mientras que Querubín ha vuelto
junto a Ensoleillad, el Filósofo
aprovecha la oportunidad para
influir en los asistentes)

EL FILÓSOFO
Si el Rey se entera de esto,
estaremos perdidos...

RICARDO, POSADERO,

MANOLAS, OFICIALES
(asustados)
Si el Rey se entera de lo sucedido,
¡estaremos perdidos!
¿Qué podemos hacer?

ENSOLEILLAD
(Se levanta mientras se abanica,
muy graciosa y provocativa)

¡Bah, señores, todo está arreglado!
Ustedes hablan de un crimen,
pero no se han matado.
El duelo fue sólo un juego de esgrima.

(El Filósofo, encantado, regresa de la
posada sofocado y enjugándose
el rostro. Trae una copa de
champán en la mano y sonríe)


¡No más preocupaciones! ¡Alegría!
¡Ah, bebamos
para que la alegría renazca en nuestras almas!
Muchachas, ¡bebed por la juventud!

(estallido de risas y embriaguez)


¡Ah, jóvenes, bebamos por la belleza!

(dulcemente)

¡Por la Belleza!

(tierna y amorosa)


Bebo por los amantes,
por los corazones felices,
por los corazones rotos...
¡Amigos! ¡Bebo por las caricias,
y por todos los besos!
¡Sí! ¡Bebo por todos los besos!
Bebo por los besos y caricias...
¡Por todos los besos!

QUERUBÍN, RICARDO,

MANOLAS, OFICIALES
(Las Manolas y los Oficiales,
con alegría entusiasta)
¡Por Ensoleillad! ¡Por Ensoleillad!
¡Por la reina del amor y la belleza!!

ENSOLEILLAD
¡Bebo por la belleza!

(rodeada de todos los jóvenes
y muchachas bonitas)


Está bien, acepto la realeza,
y dado que soy soberana,
en el lugar del duelo, aquí mismo...
¡Abro el baile!
¡Que me siga quien me ame!

(muy marcado y bruscamente)

¡La! ¡La! ¡La!
 
(
baila una danza española)
 
TODOS
(entusiastas)
¡Brava!
 
(grito prolongado)

POSADERO
(acudiendo presuroso)
Señora, en su apartamento
ya está preparado el tocador.

QUERUBÍN
(con pena)
¿Se marcha?

RICARDO, MANOLAS, OFICIALES
(desolados)
¿Se marcha, usted?

ENSOLEILLAD
(con melancolía)
Los mejores momentos, por desgracia,
tienen corta duración.

QUERUBÍN, RICARDO,
MANOLAS Y OFICIALES
¿Se marcha, usted?

ENSOLEILLAD
¡Adiós, adiós, mi pequeña corte,
un destino lejos de ustedes me llama!
Pero en palacio, cuando sea Reina,
añoraré este reinado de un día.
¡Adiós, mi pequeña corte! ¡Adiós!

QUERUBÍN, RICARDO,
MANOLAS, OFICIALES
¡Adiós, reina de un día! ¡Adiós!

ENSOLEILLAD
(a Querubín, antes de marcharse)
Espero volver a verte.

QUERUBÍN
(muy tierno)
¡Ah! ¡Cuánto te amo!
 
(Ensoleillad desaparece)

OFICIALES
(a Querubín, antes de partir)
¡Adiós, camarada, hasta mañana!

RICARDO
(a Querubín)
Mi estima por ti es extrema.
¡Estrechémonos la mano de nuevo!

OFICIALES
(cordialmente)
¡Adiós, camarada, hasta mañana!

QUERUBÍN
(a los amigos que se están alejando)
¡El vino te alegra, el amor te vuelve loco!
¡Viva Baco!

MANOLAS, OFICIALES
(desapareciendo)
¡Viva Afrodita!

QUERUBÍN
¡La vida es mu y corta!

MANOLAS, OFICIALES
(bastante lejos)
Por eso hay que divertirse...

QUERUBÍN
¡Es necesario divertirse mucho!
 
(el crepúsculo comienza a caer)

OFICIALES
(muy lejos ya)
¡El vino te alegra, el amor te vuelve loco!
¡Viva Baco!

EL FILÓSOFO
(que acaba de entrar y escucha
las voces menguantes, a Querubín)
Medita sobre esto, Querubín, y ten cuidado...

QUERUBÍN
(nervioso, y cortándole la palabra)
¡Déjame, hablas demasiado!

EL FILÓSOFO
(agarrándolo)
¿Qué tienes?

QUERUBÍN
¡Me contengo
para no provocarte!

EL FILÓSOFO
¡Cómo! ¿A mí?

QUERUBÍN
He fallado en mi primer combate;
y mi primer duelo ha sido un fracaso.

EL FILÓSOFO
(estupefacto)
¡Qué! ¿Es eso lo que te molesta?
Realmente, es para desesperarse.

QUERUBÍN
(mirando la ventana
iluminada de Ensoleillad)
Ensoleillad delante de su espejo debe,
en este momento, estar acicalándose.

EL FILÓSOFO
(preocupado)
¡Vámonos!

QUERUBÍN
¡No!
 
(Mientras Querubín va y viene
tratando de ver a Ensoleillad, el
Filósofo lo sigue mientras habla,
y Querubín
responde muy
distraídamente)

EL FILÓSOFO
El Duque te detesta,
y el Conde se aloja aquí.

QUERUBÍN
(en voz baja)
Razón de más para que me quede;
así veré a mi madrina también.

EL FILÓSOFO
Piensa en el peligro que corres.

QUERUBÍN
¿Me tomas por un cobarde?

EL FILÓSOFO
(cada vez más agitado)
Esa ventana es la del Barón.

QUERUBÍN
¡Bravo! ¡Veré a la Baronesa!

EL FILÓSOFO
Pero elige una a la vez.

QUERUBÍN
(muy seriamente)
Me gustaría, pero no puedo.

EL FILÓSOFO
¡Las amas a todas juntas!

QUERUBÍN
(finalmente se detiene para aclarar una
vez más el espíritu de su antiguo maestro)

No puedo elegir solamente a una,
¡las mujeres son demasiado hermosas!
¡Una mujer! ¡Una mujer!


(muy dulcemente y animado)

Esa palabra me enternece...
¡Perfuma mi alma!

(sin aliento)

¡Mujer!
Esa palabra es mi palabra favorita,
qué dulce palabra: ¡mujer!
No puedo dejar de suspirar...
¡ese nombre me embriaga!
¡Mujer!
Qué palabra tan encantadora...
Qué caricia...
Y no puedo elegir.
¡Cada una de ellas,
convierte a mi corazón,
en una llama!

(dulcemente)

Y me enamoro al instante...
¡Tan pronto como pasa una!

EL FILÓSOFO
Para ser mi alumno,
¡menudo bribón estás hecho!

QUERUBÍN
(Al Filósofo, que se
aleja cansadamente)
¡Ese es tu castigo!

(sigilosamente va hacia

la ventana de Ensoleillad)

¡Ah, si pudiese hablarle!
 
EL FILÓSOFO
(exhortándolo cariñosamente)
Pequeño, apártate...
Ensoleillad trata todos los días
con los más refinados seductores de la Corte.
¡Vas a hacer el ridículo!

QUERUBÍN
Me quedo.

EL FILÓSOFO
¿Por qué te obstinas?

QUERUBÍN
(con aire rebelde y decidido)
Porque... tú,

(con ímpetu)


me diste los consejos necesarios para seguir.

EL FILÓSOFO
¿Yo? ¡Dios todopoderoso!
Estaría borracho...

QUERUBÍN
(con gran seriedad)
Filósofo, ¡estabas borracho!

EL FILÓSOFO
(consternado)
¡Justo cielo! ¿Y qué te dije?

QUERUBÍN
(sentencioso)
Me has dicho:

(ligero, vivo, con volubilidad)


Si quieres seducir
a muchas mujeres,
es así como tienes que comportarte...

EL FILÓSOFO
(salta, interrumpiéndolo)
¡Dulce Jesús!

QUERUBÍN
(con un sentimiento
de ruego en la voz)
¡Ah!

(de repente, observando que la
ventana de Ensoleillad se abre)

¡Vete!

EL FILÓSOFO
Pero no, no hace falta.

QUERUBÍN
(más imperioso cada vez)
¡Vete de una vez!

EL FILÓSOFO
(saliendo abrumado)
¡Mea culpa!
 
(Ensoleillad aparece detrás de la
baranda de su balcón de hierro forjado)


ENSOLEILLAD
¿Quién está hablando en plena noche?
¿Qué es esa sombra sobre la hierba?

QUERUBÍN
(en voz baja)
Seamos dulces y tú, mi musa,
inspírame alguna canción.

ENSOLEILLAD
(iluminada por la
luz de su habitación)
La luna se extiende en un marco de oro,
la brisa es cálida como un baño...
La noche me pone sentimental.

QUERUBÍN
(aparte)
Estás enfermo, Querubín.

(Canta mientras se acompaña con
su espada como guitarra)


¡Señora! Tengo apenas veinte años
y soy un adolescente;

(sin aliento)

Pero tengo tanto amor y tanta pena
que ya me estoy consumiendo...
Mis labios desconocen lo que es un beso,
todos mis sueños son huérfanos,
y soy muy joven aún.

ENSOLEILLAD
(con un interés ligeramente burlón)
¿Te jactas de eso?

QUERUBÍN
¡Lo lamento!

ENSOLEILLAD
¡Pobre niño! ¡Pareces sincero!

(Ella piensa por un segundo y

regresa lentamente a la habitación
donde desaparece diciendo)


No lo lamentes...
¡Voy a bajar para consolarte!
 
(la luna ilumina todo el jardín)

QUERUBÍN
(de repente emocionado y temblando)
¡Ensoleillad aquí!
¡Estaremos juntos!
¡Dios mío!
Realmente esta vez estoy temblando...

(aparece Ensoleillad, un momento de
emoción, luego con voz temblorosa)


¡Ensoleillad!

(Él lleva a Ensoleillad a
un banco y la mira extasiado)

¡Aquí! ¿Junto a mí?

ENSOLEILLAD
¡Niño!

QUERUBÍN
¡Qué hermosa eres!

(sinceramente conmovido)

¡Ay! ¡Ensoleillad!
 
(se produce una pausa)

ENSOLEILLAD
(plácidamente y acariciante)
¿Por qué hay melancolía
en esos grandes ojos?
 
QUERUBÍN
(con llanto en la voz)
Te vas mañana...
 
(Sonriendo, secando las lágrimas
de Querubín con su fino pañuelo)


ENSOLEILLAD
Pero esta noche no.

QUERUBÍN
(muy desdichado)
Pero no podré verte de nuevo...
Y pronto, quién sabe, mañana mismo...
te habrás olvidado de mí...

(muy emocionado)

El Rey te ama.

ENSOLEILLAD
(amorosamente y con ímpetu)
¡Qué importa el mañana y todo el futuro!

(con infinita ternura)

Mi alma te habla

(en voz baja)


y tu corazón me escucha.
Sueña que esta noche no va a terminar...

(con abandono)

Porque por una noche
te pertenezco totalmente.
Admira la noche.
La luna tiene tanta claridad
que un pájaro, sorprendido,
creyendo ver el amanecer,
desde su nido ha comenzado a cantar.
Escucha, toda la foresta está despertando...
Escucha...
El viento, muy suave, nos susurra al oído:
¡amantes, habláis demasiado,
apresuraos a amar!

QUERUBÍN
Tu alma me habla...

ENSOLEILLAD, QUERUBÍN
... y mi / tu corazón la escucha...
Soñemos que esta noche no debe terminar.
¡Ah! ¡Qué importa el mañana! ¡Y todo el futuro!
¡Tú eres yo, y yo soy totalmente mía /tuya!
¡Totalmente tuya / mía)

ENSOLEILLAD
(muy amorosamente)
Te pertenezco totalmente...
Te pertenezco totalmente...
 
(la luna se oculta)

QUERUBÍN
¡Totalmente!

ENSOLEILLAD, QUERUBÍN
(caminando hacia el bosque)
¡Totalmente (tuya / mía)!
 
(Abrazados, los dos enamorados
se dirigen al bosque)


CONDE
(apareciendo por la puerta del
carruaje que cierra tras de él)

¿Y bien?

DUQUE
(en la puerta del albergue)
¿Nadie?

BARÓN
(en la puerta de los apartamentos)
¡No, nadie!

DUQUE
(mientras el Conde y el
Barón inspeccionan)

Ni la Condesa ni la Baronesa
me dan miedo esta noche.
¡Si tiemblo es por el Rey! ¡Por el Rey!

CONDE
Situémonos.

DUQUE
Ubiquémonos.

BARÓN
Aclarémonos.

DUQUE
Yo vigilo la puerta.

BARÓN
Yo vigilo el huerto.

CONDE
Yo vigilo los pasillos.

DUQUE
De esta manera conjuraremos el peligro.
¡Seamos inteligentes!

CONDE
¡Seamos prudentes!

BARÓN
¡Seamos diligentes!

DUQUE, CONDE, BARÓN
.
Mientras todos descansan...
¡Vigilemos! ¡Vigilemos!

DUQUE
Tened en cuenta, amigos míos,
¡que sólo debemos pensar en el Rey!

CONDE
¡Seamos inteligentes!

BARÓN
¡Seamos prudentes!
 
(Mientras que el Duque, el Conde y el
Barón van hacia el fondo de la escena,
Ensoleillad y Querubín aparecen
en la linde del bosque)


QUERUBÍN
(amorosamente)
¡Ensoleillad!

ENSOLEILLAD
(Muy sobresaltada, viendo
a los tres hombres)
¡Tengo miedo! ¡Están allí!

QUERUBÍN
(observando, luego tomando
rápidamente una decisión)
¡Mi pajarito!
Voy a despistarlos.
Los voy a engañar.
Da tú un rodeo por ese sendero. ¡Por allí!

(Él la abraza, burlándose)

¡Para un certero cazador, una presa astuta!

(Ella elude a los tres hombres
y entra en la posada. Querubín

desaparece en el momento en
que los tres hombres se separan.
Se escucha la voz de Querubín)


Como no tienen nada que hacer...
 
(Los tres hombres regresan

rápidamente uno junto al otro)

DUQUE, CONDE Y BARÓN
.
¡Querubín! ¡Es él!

QUERUBÍN
Iré rápidamente junto a ustedes...

BARÓN
¡De allí sale su voz!...

DUQUE
Se ha callado...

VOZ DE QUERUBÍN
¡Ah!

CONDE
¡No!

DUQUE
¡Todavía canta!

BARÓN
¡Todavía está cantando!

VOZ DE QUERUBÍN
(como más alejado)
¡Mi paraíso preferido
es un cojín sobre tus rodillas!

DUQUE, CONDE, BARÓN.
El sinvergüenza está en el bosque...
Esta vez lo tenemos.
 
(Ensoleillad, preocupada, aparece en
el balcón, escucha las voces de los tres
hombres y grita: «Ea»)


ENSOLEILLAD
¡Ea!

(emocionada)


Los escucho en su persecución...
Pero Querubín se ríe de ellos.
¡Ay, la felicidad qué rápido pasa

(plácidamente y acariciante)


¡Estábamos tan bien.
los dos solos!
Sus labios buscaban mis labios
en las sombras...

(apasionada)

¡Querubín! ¡Vuelve! ¡Ah, regresa!

VOZ DE QUERUBÍN
¡Estoy aquí!

ENSOLEILLAD
(mirando en vano)
¡Querubín!

QUERUBÍN
(siempre invisible)
He despistado a esos pesados.

(riendo)

El Duque maldice tan fuerte
que el bosque se alborota.

ENSOLEILLAD
Pero... no te veo...
¿Dónde te ocultas?

QUERUBÍN
(apareciendo a horcajadas
sobre el muro)
¡Aquí estoy!

ENSOLEILLAD
¡Cielos!
¡Sobre el muro!

QUERUBÍN
(aprestándose a bajar)
¡Ay!

ENSOLEILLAD
¿Qué tienes?

QUERUBÍN
(descendiendo a través del enrejado)
¡Me duele!

ENSOLEILLAD
¿Dónde?

QUERUBÍN
(continuando su descenso)
No en la oreja.
Es que me he sentado
sobre un culo de botella.

ENSOLEILLAD
(divertida y feliz)
¡Ten cuidado!

QUERUBÍN
(saltando al suelo)
¡Ya bajo!

(Toma una escalera y la aplica al balcón
de Ensoleillad. Querubín sube y
se encuentra inmediatamente en la parte
superior de la escalera, pero no puede
saltar la baranda del balcón. Alegremente)


¡Para subir mejor!

ENSOLEILLAD
¡Ah, Dios mío!

QUERUBÍN
(logra, a través de los barrotes
abrazar a su amiga, y dice
triunfante)
¡Aquí estoy!

ENSOLEILLAD
¡Querubín!

QUERUBÍN
¡Mi hermosa dama!
 
(Se abrazan, la luna los baña

con gran luminosidad)

ENSOLEILLAD
(con ansiedad)
¡Amor! ¡Amor!

(siempre apasionadamente)

Cuando tú intervienes,
los celos parecen surgir de todos lados.
Los amantes que se quieren....

QUERUBÍN
Tú los atraes con tu aleteo...

(con impulso)


¡Amor! ¡Amor!

(siempre apasionado)

Escucha mi voz.

ENSOLEILLAD
Febe brilla sobre nuestros rostros.

QUERUBÍN
Los celosos nos verán desde el bosque...

ENSOLEILLAD
Se esconde la luna...
Se esconde tras una nube.
 
(la luna se oscurece)

QUERUBÍN
(alegre)
¡Milagro! Eros responde...
¡Y Febe se oscurece!

ENSOLEILLAD, QUERUBÍN
¡Eros, dios de la alegría, Eros!
¡Oh tú, que nos haces morir
con mano acariciadora!...
¡Divino Eros, Eros gracias!
 
(De repente, las persianas de las
ventanas de la Baronesa y de la

Condesa se abren)

ENSOLEILLAD
(asustada)
¿Oyes ese ruido?... ¡Baja!
 
(Querubín se desliza por la escalera.
Ensoleillad se oculta por un momento
en su habitación)


CONDESA
(desde su ventana)
¿Quién anda ahí?

QUERUBÍN
(Para sí)
¡Mi madrina!

BARONESA
(apareciendo de la misma manera)
¿Quién está hablando ahí?

QUERUBÍN
(Para sí)
¡Señor, también la otra!

(en voz alta, a la Baronesa)

¡Soy yo!

CONDESA
¿Qué?

QUERUBÍN
(a la Condesa)
¡Soy yo!

CONDESA
(muy bajo)
¡Tú aquí!

ENSOLEILLAD
(regresando al balcón)
¡Habla más alto, apenas te escucho!

CONDESA, BARONESA
¡Imprudente!

ENSOLEILLAD
¿Qué?

(sorprendida de escuchar varias voces)


¿Quién está cuchicheando ahí?

CONDESA,
BARONESA
(sorprendidas al escuchar varias voces)
¿Quién está cuchicheando ahí?

QUERUBÍN
(buscando una excusa)
¡Es el viento!

ENSOLEILLAD, CONDESA

BARONESA.
¿Qué?

QUERUBÍN
¡Silencio! Desde tan lejos
no nos podemos abrazar,
ni tampoco besar.

(tiernamente)

Te lo imploro... ¡Lánzame una prenda!
Un recuerdo,
a falta de un beso.

ENSOLEILLAD, CONDESA

BARONESA
¡Ah, cómo resistirme, hermoso paje!

BARONESA
(arrojándole un ramillete de flores)
¡Toma!

ENSOLEILLAD
(tirándole su liga)
¡Toma!

CONDESA
(tirando la cinta de su cuello)
¡Toma!

QUERUBÍN
(atrapando las tres prendas,
las aprisiona contra su corazón)

¡Ah ,qué buena jugada!
¡Estoy totalmente colmado de amor!

ENSOLEILLAD
(asustada)
¡El Duque!
 
(todas las ventanas se cierran
abruptamente tras cada exclamación)


BARONESA
(asustada)
¡El Barón!

CONDESA
(tímidamente)
¡El Conde!
 
(Querubín, al ver a sus

enemigos, sube por la escalera)
 

BARÓN
(llegando, con un farol)
¡Está atrapado!

DUQUE
¡Rodeemos el jardín!

CONDE
¡Será un escándalo!

DUQUE
¡Una vergüenza!
 
(Querubín tira la escalera
y, burlón y provocativo,
se cruza de brazos)


BARÓN
¡Bandido!

DUQUE
¡Bribón!
 
(Los tres hombres están exasperados)
 

CONDE
(con ira fría)
¿De dónde vienes?

DUQUE
(con explosión)
¿De qué habitación?

CONDE
(señalando la cámara
de la Condesa, para sí)
¿Vendrá de ahí?

BARÓN
(señalando la habitación
de la Baronesa, aparte)
¿Vienes de allí?

DUQUE, CONDE, BARÓN.
¡Responde! ¡Responde!

QUERUBÍN
(estallando de risa)
¡Tra la la la la la!

DUQUE, CONDE Y BARÓN.
¡Responde! ¡Responde!

QUERUBÍN
¡Cómo me divierto!
¡Cómo me divierto!

BARÓN
(alumbrando a Querubín)
¡Ese ramillete es de mi esposa!

CONDE
(rugiendo de rabia)
¡Ese lazo es de la Condesa!

DUQUE
(con una explosión de ira)
¡Su liga!

QUERUBÍN
¡Cómo me divierto!
¡Cómo me divierto!

DUQUE
(descubriéndose)
¡Pobre Rey!

CONDE
¡Esa cinta!

BARÓN
¡Ese ramillete!

DUQUE
¡Devuélveme la liga!

BARÓN
(desenfunda su espada)
¡Devuélvelo!

DUQUE
(desenfunda su espada)
¡Devuélvela!

CONDE
(desenfunda su espada)
¡O morirás! ¡Morirás! ¡Morirás!

DUQUE
(avanzando con terrible mirada)
¡Al cementerio!

BARÓN
¡Al cementerio!
 
(Los tres cargan contra

Querubín con gritos feroces)

QUERUBÍN
¡Jamás! ¡Jamás! ¡Jamás!

DUQUE, CONDE Y BARÓN
.
¡Toma! ¡Toma! ¡Toma!
¡Toma! ¡Toma! ¡Toma! ¡Toma!
 
(Querubín se enfrenta a los tres

fanáticos, pero los gritos de todos
ellos atraen de inmediato al Posadero
y al Filósofo que implora)

POSADERO
(corriendo desesperadamente)
¡Alguaciles!! ¡Alguaciles!!

DUQUE, CONDE, BARÓN
.
¡Toma! ¡Toma!

EL FILÓSOFO
(implorando angustiado)
¡Tres duelistas! ¡Ah, mi pobre muchacho!
¡Contra tres duelistas! ¡Tres duelistas!
 
(La campana suena, el duelo se detiene,
la puerta de entrada está abierta, el

patio de la posada es invadido por una
multitud de sirvientes, con antorchas y
faroles. Criadas, transeúntes, viajeros
de ambos sexos despertados con un
sobresalto. que aparecen vestidos con
ropa de dormir)

POSADERO,SERVIDORES,

MOZOS, CRIADAS
VIAJEROS
¡Qué escándalo! ¡Qué escándalo!
¡Qué escándalo!

DUQUE
¡Mañana mataré a ese muchacho!
¡El Rey me dará la razón!
¡El Rey me dará la razón!
 
CONDE, BARÓN
¡Mi esposa ama a ese depravado!
¡Ah! ¡Qué traición indigna!
¡Ah! ¡Qué traición indigna!

QUERUBÍN
¡Tra la la! ¡Tra la la!
¡Cómo me divierto!
¡Cómo me divierto!
 
(llega el Corregidor con los alguaciles)

SIRVIENTES
(anunciando en voz alta)
¡El Corregidor!!

BARÓN
(Se lanza sobre el Corregidor,
aparte, preocupado)

Observe a quien le resulte sospechoso;
pero si es la Condesa, ¡estará bien!

CONDE
(de la misma manera)
¡Ah! Señor, no se lo diga a nadie,
¡él viene de la habitación de Ensoleillad!

(del otro lado)

¡Silencio! ¡No diga nada!

BARÓN
(del otro costado)
¡Silencio! ¡No digas nada!
¡No digas nada! ¡Nada!

DUQUE
(de igual manera)
¡Él viene de la recámara de la Baronesa, silencio!
¡Pero a la Baronesa no le diga nada!

POSADERO, SERVIDORES, MOZOS
¡Qué escándalo para mi posada!
¡El patrón va a volverse loco!
 
(Las tres ventanas se abren, y las

tres mujeres aparecen en ellas)

DUQUE, CONDE, BARÓN
¡Silencio! ¡No digas nada!
 
(Las tres mujeres están en sus ventanas)

ENSOLEILLAD
(llorando, aparte)
¡Tres duelos consecutivos!
¡Lo matarán!

CONDESA,
BARONESA
(aparte)
¡Lo matarán!

EL FILÓSOFO
¡Tres duelos a la vez!
¡Lo matarán! ¡Dios mío! ¡Oh, Dios mío!
¡Oh, Dios mío! ¡Oh, Dios mío!

QUERUBÍN
¡Tra, la, la, la, la, la, la!
¡Soy tan feliz como un pinzón!
¡Zon! ¡Zon! ¡Zon!
¡Ah! ¡Cómo me estoy divirtiendo! ¡La! ¡La!
¡Qué noche! ¡Cómo me divierto! ¡La! ¡La!

POSADERO, SERVIDORES,

MOZOS, MUCHEDUMBRE
¡Qué escándalo! ¡Qué escándalo!

ENSOLEILLAD, CONDESA

BARONESA.
¡Pobre muchacho! ¡Lo matarán!

DUQUE, CONDE, BARÓN.
¡Mirad, se está riendo! ¡Mirad, se ríe!
¡Mataré a este chico mañana!

ENSOLEILLAD
¡Ay de mí! ¡Ay de mí!

CONDESA, BARONESA
Es seguro, ¡lo matarán!
Es seguro, ¡lo matarán!

POSADERO, SERVIDORES
MOZOS, MUCHEDUMBRE
¡Qué escándalo, para la posada!

EL FILÓSOFO
¡Dios mío!
¿Tendrá que afrontar tres duelos?

DUQUE, CONDE, BARÓN
.
¡El Rey me dará la razón!

DUQUE
¡Sí, mataré a ese muchacho!

CONDE, BARÓN
¡Qué traición indigna!

CONDE
(a Querubín, muy categórico)
¡Mañana te mataré!

POSADERO, SERVIDORES
MOZOS
, MUCHEDUMBRE
¡Qué escándalo para la posada!
¡Qué escándalo para la posada! ¡Ah!

ENSOLEILLAD, CONDESA

BARONESA.
¡Ah! ¡Ah! ¡Dios mío!

EL FILÓSOFO
¡Dios mío! ¡Dios mío! ¡Ah!

DUQUE, CONDE, BARÓN
.
¡Morirá! ¡Morirá! ¡Ah!

QUERUBÍN
¡Tra, la, la!
¡Tra, la, la!
¡Tra, la, la!
 
(A una señal del Corregidor, los
alguaciles rodean y detienen al Duque,

al Conde y al Barón, quienes protestan
y se debaten como locos furiosos.
Las tres mujeres se desmayan cada

una en su balcón. Gritos y Tumulto
indescriptible)
 
 

ACTO  TERCERO


(El pintoresco patio de la misma posada
española. Una escalera de madera conduce
a la galería en el primer piso. A la derecha,
laureles, rosales y granados, en macetones,
forman un rincón primaveral, en el centro del
cual Querubín, apoyado en una mesa, escribe
en silencio. Aparece el Filósofo que avanza
discretamente hacia Querubín y lo observa sin
ser visto)

EL FILÓSOFO
(en voz baja)
¡Querubín!

QUERUBÍN
(sigue escribiendo, casi
sin levantar la cabeza)

¡Un momento!

EL FILÓSOFO
(en voz baja)
¡Querubín!

(intrigado)


¿Qué estás escribiendo?

QUERUBÍN
(de buen humor)
¡Mi testamento!
¡Tengo tres duelos por delante!

EL FILÓSOFO
(sorprendido)
¡Desdichado!

QUERUBÍN
(pensativo, pero
con frivolidad)
¡Ah, suspiro...

(muy ligeramente)

Pero no tengo el alma ensombrecida...
Siempre he visto la vida color azul;

(ante la palabra "muerte", el pobre
Filósofo se pone muy pálido)


La Muerte... quiero verla de color rosa.

(lee su testamento)

Si recibo una herida de daga,
si esta noche debo morir,
A Nina, dejo mi anillo...
para ser un poco su prometido.
A Ensoleillad, rosa y morena,
que con su amor una noche me embriagó,
le dejo toda mi fortuna,
que vale mucho menos que su beso.

(con emoción)

A mi único amigo...

(el desesperado Filósofo le hace señas
de que no quiere escuchar nada)


... le dejo mis bosques
y mi mansión.
Algunas veces lo he puesto en aprietos...
¡Pero sé que él me perdona!
 
(ante estas palabras, el Filósofo,
sollozando, se lanza a los brazos
de Querubín)


EL FILÓSOFO
(muy emocionado)
¡Morir!
¡Cuando se tiene ese aspecto!
¡Cuando el amor brilla en sus ojos!

(fuera de sí)

¡Morir, cuando el amor brilla en sus ojos!
¡Morir, cuando la vida despierta!
¡Morir, cuando se tiene ese aspecto!

QUERUBÍN
¿Qué dices?

EL FILÓSOFO
¡Morir, con semejantes colores!
¡Morir! ¡Morir!

(violentamente conmovido)

¡Morir!

QUERUBÍN
¿Qué dices?

EL FILÓSOFO
(con furia)
¡Que tu muerte sería abominable!
¡No! ¡No morirás, por mil diablos!

QUERUBÍN
(divertido)
¡Júralo!

EL FILÓSOFO
(transfigurado)
¡En guardia!

QUERUBÍN
¿Por qué?

EL FILÓSOFO
(confidencialmente)
Quiero enseñarte un golpe maestro.

QUERUBÍN
(muy divertido)
Así que ¿tú también te has batido?

EL FILÓSOFO
(confesando)
Como un veterano.

QUERUBÍN
¿Tú?... ¡Tan prudente!
 
(El Filósofo, con una chaira,
le da una lección de esgrima)


EL FILÓSOFO
¡Desenvaina tu espada!
Simulo un ataque en cuarta,
en sexta, en cuarta,
en sexta de nuevo,
tu espada quiere pasar, la desvío,
golpeo, te separas.

(se parte)

¡Estás muerto!

QUERUBÍN
(excitado)
¡Bravo! ¡Excelente!

POSADERO
(llegando desde afuera)
¿Otro duelo? ¡Alguaciles! ¡Alguaciles!

QUERUBÍN
¡Cállate, pajarraco!
¡Era sólo un juego!
 
(el posadero sale)

EL FILÓSOFO
(cuando aparecen la
Condesa y la Baronesa)
¡La Condesa!

QUERUBÍN
¡Y la Baronesa!

BARONESA
(a la Condesa)
¡Tranquilidad!

CONDESA
(a la Baronesa)
¡Calma!

QUERUBÍN
(al Filósofo, aparte)
¡Qué mirada tan enfurecida!

EL FILÓSOFO
(a Querubín, aparte)
Quien comete errores, los paga.

QUERUBÍN
¡Ve a vigilar la puerta!

(El Filósofo se va muy fastidiado,

viendo a las dos mujeres venir hacia
él. Para sí)

¡Ah! ¡Qué momento me espera!

(a ambas mujeres)

¡Caigo a los pies de tanta gracia!
 
(ambas mujeres irritadas,

y muy nerviosas)

CONDESA, BARONESA
¡Basta de palabras grandilocuentes!
¡Y basta de frases!

QUERUBÍN
Pero...

CONDESA, BARONESA
(seca e imperativa)
¡Contéstanos!... ¡La verdad!
¡La verdad! ¡La verdad!
¿Para quién cantabas, hermoso paje,
anoche?

QUERUBÍN
(turbado)
¿Anoche?

CONDESA, BARONESA
(Mirándose la una a la otra)
¿Por qué pedías prendas?
¡Si, anoche!

QUERUBÍN
¿Anoche?

CONDESA, BARONESA
(ambas con irritación y firmeza)
¡La verdad, vamos, señor, la verdad!

QUERUBÍN
(empezando a cansarse de la situación)
Pues bien, ¡ya no importa!...
Ayer canté...

CONDESA
(suspirando)
¿Para mí?

BARONESA
(de igual modo)
¿Para mí?

QUERUBÍN
(un poco confundido)
No... ¡para otra!

CONDESA, BARONESA
(Habiendo adivinado todo,
furiosas y exasperadas)

¡Ensoleillad!

EL FILÓSOFO
(llegando apresurado)
¡Sus maridos!
 
(sale tan rápido como entró)

CONDESA
(aparte)
¡Bien!
 
(El Conde y el Barón se detienen

al
ver a sus esposas charlando
con Querubín. Ellas fingen ignorar
la presencia de sus esposos y
auguran a Querubín que sufrirá
mil muertes)

CONDESA
(en voz alta, aumentando su cólera hacia
Querubín y mostrándose muy amorosa
cuando se trata de su esposo)

¡Me comprometiste ante los ojos
de un marido al que adoro!

BARONESA
(de igual modo, mas indignada aún)
Cantabas para Ensoleillad.
Y mi pobre esposo, sí,
¡mi esposo lo ignoraba!

BARÓN
(atrapado por el juego, al Conde)
¿Las escuchas?

QUERUBÍN
(aparte, exasperado)
¡Son unas pécoras!

BARONESA
¡Responde!...

CONDESA
¿Es verdad?, ¡Responde!

(en voz baja, a Querubín)

Responde o me pierdes...

QUERUBÍN
(temblando de rabia,
pero todavía con ganas
de exculpar a las dos mujeres)

¡Es verdad! ¡Es verdad!

BARÓN
(corriendo hacia su esposa que se
muestra sorprendida de encontrarlo.
con expresividad)

¡Querida, mujer adorada!

BARONESA
(simulando asombro)
¡Tú!

CONDE
(de la misma forma que el Barón)
¡Amada esposa!

CONDESA
(de la misma manera que
la Baronesa, pero con más altivez)
¡Ah, eres tú!

QUERUBÍN
(Pataleando de rabia
ante esta doble comedia)
¡Qué pérfidas! ¡Qué pérfidas!

CONDE
(por lo bajo, a su esposa)
¡Perdóname!

BARÓN
(dulcemente, a la suya)
¡Perdóname!

QUERUBÍN
(no soportando más, se vuelve
a los dos hombres, muy decidido)
Nuestros duelos ¿aún se mantienen?
¡Espero que sí!

BARONESA
(descaradamente)
¿Qué dices?

CONDESA
(astuta y despectiva)
¿Un duelo?
¿Y para qué?

BARONESA
(de igual modo)
¡Este muchacho ha perdido la cabeza!

CONDESA
(bromeando)
¡Se ha vuelto loco!

QUERUBÍN
(ansioso)
¿Qué significa?

CONDESA
(siempre con el mismo tono)
¡Se necesita una razón
para arriesgar la vida!

CONDESA, BARONESA
Para que haya un duelo
es necesario una ofensa,
¡y la ofensa ya no existe!

QUERUBÍN
(con ira)
¡Qué significa esto!

CONDESA, BARONESA
¡Abandona esos grandes aires altaneros,
que no se ajustan a tu edad!

CONDE, BARÓN
(bromeando)
¡Mis disculpas, pequeño muchacho!

CONDE
Todas mis disculpas...

BARÓN
Adiós pequeño.

QUERUBÍN
(reaccionando ante el agravio)
¡Se lo prohíbo!

CONDESA, BARONESA
(riéndose de él)
¡Él os los prohíbe!

(en son de burla,
a sus queridos esposos)


¡Oh! ¡Tened cuidado!
 
(todos se disponen a marcharse)

QUERUBÍN
(Indignado, fuera de sí)
¡Ah! ¡Bribonas!¡Sinvergüenzas!
¡Cómo me hacen sufrir!

CONDE
(dándose vuelta)
Todas mis disculpas...

BARÓN
(igualmente)
Adiós, pequeño.

CONDESA, BARONESA
(igualmente)
¡Adiós, pequeño!

QUERUBÍN
(muy nervioso, estridente, irritado)
¡Ah, ni siquiera puedo morir!

(llega el Duque, enviado por
el Rey, rodeado de oficiales,
señores y pajes)

¡Ah! ¡El Duque! Al menos él...
 
(se precipita hacia el Duque)

DUQUE
(solemnemente, en voz alta a
la multitud que acude corriendo)
¡Atrás! ¡En nombre del rey!

(al posadero, jadeando)

¡Apresúrate en entregar a La Ensoleillad
este mensaje real!

QUERUBÍN
(sorprendido, para sí)
¡Ensoleillad!

POSADERO
(a la multitud que invade
el patio, a gritos)
¡Atrás todos!
¡Dejad paso a la silla de manos del rey!
 
(Se apresura a subir las escaleras
hacia el alojamiento de La Ensoleillad.
Los músicos han subido rápidamente

las escaleras y le tocan una alborada
a Ensoleillad, frente a su puerta, en el
primer piso. La multitud escucha con
deleite. Querubín está solo, aparte, muy
conmovido)

ENSOLEILLAD
(Se oye la voz de Ensoleillad
que acompaña a la música)
¡Viva el amor que sueña, abraza y huye!
¡Viva el amor que muere en una noche!
¡Llorad doncellas,
pero con lágrimas frívolas!
¡Llorad doncellas,
pero con lágrimas frívolas!

QUERUBÍN
(aparte, muy emocionado)
¡Hacia ella me arrastra mi corazón!
Durante una noche, la eternidad,
¡yo fui el rey de esta reina!
¡Cuánta belleza!
 
(Ensoleillad aparece iluminada por

un rayo de sol radiante. Retoma la
canción de la alborada, mientras
permanece inmóvil cerca de la puerta)

ENSOLEILLAD
(a toda voz)
¡Viva el amor que sueña, abraza y huye!
¡Viva el amor que muere en una noche!
¡Si el amor tiene alas,
es para que vuele!
¡Si el amor tiene alas,
es para que vuele!
¡Si el amor tiene alas,
es para que vuele!

LA MULTITUD
(extasiada)
¡Ensoleillad, eres reina por tu belleza!

ENSOLEILLAD
¡Ah!
 
(Ensoleillad se adelanta, pero al
ver la actitud de Querubín, se

detiene turbada)

QUERUBÍN
(a Ensoleillad, loco de
desesperación y amor)
¡Por piedad! ¡No te vayas!
¡Ah! ¡Que tu corazón me escuche!
Me has dicho: ¡Te pertenezco totalmente!
Me has dicho: ¡Esta noche no debe terminar!

(con acento desgarrador)

¡Qué importa el mañana
y todo el porvenir!
¡Ah!
 
(Ensoleillad desciende lentamente,
mirando a Querubín, palpitando
al pie de las escaleras, trata de

ocultar su emoción y, para vencer

la atracción
que siente hacia 
Querubín, se dirige a la multitud
señalando al muchacho)

ENSOLEILLAD
¿Quién es este?

QUERUBÍN
(quebrado)
¡Oh, Dios mío!

DUQUE, MULTITUD
(a Querubín)
¡Insolente! ¡Retrocede!
¡Dejad paso a la gente de Su Majestad!
 
(Ensoleillad ha subido a su silla.
La multitud la aclama mientras se
aleja. Querubín queda angustiado
y llorando en los brazos del Filósofo,
que acaba de llegar y es presa de una

profunda emoción)

LA MULTITUD
(avanzando)
¡Ensoleillad es dos veces reina:
por el favor real y por su belleza!
¡Por su belleza!
¡Adiós!
 
(todos se inclinan. Salida general)
 
(pausa)

QUERUBÍN
(abatido, al Filósofo que
lo consuela como a un niño)
Sólo me queda tu amistad...
Y sólo te tengo a ti...
¡Detesto el amor,
pues han mancillado lo que amaba!

EL FILÓSOFO
(afectuosamente)
Es tu primera aflicción...
Bendícela si te ha transformado;

(muy emocionado)

Acabas de sufrir como un hombre,
al fin eres digno de amar.

QUERUBÍN
(con amargura)
No quiero amar nunca más...
Mi alma está sumamente apenada...
¡No quiero amar nunca más!...

(violentamente)

¡La mujer es un ser vil! ¡Infame!

EL FILÓSOFO
(Con una filosofía
dulce y consoladora)
¡No volver a amar nunca más!
¿Por qué, pequeño, tanto rencor?
¡No volver a amar nunca más!
Es un error que te irrites
por una mujer sin corazón...
¡Las mujeres son lo que son!
¡Pequeño! Espera a la mujer dulce
que te consuele en tu infortunio.
Todos la hemos conocido...
Espera hasta haberla encontrado...
¡Ya verás, pequeño, ya verás!

QUERUBÍN
(sincero, resuelto)
¡Ah! ¡Nunca he deseado tanto tener

(palpitante y nervioso)

un hombro sobre el que llorar,
un brazo en el que apoyarme!

EL FILÓSOFO
¡Ya verás, pequeño, ya verás!

QUERUBÍN
¿Cuándo?

EL FILÓSOFO
¡Espera!!

QUERUBÍN
(con mucha ternura)
¡Espero!!
 
(Escuchamos el rodar de un
carruaje y luego, un suave
tintineo de campanas)

EL FILÓSOFO
(Percibiendo a Nina
aún invisible, lentamente)
Y cuando Eliezer vio a Rebeca, dijo:
Dios mío,
¡esta es la esposa para mi señor!
 
(sale apaciblemente cuando Nina aparece
en el umbral de la posada, ella va con
sus ropas de luto)


QUERUBÍN
(emocionado, yendo hacia ella)
¡Nina!

NINA
(temblorosa se detiene turbada)
¡Querubín!

QUERUBÍN
¡De luto!
¿Por qué tan pálida?...
¿Por qué tu semblante tiene
esa dulce tristeza?

NINA
(Dulcemente, sin malicia
ni resentimiento)

¡Señor! ¿No lo sabes?

QUERUBÍN
(la acompaña hasta un rincón
florido del patio de la posada)
¡Nina! Mi corazón palpita y tiembla...
¿Soy yo quien te ha hecho llorar?

NINA
(con sencillez)
Ya no lloro...
Mañana abandonaré este mundo
pues entraré en el convento.
Aquí están tus versos... te perdono.
¡Me los creí!... Era una niña...
Habrás pensado que era un poco tonta.
Creía, viéndote lleno de emoción,
que te había conquistado
y que esos versos eran para mí...
Debo haberte parecido
un poco tonta.
Cuando estabas a mi lado,
el corazón se me subía a la cabeza.
Temblaba... no sé por qué,
pero perdía la cabeza
cuando estabas a mi lado...

(en voz baja)

Y ahora... que estoy a punto
de no volverte a ver,

(emocionada)

siento tanta emoción...
que mi entereza me abandona...

(sencilla)

¡Adiós, adiós... mañana el claustro!
Te amé... ¡Olvídame! ¡Olvídame!

(mirando a Querubín)

¿Lloras?

QUERUBÍN
(con lágrimas en los ojos)
¡Nina!

NINA
(muy emocionada)
Dime... ¿Estás llorando?

QUERUBÍN
Estas lágrimas son mejores
que todos los placeres vanos
que una vez conocí.

NINA
(palpitando)
¡Ya no tienes tu risa burlona!

QUERUBÍN
(feliz)
Una sonrisa más bella
despierta en mi corazón.

NINA
(con emoción creciente)
¿Qué? ¿No te burlas?
¿Tu ternura es verdadera?

QUERUBÍN
¡Veo el mundo
con nuevos ojos!
¡Ven! ¡Nina, vamos!
¡Nina, vamos!
¡Ven a mi lado!

NINA
(vencida, confiada, enamorada)
¡Querubín, creo en ti!

QUERUBÍN
Del amor sólo había entendido
las caricias...

NINA, QUERUBÍN
¡Amar, sentir, sufrir,
palabras embriagantes!
¡Amar, sentir, sufrir,
palabras embriagantes!

NINA
¡Mi Querubín, creo en ti!
¡Creo en ti!
¡Mi Querubín, creo en ti!
¡Siempre tuya!

QUERUBÍN
¡Ven junto a mí, junto a mí!
¡Junto a mí!
¡Oh, Nina! ¿Vienes a mi lado?
¡Creo en ti!
 
(En el momento en que Querubín y Nina
aún están entrelazados, el Duque vuelve
con el Filósofo y los oficiales que iban a ser
los testigos en el duelo. Llevan las espadas

bajo el brazo)

DUQUE
(sofocado, viendo a su pupila
en los brazos del  pequeño
bribón de Querubín)
¡Mi pupila en sus brazos!
¡Oh, rabia!
¡Oh, triple rabia!

RICARDO
(retorciéndose de risa)
¡Qué muchacho!

DUQUE
(fuera de él)
¿Quién será la elegida de mañana?

QUERUBÍN
(inclinándose ante el Duque, asombrado)
Este no es un nuevo ultraje,
Nina me concede su mano.
 
(Nina va a rogar a su tutor
que parece decir: "¡Pobre niña!")


RICARDO
(burlón, a Querubín)
¿Hablas de matrimonio?...
A tu edad, ¿ya estás de retirada?

QUERUBÍN
(radiante, golpeando
el hombro de Ricardo)
¡Retreta! Vamos entonces.

(campanas lejanas. Sonriente)


Amanece... ¡escucha las campanas!
Indican que hay que levantarse...
Escucha, no es la retreta lo que suena...
¡Es la diana por el despertar del amor!

EL FILÓSOFO
(a Querubín, en voz baja. Le señala
la cinta de la Condesa que le asoma)
¡Deshazte de esa prenda!
Nina debe ser suficiente para ti.

QUERUBÍN
(Tras un momento de vacilación,
no pudiendo desprenderse de las
prendas de amor, con una sonrisa
indefinible, guarda la cinta. Hablado)

¡Bah!!


(Corre hacia Nina que está
junto a su tutor. Hablado)


¡Nina, te quiero!

RICARDO
(mirando a Querubín, jovialmente)
¡Es Don Juan!

EL FILÓSOFO
(pensativo, mirando a Nina)
¡Es Elvira!



Digitalizado y traducido por:

José Luis Roviaro 2020